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NLM76
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par NLM76 Mer 15 Mai 2019 - 5:44
J'ai fait ce corrigé pour mes élèves. Si vous avez des idées pour le rendre plus clair et plus pédagogique, je suis preneur.
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
Hannibal
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par Hannibal Mer 15 Mai 2019 - 18:04
Rien pour le rendre plus clair, ton travail est déjà limpide dans l'ensemble comme dans le détail, à ce qu'il m'a semblé.
J'ajouterais juste quelques détails, comme la situation de ce poème dans la 2de partie du recueil (après la nostalgie de la 1re partie, le retour en France est décevant, d'où cette partie satirique - après quoi la figure de Marguerite mènera le recueil à se clore dans l'éloge - mais sans courtisânerie).
Du côté de l'analyse de style, j'ai tendance à décortiquer davantage, mais c'est par goût personnel.
Il me semble surtout que malgré la forme du sonnet, ce ne sont pas tant les quatrains et les tercets qui se distinguent ici que les 11 premiers vers qui font bloc face aux 3 derniers.
On retrouve ainsi dans le 1er tercet la construction en "si" qui se trouvait déjà dans les quatrains (cette construction montre d'ailleurs bien que l'attitude des courtisans est conditionnée)  et le "Mais" du vers 12 marque je crois le vrai virage du sonnet: on franchit un seul de gravité, avec la gratuité du rire -  car c'est cette fois "devant le roi" qu'ils osent s'esclaffer, ce qui induit soit un certain degré d'offense, soit un contraste entre le sérieux et la noblesse de la fonction royale et leur attitude, qui la carnavalise.
J'insisterais un poil moins aussi sur la métaphore animale, qui n'est pas tant que cela soulignée à mon sens. L'essentiel me paraît qu'ils singent, c'est-à-dire qu'ils imitent maladroitement, en mauvais comédiens, avec un effet burlesque ("contrefaire"..): ils jouent d'ailleurs sur des paramètres théâtraux: vêtement, démarche, gestes, paroles. L'hypocrite est aussi un acteur, tout ça. Bref, la cour devient un mauvais théâtre à cause de ce type de personnages.

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par e-Wanderer Mer 15 Mai 2019 - 18:13
Ton commentaire me semble tout à fait clair, bravo ! Tes élèves ont de la chance d'avoir un professeur qui s'investit autant ! Juste deux ou trois bricoles :

– Il y a une petite coquille de conjugaison à la dernière ligne de la p.1.

– Sinon, tu as raison de montrer que dépiter a un sens très fort au XVIe siècle. Entre le dégoût, le mépris (despicere) et la colère (le Trésor de Nicot, en 1606, propose iracundia pour traduire dépit), mais en tout cas pas la simple déception. Ça atténue tout de même la portée comique ou l'infléchit nettement du côté de la satire.

– Je pense qu'il faudrait insister sur le côté fortement topique de la métaphore du singe (et peut-être aussi d'autres images : à mon avis, l'image de la lune en plein jour et du soleil à minuit doit se trouver ailleurs, mais je n'ai pas eu le temps de chercher).
Par exemple, pour le singe courtisan, l'adage 610 d'Erasme dans l'édition de Jean-Christophe Saladin, Les Belles-Lettres, 2001, vol. 1, p. 481 :

"UN SINGE DRAPÉ DE POURPRE" (Simia in purpura – à rapprocher peut-être du "pompeux appareil" du v. 4)

« Le dicton peut s'employer de diverses façons : au sujet de ceux dont, malgré leurs atours magnifiques, la nature se laisse facilement voir d'après leur visage même et leurs manières ; au sujet aussi à qui on décerne des honneurs dont ils ne sont pas dignes ; chaque fois aussi qu'on pare outrageusement un objet honteux de vêtements d'emprunt. Qu'est-il d'aussi ridicule en effet qu'un singe vêtu d'habits pourpres ? Et cependant ce spectacle se produit souvent chez ceux qui raffolent des singes au point de les orner, autant qu'ils le peuvent, comme des humains et de les vêtir parfois même de pourpre, afin que les gens distraits ou qui ignorent cet usage s'y trompent et saluent le singe comme s'il était un homme, ou que, si le déguisement est découvert, la situation soit encore plus comique. Combien voit-on de singes de cette sorte dans les cours de nos princes : si on leur ôtait leur pourpre, leur collier, leurs bijoux, on se trouverait face à de vrais boutiquiers. Cet adage sera encore plus plaisant si on l'applique aussi à ceux, par exemple, qui imitent la sainteté au moyen d'une barbe ou d'un manteau. »
(je souligne)

Et c'est toujours le rôle typique du singe chez La Fontaine.

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DesolationRow
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par DesolationRow Mer 15 Mai 2019 - 18:37
Il y a un problème de construction dans la conclusion, me semble-t-il ; pour le reste, c'est extrêmement clair.
Amaliah
Amaliah
Empereur

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par Amaliah Mer 15 Mai 2019 - 19:10
Merci pour ce topic, je viens de découvrir ce poème. Smile
Thalia de G
Thalia de G
Médiateur

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par Thalia de G Mer 15 Mai 2019 - 19:49
Amaliah a écrit:Merci pour ce topic, je viens de découvrir ce poème. Smile
Moi aussi et cela me fait plaisir de lire un tel commentaire composé.

