- LouisBarthasExpert
Tiens, je ne la connaissais pas celle-là. Semblable à bien d'autres et reposant toujours sur le même a priori philosophique, à savoir que la réalité est conçue comme une addition d'éléments. Il est écrit à propos de ces graphiques :coindeparadis a écrit:Des graphiques qui présentent un comparatif de différentes méthodes de lecture. J'aimerais que l'on m'explique comment une méthode alphabétique (type Léo et Léa) puisse montrer un faible "score" en maîtrise du principe alphabétique ...
http://www.uvp5.univ-paris5.fr/TFL/TFL.asp
"Plus l’aire est importante (représentée en violet), plus le manuel est satisfaisant et complet dans ce domaine. Plus l’aire est petite et rassemblée autour du centre, moins le manuel est satisfaisant dans ce domaine : on sera vigilant."
Reprenant une remarque juste de DC, J'avais déjà écrit un message à se sujet :
"doublecasquette a écrit:
<< ...un lien constant entre les différentes "compétences" qui doivent entrer en synergie (et non être exercées une à une) pour qu'un enfant devienne lecteur. >>
On trouve de nombreuses études comparatives des méthodes de lecture ayant été menées dans les circonscriptions de l'Éducation nationale ou les IUFM.
Voici, par exemple, celle faite sur "L'école des albums" par la circonscription de Marvejols, en Lozère :
http://ecoles48.net/infos/IMG/pdf/A_l_ecole_des_albums.pdf
La méthode est analysée à l'aune d'une cinquantaine de compétences alignées les unes après les autres. Au final, elle est censée offrir de nombreux "avantages" :
"- Vraie littérature.
- Très complet.
- Aborde la production très tôt.
- Aborde la combinatoire dès le début.
- Beaucoup de travail sur les sons, les graphies et les dictées.
- Bon lien entre lettres d'imprimerie et lettres cursives.
- Evaluations satisfaisantes.
- Etiquettes fournies."
et peu "d'inconvénients" :
"- Très bien pour les albums, mais besoin d'autres types d'écrit (documentaires, poèmes, ...)
- Manque de différenciation."
On pourrait varier les exemples, on trouverait partout ce même type d'analyse dont l'ONL (Observatoire National de la Lecture) fournit le modèle :
http://www2.ac-lyon.fr/etab/ien/rhone/lyonstefoy/IMG/pdf/manuels_lecture_cp_integral.pdf
Cette unicité est très frappante : lorsqu'on réunit des enseignants pour discuter de l'apprentissage de la lecture au plus profond du Massif Central ou au coeur de Paris, les documents élaborés présentent un même visage, procèdent d'une même vision philosophique : la réalité est conçue comme une addition de propriétés. Les grilles d'analyse ressemblent aux grilles de test fournies par les associations de consommateurs, et les enseignants sont censées choisir le manuel qui rassemble le plus de bons points.
A la question d'un enfant demandant ce qu'est une voiture, on répondrait en lui mettant sous les yeux toutes les pièces, séparées les unes des autres. Une voiture qui roule bien serait une voiture qui a des roues, un moteur, un volant, un carburateur, des sièges, etc.
Un match de football, c'est un ballon, des joueurs, des maillots, des crampons, une pelouse, des spectateurs, des buts, un arbitre, etc.
Une maison, c'est des briques, des tuyaux, des portes, des fenêtres, des tuiles, etc.
Un être humain, c'est de la peau, des os, du sang, un coeur, des yeux, une bouche, etc.
On ne discute pas de la façon dont les différents éléments s'articulent, entrent en relation pour créer une forme, une unité organisée, quelle est leur synergie dont parle doublecasquette."
Si un jour se met en place une véritable formation pour les instituteurs, il faudra donner une grande importance à la philosophie.
- retraitéeDoyen
Si vous entassez, en vrac, des briques, des poutres, des portes et fenêtres, des tuyaux, etc, il y a peu de chances pour que vous obteniez une maison!
Je prenais le même exemple quand mes élèves de lycée protestaient en disant : "Mais toutes les idées que vous énoncez dans le corrigé, je les ai mises! Et je n'ai pas la moyenne.", en répondant : " elles y sont, en vrac, non hiérarchisées, non organisées.
Je prenais le même exemple quand mes élèves de lycée protestaient en disant : "Mais toutes les idées que vous énoncez dans le corrigé, je les ai mises! Et je n'ai pas la moyenne.", en répondant : " elles y sont, en vrac, non hiérarchisées, non organisées.
- LouisBarthasExpert
Voilà, c'est exactement ça.retraitée a écrit:Si vous entassez, en vrac, des briques, des poutres, des portes et fenêtres, des tuyaux, etc, il y a peu de chances pour que vous obteniez une maison!
Je prenais le même exemple quand mes élèves de lycée protestaient en disant : "Mais toutes les idées que vous énoncez dans le corrigé, je les ai mises! Et je n'ai pas la moyenne.", en répondant : " elles y sont, en vrac, non hiérarchisées, non organisées.
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Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. - Albert Camus
Aller apprendre l'ignorance à l'école, c'est une histoire qui ne s'invente pas ! - Alexandre Vialatte
À quels enfants allons-nous laisser le monde ? - Jaime Semprun
Comme si, tous ceux qui n'approuvent pas les nouveaux abus étaient évidemment partisans des anciens. - Edmund Burke
Versaillais de droite et Versaillais de gauche doivent être égaux devant la haine du peuple. - Manifeste des proscrits de la Commune
- adelaideaugustaFidèle du forum
http://www.uvp5.univ-paris5.fr/TFL/TFL.aspLouisBarthas a écrit:Voilà, c'est exactement ça.retraitée a écrit:Si vous entassez, en vrac, des briques, des poutres, des portes et fenêtres, des tuyaux, etc, il y a peu de chances pour que vous obteniez une maison!
Je prenais le même exemple quand mes élèves de lycée protestaient en disant : "Mais toutes les idées que vous énoncez dans le corrigé, je les ai mises! Et je n'ai pas la moyenne.", en répondant : " elles y sont, en vrac, non hiérarchisées, non organisées.
Je ne m'attarderai pas à lire ce qui est écrit : d'abord, le fait que ce soit sous l'égide de Bentolila.
Ensuite, j'ai lu la liste des personnes qui composent ce collectif : un grand nombre d'entre eux faisaient partie de l'ancien ONL, observatoire national de la lecture. (On prend les mêmes et on recommence.) Je me suis intéressée au parcours d'un certain nombre d'entre eux : Jean-Emile Gombert, Sylviane Valdois, Pascale Colé, auteurs de la méthode Crocolivre.
Eveline Charmeux, (L'amie de l'école), Gérard Chauveau (Mika, Fabulire)), etc...Que du beau monde.
Pas étonnant que l'apprentissage de la lecture se trouve dans un tel état quand de telles personnes tiennent encore le haut du pavé.
- adelaideaugustaFidèle du forum
Je retrouve dans mes documents ce texte, que j'aime beaucoup (je l'ai déjà posté sur Néoprofs, mais je pense qu'on peut en discuter. S'il ne convient pas sur ce fil, certains pourront me dire où le replacer.)J'ai oublié de qui je le tiens, et qui en avait déjà fait l'analyse.
Jean-Henry Fabre (1823-1915) fut d'abord instituteur avant de devenir un grand naturaliste et écrivain (proposé pour le Prix Nobel de littérature), auteur des Souvenirs entomologiques. Il est bien plus connu au Japon où les écoliers étudient ses textes.
Issu d'une famille pauvre du rude plateau rouergat du Lévezou, il décrit dans le chapitre « Mon école » son premier contact avec la lecture. Il commence par décrire son école :
« Avec les sept ans, l'heure est venue d'aller à l'école. (.) Comment appellerai-je la salle où je devais faire connaissance avec l'alphabet ? Le terme juste ne se trouverait pas, car la pièce servait à tout. C'était à la fois, école, cuisine, chambre à coucher, réfectoire, et par moments poulailler, porcherie. »
(.) Que pouvions-nous apprendre à pareille école ? Parlons d'abord des jeunes, dont je faisais partie. Chacun de nous avait, ou plutôt était censé avoir entre les mains un petit livre de deux sous, l'alphabet, imprimé sur papier gris. Cela débutait, sur la couverture, par un pigeon ou quelque chose d'approchant. Venait après une croix, suivie de la série des lettres. La page tournée, se présentait le terrible ba, be, bi, bo ,bu, écueil du plus grand nombre. Ce redoutable feuillet franchi, nous étions censés savoir lire et admis parmi les grands.
