Voir le sujet précédentAller en basVoir le sujet suivant
marjo
marjo
Doyen

Voltaire, Essai sur les moeurs : comment comprendre la référence à Plutarque ?  Empty Voltaire, Essai sur les moeurs : comment comprendre la référence à Plutarque ?

par marjo Lun 19 Nov - 18:13
Je voudrais faire plancher mes premières en commentaire sur ce texte de Voltaire :

 Entendez-vous par sauvages des rustres1 vivant dans des cabanes avec leurs femelles et quelques animaux, exposés sans cesse à toute l’intempérie des saisons ; ne connaissant que la terre qui les nourrit, et le marché où ils vont quelquefois vendre leurs denrées pour y acheter quelques habillements grossiers ; parlant un jargon2 qu’on n’entend pas dans les villes ; ayant peu d’idées, et par conséquent peu d’expressions ; soumis, sans qu’ils sachent pourquoi, à un homme de plume3, auquel ils portent tous les ans la moitié de ce qu’ils ont gagné à la sueur de leur front ; se rassemblant, certains jours, dans une espèce de grange pour célébrer des cérémonies où ils ne comprennent rien, écoutant un homme vêtu autrement qu’eux et qu’ils n’entendent point ; quittant quelquefois leur chaumière lorsqu’on bat le tambour, et s’engageant à s’aller faire tuer dans une terre étrangère, et à tuer leurs semblables, pour le quart de ce qu’ils peuvent gagner chez eux en travaillant ? Il y a de ces sauvages-là dans toute l’Europe. Il faut convenir surtout que les peuples du Canada et les Cafres4, qu’il nous a plu d’appeler sauvages, sont infiniment supérieurs aux nôtres. Le Huron, l’Algonquin, l’Illinois5, le Cafre, le Hottentot6, ont l’art de fabriquer eux-mêmes tout ce dont ils ont besoin, et cet art manque à nos rustres. Les peuplades d’Amérique et d’Afrique sont libres, et nos sauvages n’ont pas même d’idée de la liberté.
       Les prétendus sauvages d’Amérique sont des souverains qui reçoivent des ambassadeurs de nos colonies transplantées auprès de leur territoire, par l’avarice et par la légèreté. Ils connaissent l’honneur, dont jamais nos sauvages d’Europe n’ont entendu parler. Ils ont une patrie, ils l’aiment, ils la défendent ; ils font des traités ; ils se battent avec courage, et parlent souvent avec une énergie héroïque. Y a-t-il une plus belle réponse, dans les Grands Hommes de Plutarque7, que celle de ce chef de Canadiens à qui une nation européenne proposait de lui céder son patrimoine ? « Nous sommes nés sur cette terre, nos pères y sont ensevelis ; dirons-nous aux ossements de nos pères : Levez-vous, et venez avec nous dans une terre étrangère ? »


Je m'interroge sur la référence à Plutarque : y a-t-il dans Les Vies parallèles un personnage qui tient les propos que Voltaire attribue à un chef Canadien ? Ou est-ce une référence inventée ?
Par ailleurs, cet extrait vous parait-il assez long ?
Lefteris
Lefteris
Esprit sacré

Voltaire, Essai sur les moeurs : comment comprendre la référence à Plutarque ?  Empty Re: Voltaire, Essai sur les moeurs : comment comprendre la référence à Plutarque ?

par Lefteris Lun 19 Nov - 18:23
marjolie.june a écrit:Je voudrais faire plancher mes premières en commentaire sur ce texte de Voltaire :

 Entendez-vous par sauvages des rustres1 vivant dans des cabanes avec leurs femelles et quelques animaux, exposés sans cesse à toute l’intempérie des saisons ; ne connaissant que la terre qui les nourrit, et le marché où ils vont quelquefois vendre leurs denrées pour y acheter quelques habillements grossiers ; parlant un jargon2 qu’on n’entend pas dans les villes ; ayant peu d’idées, et par conséquent peu d’expressions ; soumis, sans qu’ils sachent pourquoi, à un homme de plume3, auquel ils portent tous les ans la moitié de ce qu’ils ont gagné à la sueur de leur front ; se rassemblant, certains jours, dans une espèce de grange pour célébrer des cérémonies où ils ne comprennent rien, écoutant un homme vêtu autrement qu’eux et qu’ils n’entendent point ; quittant quelquefois leur chaumière lorsqu’on bat le tambour, et s’engageant à s’aller faire tuer dans une terre étrangère, et à tuer leurs semblables, pour le quart de ce qu’ils peuvent gagner chez eux en travaillant ? Il y a de ces sauvages-là dans toute l’Europe. Il faut convenir surtout que les peuples du Canada et les Cafres4, qu’il nous a plu d’appeler sauvages, sont infiniment supérieurs aux nôtres. Le Huron, l’Algonquin, l’Illinois5, le Cafre, le Hottentot6, ont l’art de fabriquer eux-mêmes tout ce dont ils ont besoin, et cet art manque à nos rustres. Les peuplades d’Amérique et d’Afrique sont libres, et nos sauvages n’ont pas même d’idée de la liberté.
       Les prétendus sauvages d’Amérique sont des souverains qui reçoivent des ambassadeurs de nos colonies transplantées auprès de leur territoire, par l’avarice et par la légèreté. Ils connaissent l’honneur, dont jamais nos sauvages d’Europe n’ont entendu parler. Ils ont une patrie, ils l’aiment, ils la défendent ; ils font des traités ; ils se battent avec courage, et parlent souvent avec une énergie héroïque. Y a-t-il une plus belle réponse, dans les Grands Hommes de Plutarque7, que celle de ce chef de Canadiens à qui une nation européenne proposait de lui céder son patrimoine ? « Nous sommes nés sur cette terre, nos pères y sont ensevelis ; dirons-nous aux ossements de nos pères : Levez-vous, et venez avec nous dans une terre étrangère ? »