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Pointàlaligne
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par Pointàlaligne Mer 15 Mai 2019 - 20:04
Merci pour cette lecture enrichissante après un tas de copies bien décourageantes. Tes élèves ont de la chance !
NLM76
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par NLM76 Jeu 16 Mai 2019 - 18:05
Merci infiniment pour toutes vos remarques très utiles et très encourageantes. J'ai corrigé les coquilles et réfléchi à vos riches propositions.
@Hannibal : quelles idées de commentaire sur le style aurais-tu ajoutées ? J'en vois quelques-unes, mais je crains d'être passé à côté de choses importantes — je ne dis pas forcément pour les élèves, mais au moins pour moi.
@ Thalia : tu auras remarqué que ce commentaire composé est en fait un commentaire linéaire... c'est en réalité une pièce supplémentaire au dossier contre le commentaire prétendument composé et en réalité complètement décomposé lorsqu'il ne suit pas le mouvement du texte.
@e-Wanderer: La question de l'étude des topoi me semble en effet extrêmement intéressante ; ton évocation du texte d'Érasme en particulier est passionnante. Je me demande si on ne pourrait pas trouver quelque chose déjà chez les anciens. J'ai pensé aussi à formule de Chamfort ("Si les singes avaient le talent des perroquets, on pourrait en faire des ministres.") J'essaie d'encourager mes élèves à opérer de tels rapprochements quand ils le peuvent et essaie de leur montrer que les ouvertures vers d'autres textes peuvent être excellentes dans le cours du développement.
Et cependant je suis très réticent par rapport à cette idée de topoï. Elle peut en effet conduire à croire qu'il s'agit de montrer que "ce texte est comme les autres", alors qu'il s'agit de montrer qu'il sort un peu de l'ordinaire. Non que les topoï n'existent pas, non que ce que nous commentons constitue une pure originalité innovante; mais ce qui m'intéresse d'abord, c'est de montrer ce que le texte apporte d'original à notre ordinaire — autrement dit les idées que nous pouvons prendre à l'auteur pour "améliorer" ce que nous pourrions écrire, moi ou mes élèves. Autrement dit le travail de commentaire est pour moi très naturellement articulé au travail de composition personnel — ce qui s'est appelé dans la dernière décennie "écriture d'invention".
D'autre part, je ne voudrais pas que mon commentaire — qui est en fait une explication — signifiât: "Eh les gars! ce texte n'est pas pour vous : vous n'avez mon immense culture, qui vous permettrait de l'apprécier à ma juste valeur!" Donc quand je leur fais découvrir par exemple cette capacité à proposer des métaphores amusantes et cinglantes, je veux qu'ils s'en émerveillent un peu, et qu'ils ne trouvent pas que c'est d'une banalité affligeante; je veux aussi qu'ils se sentent prêts à se l'approprier. Ainsi, j'évite en général d'opérer moi-même ces rapprochements, et m'efforce plutôt de les inviter à les faire à partir de leur propre culture, si je puis supposer que c'est possible.
Autrement dit, je pencherais pour une initiation aux topoï inductive plutôt qu'expositive.  Qu'en penses-tu ? Il est possible que ma position soit au moins légèrement à revoir. En effet, il me paraît clair qu'il faut éviter cette évocation de topoï dans un tel corrigé, qui prétend montrer ce qu'un élève aurait pu faire, de montrer qu'il est possible et souhaitable d'avoir une lecture intelligente et naïve du texte; mais peut-être que j'exagère en ne voulant pas le faire quand c'est moi qui explique le texte.


Dernière édition par NLM76 le Ven 17 Mai 2019 - 7:56, édité 1 fois (Raison : solécisme)

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Sylvain de Saint-Sylvain
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par Sylvain de Saint-Sylvain Jeu 16 Mai 2019 - 18:21
Commentaire très agréable à lire, et qui joue bien son rôle de défense du commentaire linéaire (mais je suis convaincu depuis un moment maintenant Very Happy). Mon seul étonnement est de n'y pas trouver de remarques sur la versification, les rimes et autres jeux de sonorités, la poésie quoi. Cela me surprend d'autant plus que tes Cahiers de lettres françaises commençaient par là. Parce que l'analyse serait ici trop difficile ?
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par NLM76 Jeu 16 Mai 2019 - 19:30
Oui, oui Sylvain, ça manque. Des idées ?

