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bas-médiéviste
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Loin des villes : une génération oubliée - Page 4 Empty Re: Loin des villes : une génération oubliée

par bas-médiéviste Sam 23 Nov 2019 - 21:34
Ascagne a écrit:@bas-médiéviste : Peut-on tout à fait parler d'isolement dans ce cas-là ?
En revanche, oui, du côté socio-culturel, il y a beaucoup à dire. Je m'éloigne de la ruralité, qu'on m'excuse. Quand je pense à certaines copies de mes élèves, et surtout aux copies des candidats au bac, dans les sujets d'invention, j'ai vraiment eu régulièrement l'impression d'un imaginaire restreint à la banlieue, parfois englué dans celle-ci. Parmi toutes les possibilités de choix de ville à décrire dans un sujet d'invention du bac technologique, 80% des copies restaient dans la banlieue du Val-d'Oise. Dans les copies de plusieurs élèves, la distinction banlieusard/parisien était intégrée et semblait aussi concrète que les rails du RER B. Une élève, qui imaginait que son personnage habitait dans les beaux quartiers près de la Tour Eiffel, la faisait cependant aller trois lignes plus loin faire joyeusement ses courses dans un supermarché de Sarcelles. Le supermarché de Garge-lès-Gonesse était, pour plusieurs copies non ironiques, l'étalon suprême du lieu à visiter pour profiter d'une forme de beauté et de contentement.

Je me demande où en serait l'aménagement du territoire s'il n'y avait pas eu cette fameuse politique du tout voiture il y a quelques décennies.

L'imaginaire des élèves reflète les valeurs en vogue dans notre société de consommation individualiste, et l'étroitesse du cadre spatial où certains d'entre eux sont claquemurés. On a désormais les icônes qu'on peut. Finalement refuser de se commettre dans ces lieux de perdition que sont les centres commerciaux est, en conscience, un bel acte, mais aussi un luxe.

Plus prosaïquement, il existait au début du XXe siècle en France un dense réseau de lignes de chemin de fer qui innervaient jusque dans les campagnes les plus reculées. Dans le contexte de l'exode rural, le développement de la voiture lui a été fatal. Un peu d'uchronie me ferait postuler que si nous n'avions pas connu le "tout-voiture", les formes d'économie liées spécifiquement à la croissance urbaine se seraient adaptées au cadre rural.
Marie Laetitia
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par Marie Laetitia Sam 23 Nov 2019 - 21:57
Rendash a écrit:
Marie Laetitia a écrit:
Avec comme critère "plus de de 10 % des actifs dans l'agriculture", la Corrèze n'est pas rurale Loin des villes : une génération oubliée - Page 4 437980826 Or quand on connaît, il y a de quoi rire (Oui, bon, je sais, Brive, ce n'est pas rural). Mais quand je vois le nombre de parents agriculteurs, lesdits parents qui entrent en bottes jusque dans le hall du collège, les concours de bestiaux à côté, les tracteurs et les bétaillères qui ralentissent la circulation matin et soir, les paysages tout autour, j'ai du mal à considérer que je ne suis pas en zone rurale.

On a surtout, comme tu le soulignes, un énorme problème de définition. Et à partir de là, on peut déclarer péremptoirement que la ruralité n'existe plus. Ce qui avive les mauvaises relations entre ceux qui y vivent quand même et les urbains.


C'est bien la preuve que la géographie est une annexe des trucs vraiment sérieux Razz

N'est-il pas? :lol:

Malgré cela, ce fil est bien intéressant...

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Si tu crois encore qu'il nous faut descendre dans le creux des rues pour monter au pouvoir, si tu crois encore au rêve du grand soir, et que nos ennemis, il faut aller les pendre... Aucun rêve, jamais, ne mérite une guerre. L'avenir dépend des révolutionnaires, mais se moque bien des petits révoltés. L'avenir ne veut ni feu ni sang ni guerre. Ne sois pas de ceux-là qui vont nous les donner (J. Brel, La Bastille)


Antigone, c'est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. [...] Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire. Elle s'appelle Antigone et il va falloir qu'elle joue son rôle jusqu'au bout...


Et on ne dit pas "voir(e) même" mais "voire" ou "même".
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Rosanette
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par Rosanette Sam 23 Nov 2019 - 22:36
Je trouve également intéressant que les défendeurs de "la ruralité vraie" ponctuent quasiment systématiquement leur discours de "il ne faut vraiment jamais avoir connu {nom d'un bled/d'une région peu dense} pour dire ci ou ça" ou renvoient à leur vie, voire leur enfance, comme si cela suffisait à clore la question.

J'y vois presque un renversement du stigmate, finalement la ruralité, la périphérie, on la revendique, et on l'inscrit dans un état de fait immuable, et si quelqu'un s'avise de dire que vous n'êtes peut-être pas le déclassé que vous prétendez être, c'est que vous êtes un immonde citadin à quinoa.
Mathador
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par Mathador Sam 23 Nov 2019 - 22:46
bas-médiéviste a écrit:Plus prosaïquement, il existait au début du XXe siècle en France un dense réseau de lignes de chemin de fer qui innervaient jusque dans les campagnes les plus reculées. Dans le contexte de l'exode rural, le développement de la voiture lui a été fatal. Un peu d'uchronie me ferait postuler que si nous n'avions pas connu le "tout-voiture", les formes d'économie liées spécifiquement à la croissance urbaine se seraient adaptées au cadre rural.

Je ne suis pas d'accord avec cela, car la spécialisation des emplois est limitée par la densité de population de l'environnement: un emploi particulièrement spécialisé qui est rentable à Nantes ou à Montpellier ne le sera pas forcément à Descartes (Indre-et-Loire), que la liaison entre Descartes et Tours se fasse en train, en voiture ou en bus. Adam Smith l'observait déjà à son époque, et expliquait ainsi le fait que les villes soient plus riches que les campagnes.
Or l'existence de grandes villes centralisées n'est pas une nouveauté, même si elle étant moins accentuée avant (voir par exemple https://www.insee.fr/fr/statistiques/4218308 ), donc le changement de structure dans l'emploi aurait selon moi permis l'exode rural même sans voiture. En revanche, l'urbanisation diffuse aurait été rendue plus difficile et il y aurait peut-être eu davantage de développement dans les villes moyennes, ce qui aurait limité la paupérisation de grandes portions du territoire que l'on voit aujourd'hui.

