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saramea
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Question sur un passage d'une lettre de Las Casas Empty Question sur un passage d'une lettre de Las Casas

par saramea Mar 17 Sep 2019, 21:31
Bonsoir à tous! J'ai une question concernant un extrait de Las Casas. Un passage, que j'ai mis en gras, m'interroge depuis qu'une collègue m'a dit qu'elle ne l'interprétait pas comme moi :

"Il suffisait à ces malheureuses populations, que leur infidélité condamnait à l’enfer, d’y aller individuellement et par elles-mêmes, sans que nos frères chrétiens, qui devaient les sauver, vinssent en si peu de jours, par pure cupidité et par l’effet d’une si étrange et cruelle tyrannie, les ôter de ce monde et les précipiter dans une éternité de ténèbres et de tourments, où la présence de leurs misérables compagnons ne les soulagera même pas de leurs peines, s’il est vrai qu’à brûler en foule, ils n’en brûleront pas moins atrocement. D’un exil si funeste, d’un si total bannissement — quoique non de la dextre du Seigneur —, ainsi que du paiement que recevront ses responsables passés, portent suffisamment témoignage deux millions , et plus encore, d’êtres humains [...]".

Je ne sais pas si c'est mon passage à la piscine après une journée entière de cours qui m'a ramolli le cerveau, mais je suis perdue tout à coup (honte à moi!...)... J'aimerais savoir comment vous l'interprétez.
Merci de m'offrir vos lumières! fleurs


Dernière édition par saramea le Sam 20 Juin 2020, 14:20, édité 1 fois
Delia
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Question sur un passage d'une lettre de Las Casas Empty Re: Question sur un passage d'une lettre de Las Casas

par Delia Mar 17 Sep 2019, 23:00
Pour moi, l'exil si funeste c'est l'éternité de ténèbres et de tourments où les ont précipités nos frères chrétiens, et non la dextre du Seigneur car ces malheureux ont été tués par des hommes. Qui ne l'emporteront pas en Paradis, selon l'expression convenue : le paiement que recevront ses responsables passés signifie que pour Las Casas, ils seront damnés.

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par Outis Mer 18 Sep 2019, 00:50
Le texte de départ : "Bastábales á esas jentes míseras irse al infierno con su infidelidad, su poco á poco i á solas, i no que vinieran los que las avian de salvar, nuestros cristianos, á en tan breves dias por sola cobdicia con nuevas i estrañas maneras de crueldad i tiranía sacallas del mundo, é irse con ellas á las tinieblas y lloros sin fin: donde, non erit solatium miseris socios habere poenarum , pues que non minus ardebunt qui cum multis ardebunt. Desta tan diferente mudanza, aunque no de la diestra del Señor, y áun de aquella ganancia que avrán los que lo hicieron é hacen cada dia de los presentes, dan testimonio dos cuentos de ánimas é muchas más..."

"Desta tan diferente mudanza" est rendu par "D’un exil si funeste, d’un si total bannissement". Le mot mudanza a le sens de "changement" certainement associé à celui de déplacement (son sens en espagnol contemporain est celui de déménagement). Covarrubias le traduit par "mutatio" en latin. On reste tout de même assez loin de l'idée de bannissement, mais je suis loin d'être spécialiste en espagnol du Siècle d'Or...
saramea
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par saramea Mer 18 Sep 2019, 06:42
Merci infiniment de m'avoir éclairée.


Dernière édition par saramea le Sam 20 Juin 2020, 14:22, édité 1 fois
Iphigénie
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par Iphigénie Mer 18 Sep 2019, 12:00
C'est que le passage n'est vraiment pas clair! (et pardon si j'ajoute à la confusion!  Question sur un passage d'une lettre de Las Casas 1363553205 )
a priori moi j'aurais compris très différemment: que cet exil funeste et ce bannissement désignait le fait que ces populations sont restées à l'écart de la révélation chrétienne, qui les condamne à l'enfer (dans un total bannissement), bien que susceptibles du pardon du seigneur (ils ne sont pas bannis de la dextre du seigneur), ce dont le massacre les a privés (nos frères chrétiens qui devaient les sauver)? (non de la dextre du seigneur peut aussi, je m'en rends compte, s'interpréter comme simplement: "non pas par la main, la volonté de Dieu", bien que les conquérants fussent censés agir pour la foi...)

en clair je comprends ici qu'à l'argument de la cruauté manifeste des traitements infligés à ces populations, Las Casas ajoute un argument de caractère religieux: en les massacrant, on les a privés de la possibilité de la vie éternelle qu'ils auraient pu connaître en accédant à la révélation de la foi chrétienne.
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par liliepingouin Mer 18 Sep 2019, 14:59
Le passage n'est en effet pas clair. Je le comprends comme Delia.
Je comprends "non de la dextre du Seigneur" comme la volonté d'insister sur le fait que ces peuples n'ont pas été maudits ni détruits par Dieu.
Les Espagnols ne peuvent donc pas prétendre avoir accompli la volonté de Dieu pour justifier leurs crimes.