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Une passante
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par Une passante Jeu 16 Mai 2019 - 19:57
Ne connaissant pas le texte, je ne me risquerai pas à des remarques sur le fond, mais seulement sur la forme. Le "voyons" à l'écrit me choque un peu, une familiarité qui passe mieux dans un travail de professeur que de lycéen, pour lequel, cela fait familiarité. De même, les "on voit" ou autre "on peut remarquer" me dérangent parce que ce qui importe c'est l'analyse, pas le fait qu'il y ait quelqu'un en train de faire l'analyse.
Les élèves aiment parler d'eux, ce qui alourdit souvent leurs propos inutilement, d'où, selon moi, l'effort de neutralité vers lequel il faut tendre quand on rédige ce genre de corrigé.
Quant à ton positionnement sur le commentaire composé, je ne le partage pas du tout, et trouve justement qu'un tel commentaire qui suit le mouvement du texte perd en intérêt dans l'analyse. Par moments, j'ai davantage l'impression que tu décris le texte plutôt que tu ne l'analyses.
Mais encore une fois, ce n'est qu'un point de vue personnel.
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User27372
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par User27372 Jeu 16 Mai 2019 - 21:03
Je ne connaissais pas le texte mais j'ai pensé immédiatement à la fable de La Fontaine "Les obsèques de la Lionne", portrait féroce de la cour dans lequel la métaphore du caméléon et du singe est utilisée pour mettre en avant la versatilité.
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User27372
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par User27372 Jeu 16 Mai 2019 - 21:06
Il me revient aussi le fameux "Fable ou Histoire" de Hugo. Singe et topique théâtrale de la contrefaçon y sont savamment mêlés !
Hannibal
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par Hannibal Jeu 16 Mai 2019 - 22:38
Je pensais à des bricoles d'analyse comme, en vrac:
- les relations entre les pronoms, je/ils et surtout il /ils
- la négation exceptive "ne savent rien faire sinon" et la rime antithétique "faire" / "contrefaire"
- le présent d'habitude
- la systématicité des constructions en si, qui donne aux imitateurs des airs d'automates, en lien avec des futurs prédictifs simples ou antérieurs ("feront... diront... auront vu") qui sont teintés d'ironie et pointent ici des comportements trop prévisibles.
- le chiasme (ironique aussi) "lune-midi/minuit soleil"
- le lexique satirique caractérisant les modèles, eux-mêmes peu exemplaires: "se moque" "ment", "pompeux appareil" (avec sonorités empesées...):ces courtisans commettent une sorte de redoublement du vice puisqu'ils imitent vicieusement les vices des autres: une construction comme l'espèce de litote "s'il ment ce ne sont eux qui diront le contraire" laisse sentir bien des contorsions d'esprit et de langue. La singerie ne parvient finalement à singer ni propager que la bassesse, ce qui finit par faire de la cour un lieu où règnent non seulement l'apparence (le marcher, l'appareil..) le mensonge et l'hypocrisie, mais où domine encore la dérision ("se moquer.. montrer au doigt..rire"). Là où Marguerite, dans la dernière partie du recueil, répand et diffuse la vertu, ces courtisans-là forment un cercle vicieux qui ne diffuse au contraire que le vice.
- Il y a aussi je crois un système de variations ingénieux des constructions liées à la relation entre modèle et copie. D'où des constructions proches mais sans réel parallélisme:
* avec les 2 infinitifs du Q1,aux 2 extrémités du vers: "en leur marcher les princes contrefaire / et se vêtir comme eux d'un pompeux appareil", avec une symétrie inversée proche du chiasme abc/cba.
* avec les constructions en si dans le Q2: variation sur les formes affirmatives et négatives: "ils feront le pareil / ce ne sont eux qui diront le contraire", avec bien sûr en plus l'antithèse entre "le pareil" et "le contraire".
* et même au T1 avec une sorte de dissymétrie telle que la malveillance l'emporte, puisque la caresse dissimule la rage jalouse, tandis que "montrer au doigt" ne semble pas dissimuler de dispositions plus favorables.
Ces variations peuvent traduire la mauvaise imitation, celle qui singe plus qu'elle n'égale. Elles reflètent sans doute aussi l'espèce d'ingéniosité avec laquelle on se plie à toutes les situations,au prix de quelques contorsions.
- J'envisagerais aussi - par hypothèse - la pointe "et ne savent pourquoi" comme un éventuel discours rapporté avec une ironie acide: les courtisans prétendent ne pas savoir pourquoi ils rient (quand le roi les interroge). Du Bellay, qui n'est pas dupe, et eux-mêmes savent en réalité que c'est leur propre hypocrisie qui les fait rire  - parce qu'elle est une duperie, parce qu'elle est une imitation qui tourne forcément en dérision ses modèles etc.


Dernière édition par Hannibal le Ven 17 Mai 2019 - 8:00, édité 1 fois

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par e-Wanderer Jeu 16 Mai 2019 - 22:53
Bonsoir Nicolas,
Naturellement, je comprends ce que tu dis de ta réticence à employer la notion de topos, au moins dans un premier temps : c'est sans doute plus efficace de laisser les élèves développer une lecture spontanée avant de leur proposer ce type de prolongements.

Il reste peut-être possible, pédagogiquement, de proposer une lecture graduelle, du plus naïf au plus contextualisant. Par exemple sur le vers "La lune en plein midi, à minuit le soleil", on peut partir de la paronomase midi/minuit, du chiasme et de l'antithèse (sans doute la dimension la plus évidente), puis passer à l'hyperbole ou plutôt l'adynaton (ce qui convoque déjà une tradition littéraire très longue, voir la 8e Bucolique de Virgile etc.) et les inviter à réfléchir sur le très fort pouvoir imageant de ce type de notations (même quand le renversement n'est pas très original – comme ici – il me semble qu'on visualise très concrètement). Il y a là quelque chose de fortement déstabilisant, il me semble primordial que de jeunes lecteurs ressentent cela car ça leur fait toucher du doigt la puissance du langage poétique, créateur de mondes, même absurdes.