Je m'interroge sur la référence à Plutarque : y a-t-il dans Les Vies parallèles un personnage qui tient les propos que Voltaire attribue à un chef Canadien ? Ou est-ce une référence inventée ?
Par ailleurs, cet extrait vous parait-il assez long ?
Je pense tout simplement que Voltaire signifie que même chez Plutarque, qui est pour ses contemporains cultivés  une des  références absolues  en hauts faits et apophtegmes célèbres, on ne trouve aucune pensée aussi noble et élevée.

_________________
"La réforme [...] c'est un ensemble de décrets qui s'emboîtent les uns dans les autres, qui ne prennent leur sens que quand on les voit tous ensemble"(F. Robine , expliquant sans fard la stratégie du puzzle)

Gallica Musa mihi est, fateor, quod nupta marito. Pro domina colitur Musa latina mihi.

Δεν ελπίζω τίποτα, δεν φοβούμαι τίποτα, είμαι λεύτερος (Kazantzakis).
marjo
marjo
Doyen

Voltaire, Essai sur les moeurs : comment comprendre la référence à Plutarque ?  Empty Re: Voltaire, Essai sur les moeurs : comment comprendre la référence à Plutarque ?

par marjo Lun 19 Nov - 18:33
Mais est-ce une citation "réelle" ?
Lefteris
Lefteris
Esprit sacré

Voltaire, Essai sur les moeurs : comment comprendre la référence à Plutarque ?  Empty Re: Voltaire, Essai sur les moeurs : comment comprendre la référence à Plutarque ?

par Lefteris Lun 19 Nov - 18:46
marjolie.june a écrit:Mais est-ce une citation "réelle" ?
Je n 'ai sans doute pas tout Plutarque en tête, mais en tout cas pas cette citation ou une équivalente. Il est probable que Voltaire invente les propos du chef indien pour servir sa critique grâce à la célébration du "bon sauvage", qui permet un regard décentré...

_________________
"La réforme [...] c'est un ensemble de décrets qui s'emboîtent les uns dans les autres, qui ne prennent leur sens que quand on les voit tous ensemble"(F. Robine , expliquant sans fard la stratégie du puzzle)

Gallica Musa mihi est, fateor, quod nupta marito. Pro domina colitur Musa latina mihi.

Δεν ελπίζω τίποτα, δεν φοβούμαι τίποτα, είμαι λεύτερος (Kazantzakis).
marjo
marjo
Doyen

Voltaire, Essai sur les moeurs : comment comprendre la référence à Plutarque ?  Empty Re: Voltaire, Essai sur les moeurs : comment comprendre la référence à Plutarque ?

par marjo Lun 19 Nov - 19:40
Je voudrais en être sûre pour mettre une note pour mes élèves. Je vais essayer de trouver une édition annotée de l'Essai sur les moeurs.
JEMS
JEMS
Grand Maître

Voltaire, Essai sur les moeurs : comment comprendre la référence à Plutarque ?  Empty Re: Voltaire, Essai sur les moeurs : comment comprendre la référence à Plutarque ?

par JEMS Mar 20 Nov - 5:53
Les prétendus sauvages d’Amérique sont des souverains qui reçoivent des ambassadeurs de nos colonies transplantées auprès de leur territoire, par l’avarice et par la légèreté. Ils connaissent l’honneur, dont jamais nos sauvages d’Europe n’ont entendu parler. Ils ont une patrie, ils l’aiment, ils la défendent ; ils font des traités ; ils se battent avec courage, et parlent souvent avec une énergie héroïque. Y a-t-il une plus belle réponse, dans les Grands Hommes de Plutarque, que celle de ce chef de Canadiens à qui une nation européenne proposait de lui céder son patrimoine ? « Nous sommes nés sur cette terre, nos pères y sont ensevelis ; dirons-nous aux ossements de nos pères : Levez-vous, et venez avec nous dans une terre étrangère ? »

Ces Canadiens étaient des Spartiates, en comparaison de nos rustres qui végètent dans nos villages, et des sybarites qui s’énervent dans nos villes.

J'ai trouvé cette intro issue d'une édition de 1878
Voir le sujet précédentRevenir en hautVoir le sujet suivant
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum