- NLM76Grand Maître
Bonjour les collègues d'histoire,
professeur de français, je suis toujours agacé par les affirmations du style "Louise Labé a bien du courage de dire son désir au XVIe siècle, parce qu'à l'époque c'était mal vu". J'ai toujours envie de répondre: "Ah bon. Et comment le savez-vous?" Autrement dit je suis trs dubitatif sur l'histoire des mentalités (est-ce bien ainsi qu'on appelle cela ?). Pour affirmer quelque chose sur la "mentalité" d'une époque, il me semble qu'il faut s'appuyer sur une étude historique solide, sur autre chose que sur la pseudo-intuition "avant, ils étaient attardés", ou sur un ou deux documents isolés.
Ainsi, sur la position de la femme en littérature, outre le fait que Louise Labé n'est pas la seule femme à écrire, et dont le soit resté, au XVIe siècle (Marguerite de Navarre, Pernette du Guillet), il ne me paraît pas impossible que d'autres femmes aient écrit et aient été publiées, mais qu'elles aient été oubliées du fait du "machisme" d'époques ultérieures. D'autre part, pour savoir si elles osent dire leur désir ou pas, il faut aller voir ce qu'elles écrivent — ici la question s'adresse davantage aux collègues de lettres : y a-t-il d'autres "nouvelles Sappho" à la Renaissance ? Enfin, pour savoir si écrire pour une femme est "mal vu", il faut s'appuyer sur une documentation précise. Quelle damnation sociale encourent les femmes qui écrivent ?
Voilà; en somme j'aimerais avoir quelques linéaments documentés sur la femme qui écrit au XVIe siècle en France, sur la femme qui exprime son désir, et puis aussi quelques éléments de méthode sur l'histoire des mentalités.
P.S. Et pour l'instant, je passe sur le problème de LLL "créature de papier" selon M. Huchon.
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- PhilomèleNiveau 9
Quelques remarques élémentaires, d'autres développeront :
- écrire n'implique pas de publier. Que des femmes écrivent au XVIe siècle, si elles sont lettrées, ne pose pas de problème majeur de façon générale, pourvu que cela reste dans le domaine privé. Les problèmes commencent avec la publication, la circulation imprimée, donc moins contrôlée. Pernette Du Guillet est publiée à titre posthume, de même pour l'Heptameron de Marguerite d'Angoulême : ces femmes n'ont ni voulu ni contrôlé la publication de leurs écrits.
- Louise Labé a fait l'objet d'une campagne de dénigrement violente. Les sources existent : Calvin la qualifie de vulgaire prostituée, Claude de Rubys de courtisane, par exemple. Publier, faire acte public, s'est se comporter en prostituée. L. Labé est assimilée aux courtisanes romaines qui composent des vers, chantent, jouent de la musique et font commerce de leurs charmes à la même époque. À son encontre joue sans doute aussi le fait qu'elle ne soit pas noble.
- les publications à caractère religieux signées par des femmes ne semblent pas poser les mêmes problèmes en revanche : la religieuse Anne de Marquets publie plusieurs recueils de vers, connaît les poètes de la Pléiade, est associée à une rencontre inter-confessionnelle, etc. sans que cela semble poser de problème. Je placerais dans la même série Madeleine Des Roches et Gabrielle de Coignard*, pas exactement des Sappho, donc.
- indépendamment du contenu acceptable ou non pour l'écriture au féminin, il est certain que les normes sociales ne sont pas homogènes à un même moment. La mise en scène d'un dialogue entre homme et femme tous deux poètes à Lyon (je pense à Scève et Pernette Du Guillet, mais Louise Labé figure le même type de dialogue à la fois dans les sonnets et dans la composition du recueil des Œuvres) inclut sans doute une tolérance plus grande à l'expression publique d'une femme que dans un milieu parisien, par exemple. Du côté d'une manière d'émancipation lyonnaise, tu peux aller voir l'oeuvre d'Hélisenne de Crenne, que je connais mal pour ma part.
