- NeronismaterNiveau 7
Bonjour,
Pour une séquence de première S sur le personnage de roman je cherche des extraits qui présentent un moment crucial où le personnage doit faire un choix car il prend conscience de quelque chose. Par exemple la jalousie de la Princesse de Clèves et l' introspection qui lui révèle son amour pour Nemours, ou le discours de Vautrin à Rastignac sur la société dans le Père Goriot. (Choisissez, voici le carrefour de la vie, etc) Je pense par ailleurs faire étudier en documents complémentaires la fin de ces romans pour illustrer le devenir du personnage. (A t il assumé son choix? Quelles sont les conséquences de ce dernier, etc)
Pour le XX ème siècle je sèche un peu, auriez vous des idées de romans et de passages? Je pensais peut être à la Condition Humaine mais je ne connais pas bien ce roman...
Pour une séquence de première S sur le personnage de roman je cherche des extraits qui présentent un moment crucial où le personnage doit faire un choix car il prend conscience de quelque chose. Par exemple la jalousie de la Princesse de Clèves et l' introspection qui lui révèle son amour pour Nemours, ou le discours de Vautrin à Rastignac sur la société dans le Père Goriot. (Choisissez, voici le carrefour de la vie, etc) Je pense par ailleurs faire étudier en documents complémentaires la fin de ces romans pour illustrer le devenir du personnage. (A t il assumé son choix? Quelles sont les conséquences de ce dernier, etc)
Pour le XX ème siècle je sèche un peu, auriez vous des idées de romans et de passages? Je pensais peut être à la Condition Humaine mais je ne connais pas bien ce roman...
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Oderint, dum metuant!
- CeladonDemi-dieu
Le choix de Sophie, de William Styron ?
- scot69Modérateur
Le choix de Jean Valjean: innocenter Champmathieu ou aller récupérer Cosette comme il l'a promis à Fantine?
- RabelaisVénérable
Tu as " le père Goriot" de Balzac où Rastignac, à l'enterrement de Goriot, fait le choix d concquerir vraiment Paris, de devenir un autre et de laisser derrière lui ce qu'il a de bon.
EDIT : désolée, je n'avais pas lu le siècle...XXE.
Je ne lis presque rien après le XIXe mais je vais reflechir.
EDIT : désolée, je n'avais pas lu le siècle...XXE.
Je ne lis presque rien après le XIXe mais je vais reflechir.
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Le temps ne fait rien à l'affaire, quand on est c., on est c.
- InvitéInvité
Le choix de Julien Sorel : prendre la main de Mme de Rênal ou aller se brûler la cervelle ?
- archebocEsprit éclairé
J'avais pensé à la tempête sous un crâne, mais comme Scot69 me l'a soufflé sous le nez, je dois trouver autre chose.
Je lance Panurge : " me marierai-je où ne me marierai-je pas ? "
Mais là, l'extrait fait quasiment tout le roman, et au delà.
Je lance Panurge : " me marierai-je où ne me marierai-je pas ? "
Mais là, l'extrait fait quasiment tout le roman, et au delà.
- FanchetteNiveau 5
Si c'est XXe siècle, un passage des confidences de Tarrou à Rieux dans la quatrième partie de La Peste ?
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21st Century Schizoid Woman - Chaos under construction
- SeiGrand Maître
En contrepoint, la scène du meurtre dans L'Etranger ?
Il y a plein de choix dans Le Seigneur des Anneaux, mais je doute que ce roman te convienne.
Je pense aussi à La Chatte de Colette, quand Camille décide de tuer la chatte. Ou bien au choix de la promenade entre le côté de chez Swann ou celui de Guermantes, chez Proust.
Il y a plein de choix dans Le Seigneur des Anneaux, mais je doute que ce roman te convienne.
Je pense aussi à La Chatte de Colette, quand Camille décide de tuer la chatte. Ou bien au choix de la promenade entre le côté de chez Swann ou celui de Guermantes, chez Proust.
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"Humanité, humanité, engeance de crocodile."
- JPhMMDemi-dieu
La scène entière est abominable.— M. d’Artagnan, dit Athos, quelle est la peine que vous réclamez contre cette femme ?
— La peine de mort ! répondit d’Artagnan.
— Milord de Winter, continua Athos, quelle est la peine que vous réclamez contre cette femme ?
— La peine de mort ! reprit lord de Winter.
— MM. Porthos et Aramis, reprit Athos, vous qui êtes ses juges, quelle est la peine que vous portez contre cette femme ?