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"There are three kinds of lies: lies, damned lies, and statistics." (cité par Mark Twain)
« Vulnerasti cor meum, soror mea, sponsa; vulnerasti cor meum in uno oculorum tuorum, et in uno crine colli tui.
Quam pulchrae sunt mammae tuae, soror mea sponsa! pulchriora sunt ubera tua vino, et odor unguentorum tuorum super omnia aromata. » (Canticum Canticorum 4:9-10)
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par bas-médiéviste Sam 23 Nov 2019 - 23:03
Mathador a écrit:
Or l'existence de grandes villes centralisées n'est pas une nouveauté, même si elle étant moins accentuée avant (voir par exemple https://www.insee.fr/fr/statistiques/4218308 ), donc le changement de structure dans l'emploi aurait selon moi permis l'exode rural même sans voiture. En revanche, l'urbanisation diffuse aurait été rendue plus difficile et il y aurait peut-être eu davantage de développement dans les villes moyennes, ce qui aurait limité la paupérisation de grandes portions du territoire que l'on voit aujourd'hui.

Sur le processus d'urbanisation, on se réfère souvent à la loi rang-taille de Zipf. Plus les villes sont petites et plus leur propension à être mono-spécialisées est grande. Il en résulte que les petites villes spécialisées dans une activité unique ont très souvent décliné ; là où les grandes villes fortes de la diversité de leurs activités n'ont cessé de croître.
Ce qui permettait à beaucoup de préfectures et de sous-préfectures de ne pas décrocher jusque dans les années 1990 c'était leur statut de centre administratif. Dès lors qu'elles ont perdu le centre hospitalier, le tribunal de commerce... ou que ceux-ci ont été rétrogradés (par le jeu des regroupements notamment), ces villes ont décroché. Leurs commerces de centre-ville ont périclité faute d'une clientèle suffisamment nombreuse (la clientèle restant ayant, en outre, un pouvoir d'achat plus faible). En lieu et place, on a vu fleurir des centres commerciaux en proche périphérie.


Dernière édition par bas-médiéviste le Sam 23 Nov 2019 - 23:13, édité 1 fois (Raison : vile coquille)

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"Les instructions émanant des socio-pédagogues infestant les cabinets ministériels depuis plusieurs années sont un charabia dont le pathos infernal mériterait d'être traduit en français afin d'en saisir tout le sel lorsque l'on sait qu'il vise un enseignement destiné, je vous le rappelle, à des enfants." (Goubert, 1984)
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par Mathador Sam 23 Nov 2019 - 23:11
Effectivement, la répartition des services déconcentrés de l'État a un rôle important sur l'aménagement du territoire. Et comme l'État semble vouloir se débarrasser de la majeure partie de ses services déconcentrés depuis 1982…

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par Kimberlite Dim 24 Nov 2019 - 0:05
Tristana a écrit:Alors ils sont mignons les amoureux de Guilluy, ou ceux qui se plaignent à juste titre de la fermeture des services publics en campagne, mais il continue à faire meilleur vivre aujourd'hui dans certains territoires périurbains (les territoires ruraux n'existant plus vraiment) que dans certaines banlieues pourtant considérées comme les grandes gagnantes de la métropolisation.
Les territoires ruraux n'existeraient plus? heu
Bou diou, va dans certains coins du 41, dans le Cantal, la Haute-Loire, la Corrèze, même certains coins de l'Allier sont pas mal... tu en verras, des territoires bien ruraux (et bien abandonnés aussi, puisqu'on en arrive à penser qu'ils n'existent plus).

Puis, franchement, c'est un peu bête de commencer à râler sur ces idiots de ruraux qui se plaignent, car c'est pire dans les banlieues...
De quoi tu te plains, tu as un boulot de merde, mais certains sont au chômage. De quoi tu te plains, tu aurais une retraite de merde, mais pour certains ce sera pire. De quoi tu te plains, tu as un cancer, mais certains sont morts...

On va bien avancer, avec ça.

N'empêche, nos jeunes à nous, dans mon coin, ils ont souvent des difficultés scolaires pas loin de ce qu'on peut trouver en REP (voire pire, j'ai été étonnée du niveau des élèves du REP que j'ai eu l'occasion de visiter), mais on n'est pas en REP, ils se comportent pas trop mal, du coup on a bien moins de moyens.

Dans les territoires ruraux, qui existent encore, précisément dans cette "diagonale du vide", certains jeunes renoncent à aller au lycée faute de transport.  
Nous ne sommes pas des plus isolés... mais mon homme prend en ce moment le car le matin en direction du bled voisin où nos élèves peuvent aller au lycée. Pas de car scolaire, mais une liaison régulière que prennent les lycéens: trajet interminable (plus de trois fois le temps en voiture!), car souvent en retard (les élèves sa plaignaient qu'on ne les croit pas et qu'ils se payent des mots). De plus les lycée de cette petite ville dysfonctionnent apparemment bien: violence, niveau bas... ça fait rêver).

Personnellement, je vis en région parisienne parce que je suis sans enfants ; je préférerais mille fois élever mes enfants dans un cadre rural, même s'il faut aller loin pour trouver un bureau de poste ou une école, qu'à Montfermeil.
Euh... vu la définition restreinte de la ruralité que tu as, ben en fait, non, tu ne pourrais pas élever d'enfants si facilement dans un "cadre rural", ou du moins tu devrais accepter des contraintes plutôt gênantes... soit tu as la chance d'avoir un ramassage scolaire, mais aimerais-tu que tes enfants se payent deux heures de car par jour? Soit tu te démerdes pour amener tes chérubins... mais selon le boulot qu'on a c'est simple... ou pas! Puis "cadre rural", ça peut être le coin paumé du Cantal, avec le climat qui va avec...