Sur la notion d'histoire des mentalités, je suis dubitative également, parce que les mentalités n'existent pas toute seules, coupées de l'activité sociale. Par contre, la question que tu soulèves peut être traitée en histoire sociale : comment contrôle-t-on la conduite des femmes, etc. D'autres donneront une bibliographie.
* Les vers de cette dernière sont publiés par ses filles à titre posthume, au demeurant.
- écrire n'implique pas de publier. Que des femmes écrivent au XVIe siècle, si elles sont lettrées, ne pose pas de problème majeur de façon générale, pourvu que cela reste dans le domaine privé. Les problèmes commencent avec la publication, la circulation imprimée, donc moins contrôlée. Pernette Du Guillet est publiée à titre posthume, de même pour l'Heptameron de Marguerite d'Angoulême : ces femmes n'ont ni voulu ni contrôlé la publication de leurs écrits.
- Louise Labé a fait l'objet d'une campagne de dénigrement violente. Les sources existent : Calvin la qualifie de vulgaire prostituée, Claude de Rubys de courtisane, par exemple. Publier, faire acte public, s'est se comporter en prostituée. L. Labé est assimilée aux courtisanes romaines qui composent des vers, chantent, jouent de la musique et font commerce de leurs charmes à la même époque. À son encontre joue sans doute aussi le fait qu'elle ne soit pas noble.
- les publications à caractère religieux signées par des femmes ne semblent pas poser les mêmes problèmes en revanche : la religieuse Anne de Marquets publie plusieurs recueils de vers, connaît les poètes de la Pléiade, est associée à une rencontre inter-confessionnelle, etc. sans que cela semble poser de problème. Je placerais dans la même série Madeleine Des Roches et Gabrielle de Coignard*, pas exactement des Sappho, donc.
- indépendamment du contenu acceptable ou non pour l'écriture au féminin, il est certain que les normes sociales ne sont pas homogènes à un même moment. La mise en scène d'un dialogue entre homme et femme tous deux poètes à Lyon (je pense à Scève et Pernette Du Guillet, mais Louise Labé figure le même type de dialogue à la fois dans les sonnets et dans la composition du recueil des Œuvres) inclut sans doute une tolérance plus grande à l'expression publique d'une femme que dans un milieu parisien, par exemple. Du côté d'une manière d'émancipation lyonnaise, tu peux aller voir l'oeuvre d'Hélisenne de Crenne, que je connais mal pour ma part.
Sur la notion d'histoire des mentalités, je suis dubitative également, parce que les mentalités n'existent pas toute seules, coupées de l'activité sociale. Par contre, la question que tu soulèves peut être traitée en histoire sociale : comment contrôle-t-on la conduite des femmes, etc. D'autres donneront une bibliographie.
* Les vers de cette dernière sont publiés par ses filles à titre posthume, au demeurant.
- NLM76Grand Maître
Merci pour ta réponse, intéressante, Philomèle.
Oui, justement, a-t-on des chiffres sur le nombre de publications de femmes écrivains? D'autre part, qu'en est-il des poèmes de Marguerite ? N'ont-ils pas été publiés de son vivant ?Philomèle a écrit:Quelques remarques élémentaires, d'autres développeront :
- écrire n'implique pas de publier. Que des femmes écrivent au XVIe siècle, si elles sont lettrées, ne pose pas de problème majeur de façon générale, pourvu que cela reste dans le domaine privé. Les problèmes commencent avec la publication, la circulation imprimée, donc moins contrôlée. Pernette Du Guillet est publiée à titre posthume, de même pour l'Heptameron de Marguerite d'Angoulême : ces femmes n'ont ni voulu ni contrôlé la publication de leurs écrits.