Mais pour utiliser le petit livre, fallait-il au moins que le maître s'occupât un peu de nous et nous montrât de quelle manière il fallait s'y prendre. Le loisir manquait au brave homme, trop occupé par les grands. Le fameux alphabet à pigeon nous était imposé uniquement pour nous donner contenance d'écoliers. Nous devions le méditer sur notre banc, le déchiffrer à l'aide du voisin, si par hasard quelques lettres lui étaient connues. Nos méditations n'aboutissaient guère, à tout instant troublées par la visite aux pommes de terre des chaudrons, la dispute entre camarades pour une bille, l'invasion grognante des porcelets, l'arrivée des poussins. Ces distractions aidant, nous attendions avec patience que l'on nous fit sortir. C'était là notre travail le plus sérieux.
(.) Les grands écrivaient. (.) A eux le peu de lumière de la salle, (.) à eux la grande et unique table entourée de bancs. L'école ne fournissant rien, pas même une goutte d'encre, chacun devait arriver avec son complet outillage. L'encrier d'alors, (.) était un long étui de carton divisé en deux étages. Le compartiment supérieur recevait les plumes, venues de l'aile du dindon et de l'oie et taillées avec le canif ; l'inférieur contenait dans une petite fiole un peu d'encre obtenue avec de la suie délayée dans du vinaigre.
(.) Que lisait-on dans mon école ? - Tout au plus, en français, quelques morceaux d'histoire sainte. Le latin revenait plus souvent, pour nous apprendre à chanter à vêpres comme il se doit. Les plus avancés essayaient de déchiffrer le manuscrit, l'acte de vente, grimoire de quelque tabellion. »
Il décrit ensuite son maître à la fois barbier, sonneur de cloches, chantre au lutrin.
« Avec telle école, tel maître, tels exemples, que deviendront mes goûts naissants, à peine indiqués ? En ce milieu, ils doivent périr, étouffés pour toujours. Eh bien, non : le germe est vivace ; il me travaille les veines et n'en sortira plus. Il trouve aliment partout, jusque sur la couverture de mon alphabet de deux sous. Il y a là une rustique image de pigeon que j'étudie, que je médite avec bien plus de zèle que je ne fais de l'ABC.
(.) Ce qui ne progressait pas, c'était la connaissance des lettres, bien négligées pour le pigeon. J'en étais là, toujours inexpert au revêche alphabet, lorsque mon père, par une inspiration fortuite, m'apporta de la ville ce qui devait me donner l'élan dans la voie de la lecture. Malgré son rôle considérable dans mon éveil intellectuel, l'acquisition n'était pas ruineuse, oh ! non. C'était une grande image de six liards, coloriée et subdivisée en compartiments où des animaux de toutes sortes enseignaient la série des lettres par les initiales de leur nom.
(.) Cela débutait par l'âne, la sainte bête. Son nom, à grosse initiale, m'apprenait la lettre A. Le boeuf m'enseignait le B, le canard m'instruisait du C, le dindon faisait sonner le D. Ainsi des autres. Quelques compartiments, il est vrai, manquaient de clarté. J'étais en froideur avec l'hippopotame, le kamichi, le zébu, qui prétendaient me faire dire H, K et Z. Ces animaux étrangers, ne donnant pas à l'abstraction de la lettre l'appui d'une réalité connue, me firent hésiter quelque temps sur leurs récalcitrantes consonnes.
N'importe : le père intervenant dans les cas difficiles, les progrès furent rapides au point qu'en peu de jours je pouvais feuilleter avec fruit mon petit livre à pigeon, jusque-là indéchiffrable. J'étais initié, je savais épeler. Mes parents étaient émerveillés. Ce progrès inattendu, aujourd'hui je me l'explique. L'image révélatrice, me mettant en société des bêtes, concordait avec mes instincts. (.) Par d'autres voies j'y serai parvenu sans doute, mais non avec cette rapidité et cet agrément. »
Jean-Henri Fabre, Souvenirs entomologiques, sixième série, chapitre 4
Voici comment apprit à lire en 1830, dans une école rurale du Massif Central, celui qui deviendra bientôt un grand savant de son temps et dont les travaux continuent d'inspirer ceux de notre époque (voir la longue préface que lui consacre Yves Delange, du Muséum national d'histoire naturelle, dans mon édition de 1989 de chez Robert Laffont).
Pourquoi le petit Fabre n'arrive-t-il pas à apprendre à lire ?
Il a pour tout support un alphabet qui ressemble à l' « Alphabet chrétien» d'une quinzaine de pages, datant du milieu du XIXe siècle, dont J. N. Lalande fait la description dans son chapitre VII de « L'apprentissage de la langue écrite, du b-a ba à la b.d » (PUF, 1985).
Il s'agit de la plus ancienne des méthodes, en usage chez les Grecs et les Latins, et restée sans concurrence jusqu'au XVIIIe siècle où Nicolas Adam invente la méthode globale. C'est en fait la vraie méthode alphabétique (ou syllabique en raison de l'importance accordée à la syllabe).
A la première page des lettres succède la seconde page de syllabes : c'est le b-a ba.
On étudie d'abord les lettres dans l'ordre alphabétique, puis les syllabes, puis les mots d'une syllabe (coq, main, fort), puis les mots de deux syllabes, de trois syllabes avec des espacements intersyllabiques (sé mi nai re / dis ci pli ne), etc.
Enfin viennent les phrases.
La langue écrite est donc présentée comme un système autonome avec ses propres règles de fonctionnement, séparée de la langue orale car le petit Fabre semble incapable de relier ce code écrit aux mots du langage parlé. Les deux codes sont tellement séparés qu'on présente même des séries de syllabes dont certaines ne se prononcent pas de la même façon : CA CE (à lire KE) CI (à lire KI) CO CU ou GA GE GI GO GU.
Ce principe de priorité du code écrit sur le code oral est imputé par J.N. Lalande au prestige de la langue écrite qui est la forme administrative et culturelle du pouvoir à cette époque alors que la masse des gens, illettrée, utilise le patois dans la vie quotidienne. Même s'il n'y fait pas allusion, on peut supposer que J.H. Fabre parle tout le temps occitan: dans l'enquête du Ministère de l'Instruction publique de 1863 sur l'usage de la langue française, aucune des 282 communes de l'Aveyron ne parle le français (Eugen Weber, La fin des terroirs, la modernisation de la France rurale, 1870-1914, Fayard, 1983).
Non seulement Jean-Henri Fabre ne fait pas le rapport entre ce qui est écrit et le langage parlé mais il ne connaît même pas, semble-t-il, la prononciation des lettres puisqu'il est obligé de temps en temps de demander au voisin !
Ce qui l'a sauvé est donc cette fameuse image ramenée de la ville par son père.
Le fait qu'à une lettre soit associé un son, qui est le premier d'une série constituant un mot qu'il connaît, lui permet de relier le langage oral au langage écrit : en voyant la lettre A jointe au dessin de l'âne (ce qui suppose qu'il connaît quand même certains mots de français), il comprend comment ce signe se prononce et donc ce qu'est le langage écrit, transposition de la parole.
Enfin, il est à signaler que son goût pour les animaux l'a beaucoup aidé en motivant son intérêt.
Jean-Henry Fabre (1823-1915) fut d'abord instituteur avant de devenir un grand naturaliste et écrivain (proposé pour le Prix Nobel de littérature), auteur des Souvenirs entomologiques. Il est bien plus connu au Japon où les écoliers étudient ses textes.
