- Marguerite VNiveau 6
Bonjour,
Dans la préface des Caractères et dans son discours de réception à l'Académie française, La Bruyère proteste contre les lectures "à clefs" de son oeuvre, qu'il qualifie de "maligne(s) interprétation(s)" (préface). Dans son discours de réception à l'Académie française, il critique "ceux qui (...) s'appliquent à découvrir, s'ils le peuvent, quels de leurs amis ou de leurs ennemi ces traits peuvent regarder." Il précise aussi un peu plus bas : "j'avais pris la précaution de protester dans une préface contre toutes ces interprétations" et affirme enfin : "je ne suis ni auteur ni complice de ces clefs qui courent."
Dans ce même discours, La Bruyère évoque à plusieurs reprise les "Théobaldes" pour désigner ceux qui ne cessent de le critiquer, ces "vieux corbeaux croass(ant)".
Je cherche à savoir d'où vient ce terme de "Théobalde(s)", qui semble être, selon Marc Escola, un emploi antonomastique. Il me semble alors que ce terme serait en lien avec le portait de Théobalde (remarque 66 du chapitre "De la société et la conversation"). Les "Théobaldes" seraient donc tous ces hommes de lettres qui se comportent "à la manière de" Théobalde. seulement voilà : j'ai beaucoup de mal à interpréter ce portrait, même si j'y vois beaucoup d'ironie. Les seuls indices que je parviens à trouver ça et là sur ce portrait vont à l'encontre du lecteur idéal espéré par La Bruyère, puisqu'on lit à peu près partout que ce portrait de Théobalde renverrait au "brillant mais vieilli" (notes de l'édition Folio Classique) Benserade, auteur que La Bruyère cite explicitement dans la dernière remarque du chapitre "De quelques usages" lorsqu'il évoque la Querelle des Anciens et des Modernes. Il qualifie ici l'oeuvre de Benserade d'"excellent ouvrage" et il ne me semble pas que ce point de vue soit ironique.
Bref, tout cela me semble confus et je sollicite les lumières de qqun qui connaissait mieux La Bruyère que moi :
-Le terme "Théobalde(s)"est-il bien un emploi antonomastique ?
-Est-il en lien avec le portrait de Théobalde (rem. 66 "De la société et la conversation...") ?
-Ce portrait est-il en lien avec Benserade ? Quels seraient les liens ente La Bruyère et Benserade ?
-Quelqu'un a-t-il une idée d'où peut venir ce nom de "Théobalde" ?
-Enfin, quelqu'un pourrait-il m'aider à interpréter ce fameux portrait de Théobalde (reproduit ci-dessous) ? J'y vois bien évidemment la critique du fait que l'on "gobe" facilement tout ce que raconte quelqu'un pourvu qu'il soit "à la mode" sans exercer son esprit critique, mais encore ?
Par avance, merci !
Je le sais, Théobalde, vous êtes vieilli ; mais voudriez-vous que je crusse que vous êtes baissé, que vous n'êtes plus poète ni bel esprit, que vous êtes présentement aussi mauvais juge de tout genre d'ouvrage que méchant auteur, que vous n'avez plus rien de naïf et de délicat dans la conversation ? Votre air libre et présomptueux me rassure, et me persuade tout le contraire. Vous êtes donc aujourd'hui tout ce que vous fûtes jamais, et peut-être meilleur ; car si à votre âge vous êtes si vif et si impétueux, quel nom, Théobalde, fallait-il vous donner dans votre jeunesse, et lorsque vous étiez la coqueluche ou l'entêtement de certaines femmes qui ne juraient que par vous et sur votre parole, qui disaient : Cela est délicieux ; qu'a-t-il dit ?
Dans la préface des Caractères et dans son discours de réception à l'Académie française, La Bruyère proteste contre les lectures "à clefs" de son oeuvre, qu'il qualifie de "maligne(s) interprétation(s)" (préface). Dans son discours de réception à l'Académie française, il critique "ceux qui (...) s'appliquent à découvrir, s'ils le peuvent, quels de leurs amis ou de leurs ennemi ces traits peuvent regarder." Il précise aussi un peu plus bas : "j'avais pris la précaution de protester dans une préface contre toutes ces interprétations" et affirme enfin : "je ne suis ni auteur ni complice de ces clefs qui courent."
Dans ce même discours, La Bruyère évoque à plusieurs reprise les "Théobaldes" pour désigner ceux qui ne cessent de le critiquer, ces "vieux corbeaux croass(ant)".
Je cherche à savoir d'où vient ce terme de "Théobalde(s)", qui semble être, selon Marc Escola, un emploi antonomastique. Il me semble alors que ce terme serait en lien avec le portait de Théobalde (remarque 66 du chapitre "De la société et la conversation"). Les "Théobaldes" seraient donc tous ces hommes de lettres qui se comportent "à la manière de" Théobalde. seulement voilà : j'ai beaucoup de mal à interpréter ce portrait, même si j'y vois beaucoup d'ironie. Les seuls indices que je parviens à trouver ça et là sur ce portrait vont à l'encontre du lecteur idéal espéré par La Bruyère, puisqu'on lit à peu près partout que ce portrait de Théobalde renverrait au "brillant mais vieilli" (notes de l'édition Folio Classique) Benserade, auteur que La Bruyère cite explicitement dans la dernière remarque du chapitre "De quelques usages" lorsqu'il évoque la Querelle des Anciens et des Modernes. Il qualifie ici l'oeuvre de Benserade d'"excellent ouvrage" et il ne me semble pas que ce point de vue soit ironique.