Je serais assez d'accord avec ça. En même temps la position de Mireille Huchon, lorsqu'elle en fait une courtisane, ne me paraît pas non plus intenable — même si l'hypothèse qu'elle fût une courtisane ne conduit absolument pas à en faire une créature de papier. En fait, j'ai le sentiment qu'une courtisane pour ces contempteurs de Louise Labé, c'est une femme aux mœurs d'aristocrate alors qu'elle n'est pas une aristocrate. Maintenant, en effet, je n'ai pas connaissance de femmes de la noblesse qui écrive sur son désir — ou alors avec retenue, comme Marguerite.Philomèle a écrit:- Louise Labé a fait l'objet d'une campagne de dénigrement violente. Les sources existent : Calvin la qualifie de vulgaire prostituée, Claude de Rubys de courtisane, par exemple. Publier, faire acte public, s'est se comporter en prostituée. L. Labé est assimilée aux courtisanes romaines qui composent des vers, chantent, jouent de la musique et font commerce de leurs charmes à la même époque. À son encontre joue sans doute aussi le fait qu'elle ne soit pas noble.
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- CaroliineNiveau 5
Philomèle a écrit:Quelques remarques élémentaires, d'autres développeront :
- écrire n'implique pas de publier. Que des femmes écrivent au XVIe siècle, si elles sont lettrées, ne pose pas de problème majeur de façon générale, pourvu que cela reste dans le domaine privé. Les problèmes commencent avec la publication, la circulation imprimée, donc moins contrôlée. Pernette Du Guillet est publiée à titre posthume, de même pour l'Heptameron de Marguerite d'Angoulême : ces femmes n'ont ni voulu ni contrôlé la publication de leurs écrits.
- Louise Labé a fait l'objet d'une campagne de dénigrement violente. Les sources existent : Calvin la qualifie de vulgaire prostituée, Claude de Rubys de courtisane, par exemple. Publier, faire acte public, s'est se comporter en prostituée. L. Labé est assimilée aux courtisanes romaines qui composent des vers, chantent, jouent de la musique et font commerce de leurs charmes à la même époque. À son encontre joue sans doute aussi le fait qu'elle ne soit pas noble.
- les publications à caractère religieux signées par des femmes ne semblent pas poser les mêmes problèmes en revanche : la religieuse Anne de Marquets publie plusieurs recueils de vers, connaît les poètes de la Pléiade, est associée à une rencontre inter-confessionnelle, etc. sans que cela semble poser de problème. Je placerais dans la même série Madeleine Des Roches et Gabrielle de Coignard, pas exactement des Sappho, donc.
- indépendamment du contenu acceptable ou non pour l'écriture au féminin, il est certain que les normes sociales ne sont pas homogènes à un même moment. La mise en scène d'un dialogue entre homme et femme tous deux poètes à Lyon (je pense à Scève et Pernette Du Guillet, mais Louise Labé figure le même type de dialogue à la fois dans les sonnets et dans la composition du recueil des Œuvres) inclut sans doute une tolérance plus grande à l'expression publique d'une femme que dans un milieu parisien, par exemple. Du côté d'une manière d'émancipation lyonnaise, tu peux aller voir l'oeuvre d'Hélisenne de Crenne, que je connais mal pour ma part.
Sur la notion d'histoire des mentalités, je suis dubitative également, parce que les mentalités n'existent pas toute seules, coupées de l'activité sociale. Par contre, la question que tu soulèves peut être traitée en histoire sociale : comment contrôle-t-on la conduite des femmes, etc. D'autres donneront une bibliographie.
D'après l'état actuel de mes connaissances, je rejoins Philomèle et c'est d'ailleurs pourquoi derrière l'histoire des mentalités se cache la notion de "civilisation" où effectivement dans ce cas précis le lien entre l'Homme et la société est pleinement effectif. Contrairement à la notion de mentalité où ses implications sont floues et difficilement saisissables.