Ensuite, on peut passer à la dimension symbolique de ce type de figures, car le monde renversé est souvent l'indice d'un scandale. Il y a eu plusieurs gros colloques de spécialistes de la Renaissance et du baroque sur ce sujet*, qui ont noté les affinités de ce motif structurant avec le carnavalesque, le burlesque, la littérature pamphlétaire etc. Ce n'est pas pour rien si ce vers sur le renversement occupe précisément le milieu du poème, à la fin des quatrains : c'est un équilibre instable (comme pour tout paradoxe qui comporte toujours, techniquement, une phase de déstabilisation, puis une phase de stabilisation). Ici – pour reprendre les deux fils que tu tisses fort justement dans ton projet de lecture – l'enjeu est peut-être de voir dans quelle direction va se faire cette stabilisation : du côté de la poursuite de la supercherie, du masque et des postures (et du comique) ? Ou du côté de la satire qui met à nu l'hypocrisie (davantage du côté de l'indignation, du mépris ou de la colère) ? Ça vaut ce que ça vaut, mais ça te permet aussi de réfléchir un peu avec eux sur la construction d'un sonnet, sur la façon dont on imprime un dynamisme à une forme fixe etc.

Autre moment clé (comme typiquement dans un sonnet), la chute du dernier vers (le sonnet, pour les lettrés de la Renaissance, est appréhendé comme une épigramme développée, donc on attend cet effet conclusif). Cette chute repose là encore sur une forme de paradoxe, donc quelque chose de dynamique (d'abord la déstabilisation puis la stabilisation, c'est toujours cette même logique). On peut regarder la valeur de la conjonction et, qui est ici davantage un mais. Et à partir de là, proposer une double stabilisation possible du paradoxe  : 1) ils ne savent pourquoi = ils n'ont pas compris pour quelle raison le roi riait, mais ils l'imitent servilement. 2) ils rient sans véritable raison (au fond, le poème ne dit nulle part explicitement que le roi rit et que les singes-courtisans l'imitent), ce serait alors une sorte de rire irrépressible, de rire naturel, qui peut avoir quelque chose de diabolique (le Christ est agélaste, comme on sait). Si on suit cette hypothèse du double sens, on peut repartir, dans un mouvement circulaire, vers l'adresse du départ : le titre Seigneur fait-il référence au roi ? ou à Dieu ? (dont le roi, dans la monarchie de droit divin, est le représentant sur terre, et dont il tire sa légitimité). La lecture est alors beaucoup plus lourde de sens : le comportement des courtisans-singes dévoie le monde de la cour, l'hypocrite (= comédien) donne son spectacle jusque devant les yeux du roi, et c'est là que gît le scandale. Offense au roi (crime de lèse-majesté), offense à Dieu (blasphème), et aux yeux de toute la cour !

Bon, comme tu vois, je suis encore parti dans des délires un peu compliqués… :lol:

*L’image du monde renversé et ses représentations littéraires et para-littéraires de la fin du XVIe siècle au milieu du XVIIe, dir. Jean Lafond et Augustin Redondo, Paris, Vrin, 1979.
Les Figures du monde renversé de la Renaissance aux Lumières. Hommage à Louis Van Delft, dir. Lucie Desjardins, Paris, Hermann, 2013. (Je donne ces références pour les profs, naturellement, pas pour les élèves !)

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par NLM76 Ven 17 Mai 2019 - 9:31
Merci pour vos remarques très précises ! Elles font avancer ma réflexion.

@ Une passante : Tu dois avoir raison pour le « voyons », dans la mesure où, proposé en tant que modèle, il pourrait inviter les élèves à une sorte de désinvolture incongrue. Et cependant je ne sais pas trop quelle alternative leur proposer. C’est sans doute aussi que j’y vois un certain nombre d’avantages. D’une part, cela me semble être moins une marque de familiarité qu’une part d’oral, au sens où à l’oral, on prend davantage en compte la présence des interlocuteurs : le discours est plus adressé. Or il me semble qu’un bon style écrit, justement, sait conserver ce qui est bon dans l’oral : il n’est pas mauvais que la façon dont le texte est écrit fasse entendre un peu la voix de celui qui… parle justement. La vraie littérature sait garder vivant le lien entre la lettre et la voix, et la rigueur de l’analyse ne doit pas forcément s’en débarrasser complètement — à condition, bien sûr, de rester mesuré. Ce qui m’intéresse en outre dans ce « voyons », c’est qu’il soit à l’impératif. Non seulement, en effet, il évoque la situation réelle, dialogique, de l’explication d’un texte ; mais encore, il mime l’attitude magistrale. Or cela ne me semble pas malvenu, au contraire : il est temps au lycée d’inviter les élèves à prendre un peu la place du maître. Il s’agit en effet, à mon sens, dans un tel commentaire, non de se placer dans la posture de l’élève qui doit montrer qu’il a compris le texte — dans ce cas, on ne demanderait qu’une paraphrase, ou un discours convenu et sans force, puisque en quelque sorte il n’aurait pas d’intention rhétorique, ou, si vous préférez, « pragmatique » —, mais de se placer dans la posture du « passeur », qui aide celui qui découvre le texte à en sentir la vigueur. De même, quand je corrige, quand j’écoute des propositions de commentaire, j’essaie de me placer en position d’élève : je ne me demande pas si l’élève « a bon », « répond aux attentes » ; je me demande s’il est clair, ou plutôt s’il éclaire, s’il peut m’aider à entendre le texte. C’est pourquoi l’espèce de présomption qu’on peut sentir dans cet impératif n’est pas pour me déplaire. Enfin, je défendrais bien aussi le sémantisme de cette forme : l’utilisation du verbe « voir », auquel on aurait pu préférer des verbes comme « étudier » ou « se demander ». Bien sûr, ces deux derniers verbes me conviendraient très très bien ; mais le verbe « voir » a l’avantage de dire qu’il s’agit non d’embrouiller, mais plutôt d’éclaircir — même quand cet éclaircissement peut mettre en lumière tel ou tel petit détail inaperçu mais intéressant. Il dit aussi que la fonction d’une explication, d’un commentaire suffisamment utile et suffisamment humble est d’aider à entendre vraiment, donc à voir, ce que disent les mots du texte — d’aider à sentir que les mots écrits parlent, que le texte littéraire n’est pas mort, qu’il a une force d’évocation, que les mots sont des images.
En somme, j’aime bien l’utilisation du verbe « voir » dans ce contexte parce qu’il est clair, simple et direct : si les convenances mènent à des circonvolutions, eh bien foin des convenances ! Et ce d’autant plus que les pensées sérieuses toujours embarrassées de sombres nuages mènent bien fréquemment les élèves aux orgueilleux solécismes, aux pompeux barbarismes. S’il s’agit de voir quelque chose, il faut utiliser le verbe voir.  