   Y a aussi des coins ruraux qui ne font pas rêver: ah, les jolis villages en pleine Beauce (bien arrosés de pesticides), les champs à perte de vue sans arbre, pas d'endroit correct où se promener... je me souviens avoir traversé aussi des zones bien déprimantes dans le nord de la France, du côté d'Arras.
Ne pas avoir accès facilement à des médecins et hôpitaux, ça peut aussi faire réfléchir, quand on a des enfants...

pseudo-intello a écrit:Sauf qu'avant, en zone non-rurale, dès qu'on avait une petite ville moyenne, il y avait l'hosto avec maternité, les établissements scolaire, enfin tout. Un bourg, et il y avait de l'alimentation, des médecins du "quotidien", des boutiques diverses et variées. Il fallait peut-être de temps en temps se rendre dans une grande  ville, pour le lycée, un médecin plus spécialiste, l'hôpital, mais pour le quotidien, le bourg suffisait.

Maintenant, habiter une petite ville, c’est bien souvent faire face à des problèmes auparavant réservés à la ruralité.
Tellement vrai...


pseudo-intello a écrit:A l'heure de la vente par correspondance, d'ailleurs, je me dis que ce genre de petites villes devrait être propices à l'implantation de boîtes : des bâtiments vides à se réapproprier, de la main d’œuvre, une ligne de train re-vivifiable ou ressuscitable (désolée pour les néologismes), bref. La main d’œuvre locale y est souvent peu qualifiée,g globalement, mais vu le prix du mètre carré, aucun problème pour convaincre les diplômés parisiens dont l'appart de 65 m2 pour quatre personne commence à être insupportable.
Ceci fonctionne pour les coins qui ont du charme, mais y a pas à dire, certains trous du cul du monde ne font envie à personne.
Je le vois aussi avec une majorité de collègues: ils préfère habiter loin dans la grande ville locale, et parlent d'ici avec une pointe de dégoût dans la voix. Ici, ben oui, c'est ptêtre pas la "vraie ruralité", mais si on aime le cinéma ou faire les boutiques, ou aller au théâtre, boire un verre dans un bar sympa, aller au resto, ben c'est mal barré (y a quelques établissements, mais pas à la hauteur pour les collègues).


Sérieusement, il est quand même assez étonnant de choisir le nombre de trafiquants de drogues comme indicateur probant de pauvreté ; on nage encore en plein dans une vision romantico-compasionnelle de la criminalité...
En milieu rural, les pauvres c'est aussi souvent les vieux. Des dealers de 70 ou 80 ans, y en a certainement, mais pas des masses non plus.
Et quand y a des jeunes... ben y a aussi de la drogue.
Ceci me fait penser que dans le village de ma grand-mère (enfin celui où elle habitait), un village bien loin de tout (mais au moins, c'est "passant"), il y a maintenant des logements sociaux. Des familles (deux, il me semble) ont été installées là. C'est sûr, ça fait un certain contraste avec la population locale (très âgée en moyenne): le terrain à côté est devenu une sorte de dépotoir (voitures plus ou moins démontées, jouets cassés, merdouilles en tout genre... j'aime la récup, mais là...), on entend gueuler, les fenêtres sont ternies de fumée, ça ne sent pas que le tabac...
Chez nous aussi y a pas mal de drogue (au lycée pro local, nos petits sont assez épargnés, heureusement), mais nous ne sommes pas de vrais ruraux, de toute façon.

Enfin, en admettant que la misère soit partout... il doit être possible de compatir aux souffrances ressenties dans nos vertes praires comme dans nos blêmes HLM, n'est-ce pas ?
Je n'ai jamais dit autre chose.
Maintenant, je repose la question : ceux qui sont parents, vous préférez élever vos enfants dans un territoire rural (si ça peut vous faire plaisir ; c'est vrai que je ne suis qu'une macronienne en puissance), un peu isolé, ou bien dans une banlieue où l'économie principale est le deal de drogue (c'est vrai, le deal n'est pas une résultante de la misère sociale, j'oubliais tous les dealers qu'on rencontre dans le 16e arrondissement de Paris) ?
Mais franchement, là c'est lourd. On te dit qu'on n'est pas là pour comparer la misère, que le sujet n'est pas "qu'est-ce qui est pire?", et tu reviens avec la même rengaine...

Cette misère-là ne brûle pas les voitures (bon, il n'y a que celles du village, ils se feraient recevoir !) et les équipements (flûte, il n'y en pas) donc elle n'est pas visible.
Les jeunes paumés des campagnes font parfois de belles conneries, et dégradent des équipements (j'ai vu des exemples), mais comme ils ne sont jamais nombreux, les dégâts sont généralement limités, et souvent étouffés.