— La peine de mort ! répondirent d’une voix sourde les deux mousquetaires.
Milady poussa un hurlement affreux et fit quelques pas vers ses juges en se traînant sur ses genoux.
Les héros deviennent des monstres.
Edit : oups, j'avais oublié le critère XXe siècle. Désolé.
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Labyrinthe où l'admiration des ignorants et des idiots qui prennent pour savoir profond tout ce qu'ils n'entendent pas, les a retenus, bon gré malgré qu'ils en eussent. — John Locke
Je crois que je ne crois en rien. Mais j'ai des doutes. — Jacques Goimard
- e-WandererGrand sage
Marguerite Yourcenar, dans L'Œuvre au Noir, le chapitre qui s'intitule "La promenade sur la dune".
- henrietteMédiateur
J'y pensais justement à ce passage où Zénon décide de ne pas gagner l'Angleterre et accomplit symboliquement l'oeuvre au Blanc par un bain dans la mer. Ou la fin du premier chapitre lorsque les deux cousins, Zénon et Henri-Maximilien, choisissent des chemins et donc des destins différents.
Sinon, voir aussi dans Les Caves du Vatican la scène dans le train lorsque Lafcadio décide de tuer Amédée Fleurissoire.
Sinon, voir aussi dans Les Caves du Vatican la scène dans le train lorsque Lafcadio décide de tuer Amédée Fleurissoire.
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"Il n'y a que ceux qui veulent tromper les peuples et gouverner à leur profit qui peuvent vouloir retenir les hommes dans l'ignorance."
- DeliaEsprit éclairé
Sur les conséquences du choix, l'Ironie du sort de Paul Guimard : selon qu'un personnage secondaire tourne ou ne tourne pas sa clé de contact, le destin des principaux personnages est infléchi.
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Un vieillard qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle.
Amadou Hampaté Ba
- Paul DedalusNeoprof expérimenté
Tu sembles apprécier ce roman de Yourcenar, Henriette, tu le cites souvent!
J'ai mis ce passage dans mon document sur l'humanisme pour les 1ère :
« Je ne t'ai donné ni visage, ni place qui te soit propre, ni aucun don qui te soit particulier, ô Adam, afin que ton visage, ta place, et tes dons, tu les veuilles, les conquières et les possèdes par toi-même. Nature enferme d'autres espèces en des lois par moi établies. Mais toi, que ne limite aucune borne, par ton propre arbitre, entre les mains duquel je t'ai placé, tu te définis toi-même. Je t'ai placé au milieu du monde, afin que tu pusses mieux contempler ce que contient le monde. Je ne t'ai fait ni céleste ni terrestre, mortel ou immortel, afin que de toi-même, librement, à la façon d'un bon peintre ou d'un sculpteur habile, tu achèves ta propre forme. »
Sinon, je pense à L'homme sans qualités de Musil.
Ce tournant décisif apparaît à la fin, après une longue errance alors même que le roman initiatique s'ouvre sur ce dilemme : vivre d'après le sens du réel ou d'après le sens du possible :
"Ulrich sentit qu'il lui fallait enfin se décider : ou bien vivre comme tout le monde pour un but accessible, ou bien prendre ces "impossibilités" au sérieux."
J'ai mis ce passage dans mon document sur l'humanisme pour les 1ère :
« Je ne t'ai donné ni visage, ni place qui te soit propre, ni aucun don qui te soit particulier, ô Adam, afin que ton visage, ta place, et tes dons, tu les veuilles, les conquières et les possèdes par toi-même. Nature enferme d'autres espèces en des lois par moi établies. Mais toi, que ne limite aucune borne, par ton propre arbitre, entre les mains duquel je t'ai placé, tu te définis toi-même. Je t'ai placé au milieu du monde, afin que tu pusses mieux contempler ce que contient le monde. Je ne t'ai fait ni céleste ni terrestre, mortel ou immortel, afin que de toi-même, librement, à la façon d'un bon peintre ou d'un sculpteur habile, tu achèves ta propre forme. »
Sinon, je pense à L'homme sans qualités de Musil.
Ce tournant décisif apparaît à la fin, après une longue errance alors même que le roman initiatique s'ouvre sur ce dilemme : vivre d'après le sens du réel ou d'après le sens du possible :
"Ulrich sentit qu'il lui fallait enfin se décider : ou bien vivre comme tout le monde pour un but accessible, ou bien prendre ces "impossibilités" au sérieux."