Vous aurez sans doute maintenant déjà compris pourquoi j’aurais bien envie de défendre aussi mes « on voit » et « on peut remarquer ». Je ne suis pas en effet tout à fait d’accord avec Une passante quand elle dit « ce qui importe, c’est l’analyse, pas le fait qu’il y ait quelqu’un en train de faire l’analyse. » Je viens d’expliquer pourquoi il ne me semble pas mauvais qu’on sente qu’il y a quelqu’un en train de faire l’analyse. Mais en effet ce n’est pas le plus important : ce quelqu’un en train de faire l’analyse doit d’une certaine façon s’effacer ; mais il doit s’effacer au profit d’un autre quelqu’un : le lecteur. Autrement dit, la véritable analyse littéraire ne peut pas analyser le texte comme un objet mort, mais comme un texte qui parle, qui s’adresse à un lecteur, qui est un sujet : l’analyse littéraire analyse ce qui se passe entre le texte et le lecteur ; et si ce travail est délicat, il n’en est pas moins rigoureux et scientifique. Sans cette perspective, l’analyse risque de se précipiter dans deux abîmes : d’une part, dans les excès de l’analyse génétique, d’autre part dans les froides monstruosités de l’équarrissage textuel.

Enfin, sur le fait de suivre le mouvement du texte, ta position m’intéresse beaucoup. Tu évoques à deux reprises l’idée d’analyse (« un tel commentaire perd en intérêt dans l’analyse ; tu décris le texte plutôt que tu ne l’analyses »). Je ne suis pas sûr de bien comprendre ce que tu entends dans cette idée. Je pense que justement je ne me contente pas de « décrire le texte », dès lors que, comme je viens de l’expliquer, je ne décris pas le texte, mais ce qui se passe entre le texte et le lecteur, en montrant comment le texte produit cet effet. Qu’est-ce que c’est pour toi qu’analyser le texte ? Quel est le but d’une analyse littéraire ? C’est une vraie question : quand je la pose aux élèves, leur réponse revient invariablement à quelque chose qui signifie « paraphraser » — ou alors « nommer les figures de style et de narratologie ». Je suppose que ton point de vue est très différent ; mais je ne le saisis pas.
Une seconde chose me paraît affleurer à lecture de ta remarque — mais mon interprétation est sans doute un peu trop torve —, c’est que mon commentaire serait un peu trop transparent, et n’ajouterait rien au texte, dans la mesure où tu dis « qu’il perd en intérêt », parce qu’il suit le mouvement du texte. Or il se trouve qu’en l’occurrence l’humilité est ma plus grande prétention : ce que je n’aime pas dans les commentaires composés, si brillants soient-ils, et d’autant plus quand ils sont brillants, c’est qu’ils font écran au texte. Maintenant, il est vrai que s’il s’agit de tirer du texte des outils pour écrire, on peut sans doute adopter une démarche plus formaliste et « composée ». Il faut que j’y réfléchisse.


P.S. Au fait, je ne me rappelle pas si je l’ai déjà écrit : une autre organisation du commentaire, sans doute meilleure, collerait davantage au mouvement du texte — celle qui étudierait les trois premières strophes dans une première partie et la quatrième strophe, qui vient après la « volte » du sonnet dans une seconde partie ; ou encore celle qui montrerait trois temps dans le sonnet : le premier quatrain d’une part (« Seigneur, je ne saurais regarder... », le second quatrain et le premier tercet, avec la série des conditionnelles d’autre part, et enfin la chute avec le dernier tercet, introduit par la conjonction adversative, parallèle au premier quatrain. Il pourrait être bon de rédiger ces diverses versions du commentaire — afin de montrer que plusieurs plans sont possibles et défendables.
P.P.S. Réflexions sur les remarques d’Hannibal et d’e-Wanderer à venir.