Bref, tout cela me semble confus et je sollicite les lumières de qqun qui connaissait mieux La Bruyère que moi :
-Le terme "Théobalde(s)"est-il bien un emploi antonomastique ?
-Est-il en lien avec le portrait de Théobalde (rem. 66 "De la société et la conversation...") ?
-Ce portrait est-il en lien avec Benserade ? Quels seraient les liens ente La Bruyère et Benserade ?
-Quelqu'un a-t-il une idée d'où peut venir ce nom de "Théobalde" ?
-Enfin, quelqu'un pourrait-il m'aider à interpréter ce fameux portrait de Théobalde (reproduit ci-dessous) ? J'y vois bien évidemment la critique du fait que l'on "gobe" facilement tout ce que raconte quelqu'un pourvu qu'il soit "à la mode" sans exercer son esprit critique, mais encore ?
Par avance, merci !
Je le sais, Théobalde, vous êtes vieilli ; mais voudriez-vous que je crusse que vous êtes baissé, que vous n'êtes plus poète ni bel esprit, que vous êtes présentement aussi mauvais juge de tout genre d'ouvrage que méchant auteur, que vous n'avez plus rien de naïf et de délicat dans la conversation ? Votre air libre et présomptueux me rassure, et me persuade tout le contraire. Vous êtes donc aujourd'hui tout ce que vous fûtes jamais, et peut-être meilleur ; car si à votre âge vous êtes si vif et si impétueux, quel nom, Théobalde, fallait-il vous donner dans votre jeunesse, et lorsque vous étiez la coqueluche ou l'entêtement de certaines femmes qui ne juraient que par vous et sur votre parole, qui disaient : Cela est délicieux ; qu'a-t-il dit ?
- AnaxagoreGuide spirituel
Je crois que les réponses se préparent, mais qu'il faut du café.
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"De même que notre esprit devient plus fort grâce à la communication avec les esprits vigoureux et raisonnables, de même on ne peut pas dire combien il s'abâtardit par le commerce continuel et la fréquentation que nous avons des esprits bas et maladifs." Montaigne
"Woland fit un signe de la main, et Jérusalem s'éteignit."
"On déclame contre les passions sans songer que c'est à leur flambeau que la philosophie allume le sien." Sade
- RyuzakiNiveau 9
Je ne saurais répondre à toutes les questions, mais pour ce qui est du portrait, j'y vois une satire de la fausse modestie d'un critique qui se plaint d'avoir perdu son talent en vieillissant, alors que son attitude montre qu'il reste très sûr de lui. On imagine bien chez lui une tendance à utiliser son autorité, notamment auprès des femmes, pour juger de manière péremptoire et censurer ses confrères ("vif et impétueux"). Et le portrait se termine, comme tu l'as dit, sur une nouvelle satire, cette fois celle des femmes qui admirent quelque chose avant même de savoir de quoi il s'agit.
Sinon, étant donné que La Bruyère met justement en garde contre les lectures à clés, je ne sais pas si c'est vraiment pertinent de se demander si Théobalde est ou n'est pas Benserade.
Sinon, étant donné que La Bruyère met justement en garde contre les lectures à clés, je ne sais pas si c'est vraiment pertinent de se demander si Théobalde est ou n'est pas Benserade.
- NadejdaGrand sage
Tu trouveras peut-être des pistes dans l'ouvrage d'Anna Arzoumanov, Pour lire les clefs de l'Ancien Régime - Anatomie d'un protocole interprétatif. Elle fait un point sur la querelle des clés des Caractères.
- User5899Demi-dieu
Depuis quand doit-on faire droit aux coquetteries des auteurs sur leur œuvre ? Je suis son lecteur au même titre que lui, et son texte, sous mes yeux, ne lui appartient plus.thibotten a écrit:Etant donné que La Bruyère met justement en garde contre les lectures à clés, je ne sais pas si c'est vraiment pertinent de se demander si Théobalde est ou n'est pas Benserade.
- RyuzakiNiveau 9
Cripure a écrit:Depuis quand doit-on faire droit aux coquetteries des auteurs sur leur œuvre ? Je suis son lecteur au même titre que lui, et son texte, sous mes yeux, ne lui appartient plus.thibotten a écrit:Etant donné que La Bruyère met justement en garde contre les lectures à clés, je ne sais pas si c'est vraiment pertinent de se demander si Théobalde est ou n'est pas Benserade.
En fait oui, à la réflexion, je suis d'accord avec vous. C'est juste que j'ai tendance à me méfier des lectures à clés, qui, si elles peuvent être intéressantes culturellement, me semblent très limitées.
- Marguerite VNiveau 6
Merci pour vos réflexions intéressantes. L'ouvrage d'Anna Arzoumanov est hors de prix (49€) et je n'ai pas de bibliothèque dois la main qui puisse me le prêter, dommage ! Quelqu'un sait-il pourquoi La Bruyère désigné ses détracteurs comme des "Théobaldes" ? La fausse modestie du Théobalde du portrait ne me semble pas l'expliquer. Les Theobaldes seraient-ils simplement des critiques incapable de savoir ce qu'il faut vraiment apprécier, à l'image des femmes du portrait, admirent Théobalde sans le comprendre ? Cette explication ne me satisfait pas et je m'étonne de ne trouver aucun ouvrage qui se penche sur ces "Théobaldes"....
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