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«Primus ego in patriam mecum, modo uita supersit. »
Virgile Georgiques.
« Ma science ne peut être qu’une science de pointillés. Je n’ai ni le temps ni les moyens de tracer une ligne continue. »
Marcel Jousse
- henrietteMédiateur
Oui, Paul Dedalus, j'aime beaucoup ce livre, que je relis régulièrement.
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"Il n'y a que ceux qui veulent tromper les peuples et gouverner à leur profit qui peuvent vouloir retenir les hommes dans l'ignorance."
- MaryseNiveau 5
Bonjour,
Gwynplaine, dans l'homme qui rit d'Hugo lorsqu'il décide d'affronter son incroyable héritage (et destin) et se rend au conseil des Lords. Cette décision (et donc son absence auprès des siens dans la troupe ambulante) aura des conséquences sur l'amour de vie et .... de sa propre vie!
Gwynplaine, dans l'homme qui rit d'Hugo lorsqu'il décide d'affronter son incroyable héritage (et destin) et se rend au conseil des Lords. Cette décision (et donc son absence auprès des siens dans la troupe ambulante) aura des conséquences sur l'amour de vie et .... de sa propre vie!
- ElaïnaDevin
Le choix de Gauvain dans Quatrevingt-Treize de Victor Hugo : sauver le marquis de Lantenac, et prendre sa place sur l'échafaud, ou vivre avec la honte d'avoir laissé mourir son ancêtre ?
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It took me forty years to realize this. But for guys like us... our lives aren't really our own. There's always someone new to help. Someone we need to protect. These past few years, I fought that fate with all I had. But I'm done fighting. It's time I accept the hand I was dealt. Too many people depend on us. Their dreams depend on us.
Kiryu Kazuma inYakuza 4 Remastered
Ma page Facebook https://www.facebook.com/Lire-le-Japon-106902051582639
- A TuinVénérable
Dans Le roi des Aulnes de Tournier il doit y avoir quelque chose sur les choix d'Abel Tiffauges, cela me dit quelque chose mais je n'ai plus les passages en tête.
Sinon dans La condition humaine de Malraux, le moment ou Kyo décide de donner sa pastille de cyanure à un jeune, alors qu'ils s'apprêtent à être tués et à mourir brûlés vifs.
"Malgré la rumeur, malgré tous ces hommes qui avaient combattu comme lui, Katow était seul, seul entre le corps de son ami mort et ses deux compagnons épouvantés, seul entre ce mur et ce sifflet (le sifflet de la chaudière de la locomotive) perdu dans la nuit. Mais un homme pouvait être plus fort que cette solitude et même, peut-être, que ce sifflet atroce : la peur luttait en lui contre la plus terrible tentation de sa vie. Il ouvrit à son tour la boucle de sa ceinture (à l'intérieur de laquelle se trouve la capsule de cyanure). Enfin :
- Hé, là, dit-il à voix très basse. Souen, pose ta main sur ma poitrine, et prends dès que je la toucherai : je vais vous donner mon cyanure (celui de Kyo, l'autre dirigeant de l'insurrection). Il n'y en a absolument que pour deux. Il avait rénoncé à tout sauf à dire qu'il n'y en avait que pour deux. Couché sur le côté, il brisa le cyanure en deux. Les gardes masquaient la lumière, qui les entourait d'une auréole trouble ; mais n'allaient-ils pas bouger ? Impossible de voir quoi que ce fût ; ce don de plus que sa vie, Katow le faisait à cette main chaude qui reposait sur lui, pas même à des corps. Elle se crispa comme un animal, se sépara de lui aussitôt. Il attendit, tout le corps tendu. Et soudain, il entendit l'une des deux voix : "C'est perdu. Tombé."
Voix à peine altérée par l'angoisse, comme si une telle catastrophe n'eût pas été possible, comme si tout eût dû s'arranger. Pour Katow aussi, c'était impossible. Une colère sans limites montait en lui mais retombait, combattue par cette impossibilité. Et pourtant ! Avoir donné cela pour que cet idiot le perdît !
- Quand ? demanda-t-il. - Avant mon corps. Pas pu tenir quand Souen l'a passé : je suis blessé à la main. - Il a fait tomber les deux, dit Souen.