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par Iphigénie Ven 17 Mai 2019 - 10:35
J'arrive après la bataille!
Pour reprendre une part de ce que dit e-Wanderer et ce que tu dis toi-même sur le monde inversé du vers du dernier quatrain, il me semble qu'il est là pour annoncer la chute en ce sens que selon moi le poème est structuré sur l'idée de renversement, de la sorte: au début la métaphore est une métaphore: les courtisans, d'un simple point de vue vestimentaire, en singeant leur maître, ressemblent à des singes que l'on aurait déguisés en humains:  ils en sont une contrefaçon, comme les singes sont une contrefaçon d'humain.
Mais dans le dernier vers, le rire, sans doute diabolique (comme l'animal lui-même dans certaines perceptions du MA du fait de sa ressemblance troublante avec l'homme) vient en réalité, me semble-t-il révéler pleinement l'animalité des courtisans par cette grimace réellement simiesque: ils sont singes. Le monde de la cour dans ses raffinements hypocrites finit par révéler sous l'apparence élégante la brutale bestialité de l'humain: une méchanceté sauvage.
Si bien qu'en fait comme souvent dans le sonnet les différentes organisations de la structure du texte dont tu parles coexistent, en réalité: il y a à la fois une progression ( un regard de plus en plus précis, de l’apparence aux actions) un jeu de symétrie par l'inversion(au coeur de la cour un monde aux valeurs inversées, jusqu’a y perdre toute humanité: le rire mécanique plaqué sur le vivant...) et une structure circulaire (où la fin reprend le début en l'aggravant: le comportement extérieur n’est plus masque mais révélation du vide intérieur )
PS: ici Du Bellay est à l'inverse de Rabelais: le rire n'est pas le propre de l'homme mais ici une grimace proprement animale par son non-sens. C'est un rire un peu comparable au rire sardonique chez Homère: un rictus musculaire sans relation avec l'intellect humain,( et lié à la férocité: entre rire et montrer ses dents...)
(et je n'adhère pas du tout à ce que dit Hannibal sur le caractère secondaire de la métaphore animale par conséquent, ni à son interprétation du rire des courtisans comme marque d'hypocrisie: c'est bien pire que cela et c’est le texte qui le dit, « ils ne savent pourquoi »( pas la peine, je crois, de penser que cela signifie le contraire!): selon moi, c'est bien le cœur même du poème, avec son renversement- humain "déguisé"/ animal réel derrière l' apparence humaine.)
Hannibal
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par Hannibal Ven 17 Mai 2019 - 22:34
Iphigénie a écrit:J
au début la métaphore est une métaphore: les courtisans, d'un simple point de vue vestimentaire, en singeant leur maître, ressemblent à des singes que l'on aurait déguisés en humains:  ils en sont une contrefaçon, comme les singes sont une contrefaçon d'humain.
Mais dans le dernier vers, le rire, sans doute diabolique (comme l'animal lui-même dans certaines perceptions du MA du fait de sa ressemblance troublante avec l'homme) vient en réalité, me semble-t-il révéler pleinement l'animalité des courtisans par cette grimace réellement simiesque: ils sont singes. Le monde de la cour dans ses raffinements hypocrites finit par révéler sous l'apparence élégante la brutale bestialité de l'humain: une méchanceté sauvage.
Pas entièrement convaincu. Le mot singe me paraît jusqu'au bout une métaphore assez faible. Le sens figuré de singe au simple sens d'imitateur semble exister depuis le latin, et la qualification "vieux singes" me semble sans intérêt pour désigner des bestioles, mais beaucoup plus significative pour désigner des êtres qui sont à la cour depuis longtemps et dont la condition singeresse et imitatrice remonte à loin. Par la suite, rien ne vient clairement filer la métaphore animale, sauf effectivement à transformer le rire final du v.14 en grimace grotesque. Je pense plutôt pour ma part à une espèce de rire nerveux, qui n'a pas de cause extérieure précise puisque sa cause est intérieure: ces vieux incapables pouffent parfois de leur propre imposture. Ou alors, pourquoi pas, ces automates éclatent pour finir en un rire absolument absurde, écho de leur propre vacuité, mais j'y verrais encore davantage des pantins,  secoués d'un tel rire, plutôt que des animaux - car ces hommes ne sont pas fondamentalement bestiaux ou grotesques, ce qu'on leur reproche avant tout c'est d'être faux, jusque dans leurs vices qui sont encore empruntés.

L'animalité compte donc bien moins à mon sens que la démarche d'imitation, qui est clairement au cœur du poème et en gouverne la logique d'écriture. C'est en plus une notion qui a de vastes répercussions morales, car il y a aussi dans le recueil une saine imitation de la vertu et de la recherche de la vérité symbolisées par Marguerite, de sorte que la partie satirique et la partie encomiastique du recueil trouveraient un lien dans ce passage des mauvais exemples (rencontrés d'abord en Italie et que Du Bellay retrouve à la Cour de France) au bon exemple enfin découvert au terme de la trajectoire du recueil.
J'ajouterais même une dimension littéraire à cette notion d'imitation, puisque écrire c'est imiter sans singer. On refuse ici aussi de singer la grandeur dans le style (pas de "pompeux appareil" dans les Regrets, en tout cas pas avant la 3ème partie) aussi bien que dans le contenu (refus d'aliéner son jugement personnel affirmé nettement dès le v.1).