- PhilomèleNiveau 9
nlm76 a écrit:Merci pour ta réponse, intéressante, Philomèle.Oui, justement, a-t-on des chiffres sur le nombre de publications de femmes écrivains? D'autre part, qu'en est-il des poèmes de Marguerite ? N'ont-ils pas été publiés de son vivant ?Philomèle a écrit:Quelques remarques élémentaires, d'autres développeront :
- écrire n'implique pas de publier. Que des femmes écrivent au XVIe siècle, si elles sont lettrées, ne pose pas de problème majeur de façon générale, pourvu que cela reste dans le domaine privé. Les problèmes commencent avec la publication, la circulation imprimée, donc moins contrôlée. Pernette Du Guillet est publiée à titre posthume, de même pour l'Heptameron de Marguerite d'Angoulême : ces femmes n'ont ni voulu ni contrôlé la publication de leurs écrits.
J'ai entendu une collègue travaillant sur le sujet avancer un jour un chiffre mais je ne suis pas sûre de ma mémoire : il me semble que l'on relève une cinquantaine de noms de femme signant des écrits imprimés au XVIe siècle. Cela inclut le recueil signé en nom propre (publié à titre posthume ou non) ou le poème d'éloge placé dans le recueil d'un homme. Ce n'est donc pas rien mais pas énorme non plus.
Pour Marguerite d'Angoulême, il ne me semble pas qu'elle ait publié de poèmes d'amour profane, non ? Ses poèmes d'inspiration évangélique ont d'ailleurs encouru la censure de la Sorbonne (tout le monde était bien embêté, on parle de la soeur du roi, tout de même !). D'ailleurs, sauf erreur, l'ouvrage ne portait pas de nom d'auteur même si on savait parfaitement qui l'avait écrit.
J'écrivais que la situation n'était pas homogène dans l'espace, elle ne l'était pas non plus dans la société : une princesse pouvait publier (mais Marguerite de Valois, qui, indépendamment des ragots véhiculés pendant la guerre civile, a été la première femme non religieuse à écrire ses mémoires a aussi été publiée à titre posthume, par exemple). Pour l'épouse d'un fabricant de cordes comme L. Labé, c'était sans doute moins acceptable.
Pour l'expression au féminin du désir, voir aussi une autre fabrication lyonnaise, Jeanne Flore. C'est peut-être du côté des études sur les femmes de Lettres lyonnaises (Jeanne Flore, Helisenne de Crenne, Labé et Du Guillet) que tu peux trouver des éléments de réponse. Je réfléchis à de la bibliographie plus synthétique ou ciblée mais je ne vois pas pour l'instant (mais je ne suis pas du tout spécialiste de ces questions). La pionnière de ces études pour le XVIe siècle est Evelyne Berriot-Salvadore, tu peux peut-être aller jeter un oeil à son étude sur Les Femmes dans la société française de la Renaissance (1990). Mais il y a forcément des travaux plus récents.
- IphigénieProphète
Merci, Nlm et Philomèle, pour ce fil, très intéressant.
- ZagaraGuide spirituel
Un point de méthode : le terme "histoire des mentalités" renvoie à une historiographie des années 1960 qui cherchait à dévoiler et recomposer les "structures mentales" et les "représentations collectives" d'une société donnée.
Cette expression tend à être abandonnée à cause du problème méthodologique qu'elle entraîne : on ne peut en aucun cas prétendre accéder, par les sources historiques, à la subjectivité des personnes, à leur intime conviction, à leur for intérieur et, donc, à leurs "mentalités". Tout ce qu'on a, ce sont des traces écrites, des formes de discours. Or, l'expression écrite d'une représentation n'est pas à confondre avec la mentalité du locuteur.
Ce qui a poussé récemment Thierry Dutour (sous l'empire des bonnes gens, 2015) à formaliser une nouvelle approche, ramassée sous l'expression "un discours sur un discours". La société produit des sens et représentations partagés. Nous possédons les traces de ces sens partagés par l'intermédiaire de discours, qui sont les reliquats d'une construction sociale de la réalité. Leur étude permet donc d'accéder à une connaissance des représentations communes qui s'expriment sous la forme de lieux communs, d'expressions banales. Toutefois, cette connaissance s'arrête là : elle ne saurait accéder aux "mentalités" de ceux qui produisent ce discours. Elle ne peut que discourir sur le discours lui-même, et tâcher d'en extraire des sens partagés dans la société étudiée.