Sans doute cherchaient-ils entre eux. Ils cherchèrent ensuite entre Katow et Souen, sur qui l'autre était probablement presque couché, car Katow, sans rien voir, sentait près de lui la masse des deux corps. Il cherchait lui aussi, s'efforçant de vaincre sa nervosité, de poser sa main à plat, de dix centimètres en dix centimètres, partout où il pouvait atteindre. Leurs mains frôlèrent la sienne. Et tout à coup une des deux la prit, la serra, la conserva.
- Même si nous ne retrouvons rien... dit une des voix.
Katow lui aussi, serrait la main, à la limite des larmes, pris par cette pauvre fraternité sans visage, presque sans voix (tous les chuchotements se ressemblent) qui lui était donnée dans cette obscurité contre le plus grand don qu'il eût jamais fait, et qui était peut-être fait en vain. Bien que Souen continuât à chercher, les deux mains restaient unies. L'étreinte devint soudain crispation :
- Voilà. Ô résurrection !...
(André Malraux, La Condition humaine, Gallimard)
Sinon dans La condition humaine de Malraux, le moment ou Kyo décide de donner sa pastille de cyanure à un jeune, alors qu'ils s'apprêtent à être tués et à mourir brûlés vifs.
"Malgré la rumeur, malgré tous ces hommes qui avaient combattu comme lui, Katow était seul, seul entre le corps de son ami mort et ses deux compagnons épouvantés, seul entre ce mur et ce sifflet (le sifflet de la chaudière de la locomotive) perdu dans la nuit. Mais un homme pouvait être plus fort que cette solitude et même, peut-être, que ce sifflet atroce : la peur luttait en lui contre la plus terrible tentation de sa vie. Il ouvrit à son tour la boucle de sa ceinture (à l'intérieur de laquelle se trouve la capsule de cyanure). Enfin :
- Hé, là, dit-il à voix très basse. Souen, pose ta main sur ma poitrine, et prends dès que je la toucherai : je vais vous donner mon cyanure (celui de Kyo, l'autre dirigeant de l'insurrection). Il n'y en a absolument que pour deux. Il avait rénoncé à tout sauf à dire qu'il n'y en avait que pour deux. Couché sur le côté, il brisa le cyanure en deux. Les gardes masquaient la lumière, qui les entourait d'une auréole trouble ; mais n'allaient-ils pas bouger ? Impossible de voir quoi que ce fût ; ce don de plus que sa vie, Katow le faisait à cette main chaude qui reposait sur lui, pas même à des corps. Elle se crispa comme un animal, se sépara de lui aussitôt. Il attendit, tout le corps tendu. Et soudain, il entendit l'une des deux voix : "C'est perdu. Tombé."
Voix à peine altérée par l'angoisse, comme si une telle catastrophe n'eût pas été possible, comme si tout eût dû s'arranger. Pour Katow aussi, c'était impossible. Une colère sans limites montait en lui mais retombait, combattue par cette impossibilité. Et pourtant ! Avoir donné cela pour que cet idiot le perdît !
- Quand ? demanda-t-il. - Avant mon corps. Pas pu tenir quand Souen l'a passé : je suis blessé à la main. - Il a fait tomber les deux, dit Souen.
Sans doute cherchaient-ils entre eux. Ils cherchèrent ensuite entre Katow et Souen, sur qui l'autre était probablement presque couché, car Katow, sans rien voir, sentait près de lui la masse des deux corps. Il cherchait lui aussi, s'efforçant de vaincre sa nervosité, de poser sa main à plat, de dix centimètres en dix centimètres, partout où il pouvait atteindre. Leurs mains frôlèrent la sienne. Et tout à coup une des deux la prit, la serra, la conserva.
- Même si nous ne retrouvons rien... dit une des voix.
Katow lui aussi, serrait la main, à la limite des larmes, pris par cette pauvre fraternité sans visage, presque sans voix (tous les chuchotements se ressemblent) qui lui était donnée dans cette obscurité contre le plus grand don qu'il eût jamais fait, et qui était peut-être fait en vain. Bien que Souen continuât à chercher, les deux mains restaient unies. L'étreinte devint soudain crispation :
- Voilà. Ô résurrection !...
(André Malraux, La Condition humaine, Gallimard)
- MaryseNiveau 5
J'avais oublié aussi le critère du XX eme..
Alors ds Les Justes de Camus! Tu pourrais même la donner en cursive. Tout tourne autour du choix ds cette pièce.
À bientôt,
Alors ds Les Justes de Camus! Tu pourrais même la donner en cursive. Tout tourne autour du choix ds cette pièce.