Issu d'une famille pauvre du rude plateau rouergat du Lévezou, il décrit dans le chapitre « Mon école » son premier contact avec la lecture. Il commence par décrire son école :
« Avec les sept ans, l'heure est venue d'aller à l'école. (.) Comment appellerai-je la salle où je devais faire connaissance avec l'alphabet ? Le terme juste ne se trouverait pas, car la pièce servait à tout. C'était à la fois, école, cuisine, chambre à coucher, réfectoire, et par moments poulailler, porcherie. »
(.) Que pouvions-nous apprendre à pareille école ? Parlons d'abord des jeunes, dont je faisais partie. Chacun de nous avait, ou plutôt était censé avoir entre les mains un petit livre de deux sous, l'alphabet, imprimé sur papier gris. Cela débutait, sur la couverture, par un pigeon ou quelque chose d'approchant. Venait après une croix, suivie de la série des lettres. La page tournée, se présentait le terrible ba, be, bi, bo ,bu, écueil du plus grand nombre. Ce redoutable feuillet franchi, nous étions censés savoir lire et admis parmi les grands.
Mais pour utiliser le petit livre, fallait-il au moins que le maître s'occupât un peu de nous et nous montrât de quelle manière il fallait s'y prendre. Le loisir manquait au brave homme, trop occupé par les grands. Le fameux alphabet à pigeon nous était imposé uniquement pour nous donner contenance d'écoliers. Nous devions le méditer sur notre banc, le déchiffrer à l'aide du voisin, si par hasard quelques lettres lui étaient connues. Nos méditations n'aboutissaient guère, à tout instant troublées par la visite aux pommes de terre des chaudrons, la dispute entre camarades pour une bille, l'invasion grognante des porcelets, l'arrivée des poussins. Ces distractions aidant, nous attendions avec patience que l'on nous fit sortir. C'était là notre travail le plus sérieux.
(.) Les grands écrivaient. (.) A eux le peu de lumière de la salle, (.) à eux la grande et unique table entourée de bancs. L'école ne fournissant rien, pas même une goutte d'encre, chacun devait arriver avec son complet outillage. L'encrier d'alors, (.) était un long étui de carton divisé en deux étages. Le compartiment supérieur recevait les plumes, venues de l'aile du dindon et de l'oie et taillées avec le canif ; l'inférieur contenait dans une petite fiole un peu d'encre obtenue avec de la suie délayée dans du vinaigre.
(.) Que lisait-on dans mon école ? - Tout au plus, en français, quelques morceaux d'histoire sainte. Le latin revenait plus souvent, pour nous apprendre à chanter à vêpres comme il se doit. Les plus avancés essayaient de déchiffrer le manuscrit, l'acte de vente, grimoire de quelque tabellion. »
Il décrit ensuite son maître à la fois barbier, sonneur de cloches, chantre au lutrin.
« Avec telle école, tel maître, tels exemples, que deviendront mes goûts naissants, à peine indiqués ? En ce milieu, ils doivent périr, étouffés pour toujours. Eh bien, non : le germe est vivace ; il me travaille les veines et n'en sortira plus. Il trouve aliment partout, jusque sur la couverture de mon alphabet de deux sous. Il y a là une rustique image de pigeon que j'étudie, que je médite avec bien plus de zèle que je ne fais de l'ABC.
(.) Ce qui ne progressait pas, c'était la connaissance des lettres, bien négligées pour le pigeon. J'en étais là, toujours inexpert au revêche alphabet, lorsque mon père, par une inspiration fortuite, m'apporta de la ville ce qui devait me donner l'élan dans la voie de la lecture. Malgré son rôle considérable dans mon éveil intellectuel, l'acquisition n'était pas ruineuse, oh ! non. C'était une grande image de six liards, coloriée et subdivisée en compartiments où des animaux de toutes sortes enseignaient la série des lettres par les initiales de leur nom.
(.) Cela débutait par l'âne, la sainte bête. Son nom, à grosse initiale, m'apprenait la lettre A. Le boeuf m'enseignait le B, le canard m'instruisait du C, le dindon faisait sonner le D. Ainsi des autres. Quelques compartiments, il est vrai, manquaient de clarté. J'étais en froideur avec l'hippopotame, le kamichi, le zébu, qui prétendaient me faire dire H, K et Z. Ces animaux étrangers, ne donnant pas à l'abstraction de la lettre l'appui d'une réalité connue, me firent hésiter quelque temps sur leurs récalcitrantes consonnes.
N'importe : le père intervenant dans les cas difficiles, les progrès furent rapides au point qu'en peu de jours je pouvais feuilleter avec fruit mon petit livre à pigeon, jusque-là indéchiffrable. J'étais initié, je savais épeler. Mes parents étaient émerveillés. Ce progrès inattendu, aujourd'hui je me l'explique. L'image révélatrice, me mettant en société des bêtes, concordait avec mes instincts. (.) Par d'autres voies j'y serai parvenu sans doute, mais non avec cette rapidité et cet agrément. »
Jean-Henri Fabre, Souvenirs entomologiques, sixième série, chapitre 4
Voici comment apprit à lire en 1830, dans une école rurale du Massif Central, celui qui deviendra bientôt un grand savant de son temps et dont les travaux continuent d'inspirer ceux de notre époque (voir la longue préface que lui consacre Yves Delange, du Muséum national d'histoire naturelle, dans mon édition de 1989 de chez Robert Laffont).
Pourquoi le petit Fabre n'arrive-t-il pas à apprendre à lire ?
Il a pour tout support un alphabet qui ressemble à l' « Alphabet chrétien» d'une quinzaine de pages, datant du milieu du XIXe siècle, dont J. N. Lalande fait la description dans son chapitre VII de « L'apprentissage de la langue écrite, du b-a ba à la b.d » (PUF, 1985).
Il s'agit de la plus ancienne des méthodes, en usage chez les Grecs et les Latins, et restée sans concurrence jusqu'au XVIIIe siècle où Nicolas Adam invente la méthode globale. C'est en fait la vraie méthode alphabétique (ou syllabique en raison de l'importance accordée à la syllabe).
A la première page des lettres succède la seconde page de syllabes : c'est le b-a ba.
On étudie d'abord les lettres dans l'ordre alphabétique, puis les syllabes, puis les mots d'une syllabe (coq, main, fort), puis les mots de deux syllabes, de trois syllabes avec des espacements intersyllabiques (sé mi nai re / dis ci pli ne), etc.
Enfin viennent les phrases.
La langue écrite est donc présentée comme un système autonome avec ses propres règles de fonctionnement, séparée de la langue orale car le petit Fabre semble incapable de relier ce code écrit aux mots du langage parlé. Les deux codes sont tellement séparés qu'on présente même des séries de syllabes dont certaines ne se prononcent pas de la même façon : CA CE (à lire KE) CI (à lire KI) CO CU ou GA GE GI GO GU.
Ce principe de priorité du code écrit sur le code oral est imputé par J.N. Lalande au prestige de la langue écrite qui est la forme administrative et culturelle du pouvoir à cette époque alors que la masse des gens, illettrée, utilise le patois dans la vie quotidienne. Même s'il n'y fait pas allusion, on peut supposer que J.H. Fabre parle tout le temps occitan: dans l'enquête du Ministère de l'Instruction publique de 1863 sur l'usage de la langue française, aucune des 282 communes de l'Aveyron ne parle le français (Eugen Weber, La fin des terroirs, la modernisation de la France rurale, 1870-1914, Fayard, 1983).
Non seulement Jean-Henri Fabre ne fait pas le rapport entre ce qui est écrit et le langage parlé mais il ne connaît même pas, semble-t-il, la prononciation des lettres puisqu'il est obligé de temps en temps de demander au voisin !
Ce qui l'a sauvé est donc cette fameuse image ramenée de la ville par son père.
Le fait qu'à une lettre soit associé un son, qui est le premier d'une série constituant un mot qu'il connaît, lui permet de relier le langage oral au langage écrit : en voyant la lettre A jointe au dessin de l'âne (ce qui suppose qu'il connaît quand même certains mots de français), il comprend comment ce signe se prononce et donc ce qu'est le langage écrit, transposition de la parole.
Enfin, il est à signaler que son goût pour les animaux l'a beaucoup aidé en motivant son intérêt.
- LouisBarthasExpert
Ce texte est de moi. Je l'ai écrit il y plusieurs années pour le forum de Léo et Léa.adelaideaugusta a écrit:Je retrouve dans mes documents ce texte, que j'aime beaucoup (je l'ai déjà posté sur Néoprofs, mais je pense qu'on peut en discuter. S'il ne convient pas sur ce fil, certains pourront me dire où le replacer.)J'ai oublié de qui je le tiens, et qui en avait déjà fait l'analyse.
