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- PhilomèleNiveau 9
Fantine a écrit:Au risque de me rép(o)éter, ma question de départ visait plus vos sentiments subjectifs qu'une approche savante, ce que je peux aussi faire avec mes élèves, mais qui me paraît frustrante. Je pourrais transformer la question :
- comment faire naître le sentiment poétique ?
Ben, si je suis le titre, "définir l'idée de poésie", ça ne fait pas appel à la subjectivité. Et je ne comprends pas trop ce que tu veux faire de nos expériences affectives face à des poèmes pour commenter des oeuvres d'art, si j'ai bien suivi. Je ne m'inquiète pas pour le mauvais usage que tu pourrais en faire, c'est surtout que nos opinions me paraissent ne servir à rien.
- FantineNiveau 5
@ Philomèle : je répondais à Massimo.
Pour le sentiment poétique : en effet, je me posais la question de sa définition depuis un moment en préparant des analyses d'oeuvre. Mais mon idée était de partir des sentiments empiriques des Néos. Toutefois vos précisions de professeurs de lettres sur l'étymologie du terme lui-même me sont très utiles et m'éclairent.
Pour le sentiment poétique : en effet, je me posais la question de sa définition depuis un moment en préparant des analyses d'oeuvre. Mais mon idée était de partir des sentiments empiriques des Néos. Toutefois vos précisions de professeurs de lettres sur l'étymologie du terme lui-même me sont très utiles et m'éclairent.
- FantineNiveau 5
Je n'ai peut-être pas été très claire, mais je fais feu de tout boa, comme Lautréamont
- Pierre-HenriHabitué du forum
J'aime beaucoup la définition d'Aimé Césaire, dans une lettre adressée à l'universitaire Lilyan Kesteloot.
"[...] disons que si je nomme avec précision (ce qui fait parler de mon exotisme), c'est qu'en nommant avec précision, je crois que l'on restitue à l'objet sa valeur personnelle (comme quand on appelle quelqu'un par son nom) ; on le suscite dans sa valeur unique et singulière, on salue sa valeur de force, sa valeur-force. Ici, c'est le vague qui dissout, qui anéantit, c'est la précision qui individualise. En nommant les objets, c'est un monde enchanté, un monde de monstres que je fais surgir sur la grisaille mal différenciée du monde ; un monde de puissance que je somme, que j'invoque et que je convoque.
[...] Pour l'image, c'est autre chose. L'image relie l'objet, achève, en montrant la face inconnue, d'accuser sa singularité, mais par la confrontation et la révélation de ses rapports ; définit non plus son être, mais ses potentialités ; bref, le dote de sa transcendance fondamentale. C'est pourquoi il est très vrai de dire qu'elle est essentielle à la poésie.
[...] Le rythme, enfin, et peut-être est-ce par-là que j'aurais dû commencer, car c'est en définitive l'émotion première, prière et injonction, qu'annonce d'abord sa rumeur. Antérieur à la parole, au mot qu'il appelle et apprivoise, séduit et nécessite, j'y vois la forme du poème : mieux que la forme (mot ambigu), c'est sa structure, son projet dictant, sa globalité instinctivement saisie et organisatrice.
[...] Alors, quid de la poésie ? Il faut toujours y revenir : surgie du vide intérieur, comme un volcan qui émerge du chaos primitif, c'est notre lieu de force, la situation éminente d'où l'on somme ; magie ; magie."
"[...] disons que si je nomme avec précision (ce qui fait parler de mon exotisme), c'est qu'en nommant avec précision, je crois que l'on restitue à l'objet sa valeur personnelle (comme quand on appelle quelqu'un par son nom) ; on le suscite dans sa valeur unique et singulière, on salue sa valeur de force, sa valeur-force. Ici, c'est le vague qui dissout, qui anéantit, c'est la précision qui individualise. En nommant les objets, c'est un monde enchanté, un monde de monstres que je fais surgir sur la grisaille mal différenciée du monde ; un monde de puissance que je somme, que j'invoque et que je convoque.
[...] Pour l'image, c'est autre chose. L'image relie l'objet, achève, en montrant la face inconnue, d'accuser sa singularité, mais par la confrontation et la révélation de ses rapports ; définit non plus son être, mais ses potentialités ; bref, le dote de sa transcendance fondamentale. C'est pourquoi il est très vrai de dire qu'elle est essentielle à la poésie.
[...] Le rythme, enfin, et peut-être est-ce par-là que j'aurais dû commencer, car c'est en définitive l'émotion première, prière et injonction, qu'annonce d'abord sa rumeur. Antérieur à la parole, au mot qu'il appelle et apprivoise, séduit et nécessite, j'y vois la forme du poème : mieux que la forme (mot ambigu), c'est sa structure, son projet dictant, sa globalité instinctivement saisie et organisatrice.
[...] Alors, quid de la poésie ? Il faut toujours y revenir : surgie du vide intérieur, comme un volcan qui émerge du chaos primitif, c'est notre lieu de force, la situation éminente d'où l'on somme ; magie ; magie."