À bientôt,
- henrietteMédiateur
e-Wanderer a écrit:Marguerite Yourcenar, dans L'Œuvre au Noir, le chapitre qui s'intitule "La promenade sur la dune".
henriette a écrit:J'y pensais justement à ce passage où Zénon décide de ne pas gagner l'Angleterre et accomplit symboliquement l'oeuvre au Blanc par un bain dans la mer. Ou la fin du premier chapitre lorsque les deux cousins, Zénon et Henri-Maximilien, choisissent des chemins et donc des destins différents.
Je me demande pourquoi je n'y ai pas pensé hier, mais il y a bien sûr la mort de Zénon.
- Le texte:
Il suffisait qu'une chance sur mille subsistât: l'avenir si court et pour lui si fatal en acquérait malgré tout un élément d'incertitude qui était la vie même, et, par une étrange dispensation qu'il avait constatée aussi au chevet de ses malades, la mort gardait ainsi une sorte de trompeuse irréalité. Tout fluctuait: tout fluctuerait jusqu'au dernier souffle. Et cependant, sa décision était prise: il Ie reconnaissait moins aux signes sublimes du courage et du sacrifice qu'à on ne sait quelle obtuse forme de refus qui semblait le fermer comme un bloc aux influences du dehors, et presque à la sensation elle-même. Installé dans sa propre fin, il était déjà Zénon in aeternum.
D'autre part, et placée pour ainsi dire en repli derrière la résolution de mourir, il en était une autre, plus secrète, et qu'il avait soigneusement cachée au chanoine, celle de mourir de sa propre main. Mais là aussi une immense et harassante liberté lui restait encore: il pouvait à son gré s'en tenir à cette décision ou y renoncer, faire le geste qui termine tout ou au contraire accepter cette mors ignea guère différente de l'agonie d'un alchimiste enflammant par mégarde sa longue robe aux braises de son athanor. Ce choix entre l'exécution et la fin volontaire, suspendu jusqu'au bout dans une fibrille de sa substance pensante, n'oscillait plus entre la mort et une espèce de vie, comme celui d'accepter ou de refuser de se rétracter l'avait fait, mais concernait le moyen, le lieu, et l'exact moment. A lui de décider s'il finirait sur la Grand-Place parmi les huées ou tranquillement entre ces murs gris. A lui, ensuite, de retarder ou de hâter de quelques heures l'action suprême, de choisir, s'il le voulait, de voir se lever le soleil d'un certain dix-huit février 1569, ou de finir aujourd'hui avant la nuit close. Les coudes sur les genoux, immobile, presque paisible, il regardait devant lui dans le vide. Comme au milieu d'un ouragan, quand s'établit redoutablement un calme, le temps ni l'esprit ne bougeaient plus.
La cloche de Notre-Dame sonna: il compta les coups. Brusquement, une révolution se fit: le calme cessa, emporté par l'angoisse comme par un vent tournant en cercle. Des bribes d'images se tordaient dans cette tempête, arrachées à l'autodafé d'Astorga trente-sept ans plus tôt, aux récents détails du supplice de Florian, aux rencontres fortuites avec les hideux résidus de la justice exécutive sur les carrefours de villes traversées. On eût dit que la nouvelle de ce qui allait être atteignait subitement en lui l'entendement du corps, fournissant chaque sens de leur quote-part d'horreur: il vit, sentit, flaira, entendit ce que seraient demain sur la place du Marché les incidents de sa fin. L'âme charnelle, prudemment tenue à l'écart des délibérations de l'âme raisonnable, apprenait tout à coup et du dedans ce que Zénon lui avait caché. Quelque chose en lui cassa comme une corde; sa salive sécha; les poils des poignets et du dos de la main se dressèrent; il claquait des dents. Ce désordre jamais expérimenté sur lui-même l'épouvanta plus que tout le reste de sa mésaventure: pressant des deux mains ses mâchoires, respirant longuement pour freiner son cœur, il réussit à réprimer cette espèce d'émeute du corps. C'en était trop: il s'agissait d'en finir avant qu'une débâcle de sa chair ou de sa volonté l'eût rendu incapable de remédier à ses propres maux. Des risques non prévus jusque-là et qui menaçaient d'empêcher sa sortie rationnelle se présentèrent en foule à son esprit redevenu lucide. Il jeta sur sa situation le coup d'œil du chirurgien qui cherche autour de soi ses instruments et suppute ses chances.