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Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. - Albert Camus
Aller apprendre l'ignorance à l'école, c'est une histoire qui ne s'invente pas ! - Alexandre Vialatte
À quels enfants allons-nous laisser le monde ? - Jaime Semprun
Comme si, tous ceux qui n'approuvent pas les nouveaux abus étaient évidemment partisans des anciens. - Edmund Burke
Versaillais de droite et Versaillais de gauche doivent être égaux devant la haine du peuple. - Manifeste des proscrits de la Commune
- Spinoza1670Esprit éclairé
Archivistes !
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« Let not any one pacify his conscience by the delusion that he can do no harm if he takes no part, and forms no opinion. Bad men need nothing more to compass their ends, than that good men should look on and do nothing. » (John Stuart Mill)
Littérature au primaire - Rédaction au primaire - Manuels anciens - Dessin au primaire - Apprendre à lire et à écrire - Maths au primaire - école : références - Leçons de choses.
- adelaideaugustaFidèle du forum
Merci, Spinoza, tu me flattes.Spinoza1670 a écrit:Archivistes !
Eh, oui.
Je me sens une âme d'archiviste. Ce mot sonne bien en bouche, je recherche ce qu'en dit Louis Barthas.
...mais je ne te viens pas à la cheville du pied.
- adelaideaugustaFidèle du forum
:LouisBarthas a écrit:Ce texte est de moi. Je l'ai écrit il y plusieurs années pour le forum de Léo et Léa.adelaideaugusta a écrit:Je retrouve dans mes documents ce texte, que j'aime beaucoup (je l'ai déjà posté sur Néoprofs, mais je pense qu'on peut en discuter. S'il ne convient pas sur ce fil, certains pourront me dire où le replacer.)J'ai oublié de qui je le tiens, et qui en avait déjà fait l'analyse.
- LouisBarthasExpert
(Revoici le texte après quelques corrections)
Jean-Henry Fabre (1823-1915) fut d'abord instituteur avant de devenir un grand naturaliste et écrivain (proposé pour le Prix Nobel de littérature), auteur des Souvenirs entomologiques. Il est bien plus connu au Japon où les écoliers étudient ses textes.
Issu d'une famille pauvre du rude plateau rouergat du Lévezou, il décrit dans le chapitre Mon école son premier contact avec la lecture. Il commence par peindre son école :
« Avec les sept ans, l'heure est venue d'aller à l'école. (...) Comment appellerai-je la salle où je devais faire connaissance avec l'alphabet ? Le terme juste ne se trouverait pas, car la pièce servait à tout. C'était à la fois, école, cuisine, chambre à coucher, réfectoire, et par moments poulailler, porcherie. (...)
Que pouvions-nous apprendre à pareille école ? Parlons d'abord des jeunes, dont je faisais partie. Chacun de nous avait, ou plutôt était censé avoir entre les mains un petit livre de deux sous, l'alphabet, imprimé sur papier gris. Cela débutait, sur la couverture, par un pigeon ou quelque chose d'approchant. Venait après une croix, suivie de la série des lettres. La page tournée, se présentait le terrible ba, be, bi, bo ,bu, écueil du plus grand nombre. Ce redoutable feuillet franchi, nous étions censés savoir lire et admis parmi les grands.
Mais pour utiliser le petit livre, fallait-il au moins que le maître s'occupât un peu de nous et nous montrât de quelle manière il fallait s'y prendre. Le loisir manquait au brave homme, trop occupé par les grands. Le fameux alphabet à pigeon nous était imposé uniquement pour nous donner contenance d'écoliers. Nous devions le méditer sur notre banc, le déchiffrer à l'aide du voisin, si par hasard quelques lettres lui étaient connues. Nos méditations n'aboutissaient guère, à tout instant troublées par la visite aux pommes de terre des chaudrons, la dispute entre camarades pour une bille, l'invasion grognante des porcelets, l'arrivée des poussins. Ces distractions aidant, nous attendions avec patience que l'on nous fît sortir. C'était là notre travail le plus sérieux. (...)
Les grands écrivaient. (...) A eux le peu de lumière de la salle, (...) à eux la grande et unique table entourée de bancs. L'école ne fournissant rien, pas même une goutte d'encre, chacun devait arriver avec son complet outillage. L'encrier d'alors, (...) était un long étui de carton divisé en deux étages. Le compartiment supérieur recevait les plumes, venues de l'aile du dindon et de l'oie et taillées avec le canif ; l'inférieur contenait dans une petite fiole un peu d'encre obtenue avec de la suie délayée dans du vinaigre. (...)
Que lisait-on dans mon école ? - Tout au plus, en français, quelques morceaux d'histoire sainte. Le latin revenait plus souvent, pour nous apprendre à chanter à vêpres comme il se doit. Les plus avancés essayaient de déchiffrer le manuscrit, l'acte de vente, grimoire de quelque tabellion. »
(Il décrit ensuite son maître à la fois barbier, sonneur de cloches, chantre au lutrin)
« Avec telle école, tel maître, tels exemples, que deviendront mes goûts naissants, à peine indiqués ? En ce milieu, ils doivent périr, étouffés pour toujours. Eh bien, non : le germe est vivace ; il me travaille les veines et n'en sortira plus. Il trouve aliment partout, jusque sur la couverture de mon alphabet de deux sous. Il y a là une rustique image de pigeon que j'étudie, que je médite avec bien plus de zèle que je ne fais de l'ABC. (...)
Ce qui ne progressait pas, c'était la connaissance des lettres, bien négligées pour le pigeon. J'en étais là, toujours inexpert au revêche alphabet, lorsque mon père, par une inspiration fortuite, m'apporta de la ville ce qui devait me donner l'élan dans la voie de la lecture. Malgré son rôle considérable dans mon éveil intellectuel, l'acquisition n'était pas ruineuse, oh ! non. C'était une grande image de six liards, coloriée et subdivisée en compartiments où des animaux de toutes sortes enseignaient la série des lettres par les initiales de leur nom. (...)
Cela débutait par l'âne, la sainte bête. Son nom, à grosse initiale, m'apprenait la lettre A. Le boeuf m'enseignait le B, le canard m'instruisait du C, le dindon faisait sonner le D. Ainsi des autres. Quelques compartiments, il est vrai, manquaient de clarté. J'étais en froideur avec l'hippopotame, le kamichi, le zébu, qui prétendaient me faire dire H, K et Z. Ces animaux étrangers, ne donnant pas à l'abstraction de la lettre l'appui d'une réalité connue, me firent hésiter quelque temps sur leurs récalcitrantes consonnes.
N'importe : le père intervenant dans les cas difficiles, les progrès furent rapides au point qu'en peu de jours je pouvais feuilleter avec fruit mon petit livre à pigeon, jusque-là indéchiffrable. J'étais initié, je savais épeler. Mes parents étaient émerveillés. Ce progrès inattendu, aujourd'hui je me l'explique. L'image révélatrice, me mettant en société des bêtes, concordait avec mes instincts. (...) Par d'autres voies j'y serais parvenu sans doute, mais non avec cette rapidité et cet agrément. »
Jean-Henri Fabre, Souvenirs entomologiques, sixième série - chapitre 4 (Robert Laffont, 1989)
Voici comment apprit à lire en 1830, dans une école rurale du Massif Central, celui qui deviendra bientôt un grand savant de son temps et dont les travaux continuent d'inspirer ceux de notre époque (voir la longue préface que lui consacre Yves Delange, du Muséum national d'histoire naturelle, dans mon édition de 1989 de chez Robert Laffont).
Pourquoi le petit Fabre n'arrive-t-il pas à apprendre à lire ?
Il a pour tout support un alphabet qui ressemble à l' « Alphabet chrétien» d'une quinzaine de pages, datant du milieu du XIXe siècle, dont Jean-Noël Lalande fait la description dans son chapitre VII de L'apprentissage de la langue écrite, du b-a ba à la b.d (PUF, 1985).
Il s'agit de la plus ancienne des méthodes, en usage chez les Grecs et les Latins, et restée sans concurrence jusqu'au XVIIIe siècle où Nicolas Adam invente la méthode globale. C'est en fait la vraie méthode alphabétique (ou syllabique en raison de l'importance accordée à la syllabe).