- PhilomèleNiveau 9
Sincèrement, j'ai trouvé la question de titre étonnante. C'est à peu près comme si on demandait : qu'est-ce que le cinéma ? Qu'est-ce que la comédie ? Impossible de répondre à une question pareille.
Pour revenir à la poésie, chaque oeuvre qui se dit poésie en remet en jeu la définition. La réponse n'est apportée qu'à travers la contestation de toute réponse figée. La description émerge à travers la discussion d'une oeuvre, d'un ensemble d'oeuvres, etc.
On peut aussi s'intéresser à ce qu'en disent ses détracteurs. Platon chasse les poètes de la cité. J'aime bien que l'écriture poétique soit une soupape d'échappement à l'égard du politique, de l'économique, des institutions diverses et variées, du savoir lui-même.
En ce moment, je lis Quelque chose noir de Jacques Roubaud. J'avais beaucoup aimé son "Signe d'appartenance" construit à partir de règles du jeu de go. Pour Quelque chose noir, je crois avoir rarement lu un texte en essayant d'y mettre autant de tact : il a écrit ces poèmes après la mort de sa jeune femme, qui était une photographe en train de commencer une oeuvre. Je trouve difficile d'entrer dans les mots qui disent le deuil autant qu'ils l'"inexpriment".
Pour revenir à la poésie, chaque oeuvre qui se dit poésie en remet en jeu la définition. La réponse n'est apportée qu'à travers la contestation de toute réponse figée. La description émerge à travers la discussion d'une oeuvre, d'un ensemble d'oeuvres, etc.
On peut aussi s'intéresser à ce qu'en disent ses détracteurs. Platon chasse les poètes de la cité. J'aime bien que l'écriture poétique soit une soupape d'échappement à l'égard du politique, de l'économique, des institutions diverses et variées, du savoir lui-même.
En ce moment, je lis Quelque chose noir de Jacques Roubaud. J'avais beaucoup aimé son "Signe d'appartenance" construit à partir de règles du jeu de go. Pour Quelque chose noir, je crois avoir rarement lu un texte en essayant d'y mettre autant de tact : il a écrit ces poèmes après la mort de sa jeune femme, qui était une photographe en train de commencer une oeuvre. Je trouve difficile d'entrer dans les mots qui disent le deuil autant qu'ils l'"inexpriment".
- HocamSage
J'aimerais pouvoir répondre facilement à la question que tu m'as adressée en page 1. Elle est ambitieuse.Fantine a écrit:@ Philomèle : je répondais à Massimo.
- LombalgiaNiveau 10
J'imagine une définition de première intention, très accessible pour tout adolescent ?
Sans lire les autres réponses et avec 15 secondes de réflexion je propose :
traduction subjective du réel.
Traduction : expression personnelle, transposition, vision, etc. "libre" ou selon des contraintes librement choisies.
Subjective : interprétative, par opposition à objective
Réel : le monde ou n'importe quel de ses fragments
poésie = art
poésie = art dans le matériau mots
Sans lire les autres réponses et avec 15 secondes de réflexion je propose :
traduction subjective du réel.
Traduction : expression personnelle, transposition, vision, etc. "libre" ou selon des contraintes librement choisies.
Subjective : interprétative, par opposition à objective
Réel : le monde ou n'importe quel de ses fragments
poésie = art
poésie = art dans le matériau mots
- nitescenceÉrudit
Hum... et Mme Bovary, ça n'est pas une traduction subjective du réel (je pense à l'ironie qui se cache derrière le réalisme apparent) ?
_________________
Mordre. Mordre d'abord. Mordre ensuite. Mordre en souriant et sourire en mordant. (avec l'aimable autorisation de Cripure, notre dieu à tous)
- PetraPortoNiveau 10
Si je devais caractériser la poésie je dirai l'art de fabriquer à partir du langage, créer, s'amuser, provoquer toute forme de sentiments,réfléchir au compréhensible et à l incomprehensible, jouer et avoir cette partie de fantaisie.
- LombalgiaNiveau 10
[quote="Philomèle"]
Alors là ! Veux-tu dire chez autrui ? Chez l'élève par exemple ? J'ai envie de dire que toute intention délibérée en ce sens va probablement éloigner le résultat. Ou bien va favoriser une sorte d'usurpation de l'émotion, une identification à l'émotion qu'on veut provoquer, c'est-à-dire à un sentiment faux, mièvre, à la manière de.
Si c'est chez ton enfant par exemple, laisser vivre, donner à voir, à lire, à écouter, laisser éprouver librement, échanger librement, faire analyser assez rigoureusement, donner du champ surtout.
Après c'est une histoire de physis et de poïesis je crois, mais heureusement qu'il n'y a pas de technique (un certain Marx, si tu passes par là ) ...
Et puis "comment faire naître un sentiment", ma réponse : "par définition impossible".
Fantine a écrit:Au risque de me rép(o)éter, ma question de départ visait plus vos sentiments subjectifs qu'une approche savante, ce que je peux aussi faire avec mes élèves, mais qui me paraît frustrante. Je pourrais transformer la question :
- comment faire naître le sentiment poétique ?