Il était quatre heures; son repas était servi, et on avait poussé l'obligeance jusqu'à lui laisser l'ordinaire chandelle. Le porte-clef qui l'avait verrouillé à son retour de la salle du greffe ne reparaîtrait qu'après le couvre-feu, pour ne repasser ensuite qu'à l'aube. Il semblait donc qu'il eût le choix de deux longs intervalles durant lesquels accomplir sa tâche. Mais cette nuit différait des autres: un importun message pouvait venir de l'évêque ou du chanoine, nécessitant qu'on rouvrît la porte; une féroce pitié installait parfois au côté du condamné un frocard quelconque ou un membre d'une Confrérie de la Bonne Mort chargé de sanctifier le mourant en le persuadant de prier. Il se pouvait aussi qu'on prévînt son intention; on allait peut-être d'un moment à l'autre lui lier les mains. Il guetta autour de lui des grincements, des pas; tout était calme, mais les moments étaient plus chers qu'ils ne l'avaient jamais été au cours des départs forcés d'autrefois.
D'une main tremblante encore, il souleva le couvercle de l'écritoire posée sur la table. Entre deux fines planchettes qui à l'œil semblaient jointes, le trésor qu'il avait caché là s'y trouvait toujours: une lame souple et mince, longue de moins de deux pouces, qu'il avait portée d'abord dans la doublure de son pourpoint, puis transférée dans cette cachette après que l'écritoire qu'on lui avait rendue eut été dûment visitée par ses juges. Chaque jour, à vingt reprises, il s'était assuré de la présence de cet objet qu'il n'eût pas jadis daigné ramasser dans le ruisseau. Dès son appréhension dans l'officine: de Saint-Cosme, puis par deux fois, après la mort de Pierre de Hamaere, et lorsque Catherine avait ramené sur le tapis la question des poisons, on l'avait fouillé à la recherche de fioles ou de dragées suspectes, et il se félicitait d'avoir par prudence renoncé à s'encombrer de ces denrées inestimables, mais détériorables ou fragiles, presque impossibles à conserver sur soi ou à dissimuler longtemps dans une cellule nue, et qui eussent immanquablement dénoncé son projet de mourir. Il y perdait le privilège d'une de ces fins foudroyantes qui sont les seules miséricordieuses, mais ce bout de rasoir soigneusement effilé lui éviterait au moins d'avoir à déchirer son linge pour former des nœuds parfois inefficaces ou de s'évertuer peut-être sans profit avec un tesson de poterie brisée.
Le passage de la peur avait bouleversé ses entrailles. Il alla au baquet placé dans un coin de la chambre et se vida. L’odeur des matières cuites et rejetées par la digestion humaine emplit un instant ses narines, lui rappelant une fois de plus les connexions intimes entre la pourriture et la vie. Ses aiguillettes furent rajustées d’une main sûre. Le broc sur la planchette était plein d’eau glacée ; il s’humecta le visage, retenant sur sa langue une gouttelette. Aqua permanens : pour lui, ce serait l’eau pour la dernière fois. Quatre pas le ramenèrent au lit sur lequel il avait dormi ou veillé soixante nuits : parmi les pensées qui traversaient vertigineusement son esprit était celle que la spirale des voyages l’avait ramené à Bruges, que Bruges s’était restreinte à l’aire d’une prison, et que la courbe s’achevait enfin sur cet étroit rectangle. Un murmure sortit derrière lui des ruines d’un passé plus dédaigné et plus aboli que les autres, la voix rauque et douce de Fray Juan parlant latin avec un accent castillan dans un cloître envahi par l’ombre : Eamus ad dormiendum, cor meum. Mais il ne s’agissait pas de dormir. Jamais il ne s’était senti de corps et d’âme plus alerte : l’économie et la rapidité de ses gestes étaient celles de ses grands moments de chirurgien. Il déplia la grossière couverture de laine, épaisse comme du feutre, et en forma à terre, le long du lit, une sorte d’auge qui retiendrait et imbiberait au moins en partie le liquide versé. Pour plus de sûreté, il ramassa sa chemise de la veille et la tordit en guise de bourrelet devant la porte. Il fallait éviter qu’une coulée sur le sol n’atteignît trop vite le corridor, et qu’ Hermann Mohr levant par hasard la tête de dessus son établi ne remarquât sur le carreau une tache noire. Sans bruit, il enleva ensuite ses chaussures. Tant de précaution n’était pas nécessaire, mais le silence semblait une sauvegarde.