A la première page des lettres succède la seconde page de syllabes : c'est le b-a ba.
On étudie d'abord les lettres dans l'ordre alphabétique, puis les syllabes, puis les mots d'une syllabe (coq, main, fort), puis les mots de deux syllabes, de trois syllabes avec des espacements intersyllabiques (sé mi nai re / dis ci pli ne), etc.
Enfin viennent les phrases.
La langue écrite est donc présentée comme un système autonome avec ses propres règles de fonctionnement, séparée de la langue orale car le petit Fabre semble incapable de relier ce code écrit aux mots du langage parlé. Les deux codes sont tellement séparés qu'on présente même des séries de syllabes dont certaines ne se prononcent pas de la même façon : CA CE (à lire KE) CI (à lire KI) CO CU ou GA GE GI GO GU.
Ce principe de priorité du code écrit sur le code oral est imputé par J.N. Lalande au prestige de la langue écrite qui est la forme administrative et culturelle du pouvoir à cette époque alors que la masse des gens, illettrée, utilise le patois dans la vie quotidienne. Même s'il n'y fait pas allusion, on peut supposer que J.H. Fabre parle tout le temps occitan: dans l'enquête du Ministère de l'Instruction publique de 1863 sur l'usage de la langue française, aucune des 282 communes de l'Aveyron ne parle le français (Eugen Weber, La fin des terroirs, la modernisation de la France rurale, 1870-1914, Fayard, 1983).
Non seulement Jean-Henri Fabre ne fait pas le rapport entre ce qui est écrit et le langage parlé mais il ne connaît même pas, semble-t-il, la prononciation des lettres puisqu'il est obligé de temps en temps de demander au voisin !
Ce qui l'a sauvé est donc cette fameuse image ramenée de la ville par son père.
Le fait qu'une lettre soit associée à un son, qui est le premier d'une série constituant un mot qu'il connaît, lui permet de relier le langage oral au langage écrit : en voyant la lettre A jointe au dessin de l'âne (ce qui suppose qu'il connaît quand même certains mots de français), il comprend comment ce signe se prononce et donc ce qu'est le langage écrit, transposition de la parole.
Enfin, il est à signaler que son goût pour les animaux l'a beaucoup aidé dans cette découverte.
Jean-Henry Fabre (1823-1915) fut d'abord instituteur avant de devenir un grand naturaliste et écrivain (proposé pour le Prix Nobel de littérature), auteur des Souvenirs entomologiques. Il est bien plus connu au Japon où les écoliers étudient ses textes.
Issu d'une famille pauvre du rude plateau rouergat du Lévezou, il décrit dans le chapitre Mon école son premier contact avec la lecture. Il commence par peindre son école :
« Avec les sept ans, l'heure est venue d'aller à l'école. (...) Comment appellerai-je la salle où je devais faire connaissance avec l'alphabet ? Le terme juste ne se trouverait pas, car la pièce servait à tout. C'était à la fois, école, cuisine, chambre à coucher, réfectoire, et par moments poulailler, porcherie. (...)
Que pouvions-nous apprendre à pareille école ? Parlons d'abord des jeunes, dont je faisais partie. Chacun de nous avait, ou plutôt était censé avoir entre les mains un petit livre de deux sous, l'alphabet, imprimé sur papier gris. Cela débutait, sur la couverture, par un pigeon ou quelque chose d'approchant. Venait après une croix, suivie de la série des lettres. La page tournée, se présentait le terrible ba, be, bi, bo ,bu, écueil du plus grand nombre. Ce redoutable feuillet franchi, nous étions censés savoir lire et admis parmi les grands.
Mais pour utiliser le petit livre, fallait-il au moins que le maître s'occupât un peu de nous et nous montrât de quelle manière il fallait s'y prendre. Le loisir manquait au brave homme, trop occupé par les grands. Le fameux alphabet à pigeon nous était imposé uniquement pour nous donner contenance d'écoliers. Nous devions le méditer sur notre banc, le déchiffrer à l'aide du voisin, si par hasard quelques lettres lui étaient connues. Nos méditations n'aboutissaient guère, à tout instant troublées par la visite aux pommes de terre des chaudrons, la dispute entre camarades pour une bille, l'invasion grognante des porcelets, l'arrivée des poussins. Ces distractions aidant, nous attendions avec patience que l'on nous fît sortir. C'était là notre travail le plus sérieux. (...)
Les grands écrivaient. (...) A eux le peu de lumière de la salle, (...) à eux la grande et unique table entourée de bancs. L'école ne fournissant rien, pas même une goutte d'encre, chacun devait arriver avec son complet outillage. L'encrier d'alors, (...) était un long étui de carton divisé en deux étages. Le compartiment supérieur recevait les plumes, venues de l'aile du dindon et de l'oie et taillées avec le canif ; l'inférieur contenait dans une petite fiole un peu d'encre obtenue avec de la suie délayée dans du vinaigre. (...)
Que lisait-on dans mon école ? - Tout au plus, en français, quelques morceaux d'histoire sainte. Le latin revenait plus souvent, pour nous apprendre à chanter à vêpres comme il se doit. Les plus avancés essayaient de déchiffrer le manuscrit, l'acte de vente, grimoire de quelque tabellion. »
(Il décrit ensuite son maître à la fois barbier, sonneur de cloches, chantre au lutrin)
« Avec telle école, tel maître, tels exemples, que deviendront mes goûts naissants, à peine indiqués ? En ce milieu, ils doivent périr, étouffés pour toujours. Eh bien, non : le germe est vivace ; il me travaille les veines et n'en sortira plus. Il trouve aliment partout, jusque sur la couverture de mon alphabet de deux sous. Il y a là une rustique image de pigeon que j'étudie, que je médite avec bien plus de zèle que je ne fais de l'ABC. (...)
Ce qui ne progressait pas, c'était la connaissance des lettres, bien négligées pour le pigeon. J'en étais là, toujours inexpert au revêche alphabet, lorsque mon père, par une inspiration fortuite, m'apporta de la ville ce qui devait me donner l'élan dans la voie de la lecture. Malgré son rôle considérable dans mon éveil intellectuel, l'acquisition n'était pas ruineuse, oh ! non. C'était une grande image de six liards, coloriée et subdivisée en compartiments où des animaux de toutes sortes enseignaient la série des lettres par les initiales de leur nom. (...)
Cela débutait par l'âne, la sainte bête. Son nom, à grosse initiale, m'apprenait la lettre A. Le boeuf m'enseignait le B, le canard m'instruisait du C, le dindon faisait sonner le D. Ainsi des autres. Quelques compartiments, il est vrai, manquaient de clarté. J'étais en froideur avec l'hippopotame, le kamichi, le zébu, qui prétendaient me faire dire H, K et Z. Ces animaux étrangers, ne donnant pas à l'abstraction de la lettre l'appui d'une réalité connue, me firent hésiter quelque temps sur leurs récalcitrantes consonnes.
N'importe : le père intervenant dans les cas difficiles, les progrès furent rapides au point qu'en peu de jours je pouvais feuilleter avec fruit mon petit livre à pigeon, jusque-là indéchiffrable. J'étais initié, je savais épeler. Mes parents étaient émerveillés. Ce progrès inattendu, aujourd'hui je me l'explique. L'image révélatrice, me mettant en société des bêtes, concordait avec mes instincts. (...) Par d'autres voies j'y serais parvenu sans doute, mais non avec cette rapidité et cet agrément. »
Jean-Henri Fabre, Souvenirs entomologiques, sixième série - chapitre 4 (Robert Laffont, 1989)
Voici comment apprit à lire en 1830, dans une école rurale du Massif Central, celui qui deviendra bientôt un grand savant de son temps et dont les travaux continuent d'inspirer ceux de notre époque (voir la longue préface que lui consacre Yves Delange, du Muséum national d'histoire naturelle, dans mon édition de 1989 de chez Robert Laffont).
Pourquoi le petit Fabre n'arrive-t-il pas à apprendre à lire ?