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par tannat Mer 18 Sep 2019, 15:47
saramea a écrit:
"Il suffisait à ces malheureuses populations, que leur infidélité condamnait à l’enfer, d’y aller individuellement et par elles-mêmes, sans que nos frères chrétiens, qui devaient les sauver, vinssent en si peu de jours, par pure cupidité et par l’effet d’une si étrange et cruelle tyrannie, les ôter de ce monde et les précipiter dans une éternité de ténèbres et de tourments, où la présence de leurs misérables compagnons ne les soulagera même pas de leurs peines, s’il est vrai qu’à brûler en foule, ils n’en brûleront pas moins atrocement. D’un exil si funeste, d’un si total bannissement — quoique non de la dextre du Seigneur —, ainsi que du paiement que recevront ses responsables passés, portent suffisamment témoignage deux millions , et plus encore, d’êtres humains [...]".
Je comprends comme suit :
Ces malheureuses populations se trouvaient déjà condamnées à l'enfer à cause de leur absence de foi en Dieu, cela était déjà suffisant de les laisser aller individuellement et par elles-mêmes sans que nos frères chrétiens qui auraient dû les sauver ne se mettent à les tuer aussi vite d'une manière aussi arbitraire et hors du commun par pure cupidité, les précipitant ainsi en enfer où la présence de leurs pauvres compagnons ne les soulagera même pas de leurs peines, car ce n'est pas parce que l'on brûle en nombre que l'on éprouve moins de douleur. Ces plus de deux millions d'êtres humains (tués) portent le témoignage de leur exil en enfer, de leur exclusion totale (du droit d'accès au paradis) -bien que celui-ci n'ait pas été décidé par Dieu- mais aussi le paiement de ces actions par leurs responsables (= ces gens se retrouveront en enfer mais ceux qui ont fait cela y iront aussi pour payer ce qu'ils leur ont fait).

Bartolomé de las Casas (1474-1566), prêtre, puis moine dominicain, a participé à la conquête du Mexique et du Guatemala. Il a pris la défense des Indiens ; il a notamment écrit ceci :"Tous ces peuples infinis, Dieu les avaient créés les plus simples, sans méchanceté ni hypocrisie, les plus obéissants, fidèles à leurs chefs naturels, comme aux chrétiens qu’ils durent servir : les plus humbles, les plus patients, les plus pacifiques, dépourvus de rancune, d’esprit querelleur, de bévues et de vengeances. Ce sont donc par là même les races les plus délicates, fragiles et tendres et qui peuvent le moins souffrir les gros travaux, et qui meurent le plus facilement de quelque maladie. [...] Les Indiens ont une intelligence neuve, mais vive, ils sont très capables et dociles à toute bonne doctrine, tout à fait aptes à recevoir notre sainte foi catholique et à pratiquer les vertus chrétiennes …[...] Il y a eu deux façons principales pour ces gens qu’on appelle chrétiens,(=>les Espagnols) d’extirper et rayer ainsi de la terre ces malheureuses nations : la première ce furent les guerres cruelles, sanglantes, tyranniques ; la seconde fut, après la mort de tous ceux qui pouvaient aspirer à la liberté et combattre pour elle – car tous les chefs et les hommes Indiens sont courageux – une oppression, une servitude si dure, si horrible que jamais des bêtes n’y ont été soumises. La raison pour laquelle les chrétiens ont détruit une si grande quantité d’êtres humains, a été seulement le désir insatiable de l’or, l’envie de s’emplir de richesses dans le délai le plus rapide possible, afin de s’élever à des niveaux sociaux qui n’étaient pas dignes de leur personne."
Je tiens le texte que je cite ici à ta disposition si tu le souhaites.

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par saramea Mer 18 Sep 2019, 17:35
Merci beaucoup! Vous me rassurez en me disant que la ligne en question est en effet obscure. En l'analysant davantage, et à la lumière de vos mots et du texte original, j'ai bâti une explication linéaire (que j'ai quasiment terminée) alors qu'au départ, parce qu'il n'est pas simple à comprendre et parce que c'est un texte qui n'a pas été écrit en français, je pensais le proposer comme simple texte complémentaire. Je vais faire une exception. J'ai commencé à l'analyser avec mes élèves de 1ère, ce midi. Grâce à plusieurs notes reformulant les passages les plus obscurs, ils ont bien saisi le texte et l'ont trouvé marquant. Ils ont repéré pas mal de procédés d'écriture qu'ils ont bien associés au sens du texte et au ton de Las Casas. Merci encore! Wink
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