Ces sens partagés témoignent de ce que les contemporains considéraient être "la réalité" (définie comme consensus de tous sur ce qui est évident). Ces discours sont indissociablement description de cette réalité du temps et production normative. Ils fabriquent la réalité en même temps qu'ils la décrivent. Ils expriment un savoir sur cette réalité et la jugent, d'un seul tenant. On ne peut donc pas croire que ces discours soient de simples "photographies" des représentations communes du temps.
Au final, on construit toujours des connaissances partielles sur des représentations collectives, mais on ne saurait les taxer de "structures mentales" ou de "mentalités", et on ne saurait prétendre qu'on pourrait élaborer une description neutre et parfaite de ces représentations, détachée de tout locuteur et de toute stratégie de production. Ce sont des représentations charriées par le "dispositif interprétatif partagé" qu'est le langage (Achard, sociologie du langage) et qui semblent faire consensus entre les différentes parties prenantes du discours.
On essaye de trouver les énoncés de représentations qui font le plus consensus dans le plus de sources et provenant de nombreux locuteurs différents, et, après avoir décrit chaque contexte et stratégie d'élaboration de ces discours, on les propose comme "représentations communes" du temps.
C'est donc une méthode humble qui incite à la prudence dans les conclusions.
Cette expression tend à être abandonnée à cause du problème méthodologique qu'elle entraîne : on ne peut en aucun cas prétendre accéder, par les sources historiques, à la subjectivité des personnes, à leur intime conviction, à leur for intérieur et, donc, à leurs "mentalités". Tout ce qu'on a, ce sont des traces écrites, des formes de discours. Or, l'expression écrite d'une représentation n'est pas à confondre avec la mentalité du locuteur.
Ce qui a poussé récemment Thierry Dutour (sous l'empire des bonnes gens, 2015) à formaliser une nouvelle approche, ramassée sous l'expression "un discours sur un discours". La société produit des sens et représentations partagés. Nous possédons les traces de ces sens partagés par l'intermédiaire de discours, qui sont les reliquats d'une construction sociale de la réalité. Leur étude permet donc d'accéder à une connaissance des représentations communes qui s'expriment sous la forme de lieux communs, d'expressions banales. Toutefois, cette connaissance s'arrête là : elle ne saurait accéder aux "mentalités" de ceux qui produisent ce discours. Elle ne peut que discourir sur le discours lui-même, et tâcher d'en extraire des sens partagés dans la société étudiée.
Ces sens partagés témoignent de ce que les contemporains considéraient être "la réalité" (définie comme consensus de tous sur ce qui est évident). Ces discours sont indissociablement description de cette réalité du temps et production normative. Ils fabriquent la réalité en même temps qu'ils la décrivent. Ils expriment un savoir sur cette réalité et la jugent, d'un seul tenant. On ne peut donc pas croire que ces discours soient de simples "photographies" des représentations communes du temps.
Au final, on construit toujours des connaissances partielles sur des représentations collectives, mais on ne saurait les taxer de "structures mentales" ou de "mentalités", et on ne saurait prétendre qu'on pourrait élaborer une description neutre et parfaite de ces représentations, détachée de tout locuteur et de toute stratégie de production. Ce sont des représentations charriées par le "dispositif interprétatif partagé" qu'est le langage (Achard, sociologie du langage) et qui semblent faire consensus entre les différentes parties prenantes du discours.
On essaye de trouver les énoncés de représentations qui font le plus consensus dans le plus de sources et provenant de nombreux locuteurs différents, et, après avoir décrit chaque contexte et stratégie d'élaboration de ces discours, on les propose comme "représentations communes" du temps.
C'est donc une méthode humble qui incite à la prudence dans les conclusions.
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