Il a pour tout support un alphabet qui ressemble à l' « Alphabet chrétien» d'une quinzaine de pages, datant du milieu du XIXe siècle, dont Jean-Noël Lalande fait la description dans son chapitre VII de L'apprentissage de la langue écrite, du b-a ba à la b.d (PUF, 1985).
Il s'agit de la plus ancienne des méthodes, en usage chez les Grecs et les Latins, et restée sans concurrence jusqu'au XVIIIe siècle où Nicolas Adam invente la méthode globale. C'est en fait la vraie méthode alphabétique (ou syllabique en raison de l'importance accordée à la syllabe).
A la première page des lettres succède la seconde page de syllabes : c'est le b-a ba.
On étudie d'abord les lettres dans l'ordre alphabétique, puis les syllabes, puis les mots d'une syllabe (coq, main, fort), puis les mots de deux syllabes, de trois syllabes avec des espacements intersyllabiques (sé mi nai re / dis ci pli ne), etc.
Enfin viennent les phrases.
La langue écrite est donc présentée comme un système autonome avec ses propres règles de fonctionnement, séparée de la langue orale car le petit Fabre semble incapable de relier ce code écrit aux mots du langage parlé. Les deux codes sont tellement séparés qu'on présente même des séries de syllabes dont certaines ne se prononcent pas de la même façon : CA CE (à lire KE) CI (à lire KI) CO CU ou GA GE GI GO GU.
Ce principe de priorité du code écrit sur le code oral est imputé par J.N. Lalande au prestige de la langue écrite qui est la forme administrative et culturelle du pouvoir à cette époque alors que la masse des gens, illettrée, utilise le patois dans la vie quotidienne. Même s'il n'y fait pas allusion, on peut supposer que J.H. Fabre parle tout le temps occitan: dans l'enquête du Ministère de l'Instruction publique de 1863 sur l'usage de la langue française, aucune des 282 communes de l'Aveyron ne parle le français (Eugen Weber, La fin des terroirs, la modernisation de la France rurale, 1870-1914, Fayard, 1983).
Non seulement Jean-Henri Fabre ne fait pas le rapport entre ce qui est écrit et le langage parlé mais il ne connaît même pas, semble-t-il, la prononciation des lettres puisqu'il est obligé de temps en temps de demander au voisin !
Ce qui l'a sauvé est donc cette fameuse image ramenée de la ville par son père.
Le fait qu'une lettre soit associée à un son, qui est le premier d'une série constituant un mot qu'il connaît, lui permet de relier le langage oral au langage écrit : en voyant la lettre A jointe au dessin de l'âne (ce qui suppose qu'il connaît quand même certains mots de français), il comprend comment ce signe se prononce et donc ce qu'est le langage écrit, transposition de la parole.
Enfin, il est à signaler que son goût pour les animaux l'a beaucoup aidé dans cette découverte.
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Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. - Albert Camus
Aller apprendre l'ignorance à l'école, c'est une histoire qui ne s'invente pas ! - Alexandre Vialatte
À quels enfants allons-nous laisser le monde ? - Jaime Semprun
Comme si, tous ceux qui n'approuvent pas les nouveaux abus étaient évidemment partisans des anciens. - Edmund Burke
Versaillais de droite et Versaillais de gauche doivent être égaux devant la haine du peuple. - Manifeste des proscrits de la Commune
- Spinoza1670Esprit éclairé
Archive archivée : http://ecolereferences.blogspot.com/2013/10/abecedaire-en-images-comment-jean-henri.html
(Au fait, ça fait un moment que je pense à créer un blog spécialisé dans la lecture.)
(Au fait, ça fait un moment que je pense à créer un blog spécialisé dans la lecture.)
_________________
« Let not any one pacify his conscience by the delusion that he can do no harm if he takes no part, and forms no opinion. Bad men need nothing more to compass their ends, than that good men should look on and do nothing. » (John Stuart Mill)
Littérature au primaire - Rédaction au primaire - Manuels anciens - Dessin au primaire - Apprendre à lire et à écrire - Maths au primaire - école : références - Leçons de choses.
- LouisBarthasExpert
Très bonne idée l'abécédaire joint, Spinoza. Où l'on retrouve l'âne et le canard !Spinoza1670 a écrit:Archive archivée : http://ecolereferences.blogspot.com/2013/10/abecedaire-en-images-comment-jean-henri.html
(Au fait, ça fait un moment que je pense à créer un blog spécialisé dans la lecture.)
:acl:
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Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. - Albert Camus
Aller apprendre l'ignorance à l'école, c'est une histoire qui ne s'invente pas ! - Alexandre Vialatte
À quels enfants allons-nous laisser le monde ? - Jaime Semprun
Comme si, tous ceux qui n'approuvent pas les nouveaux abus étaient évidemment partisans des anciens. - Edmund Burke
Versaillais de droite et Versaillais de gauche doivent être égaux devant la haine du peuple. - Manifeste des proscrits de la Commune
- Spinoza1670Esprit éclairé
Mais pas le kamichi. Je viens de chercher : simple bipède à plumes ?
Non ! Quand il a envie de dormir, il se transforme :
Non ! Quand il a envie de dormir, il se transforme :
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- Spinoza1670Esprit éclairé
Il faut p-ê rajouter :
* Pilou et Lalie cf. https://www.neoprofs.org/t66896-methode-boscher-quel-expert-en-voudrait#2224934
* le bonheur de lire (Françoise Boulanger) --> http://www.lebonheurdelire.org/content/publications
* Je saurai lire vite et bien --> départ alphabétique
* Pilou et Lalie cf. https://www.neoprofs.org/t66896-methode-boscher-quel-expert-en-voudrait#2224934
* le bonheur de lire (Françoise Boulanger) --> http://www.lebonheurdelire.org/content/publications
* Je saurai lire vite et bien --> départ alphabétique
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- coindeparadisGuide spirituel
L'arbre aux sons, que je n'ai jamais trouvé en librairie, est-elle une méthode de lecture pour la classe ou un cahier "domestique" ?
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Ne t'excuse jamais d'être ce que tu es. Gandhi
- Spinoza1670Esprit éclairé
Il faut en parler à ton libraire. Méthode qui marche bien, ludique, à conseiller aux parents.coindeparadis a écrit:L'arbre aux sons, que je n'ai jamais trouvé en librairie, est-elle une méthode de lecture pour la classe ou un cahier "domestique" ?
C'est plus pour la maison d'après la préface, mais c'est une méthode de lecture à part entière (. Il y a beaucoup de phono, un peu d'écriture (graphisme), beaucoup de compréhension et la partie lecture code est aussi très bien faite. C'est vraiment bien étudié. Le seul petit bémol : pas de personnages sympathiques récurrents qui vivent leurs petites aventures, mais les histoires (il n'y a pas que des histoires d'ailleurs : catalogues de Noël, fiches docs, etc) sont tout de même très vivantes et très variées. Ca vaut le coup et le coût, ne serait-ce que comme complément à une autre méthode (banque de textes et d'exercices).
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« Let not any one pacify his conscience by the delusion that he can do no harm if he takes no part, and forms no opinion. Bad men need nothing more to compass their ends, than that good men should look on and do nothing. » (John Stuart Mill)
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- coindeparadisGuide spirituel
L'enseignement de la lecture dans les pays russophones. Je me suis penchée sur ce sujet (avec l'aide d'un professeur russe) quand une mère d'élève m'a reproché en novembre de ne pas avoir enseigné toutes les lettres à sa fille.
L'alphabet (un peu plus complexe que le nôtre) est enseigné lettre par lettre. Les abécédaires sont beaucoup utilisés tant à l'école qu'en classe. On lit aussi beaucoup de contes traditionnels aux enfants. L'enseignement de l'écriture se fait en parallèle: essentiellement en cursive. Les élèves font aussi beaucoup d'exercices préparatoires à l'écriture de type "frises". Lorsque l'alphabet est maîtrisé on aborde la combinatoire. Même si elle reste plus simple que celle de la langue française, certains signes (mous, durs...) peuvent modifier un son. En janvier les élèves lisent de petits textes, petites histoires souvent issues du patrimoine. On aborde alors la grammaire et l'orthographe de manière plus approfondie qu'on ne le fait actuellement dans nos CP (on se rapproche de ce que proposait le Maquet). Et ce sachant que la grammaire russe est complexe (trois genres, des déclinaisons...). A la fin de l'année, les élèves lisent couramment, sauf exception (au singulier), des petits livres. Les effectifs des classes sont de 40 à 45 élèves. Il est intéressant de noter que l'on apprend à lire à 7 ans et que l'école maternelle (le "sadik") est en fait un jardin d'enfants. Pour avoir eu des CP venant d'un sadik, il y a un monde entre eux et nos élèves issus de GS françaises. Aucune préparation à la lecture, à l'écriture , de prémathématiques. On joue, on bouge, (les "sadik" ont des cours remplies de toboggans, cages à poules, poutres, tunnels... car le sport est valorisé), on patouille un peu. Malgré cela l'apprentissage de la lecture se fait sans problème. A réfléchir ...