Il s’étendit sur le lit, calant sa tête sur le dur oreiller. Il eut un retour vers le chanoine Campanus que cette fin remplirait d’horreur, et qui pourtant avait été le premier à lui faire lire les Anciens dont les héros périssaient de la sorte, mais cette ironie crépita à la surface de son esprit sans le distraire de son seul but. Rapidement, avec cette dextérité de chirurgien-barbier dont il s’était toujours fait gloire parmi les qualités plus prisées et plus incertaines du médecin, il se plia en deux, relevant légèrement les genoux, et coupa la veine tibiale sur la face externe du pied gauche, à l’un des endroits habituels de la saignée. Puis, très vite, redressé, et reprenant appui sur l’oreiller, se hâtant pour prévenir la syncope toujours possible, il chercha et taillada à son poignet l’artère radiale. La brève et superficielle douleur causée par la peau tranchée fut à peine perçue. Les fontaines jaillirent ; le liquide s’élança comme il le fait toujours, anxieux, eût-on dit, d’échapper aux labyrinthes obscurs où il circule enfermé. Zénon laissa pendre le bras gauche pour favoriser la coulée. La victoire n’était pas encore complète ; il pouvait se faire qu’on entrât par hasard, et qu’on le traînât demain sanglant et bandagé au bûcher. Mais chaque minute qui passait était un triomphe. Il jeta un coup d’œil sur la couverture déjà noire de sang. Il comprenait maintenant qu’une notion grossière fît de ce liquide l’âme elle-même, puisque l’âme et le sang s’échappaient ensemble. Ces antiques erreurs contenaient une vérité simple. Il songea, avec l’équivalent d’un sourire, que l’occasion était belle pour compléter ses vieilles expériences sur la systole et la diastole du cœur. Mais les connaissances acquises ne comptaient désormais pas plus que le souvenir des événements ou des créatures rencontrées ; il se rattachait pour quelques moments encore au mince fil de la personne, mais la personne délestée ne se distinguait plus de l’être. Il se redressa avec effort, non parce qu’il lui importait de le faire, mais pour se prouver que ce mouvement était encore possible. Il lui était souvent arrivé de rouvrir une porte, simplement pour attester qu’il ne l’avait pas derrière lui fermée à jamais, de se retourner vers un passant quitté pour nier la finalité d’un départ, se démontrant ainsi à soi-même sa courte liberté d’homme. Cette fois, l’irréversible était accompli.
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"Il n'y a que ceux qui veulent tromper les peuples et gouverner à leur profit qui peuvent vouloir retenir les hommes dans l'ignorance."
- tannatHabitué du forum
Est-ce le passage que tu cherchais au départ ?
Première partie
21 mars 1927
Minuit et demi.
Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ? Frapperait-il au travers ? L’angoisse lui tordait l’estomac ; il connaissait sa propre fermeté, mais n’était capable en cet instant que d’y songer avec hébétude, fasciné par ce tas de mousseline blanche qui tombait du plafond sur un corps moins visible qu’une ombre, et d’où sortait seulement ce pied à demi incliné par le sommeil, vivant quand même — de la chair d’homme. La seule lumière venait du building voisin : un grand rectangle d’électricité pâle, coupé par les barreaux de la fenêtre dont l’un rayait le lit juste au-dessous du pied comme pour en accentuer le volume et la vie. Quatre ou cinq klaxons grincèrent à la fois. Découvert ? Combattre, combattre des ennemis qui se défendent, des ennemis éveillés !
La vague de vacarme retomba : quelque embarras de voitures (il y avait encore des embarras de voitures, là-bas, dans le monde des hommes…). Il se retrouva en face de la tache molle de la mousseline et du rectangle de lumière, immobiles dans cette nuit où le temps n’existait plus.
Il se répétait que cet homme devait mourir.
Bêtement : car il savait qu’il le tuerait. Pris ou non, exécuté ou non, peu importait. Rien n’existait que ce pied, cet homme qu’il devait frapper sans qu’il se défendît, — car, s’il se défendait, il appellerait.
Les paupières battantes, Tchen découvrait en lui, jusqu’à la nausée, non le combattant qu’il attendait, mais un sacrificateur. Et pas seulement aux dieux qu’il avait choisis : sous son sacrifice à la révolution grouillait un monde de profondeurs auprès de quoi cette nuit écrasée d’angoisse n’était que clarté. « Assassiner n’est pas seulement tuer… » Dans ses poches, ses mains hésitantes tenaient, la droite un rasoir fermé, la gauche un court poignard. Il les enfonçait le plus possible, comme si la nuit n’eût pas suffi à cacher ses gestes. Le rasoir était plus sûr, mais Tchen sentait qu’il ne pourrait jamais s’en servir ; le poignard lui répugnait moins. Il lâcha le rasoir dont le dos pénétrait dans ses doigts crispés ; le poignard était nu dans sa poche, sans gaine. Il le fit passer dans sa main droite, la gauche retombant sur la laine de son chandail et y restant collée. Il éleva légèrement le bras droit, stupéfait du silence qui continuait à l’entourer, comme si son geste eût dû déclencher quelque chute. Mais non, il ne se passait rien : c’était toujours à lui d’agir.
© Éditions Gallimard.
Première partie
21 mars 1927
Minuit et demi.
Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ? Frapperait-il au travers ? L’angoisse lui tordait l’estomac ; il connaissait sa propre fermeté, mais n’était capable en cet instant que d’y songer avec hébétude, fasciné par ce tas de mousseline blanche qui tombait du plafond sur un corps moins visible qu’une ombre, et d’où sortait seulement ce pied à demi incliné par le sommeil, vivant quand même — de la chair d’homme. La seule lumière venait du building voisin : un grand rectangle d’électricité pâle, coupé par les barreaux de la fenêtre dont l’un rayait le lit juste au-dessous du pied comme pour en accentuer le volume et la vie. Quatre ou cinq klaxons grincèrent à la fois. Découvert ? Combattre, combattre des ennemis qui se défendent, des ennemis éveillés !
La vague de vacarme retomba : quelque embarras de voitures (il y avait encore des embarras de voitures, là-bas, dans le monde des hommes…). Il se retrouva en face de la tache molle de la mousseline et du rectangle de lumière, immobiles dans cette nuit où le temps n’existait plus.
Il se répétait que cet homme devait mourir.
Bêtement : car il savait qu’il le tuerait. Pris ou non, exécuté ou non, peu importait. Rien n’existait que ce pied, cet homme qu’il devait frapper sans qu’il se défendît, — car, s’il se défendait, il appellerait.
Les paupières battantes, Tchen découvrait en lui, jusqu’à la nausée, non le combattant qu’il attendait, mais un sacrificateur. Et pas seulement aux dieux qu’il avait choisis : sous son sacrifice à la révolution grouillait un monde de profondeurs auprès de quoi cette nuit écrasée d’angoisse n’était que clarté. « Assassiner n’est pas seulement tuer… » Dans ses poches, ses mains hésitantes tenaient, la droite un rasoir fermé, la gauche un court poignard. Il les enfonçait le plus possible, comme si la nuit n’eût pas suffi à cacher ses gestes. Le rasoir était plus sûr, mais Tchen sentait qu’il ne pourrait jamais s’en servir ; le poignard lui répugnait moins. Il lâcha le rasoir dont le dos pénétrait dans ses doigts crispés ; le poignard était nu dans sa poche, sans gaine. Il le fit passer dans sa main droite, la gauche retombant sur la laine de son chandail et y restant collée. Il éleva légèrement le bras droit, stupéfait du silence qui continuait à l’entourer, comme si son geste eût dû déclencher quelque chute. Mais non, il ne se passait rien : c’était toujours à lui d’agir.
© Éditions Gallimard.
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« Nous naissons tous fous. Quelques-uns le demeurent. » Samuel Beckett
« C'est un malheur que les hommes ne puissent d'ordinaire posséder aucun talent sans avoir quelque envie d'abaisser les autres.» Vauvenargues
- NeronismaterNiveau 7
Merci à tous pour vos conseils et propositions, je vais regarder de près le roman de Yourcenar notamment, que je ne connais pas du tout.
Sinon je pensais bien à ce passage de Malraux, oui...
Sinon je pensais bien à ce passage de Malraux, oui...
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Oderint, dum metuant!
- SeiGrand Maître
J'avais oublié de le mentionner : le choix du personnage de 1984 d'entamer la rédaction d'un journal intime au péril de sa vie.
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"Humanité, humanité, engeance de crocodile."
- Pénélope59Niveau 5
Raphaël de Valentin dans "La Peau de Chagrin"
- CwmystwythNiveau 2
Le chapitre "Tempête sous un crâne" dans Les Misérables ; dans Les Justes d'Albert Camus il y a peut-être qqch (mais il faudrait relire...)
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