Je trouve également intéressant que les défendeurs de "la ruralité vraie" ponctuent quasiment systématiquement leur discours de "il ne faut vraiment jamais avoir connu {nom d'un bled/d'une région peu dense} pour dire ci ou ça" ou renvoient à leur vie, voire leur enfance, comme si cela suffisait à clore la question.
J'y vois presque un renversement du stigmate, finalement la ruralité, la périphérie, on la revendique, et on l'inscrit dans un état de fait immuable, et si quelqu'un s'avise de dire que vous n'êtes peut-être pas le déclassé que vous prétendez être, c'est que vous êtes un immonde citadin à quinoa.
Si les gens font référence à leur vécu, j'y verrais personnellement plutôt qu'une envie de faire son intéressant, justement la force des souvenirs, de la culture familiale, et aussi celle du temps présent... je trouve assez étonnant de balayer de la main comme ça, avec un certain mépris, les émotions. C'est d'ailleurs généralement ce genre de réaction qui crée les crispations (aller dire à un berger qui vient de trouver une brebis éventrée qu'il n'est qu'un salaud exploiteur d'ovins qui ne peut donc rien ressentir pour eux n'est pas une bonne stratégie pour discuter avec lui de l'avenir du loup...).
Personnellement, si je parle de la nature, ça passe nécessairement par les sentiments, l'émotion, et un vécu qui est, nécessairement, différent de celui d'une personne qui n'a jamais habité qu'en ville, voire qui connaît d'autres coins de nature, bien différents. Ceci crée parfois une sorte de fossé, qu'on le veuille ou non, de même que l'immigré arrive avec sa culture, le goût de la cuisine du pays, le souvenir de la lumière se levant sur les montagnes à l'horizon...
Personne ne prétend que la ruralité est immuable. Au contraire, il y a bien des changements... en bien et en mal. On dit juste que c'est différent de la ville, et que dans les médias, dans les décisions politiques, certains territoires (à l'instar des banlieues) sont souvent la 5ème roue du char.
Comme je l'ai dit avant, je vois autour de moi pas mal de personnes (collègues surtout) qui méprisent le territoire où je vis, ou du moins qui en conçoivent une certaine horreur (certains termes utilisés pourraient être vraiment blessants pour de vrais "locaux", ce que je ne suis pas). Nos modes de vies, nos intérêts sont assez différents, et je me sens une proximité plus grande avec les collègues qui ont fait le choix de "vivre à la campagne" en appréciant ce qui va avec cette "ruralité" (et ils ont généralement une origine "rurale ou périurbaine"...). La fracture se voit aussi en partie dans l'habillement. Mes collègues plus "urbains" ne sont pas des bobos, hein, et je les apprécie aussi. Mais leurs discussions sur le meilleur resto ou la dernière pièce de théâtre ne m'intéresse pas, de même que mes discussions sur le jardinage avec d'autres collègues les indiffère. Évidemment, la "ruralité" locale est probablement assez différente de celle vécue par les "péquenauds" des villages isolés de Haute-Loire, qui nous cataloguerait peut-être dans les "bobos parisiens".

En me relisant, je réalise un truc: en arrivant dans le coin, je n'avais pas trouvé le coin bien jouasse, mais j'étais bien satisfaite du ratio "ville-campagne" (presque tout le nécessaire pour vivre selon mes "standards", besoin d'un saut dans les plus grandes villes quelques fois par an). Ce sont les gens autour du moi qui m'ont indiqué l'endroit comme "trou du cul du monde" (mon compagnon, mes collègues qui habitent dans des villes, des "vraies"...). Comment s'étonner, ensuite, qu'en réaction de défense, ceux qui sont attachés à "ce qui n'est pas la ville" finissent par le revendiquer (on retrouve aussi ça avec les banlieues, non?).

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par pseudo-intello Dim 24 Nov 2019 - 1:04
Rosanette a écrit:Je trouve également intéressant que les défendeurs de "la ruralité vraie" ponctuent quasiment systématiquement leur discours de "il ne faut vraiment jamais avoir connu {nom d'un bled/d'une région peu dense} pour dire ci ou ça" ou renvoient à leur vie, voire leur enfance, comme si cela suffisait à clore la question.

C'est juste que, pour certains, on a découvert assez tard, en découvrant le bled ou la région en question ce qu'il en était, et qu'effectivement, même si on avait vécu à la campagne avant, on ne se doutait pas vraiment que certains problèmes ; ou l'isolement, ou la désertification des services, ou la pauvreté, atteignait ce niveau.

Ou alors, on regarde de loin, on affirme que l'INSEE dit que tel ou tel secteur n'est pas la campagne, alors que, quand on y va en vrai...
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par amalricu Dim 24 Nov 2019 - 6:08
Parce ce que les chiffres, les enquêtes, les données, c'est bien nécessaire pour classer les espaces....mais le ressenti, le vécu, l'expérience, c'est du territoire. L'un n'empêche pas l'autre.

Quand tu fais 40 km dans le Mont Mouchet où tu réduits ta vitesse pour négocier le moindre tournant, le temps et la distance te semblent bien différents de la rocade urbaine embouteillée.
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par Cléopatra2 Dim 24 Nov 2019 - 7:33
Après avoir lu pas mal de trucs, je crois qu'on fait passer nos représentations avant la réalité.
Peut-être qu'on devrait parler d'espace rural pour évoquer toutes ces zones avec des champs, la campagne, etc (donc définissable par le paysage) et là ça concerne beaucoup beaucoup de communes ou de bouts de communes. Et ensuite parler de territoire rural pour la définition de l'INSEE (et là il ne reste quasiment rien).
J'étais hier au fin fond de la Seine-et-Marne (communes rurales aux confins de l'Aisne). Espace rural, avec des GAEC, paysage rural. Pourtant, aucun rural dans le lotissement où je me rendais (ancien lieu-dit agricole). Donc pour moi c'est bien la campagne, mais on était dans le périurbain, puisqu'ils travaillent tous à la ville (voire à Paris). C'est tout de même un territoire isolé (20 à 25 minutes de route d'une ville avec gare) mais que je ne décrirais pas comme enclavé.
En revanche la voiture est bien nécessaire.
La cité de ma ville n'est clairement pas isolée (des bus, gare accessible à pied en 1h, en vélo en 15 minutes max) mais en réalité les gens sont totalement enclavés et ne vont ni "en ville", ni nulle part. Parfois certains jeunes vont à Château-rouge pour se faire coiffer (garçons uniquement, les filles ne vont pas à Paris).
Il y a une offre culturelle dans la cité (centre culturel avec tarifs bas qui fonctionne assez bien mais ne touche pas que les jeunes de la cité) mais les gens de la cité ne viennent pas aux spectacles organisés qui sortent de leurs représentations culturelles (jazz, chanson à texte...).
Bien sûr autour c'est la "campagne" assez vite. D'un côté la campagne boisée, avec des petits champs mignons et de l'autre la grosse plaine céréalière moche. Dans ces bleds, bien que l'environnement soit ultra rural (vaches et compagnie), les habitants ne sont pas des ruraux car ils travaillent dans l'extrême majorité en ville et ont un mode de vie urbain. Vu de Paris ils sont peut-être ruraux, en réalité ils ne le sont pas et leurs problématiques, bien que rejoignant celles des communes dites rurales isolées (voitures, manque d'aménagement etc.) sur quelques points, restent différentes.
Cela dit, pour des jeunes qui ne travaillent pas, ces communes sont similaires à celles du rural isolé puisqu'ils doivent attendre des bus hypothétiques (1 à 2 par jour pour certaines communes) pour aller à la ville. Et la moindre activité se fait à la ville, pour les jeunes, donc ils sont ultra isolés de fait. Ou alors leurs parents font les taxis.
Sur les différentes pauvretés des territoires français et leurs conséquences électorales, j'ai lu cet été L'archipel français je vous le recommande, ça reprend pas mal de thématiques du post.
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par lene75 Dim 24 Nov 2019 - 9:31
amalricu a écrit:Et des bobos, qui font suer dans leurs résidences secondaires, parce que que la cloche ou le coq font du bruit.

Ça pour le coup ça m'étonne. Dans le petit village de mes parents, certes en région parisienne (est-ca ça la différence ?), seuls les néo-ruraux (qui ne sont effectivement pas bobos) emm* le monde à mettre des poules dans leur jardin parce que ça fait bien. Les gens du cru, le bruit, ça les gonfle, les agriculteurs qui sont là depuis plusieurs générations les premiers. Ils élèvent des poules, certes, mais dans des hangars éloignés de leur maison (et de celles des autres). Ne vous avisez pas d'aller mettre des poules sous leurs fenêtres.

Quant aux transports, il y a aussi beaucoup d'illusions sur la RP, qui n'est pas constituée que de grandes villes. Illusions pas seulement de la part des provinciaux. Pécresse, quand elle a visité le village de mes parents, n'a tout d'abord pas voulu croire le maire qui lui disait que 1) aucune ligne de bus régulière ne dessert le village, 2) aucun car de ramassage pour se rendre au lycée qui est à 15 km. Les premiers bus sont à 5km du village, de même que les premiers commerces, pas de boulangerie, pas d'école, pas d'épicerie, rien du tout dans le village.

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Rosanette
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par Rosanette Dim 24 Nov 2019 - 10:04
Cléopatra2 a écrit: Donc pour moi c'est bien la campagne, mais on était dans le périurbain, puisqu'ils travaillent tous à la ville (voire à Paris). C'est tout de même un territoire isolé (20 à 25 minutes de route d'une ville avec gare) mais que je ne décrirais pas comme enclavé.
En revanche la voiture est bien nécessaire.


Cette phrase qui a quand même sacrément lancé le mouvement des GJ est aussi problématique pour moi que de dire "vous n'avez jamais vécu à X pour dire ce que vous dites".
Il y a des bus dans le 77 (dont je ne suis pas très loin) même si les gares RER ne sont pas tout à côté nécessairement ; il y a des commerces et des services, qui peuvent parfois certes être isolés.

On y supprimera pas l'idée de voiture pour coller tout le monde en Velib, mais dire qu'on s'est établi dans un territoire où on a besoin de sa voiture (ce n'est pas tout à fait ce que tu écris mais ça a été écrit avant), donc de posséder un véhicule personnel (qu'on occupe souvent seul), je trouve ça flippant, dans la mesure où c'est souvent les coups du sort (jambe immobilisée, permis suspendu) qui ont permis de mettre en route des réflexions qui amènent très souvent à conclure qu'on peut faire partiellement autrement.


Après, sur le recours à l'expérience, bien sûr qu'on projette tous son vécu et ses impressions, mais précisément on voit bien qu'il y a autant de perceptions de la mobilité du quotidien et du territoire que d'individus, indépendamment de ce qu'un espace propose et promet comme solutions de transport (sinon, comment expliquer les vilains bouchons à Paris par endroits le samedi à 21h30, qui ne sont certes pas l'œuvre de vilains banlieusards seulement).
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par lene75 Dim 24 Nov 2019 - 10:27
Rosanette a écrit:
Cléopatra2 a écrit: Donc pour moi c'est bien la campagne, mais on était dans le périurbain, puisqu'ils travaillent tous à la ville (voire à Paris). C'est tout de même un territoire isolé (20 à 25 minutes de route d'une ville avec gare) mais que je ne décrirais pas comme enclavé.
En revanche la voiture est bien nécessaire.


Cette phrase qui a quand même sacrément lancé le mouvement des GJ est aussi problématique pour moi que de dire "vous n'avez jamais vécu à X pour dire ce que vous dites".
Il y a des bus dans le 77 (dont je ne suis pas très loin) même si les gares RER ne sont pas tout à côté nécessairement ; il y a des commerces et des services, qui peuvent parfois certes être isolés.

Cf. mon message juste au-dessus. C'est le 78 mais c'est pareil. Oui, il y a des bus et des trains dans le département, il y a des commerce, mais un département, c'est grand. Dans quel département n'y a-t-il aucun transport ni aucun commerce ? Ce n'est pas parce qu'on habite dans un département globalement bien desservi qu'on peut se passer de voiture quand on habite dans un village isolé de ce département. Quand il faut faire 5 ou 10 bornes pour aller prendre le bus, parfois plus, ça se fait à pieds ou à vélo de temps en temps, mais quand on bosse et qu'on a des enfants, il faut arrêter, on ne va pas tous les jours faire ce trajet à pieds (et quid des enfants ?) pour aller bosser, récupérer le gamin chez la nounou ou le déposer à la garderie de l'école (pas de car de ramassage à l'heure de la garderie), faire une course, etc., surtout qu'ensuite, il faut souvent prendre plusieurs transports avant d'arriver, donc oui, on est dépendant de la voiture, et pour avoir connu les deux, ça n'a strictement rien à voir avec la vie urbaine. Ce n'est pas pour rien que, sans voiture, nous restons en centre-ville, et même comme ça, un trajet de 10 km pour aller bosser me prend 1h15 en transports.

Sans compter que même pour quelqu'un dans la fleur de l'âge et pas trop pressé, les conditions ne sont pas les mêmes. Je parcours quotidiennement environ 7 km à pieds ou en trottinette en ville. Croire qu'il est aussi simple de faire la même distance dans les zones péri-urbaines est aussi une illusion : rien à voir entre marcher en ville et marcher sur des routes sinueuses de campagne sans éclairage la nuit, sans accotement aménagé (donc il faut marcher sur la route), où les voitures roulent vite, qui passent dans la forêt et où il n'y a pas âme qui vive.

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Rosanette
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Loin des villes : une génération oubliée - Page 4 Empty Re: Loin des villes : une génération oubliée

par Rosanette Dim 24 Nov 2019 - 10:44
lene75 a écrit:

Sans compter que même pour quelqu'un dans la fleur de l'âge et pas trop pressé, les conditions ne sont pas les mêmes. Je parcours quotidiennement environ 7 km à pieds ou en trottinette en ville. Croire qu'il est aussi simple de faire la même distance dans les zones péri-urbaines est aussi une illusion : rien à voir entre marcher en ville et marcher sur des routes sinueuses de campagne sans éclairage la nuit, sans accotement aménagé (donc il faut marcher sur la route), où les voitures roulent vite, qui passent dans la forêt et où il n'y a pas âme qui vive.

7 kilomètres c'est une demie-heure de vélo, où l'on est tenu de s'éclairer comme un sapin de Noël hors agglo (et avec le fameux gilet jaune). Et c'est objectivement non seulement "faisable" mais réaliste, là où effectivement marcher 7 kilomètres le long d'une départementale austère l'est beaucoup moins.

Ceci-dit et sans avoir de vrais chiffres à donner là-dessus, les gens qui marchent beaucoup parfois dans des routes à aménagements hostiles ne sont ni les plus désœuvrés ni les plus bobos, c'est même tout l'inverse la plupart du temps (car non, tout le monde n'a pas de voiture, même dans les territoires où s'en passer est objectivement plus compliqué).
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par bas-médiéviste Dim 24 Nov 2019 - 11:05
La dépendance à la voiture dans le périurbain ou le rural est une réalité statistique. Et au-delà des chiffres, mon expérience familiale personnelle me fait dire que c'est bien le cas dans beaucoup de patelins.

Là encore, il y a de nombreux travaux pour l'attester : je vous cite la thèse de géo de Lionel Rougé, Accession à la propriété et modes de vie en maison individuelle des familles modestes installées en périurbain toulousain lointain. Les "captifs" du périurbain, 2005. Le géographe articule une partie de sa réflexion aux multiples dépendances à l'automobile. Il montre notamment qu'en cas d'accident de vie, l'esseulement des femmes/hommes au foyer s'aggrave puisque le ménage n'a plus les moyens d'entretenir une deuxième voiture.
Le taux de bi-motorisation des foyers du périurbain est sans commune mesure avec celui des autres espaces.

J'ai vraiment l'impression en vous lisant que l'émotion est très forte quand on évoque les territoires et les expériences vécus par chacun. C'est bien compréhensible. Mais il faut aussi concevoir que pour étudier ces espaces, l'on doit parfois s'affranchir de la diversité du ressenti pour retrouver un niveau de généralité compatible avec l'analyse scientifique. Cela n'enlève rien à la vérité de vos témoignages respectifs, évidemment. Mais ce sont deux choses bien différentes et il ne faudrait pas en venir à considérer que l'une doit aller contre l'autre. D'ailleurs, la géographie des représentations est un champ de recherche fécond.

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"Les instructions émanant des socio-pédagogues infestant les cabinets ministériels depuis plusieurs années sont un charabia dont le pathos infernal mériterait d'être traduit en français afin d'en saisir tout le sel lorsque l'on sait qu'il vise un enseignement destiné, je vous le rappelle, à des enfants." (Goubert, 1984)
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Rosanette
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par Rosanette Dim 24 Nov 2019 - 11:11
On a créé des espaces articulés autour du tout-voiture mais même dans ces espaces il y a des offres de transport alternatives ; c'est simplement que pendant très longtemps la voiture a été le moyen le plus simple et le plus rentable pour aller de A à B ; on ne se posait/pose même pas la question de faire autrement et on en vient à assimiler ça à une identité de territoire.
Le fait est que c'est de moins en moins le cas, et que l'allongement des distances domicile-travail faits en voiture a des conséquences lourdes sur la santé et le porte-monnaie.
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par lene75 Dim 24 Nov 2019 - 11:13
Rosanette a écrit:
lene75 a écrit:

Sans compter que même pour quelqu'un dans la fleur de l'âge et pas trop pressé, les conditions ne sont pas les mêmes. Je parcours quotidiennement environ 7 km à pieds ou en trottinette en ville. Croire qu'il est aussi simple de faire la même distance dans les zones péri-urbaines est aussi une illusion : rien à voir entre marcher en ville et marcher sur des routes sinueuses de campagne sans éclairage la nuit, sans accotement aménagé (donc il faut marcher sur la route), où les voitures roulent vite, qui passent dans la forêt et où il n'y a pas âme qui vive.

7 kilomètres c'est une demie-heure de vélo, où l'on est tenu de s'éclairer comme un sapin de Noël hors agglo (et avec le fameux gilet jaune). Et c'est objectivement non seulement "faisable" mais réaliste, là où effectivement marcher 7 kilomètres le long d'une départementale austère l'est beaucoup moins.

Pour un célibataire sans enfants en bonne santé (ou une joggeuse...) et qui ne tient pas trop à sa vie, oui, c'est très réaliste, même si ça risque d'être assez coton les jours de neige, de verglas, d'orage, etc. Bon, ensuite, le vélo n'est pas admis dans le bus, mais admettons qu'en pleine campagne on ne lui dise rien (et qu'on ne lui dépouille pas) s'il l'accroche à un arbre à côté de l'abribus et qu'il n'en ait pas besoin ou qu'il en ait un autre au point d'arrivée. Il n'en reste pas moins, toutefois, que ça rallonge considérablement son trajet quotidien (7 km en voiture en rase campagne, c'est moins de 10 min, quand on a encore 1h30 de transports à faire derrière si on ne prend pas sa voiture, se rajouter de l'ordre de 40 min par jour, ce n'est pas rien, pour un trajet total d'une vingtaine de km, qui, en voiture, peut se faire en tout en 1/2h...).