Alors là ! Veux-tu dire chez autrui ? Chez l'élève par exemple ? J'ai envie de dire que toute intention délibérée en ce sens va probablement éloigner le résultat. Ou bien va favoriser une sorte d'usurpation de l'émotion, une identification à l'émotion qu'on veut provoquer, c'est-à-dire à un sentiment faux, mièvre, à la manière de.
Si c'est chez ton enfant par exemple, laisser vivre, donner à voir, à lire, à écouter, laisser éprouver librement, échanger librement, faire analyser assez rigoureusement, donner du champ surtout.
Après c'est une histoire de physis et de poïesis je crois, mais heureusement qu'il n'y a pas de technique (un certain Marx, si tu passes par là ) ...
Et puis "comment faire naître un sentiment", ma réponse : "par définition impossible".
- LombalgiaNiveau 10
nitescence a écrit:Hum... et Mme Bovary, ça n'est pas une traduction subjective du réel (je pense à l'ironie qui se cache derrière le réalisme apparent) ?
Hum, ben si bien sûr. Et ?
- Invité ElExpert spécialisé
Je commence parfois mon cours par cette citation de Mallarmé, tirée d'une lettre à Léo d'Orfer (27 juin 1884):
Ensuite, je commente avec eux. Tout y est. Je n'ai jamais trouvé mieux, ni plus clair (je conçois, bien entendu que "doue", ou "tâche spirituelle" ne soit pas immédiatement accessible aux élèves; le professeur, qui professe, est là pour ça).
La Poésie est l'expression, par le langage humain ramené à son rythme essentiel, du sens mystérieux des aspects de l'existence: elle doue ainsi d'authenticité notre séjour et constitue la seule tâche spirituelle.
Ensuite, je commente avec eux. Tout y est. Je n'ai jamais trouvé mieux, ni plus clair (je conçois, bien entendu que "doue", ou "tâche spirituelle" ne soit pas immédiatement accessible aux élèves; le professeur, qui professe, est là pour ça).
- Invité ElExpert spécialisé
En lisant amoureusement de la poésie devant eux et en leur montrant comment les poètes l'ont conçue, fabriquée (cf. l'étymologie de poiein). Ça a l'air très fleur bleue, mais je dis cela sérieusement.Fantine a écrit:Au risque de me rép(o)éter, ma question de départ visait plus vos sentiments subjectifs qu'une approche savante, ce que je peux aussi faire avec mes élèves, mais qui me paraît frustrante. Je pourrais transformer la question :
- comment faire naître le sentiment poétique ?
- FantineNiveau 5
Merci pour vos propositions si riches. Cependant je précise qu'en tant que prof d'arts plastiques, je n'ai pas tant d'occasions que cela (mais il y en a) de lire de la poésie (bon cette année au programme du bac Arts pla en L il y avait bien Duchamp : "faire rentrer la moelle de l'épée dans le poil de l'aimée" ce qui a plongé ma classe dans des abîmes de perplexité).
A mon humble avis, mais c'est peut-être dû à la nature pratique de la discipline, il n'est pas impossible de faire naître le sentiment poétique. C'est même indispensable dans la formation humaniste du citoyen, mais difficile en effet, tant l'on ne peut forcer cette part fugitive et volatile en chacun d'entre nous. Mais la faire découvrir, en faire prendre conscience, c'est déjà former des esprits résistants à la barbarie généralisée de notre début de siècle.
A mon humble avis, mais c'est peut-être dû à la nature pratique de la discipline, il n'est pas impossible de faire naître le sentiment poétique. C'est même indispensable dans la formation humaniste du citoyen, mais difficile en effet, tant l'on ne peut forcer cette part fugitive et volatile en chacun d'entre nous. Mais la faire découvrir, en faire prendre conscience, c'est déjà former des esprits résistants à la barbarie généralisée de notre début de siècle.
- Invité ElExpert spécialisé
Tu as parfaitement raison.
Si tu as un peu de temps, je te conseille de lire Yves Bonnefoy, Notre besoin de Rimbaud.
Une année, en visite au Louvre, j'avais récité "La beauté" de Baudelaire en guise de commentaire. Un peu sibyllin, un peu surjoué, mais effet garanti!
Si tu as un peu de temps, je te conseille de lire Yves Bonnefoy, Notre besoin de Rimbaud.
Une année, en visite au Louvre, j'avais récité "La beauté" de Baudelaire en guise de commentaire. Un peu sibyllin, un peu surjoué, mais effet garanti!
- FantineNiveau 5
Ah oui tiens je n'y avais pas pensé. ..pourtant j'applique régulièrement cette vieille technique de punition (empruntée à un vieux routier de l'EN blogueur : 5 Baudelaire comme punition pour les petits dérapages :-D)...et je vais voir si je trouve ce texte sur Rimbaud. Je recommande la visite du musée du Louvre en nocturne, le jeudi, et notamment le département des Antiquités Égyptiennes : effet garanti ! Sinon, le seul musée parisien dans lequel j'ai ressenti de la poésie, c'était le musée Rodin (avant sa restauration et la nouvelle scénographie qui casse l'ambiance poussiéreuse mais ô combien nostalgique des vieilles pièces d'antan
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