L'alphabet (un peu plus complexe que le nôtre) est enseigné lettre par lettre. Les abécédaires sont beaucoup utilisés tant à l'école qu'en classe. On lit aussi beaucoup de contes traditionnels aux enfants. L'enseignement de l'écriture se fait en parallèle: essentiellement en cursive. Les élèves font aussi beaucoup d'exercices préparatoires à l'écriture de type "frises". Lorsque l'alphabet est maîtrisé on aborde la combinatoire. Même si elle reste plus simple que celle de la langue française, certains signes (mous, durs...) peuvent modifier un son. En janvier les élèves lisent de petits textes, petites histoires souvent issues du patrimoine. On aborde alors la grammaire et l'orthographe de manière plus approfondie qu'on ne le fait actuellement dans nos CP (on se rapproche de ce que proposait le Maquet). Et ce sachant que la grammaire russe est complexe (trois genres, des déclinaisons...). A la fin de l'année, les élèves lisent couramment, sauf exception (au singulier), des petits livres. Les effectifs des classes sont de 40 à 45 élèves. Il est intéressant de noter que l'on apprend à lire à 7 ans et que l'école maternelle (le "sadik") est en fait un jardin d'enfants. Pour avoir eu des CP venant d'un sadik, il y a un monde entre eux et nos élèves issus de GS françaises. Aucune préparation à la lecture, à l'écriture , de prémathématiques. On joue, on bouge, (les "sadik" ont des cours remplies de toboggans, cages à poules, poutres, tunnels... car le sport est valorisé), on patouille un peu. Malgré cela l'apprentissage de la lecture se fait sans problème. A réfléchir ...
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Ne t'excuse jamais d'être ce que tu es. Gandhi
- ZaubetteExpert
... plus tard on "entre en lecture", mieux on apprend.... à méditer, oui.
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Mon blog: Zaubette, une maitresse qui ouvre son cartable
- coindeparadisGuide spirituel
3 ans pour apprendre à lire, il y a de quoi perdre en suspens, mystère, magie...
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Ne t'excuse jamais d'être ce que tu es. Gandhi
- ZaubetteExpert
pleurons ensemble....
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Mon blog: Zaubette, une maitresse qui ouvre son cartable
- BoubousNiveau 6
Pouvez-vous préciser un peu ?coindeparadis a écrit: L'enseignement de la lecture dans les pays russophones.Je me suis penchée sur ce sujet (avec l'aide d'un professeur russe) quand une mère d'élève m'a reproché en novembre de ne pas avoir enseigné toutes les lettres à sa fille.
Le système scolaire dans les pays de l’ex-URSS était très inégalitaire et les pratiques étaient très différentes d’un pays à l’autre. Donc, j’ai du mal à croire que l’apprentissage de la lecture se faisait sans problème pour tout le monde.
- coindeparadisGuide spirituel
L'enseignement de la lecture est très standardisé, comme celui des mathématiques, vieux reste du totalitarisme soviétique, réalimenté par des régimes dictatoriaux.
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Ne t'excuse jamais d'être ce que tu es. Gandhi
- profecolesHabitué du forum
la dernière étude sur le sujet :
http://www.uvsq.fr/medias/fichier/rapport-enquete-lecture_1384503420148-pdf
et sa conclusion :
Notre enquête confirme à son tour que la réussite des apprentissages au CP est à la mesure de
la place faite au travail sur le code. Elle permet toutefois de préciser que toutes les approches
du code sont loin de se valoir, montrant que la question principale de la didactique de la
lecture aujourd’hui n’est plus de savoir s’il convient ou non de faire place à l’étude du code,
mais de la façon d’aborder cette étude. Ce sont les classes dans lesquelles l’apprentissage est
résolument centré sur le déchiffrage, considéré comme la clé de l’accès au sens, et organise
son étude de façon progressive et systématique, l’élève pouvant déchiffrer de façon autonome
tout ce qu’on lui propose à lire, sans recours à la lecture devinette, qui obtiennent des résultats
dont la supériorité est statistiquement bien établie. La fluidité du déchiffrage s’avère
difficilement séparable, dans ces résultats, de l’appréhension du sens.
La présence dans l’enquête de quelques classes utilisant des manuels de la méthode syllabique
et obtenant des résultats médiocres aurait pu, même si ces derniers ne suffisent pas à modifier
la tendance statistique principale, affaiblir la portée de cette conclusion. Paradoxalement, ces
classes « déviantes » viennent au contraire la renforcer, puisqu’il s’avère que les enseignants
qui les ont en charge ont dérogé aux principes d’apprentissage dont notre enquête souligne
l’efficacité supérieure.
L’observation des effets-classes met en relief, du même coup, un aspect complémentaire des
données collectées. L’analyse des variations du rendement pédagogique des manuels ne
renvoie pas à une opposition bloc à bloc entre méthode mixte et méthode syllabique. Tous les
manuels de la mixte n’ont pas le même rendement, et il en va de même des manuels de la
syllabique. En réalité, il semble que ce soit la même loi, selon laquelle le rendement d’un
apprentissage de la lecture est à la mesure de la priorité donnée au déchiffrage et de
l’efficacité de son enseignement, qui explique à la fois l’efficacité supérieure de la syllabique
et les différences de rendement des manuels au sein tant des méthodes mixtes que des
méthodes syllabiques.
http://www.uvsq.fr/medias/fichier/rapport-enquete-lecture_1384503420148-pdf
et sa conclusion :
Notre enquête confirme à son tour que la réussite des apprentissages au CP est à la mesure de
la place faite au travail sur le code. Elle permet toutefois de préciser que toutes les approches
du code sont loin de se valoir, montrant que la question principale de la didactique de la
lecture aujourd’hui n’est plus de savoir s’il convient ou non de faire place à l’étude du code,
mais de la façon d’aborder cette étude. Ce sont les classes dans lesquelles l’apprentissage est
résolument centré sur le déchiffrage, considéré comme la clé de l’accès au sens, et organise
son étude de façon progressive et systématique, l’élève pouvant déchiffrer de façon autonome
tout ce qu’on lui propose à lire, sans recours à la lecture devinette, qui obtiennent des résultats
dont la supériorité est statistiquement bien établie. La fluidité du déchiffrage s’avère
difficilement séparable, dans ces résultats, de l’appréhension du sens.
La présence dans l’enquête de quelques classes utilisant des manuels de la méthode syllabique
et obtenant des résultats médiocres aurait pu, même si ces derniers ne suffisent pas à modifier
la tendance statistique principale, affaiblir la portée de cette conclusion. Paradoxalement, ces
classes « déviantes » viennent au contraire la renforcer, puisqu’il s’avère que les enseignants
qui les ont en charge ont dérogé aux principes d’apprentissage dont notre enquête souligne
l’efficacité supérieure.
L’observation des effets-classes met en relief, du même coup, un aspect complémentaire des
données collectées. L’analyse des variations du rendement pédagogique des manuels ne
renvoie pas à une opposition bloc à bloc entre méthode mixte et méthode syllabique. Tous les
manuels de la mixte n’ont pas le même rendement, et il en va de même des manuels de la
syllabique. En réalité, il semble que ce soit la même loi, selon laquelle le rendement d’un
apprentissage de la lecture est à la mesure de la priorité donnée au déchiffrage et de
l’efficacité de son enseignement, qui explique à la fois l’efficacité supérieure de la syllabique
et les différences de rendement des manuels au sein tant des méthodes mixtes que des
méthodes syllabiques.