Soit, maintenant, dans la vraie vie, il n'y a pas que des célibataires en bonne santé qui ne font qu'un trajet par jour, ils doivent même être minoritaires. Pour une mère de famille de 3 enfants comme moi, qui doit aller bosser + conduire les enfants à l'école et jusqu'à l'année dernière à la crèche ou chez la nounou (qui n'a aucune raison d'être à côté de l'école) + aller chez le médecin + aller chez l'orthophoniste + aller à l'hôpital (souvent dans notre cas) + faire des courses +... j'en oublie sûrement, le tout avec des enfants qui ne peuvent ni marcher ni faire du vélo sur des km, tout faire en transports quand le 1er bus est à plusieurs km n'est pas du tout réaliste. Personne ne le fait alors qu'en ville nombreux sont ceux qui le font, et si personne ne le fait, c'est bien qu'il y a une raison.

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amalricu
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par amalricu Dim 24 Nov 2019 - 11:28
Quand je vois certains vélocypédistes rouler de nuit sans éclairage avec des vêtements sombres et avec écouteurs je vous prie, je pense que le nombre des adeptes de la petite reine est voué à diminuer dans les prochains mois.

Sinon le tout vélo 365/365, c'est pas faisable et dangereux.

Par contre, quel plaisir de rouler tranquille sans griller d'essence et d'arriver aussi vite que les collègues embouteillés. Et la joie de se garer en 3 secondes...par contre, le vol est bien dissuasif dans le choix de mes déplacements.


Dernière édition par amalricu le Dim 24 Nov 2019 - 11:48, édité 1 fois
Isis39
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par Isis39 Dim 24 Nov 2019 - 11:43
bas-médiéviste a écrit:

Plus prosaïquement, il existait au début du XXe siècle en France un dense réseau de lignes de chemin de fer qui innervaient jusque dans les campagnes les plus reculées. Dans le contexte de l'exode rural, le développement de la voiture lui a été fatal. Un peu d'uchronie me ferait postuler que si nous n'avions pas connu le "tout-voiture", les formes d'économie liées spécifiquement à la croissance urbaine se seraient adaptées au cadre rural.

Ce réseau a été conservé en Suisse. Et fonctionne bien. J'ai des amis sans voiture à Lausanne qui peuvent ainsi aller dans les campagnes et les montagnes randonner. de ce côté de la frontière, c'est compliqué.
Isis39
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par Isis39 Dim 24 Nov 2019 - 11:47
Rosanette a écrit:On a créé des espaces articulés autour du tout-voiture mais même dans ces espaces il y a des offres de transport alternatives ; c'est simplement que pendant très longtemps la voiture a été le moyen le plus simple et le plus rentable pour aller de A à B ; on ne se posait/pose même pas la question de faire autrement et on en vient à assimiler ça à une identité de territoire.
Le fait est que c'est de moins en moins le cas, et que l'allongement des distances domicile-travail faits en voiture a des conséquences lourdes sur la santé et le porte-monnaie.

Non. Pas partout.
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Rosanette
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par Rosanette Dim 24 Nov 2019 - 11:48
amalricu a écrit:

Sinon le tout vélo 365/365, c'est pas faisable et dangereux.


Dit comme ça ça n'a pas forcément grand sens, je pourrais en dire autant de la voiture et la sécurité routière me donnerait plutôt raison (c'est gentil de se préoccuper des cyclistes qui se font shooter faute d'éclairage suffisant mais ce n'est pas la cause première des accidents de cyclistes).

Lena, on peut aller loin à ce jeu d'opposer des situations dont vous ne connaissez pas les détails (structure familiale, contraintes familiales, santé), en l'occurrence je me bornais simplement à répondre sur vos 7 kilomètres à pied/trottinette et sur leur faisabilité avec d'autres types de transport. Il faut aussi être valide pour marcher et a fortiori pour faire de la trottinette.

Quant au verglas et à la neige, ils rendent aux dernières nouvelles tout type de déplacement compliqué voire périlleux, ce n'est pas parce que certains se pensent libres de chaque mouvement en voiture que ça en fait un moyen de déplacement adapté sur des routes isolées verglacées.
Kimberlite
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par Kimberlite Dim 24 Nov 2019 - 11:54
Isis39 a écrit:
bas-médiéviste a écrit:

Plus prosaïquement, il existait au début du XXe siècle en France un dense réseau de lignes de chemin de fer qui innervaient jusque dans les campagnes les plus reculées. Dans le contexte de l'exode rural, le développement de la voiture lui a été fatal. Un peu d'uchronie me ferait postuler que si nous n'avions pas connu le "tout-voiture", les formes d'économie liées spécifiquement à la croissance urbaine se seraient adaptées au cadre rural.

Ce réseau a été conservé en Suisse. Et fonctionne bien. J'ai des amis sans voiture à Lausanne qui peuvent ainsi aller dans les campagnes et les montagnes randonner. de ce côté de la frontière, c'est compliqué.
Mais la Suisse a une bien plus grande densité de population. Même dans des zones assez montagneuses, c'est flagrant (et vraiment dommageable pour l'environnement). Le prix des transports est aussi élevé, mais compensé par la majorité des salaires qui est élevé (mais c'est un arbre cachant la forêt: il y a de plus en plus de pauvres en Suisse, https://www.rts.ch/info/suisse/10553322-la-pauvrete-gagne-du-terrain-en-suisse-et-touche-plus-de-8-de-la-population.html , et ça m'étonnerait que ceux-ci aient les moyens de payer facilement ces transports... mais en Suisse, être pauvre est encore plus honteux qu'en France...).
Les Suisses sont aussi beaucoup moins propriétaires que les français, donc la mobilité, quand les fonds viennent à manquer, est plus "facile" (possible aussi vers la France, ce n'est pas nouveau...).