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par Iphigénie Ven 17 Mai 2019 - 23:32
Je pense que ton interprétation est très subtile et intéressante  mais ne colle pas à l’organisation du texte:
. Je pense plutôt pour ma part à une espèce de rire nerveux, qui n'a pas de cause extérieure précise puisque sa cause est intérieure: ces vieux incapables pouffent parfois de leur propre imposture. Ces hommes ne sont pas bestiaux ou grotesques, ce qu'on leur reproche avant tout c'est d'être faux, jusque dans leurs vices qui sont encore empruntés.  
Donner à ces singes une intériorité( une intelligence dans la duperie »qui leur permettrait de rire d’eux mêmes ) ne constituerait ni un aboutissement ni une chute . Les tercets dépassent de très loin la critique de l’imitation et de la servilité : ils montrent déjà la méchanceté dans une attitude très animale (« ils le montrent du doigt » ce n’est pas une métaphore, c’est un geste typiquement simiesque .( ce rire final me fait assez penser à la scène du bal masqué-avec des masques d’animaux- du film Ridicule: les courtisans fonctionnent en meute ricanante ....
Et le rire s’inscrit dans une dimension dont e-Wanderer a bien souligné toute la dimension, bien au delà de « pouffer »: le rire est lié à la malignité au sens fort qui justifie sa place dans le sonnet. Et la méchanceté développée dans les tercets n’est ni imitée ni empruntée : elle est en eux, on n’est plus dans la duperie mais dans la révélation de leur réalité
Je pense que c’est dans le cas des sonnets particulièrement que la démarche linéaire ( et donc l’appui sur la structure interne) est extrêmement importante pour faire sens.

.   Le sens figuré de singe au simple sens d'imitateur semble exister depuis le latin, et la qualification "vieux singes" me semble sans intérêt pour désigner des bestioles, mais beaucoup plus significative pour désigner des êtres qui sont à la cour depuis longtemps et dont la condition singeresse et imitatrice remonte à loin.
C’est une figure de satire déjà familière dans les fables d’Esope où le singe est image d’apparence fausse et de sottise.
Hannibal
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par Hannibal Sam 18 Mai 2019 - 11:57
Iphigénie a écrit:
. Les tercets dépassent de très loin la critique de l’imitation et de la servilité : ils montrent déjà la méchanceté dans une attitude très animale (« ils le montrent du doigt » ce n’est pas une métaphore, c’est un geste typiquement simiesque .( ce rire final me fait assez penser à la scène du bal masqué-avec des masques d’animaux- du film Ridicule: les courtisans fonctionnent en meute ricanante ....
Et le rire s’inscrit dans une dimension dont e-Wanderer a bien souligné toute la dimension, bien au delà de « pouffer »: le rire est lié à la malignité au sens fort qui justifie sa place dans le sonnet. Et la méchanceté développée dans les tercets n’est ni imitée ni empruntée : elle est en eux, on n’est plus dans la duperie mais dans la révélation de leur réalité
Je pense que c’est dans le cas des sonnets particulièrement que la démarche linéaire ( et donc l’appui sur la structure interne) est extrêmement importante pour faire sens.
.

Le premier tercet met tout de même en corrélation la caresse et la moquerie, et même si en effet la malveillance domine, elle est tantôt sincère, quand ils "crèvent de rage" par jalousie, tantôt de commande, quand on "montre au doigt" celui qui a reçu du grand seigneur un mauvais accueil. Ce premier tercet est pleinement dans la continuité du second quatrain, il développe la même logique, avec les mêmes procédés (structures en si, antithèses et structures binaires...). C'est le mensonge et l'aliénation du jugement personnel qui sont illustrés dans le Q2 comme dans le T1. L'effet de meute est possible, mais pas obligatoire, le pronom "ils" peut aussi bien renvoyer à des individus pris un par un et agissant séparément qu'à un groupe constitué agissant collectivement.

On ne franchit en tout cas pas un seuil au premier tercet, mais au second, avec le "mais" et le comparatif "ce qui plus contre eux me dépite". On passe aussi de l'attitude systématique des 11 premiers vers à une attitude plus occasionnelle "quelquefois me dépite". Mais est-ce la bestialité ou une si fondamentale méchanceté qui se dévoile dans ces instants ? Rien n'impose cela : il est question d'un visage hypocrite et d'un accès de rire sans objet, tout cela "devant le roi".

J'ajouterais que le sonnet 150 se situe vraiment dans une série de poèmes qui réfléchissent à la notion d'imitation: le sonnet 139 (qui initie la satire de la Cour française)  "conseille" l'imitation d'autrui et la réserve pour réussir à la cour, le sonnet 145 "conseille" également "la feintise", plutôt que la vertu et la science, le sonnet 146 évoque l'imitation entre poètes puis la difficulté d'être poète et courtisan, le sonnet 148 évoque l'imitation réussie de Virgile, etc.
Et chaque fois qu'il est question de la Cour et des courtisans, ce n'est pas pour en faire une ménagerie infernale ni un univers de férocité noire- un peu trop romantique - mais pour y signaler la difficulté à y être soi dans un univers d'apparences qui n'est pas peuplé de monstres diaboliques - après tout le poète est lui aussi un courtisan - mais qui est davantage marqué par la superficialité, l'artifice, la flatterie, l'intrigue etc.