- profecolesHabitué du forum
Ces dernières phrases viennent confirmer ce que les pros du CP claironnent ici sur tous les tons. Mais ce n'est peut-être pas le bon forum pour poster cette conclusion d'enquête (Je prêche des convaincus) :
Au plan plus général de la confrontation de l’institution scolaire aux inégalités sociales, cette
enquête débouche sur deux constats de forte signification.
Elle souligne d’abord l’importance des marges de jeu dont dispose l’école face au poids des
héritages culturels. Certes, ceux-ci ne se font jamais oublier, même dans les classes les plus
performantes : mais leur impact y est considérablement réduit. Il existe donc des moyens
sérieux de lutter contre les déterminismes sociaux, et l’institution scolaire ne saurait se
satisfaire de prendre acte d’inégalités qui ne dépendent pas d’elle pour les transformer en
inégalités scolaires22.
En second lieu il est frappant de constater que le manuel qui se révèle le plus efficient avec les
élèves des milieux les plus défavorisés soit aussi le plus exigeant non seulement dans
l’apprentissage technique du code, mais aussi dans ses contenus intellectuels, de par
l’ambition lexicale et littéraire des textes qu’il propose à la lecture des élèves.
Notre recherche contredit à cet égard, sous un double aspect, les orientations du « Plan de
rénovation de l’enseignement du français à l’école élémentaire » (1971) qui a inspiré les
instructions officielles de 197223. Les auteurs de ce plan plaçaient leurs espoirs de
démocratisation de l’école dans une approche de la culture écrite qui, d’une part, donnerait la
primauté à la compréhension sur le décodage, et éviterait d’autre part « les savoirs abstraits et
la ‘performance’ littéraire », inaccessibles aux publics populaires du fait de l’insuffisance de
leurs ressources culturelles et cognitives. Or on voit ici, quarante après, d’abord que
déchiffrage et compréhension sont indissociables, l’accès au sens exigeant une grande
habileté dans le déchiffrage ; et ensuite que la meilleure progression des publics populaires
suppose une grande exigence à leur égard, tant en ce qui concerne la rigueur dans la qualité du
déchiffrage que pour ce qui est de la richesse lexicale et littéraire des contenus.
Ces observations rappellent a contrario combien la culture professionnelle des enseignants du
primaire reste aujourd’hui fortement marquée par la thématique de la rénovation pédagogique
des années 1970/80. L’apprentissage du déchiffrage est souvent vécu comme le « sale
boulot » de l’enseignement de la lecture, comme un temps soustrait à l’essentiel, le travail sur
la compréhension, dont les publics populaires sont estimés avoir un besoin prioritaire. Ce qui
explique sans doute la diffusion si paradoxalement faible de la méthode syllabique dans les
quartiers les plus défavorisés, comme nous l’avons constaté.
Peut-on espérer, dans ce contexte, que seront entreprises des recherches sur l’apprentissage de
la lecture portant sur de plus vastes effectifs que la nôtre, qui permettraient une mesure
précise des effets-maître, de l’impact de la formation initiale et de l’ancienneté dans le métier ; et qui ne renonceraient pas a priori, au nom de la liberté pédagogique des enseignants
(comme si celle-ci n’avait pas tout à gagner à s’exercer de façon mieux informée), à
interroger le rôle des manuels, dont notre enquête révèle le poids si crucial ?
Rappelons qu’actuellement, loin de compenser les inégalités socioculturelles, l’école élémentaire les
accompagne, et fait peut-être plus que les subir : les écarts culturels et cognitifs moyens entre un enfant de cadre
et un enfant d’ouvrier sont multipliés par deux entre l’entrée au CP et la sortie du CM2 (voir Jean-Paul Caille et
Fabienne Rosenwald, « Les inégalités de réussite à l’école élémentaire : construction et évolution », France,
portrait social, INSEE, 2006). Lesquelles ont ouvert la voie à la grande modernisation pédagogique du système éducatif en France dans les
années 1970/80.
Au plan plus général de la confrontation de l’institution scolaire aux inégalités sociales, cette
enquête débouche sur deux constats de forte signification.
Elle souligne d’abord l’importance des marges de jeu dont dispose l’école face au poids des
héritages culturels. Certes, ceux-ci ne se font jamais oublier, même dans les classes les plus
performantes : mais leur impact y est considérablement réduit. Il existe donc des moyens
sérieux de lutter contre les déterminismes sociaux, et l’institution scolaire ne saurait se
satisfaire de prendre acte d’inégalités qui ne dépendent pas d’elle pour les transformer en
inégalités scolaires22.
En second lieu il est frappant de constater que le manuel qui se révèle le plus efficient avec les
élèves des milieux les plus défavorisés soit aussi le plus exigeant non seulement dans
l’apprentissage technique du code, mais aussi dans ses contenus intellectuels, de par
l’ambition lexicale et littéraire des textes qu’il propose à la lecture des élèves.
Notre recherche contredit à cet égard, sous un double aspect, les orientations du « Plan de
rénovation de l’enseignement du français à l’école élémentaire » (1971) qui a inspiré les
instructions officielles de 197223. Les auteurs de ce plan plaçaient leurs espoirs de
démocratisation de l’école dans une approche de la culture écrite qui, d’une part, donnerait la
primauté à la compréhension sur le décodage, et éviterait d’autre part « les savoirs abstraits et
la ‘performance’ littéraire », inaccessibles aux publics populaires du fait de l’insuffisance de
leurs ressources culturelles et cognitives. Or on voit ici, quarante après, d’abord que
déchiffrage et compréhension sont indissociables, l’accès au sens exigeant une grande
habileté dans le déchiffrage ; et ensuite que la meilleure progression des publics populaires
suppose une grande exigence à leur égard, tant en ce qui concerne la rigueur dans la qualité du
déchiffrage que pour ce qui est de la richesse lexicale et littéraire des contenus.
Ces observations rappellent a contrario combien la culture professionnelle des enseignants du
primaire reste aujourd’hui fortement marquée par la thématique de la rénovation pédagogique
des années 1970/80. L’apprentissage du déchiffrage est souvent vécu comme le « sale
boulot » de l’enseignement de la lecture, comme un temps soustrait à l’essentiel, le travail sur
la compréhension, dont les publics populaires sont estimés avoir un besoin prioritaire. Ce qui
explique sans doute la diffusion si paradoxalement faible de la méthode syllabique dans les
quartiers les plus défavorisés, comme nous l’avons constaté.
Peut-on espérer, dans ce contexte, que seront entreprises des recherches sur l’apprentissage de
la lecture portant sur de plus vastes effectifs que la nôtre, qui permettraient une mesure
précise des effets-maître, de l’impact de la formation initiale et de l’ancienneté dans le métier ; et qui ne renonceraient pas a priori, au nom de la liberté pédagogique des enseignants
(comme si celle-ci n’avait pas tout à gagner à s’exercer de façon mieux informée), à
interroger le rôle des manuels, dont notre enquête révèle le poids si crucial ?
Rappelons qu’actuellement, loin de compenser les inégalités socioculturelles, l’école élémentaire les
accompagne, et fait peut-être plus que les subir : les écarts culturels et cognitifs moyens entre un enfant de cadre
et un enfant d’ouvrier sont multipliés par deux entre l’entrée au CP et la sortie du CM2 (voir Jean-Paul Caille et
Fabienne Rosenwald, « Les inégalités de réussite à l’école élémentaire : construction et évolution », France,
portrait social, INSEE, 2006). Lesquelles ont ouvert la voie à la grande modernisation pédagogique du système éducatif en France dans les
années 1970/80.
- profecolesHabitué du forum
Au fait, ils n'ont pas le même classement que nos "pros" du CP :
Bulle et Taoki sont considérées comme des méthodes mixtes.
Bulle et Taoki sont considérées comme des méthodes mixtes.
- SapotilleEmpereur
Profécoles, quand tu postes un grand texte aussi passionnant à lire, Tu ne pourrais pas aller à la ligne quelques fois et même passer une ligne de temps en temps ?
Parce que là, "aïe, mes yeux" !!!
Merci pour ce texte vraiment intéressant ...
Parce que là, "aïe, mes yeux" !!!
Merci pour ce texte vraiment intéressant ...
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