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Rosanette
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par Rosanette Dim 24 Nov 2019 - 11:56
Isis39 a écrit:
Rosanette a écrit:On a créé des espaces articulés autour du tout-voiture mais même dans ces espaces il y a des offres de transport alternatives ; c'est simplement que pendant très longtemps la voiture a été le moyen le plus simple et le plus rentable pour aller de A à B ; on ne se posait/pose même pas la question de faire autrement et on en vient à assimiler ça à une identité de territoire.
Le fait est que c'est de moins en moins le cas, et que l'allongement des distances domicile-travail faits en voiture a des conséquences lourdes sur la santé et le porte-monnaie.

Non. Pas partout.


Ce qui revient à vivre dans un endroit où le fait de se péter une jambe ou de se faire retirer le permis équivaut à une mort lente mais certaine si on y vit seul.

Et si à cela la solution est d'offrir des déplacements motorisés par un tiers (qui vous emmène à vos RDV par solidarité, vous fait vos courses, en voiture donc), c'est que la collectivité en charge desdits territoires n'aurait pas à se creuser beaucoup pour proposer une offre alternative de type navette (ces trucs qui coûtent cher aux départements et sont sous-exploités).
Lefteris
Lefteris
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par Lefteris Dim 24 Nov 2019 - 12:11
amalricu a écrit:Quand je vois certains vélocypédistes rouler de nuit sans éclairage avec des vêtements sombres et avec écouteurs je vous prie, je pense que le nombre des adeptes de la petite reine est voué à diminuer dans les prochains mois.

Sinon le tout vélo 365/365, c'est pas faisable et dangereux.

Par contre, quel plaisir de rouler tranquille sans griller d'essence et d'arriver aussi vite que les collègues embouteillés. Et la joie de se garer en 3 secondes...par contre, le vol est bien dissuasif dans le choix de mes déplacements.
Tout à fait d'accord : je suis un cycliste  régulier, en loisir comme en ville (je dois être pas loin de 10 000 kms par an en ajoutant mes trajets en ville, mais pas de compteur sur le vélo de ville),  mais le vélo a ses limites. C'est uniquement individuel, sur des petits trajets pour la plupart des gens. On ne peut pas transporter grand-chose, on arrive parfois  suant, trempé ou sale comme un peigne, selon les conditions météo. Il y a aussi le risque de vol (même  sur les vélos pas flambants régulièrement volés ou démontés sur place), le manque d'équipement pour les garer ce qui les expose aux intempéries et exige un entretien plus pénible. Et évidemment le danger : autres cyclistes qui ne savent pas en faire, tournent sans prévenir, zigzaguent y compris sur les trottoirs, ne sont pas éclairés, et bien sûr ont les écouteurs sur la tête (ou consultent leur téléphone !).
Il y a bien le vélo électrique, mais coûteux et polluant ( quand toutes ces batteries seront HS, ça sera le même problème que les déchets informatiques).
Il y a hélas pas mal de la "bobo attitude" en effet dans le vélo, en comprenant ce terme non comme désignant une classe sociale forcément ultra-aisée comme naguère, mais dans l'acception qu'il commence à prendre dans la langue : un style, une aspiration à un mode de vie caricatural, le mode de vie parisianiste , celui du peuple des terrasses (chauffées, hein..), du jardin partagé sur les friches urbaines, du Mac sur lequel on tapote dans les bistros faussement populaires (en gardant son bonnet de Schtroumpf sur la tête), du pique-nique urbain... Bref, je pense que tu vois ce que je veux dire.

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Yazilikaya
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par Yazilikaya Dim 24 Nov 2019 - 12:19
Rosanette a écrit:
lene75 a écrit:

Sans compter que même pour quelqu'un dans la fleur de l'âge et pas trop pressé, les conditions ne sont pas les mêmes. Je parcours quotidiennement environ 7 km à pieds ou en trottinette en ville. Croire qu'il est aussi simple de faire la même distance dans les zones péri-urbaines est aussi une illusion : rien à voir entre marcher en ville et marcher sur des routes sinueuses de campagne sans éclairage la nuit, sans accotement aménagé (donc il faut marcher sur la route), où les voitures roulent vite, qui passent dans la forêt et où il n'y a pas âme qui vive.

7 kilomètres c'est une demie-heure de vélo, où l'on est tenu de s'éclairer comme un sapin de Noël hors agglo (et avec le fameux gilet jaune). Et c'est objectivement non seulement "faisable" mais réaliste, là où effectivement marcher 7 kilomètres le long d'une départementale austère l'est beaucoup moins.

Ceci-dit et sans avoir de vrais chiffres à donner là-dessus, les gens qui marchent beaucoup parfois dans des routes à aménagements hostiles ne sont ni les plus désœuvrés ni les plus bobos, c'est même tout l'inverse la plupart du temps (car non, tout le monde n'a pas de voiture, même dans les territoires où s'en passer est objectivement plus compliqué).

Le fait est que j'ai dû prendre le vélo pour aller au boulot ces deux derniers jours. Oui c'est faisable, moyennant des doigts gelés et le fait de macérer dans sa sueur toute la journée(chez moi, ce n'est pas plat) Sans compter l'impossibilité de prendre le tas de cahiers et l'ordi. C'est faisable donc, mais je suis bien contente de récupérer la voiture.
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par Rosanette Dim 24 Nov 2019 - 12:24
Sérieusement, les doigts gelés ? Le truc contre lequel on peut mettre des gants ?

Macérer dans sa sueur, ça dépend effectivement des physiologies et de l'effort qu'on met dans un trajet, mais pédaler à 15km/h n'est guère plus fatiguant de la marche, si vraiment on sue trop on peut se doucher.

Vous parlez de désagréments qui pour beaucoup s'évitent avec une histoire de vêtements adaptés, on est plus du tout dans une perspective de territoire maudit et hostile.

L'ordi et le tas de cahiers répondent à des soucis d'organisation (je plains le prof qui chaque jour embarque une trentaine de cahiers avec lui, indépendamment de son mode de transport ; pour le coup les Parigots en métro/RER ne le peuvent pas non plus).


Lefteris, un peu facile cette caricature du bobo, plaisante sans doute, mais bon...5% des déplacements en vélo sur Paris, je pense qu'on peut se détendre sur la parisianité bobo du vélo.
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