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par Iphigénie Sam 18 Mai 2019 - 12:28
On peut gloser à l'infini à propos du texte!
mais pour la construction et l'absence de coupure entre quatrains et tercets je ne suis pas convaincue par ta démonstration lorsque je lis le texte:
Ce premier tercet est tout à fait dans la continuité du second quatrain, il développe la même logique, avec les mêmes procédés (structures en si, antithèses et structures binaires...). C'est le mensonge et l'aliénation du jugement personnel qui sont illustrés dans le Q2 comme dans le T1.
Si leur maître se moque, ils feront le pareil,
S'il ment, ce ne sont eux qui diront du contraire,
Plutôt auront-ils vu, afin de lui complaire,
La lune en plein midi, à minuit le soleil.

Si quelqu'un devant eux reçoit un bon visage,
Ils le vont caresser, bien qu'ils crèvent de rage
S'il le reçoit mauvais, ils le montrent au doigt.



On passe aussi de l'attitude systématique des 11 premiers vers à une attitude plus occasionnelle "quelquefois me dépite". Mais est-ce la bestialité ou une si fondamentale méchanceté qui se dévoile dans ces instants ? Rien n'impose cela : il est question d'un visage hypocrite et d'un accès de rire sans objet.
Ce qui se contredit un poil si on reste à ce niveau...

c'est justement la contradiction apparente entre un visage hypocrite (qui suppose que l'on cache quelque chose) et le "et ne savent pourquoi" qui crée une béance, un vide intérieur,  (le singe est le seul animal qui rit comme l'homme mais d'un rire qui traditionnellement, dans une vision de l'animalité comme vide d'intelligence, n'est justement pas le rire de l'homme: la ressemblance des mimiques dans ce cas est révélatrice de la différence de nature, humaine d'un coté, animale de l'autre,) : la bassesse du courtisan en fait un mauvais homme, un homme (étymologiquement) "féroce" qu'on ne peut regarder "d'un bon œil", pas même amusé. Tu as raison sur le fait que cette nature bestiale est néanmoins évoquée en retenue, suggérée par la chute (il ne faut pas l'exagérer, comme peut-être je l'ai fait pour appuyer), mais pas sur l'absence de fil dans la métaphore du singe qui au contraire est très présente du début à la fin. Je dirais même que c’est, selon moi, tout l’interêt et la force du texte, car enfin la satire de l’hypocrisie courtisane, sinon, est bien un topos même chez le seul Du Bellay et sans parler d’Horace ou Juvénal.
Pour le reste des considérations sur la place du thème de l'imitation dans le recueil, on peut être d'accord.


Dernière édition par Iphigénie le Lun 20 Mai 2019 - 17:23, édité 1 fois
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par e-Wanderer Sam 18 Mai 2019 - 15:11
Une question de pédagogie qui intéresse le grammairien que je suis : comment faites-vous pour expliquer à des élèves du secondaire la structure emphatique de la pseudo-clivée ("Ce qui plus me dépite, c'est quand…") ? C'est un peu technique et j'imagine que vous n'utilisez pas cette terminologie linguistique, mais c'est dommage de ne pas en parler car l'effet de focalisation va bien dans le sens de la gradation qui occupe le dernier tercet (Mais de surenchère, superlatif "plus" (= "le plus" dans la langue du XVIe s.). C'est une vraie question de ma part, car je trouve que ça doit être vraiment difficile à expliquer.

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par Iphigénie Sam 18 Mai 2019 - 15:24
Je laisse répondre pour la pédagogie, mais j'admire (vraiment!) la beauté du vocabulaire (et du regard) précis des grammairiens (ah! "la structure emphatique de la pseudo-clivée"!), qui permet de cerner plus justement encore le rapport entre la construction et le sens. veneration
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par Iphigénie Lun 20 Mai 2019 - 14:08
Finalement,
"Mais presse (comme on dit) ta lèvre avec le doigt" :lol:


Dernière édition par Iphigénie le Lun 20 Mai 2019 - 17:15, édité 3 fois
NLM76
NLM76
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par NLM76 Lun 20 Mai 2019 - 14:23
Hannibal a écrit:Je pensais à des bricoles d'analyse comme, en vrac: [...]
Merci Hannibal. J'ai amendé mon corrigé en notant en marge quelques suggestions issues de tes idées. Je ne les ai cependant pas ajoutées au corrigé rédigé, mais seulement comme des suggestions en marge, afin de veiller à ce que le commentaire proposé soit réaliste pour trois heures de travail d'un élève de 1re.
Je n'ai pas évoqué le présent d'habitude: la remarque me paraît très accessoire, ni ton hypothèse sur la pointe, qui me paraît sinon hasardeuse, du moins alambiquée. L'analyse du système de variation des hypothétiques me paraît très juste et très intéressante; mais je crois quand même qu'elle est trop élaborée pour des élèves de 1re en général — en tout cas dans le cadre d'un commentaire, qu'ils sont censés faire eux-mêmes, et non d'une explication menée en classe. J'avais déjà évoqué le chiasme ; mais pourquoi, de ton côté, le qualifies-tu d'ironique ?
Pour ce qui est du "lexique satirique", si ton propos me paraît excellent, je suis très réticent à l'idée de présenter cela sous la rubrique du lexique: il ne s'agit pas du lexique, mais du propos de Du Bellay. Je pense qu'il faut être très vigilant à cela, pour éviter la dérive vers les fadaises qui accompagnent quasi-systématiquement l'utilisation du concept de «champ lexical».

En tout cas, ce que tu dis me donne envie de (re)lire et de mieux connaître le recueil !

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