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- JohnMédiateur
Quels textes et quelles orientations pour un travail sur le monstre en Seconde et en Première ?
Petit recensement :
RACINE, Phèdre, 1677, acte V, scène 6.
Charles NODIER, Smarra ou les Démons de la nuit, 1821.
Victor HUGO, Les Travailleurs de la mer, 1866, 2ème Partie, IV, II.
Jules VERNE, 20 000 lieues sous les mers, 1869, II, XVIII.
Guy de MAUPASSANT, La Maison Tellier, 1881, « Sur l'eau »
Disponibles ici : http://tice.caen.iufm.fr/lettres/prepaconcours/agreg_interne/rapports/rapport_1989.pdf
M. Shelley, Frankenstein ; B. Stocker, Dracula ; Meyrink, Le Golem
Hugo, monstres physiques : Quasimodo, L'homme qui rit.
Monstres moraux : Les Thénardier, Han d'Islande
L'hermaphrodite : Ovide, Campanella
Un "monstre" littéraire : Préface de l'Illusion comique
Monstres moraux :
Choderlos de Laclos, Mme de Merteuil dans les Liaisons dangereuses
Céline, Description du colonel dans VabN ("Ce colonel, c'était donc un monstre ?")
Mauriac, Th. Desqueyroux ?
Camus, Caligula, L'étranger
Süskind, Le Parfum
Nothomb, Les Catilinaires, Hygiène de l'assassin
Monstre collectif : Hugo, Les Misérables : La bataille de Waterloo (cf. ci-dessous)
L'objet-monstre : Zola, L'assommoir (description de l'alambic), La bête humaine
Petit recensement :
RACINE, Phèdre, 1677, acte V, scène 6.
Charles NODIER, Smarra ou les Démons de la nuit, 1821.
Victor HUGO, Les Travailleurs de la mer, 1866, 2ème Partie, IV, II.
Jules VERNE, 20 000 lieues sous les mers, 1869, II, XVIII.
Guy de MAUPASSANT, La Maison Tellier, 1881, « Sur l'eau »
Disponibles ici : http://tice.caen.iufm.fr/lettres/prepaconcours/agreg_interne/rapports/rapport_1989.pdf
M. Shelley, Frankenstein ; B. Stocker, Dracula ; Meyrink, Le Golem
Hugo, monstres physiques : Quasimodo, L'homme qui rit.
Monstres moraux : Les Thénardier, Han d'Islande
L'hermaphrodite : Ovide, Campanella
Un "monstre" littéraire : Préface de l'Illusion comique
Monstres moraux :
Choderlos de Laclos, Mme de Merteuil dans les Liaisons dangereuses
Céline, Description du colonel dans VabN ("Ce colonel, c'était donc un monstre ?")
Mauriac, Th. Desqueyroux ?
Camus, Caligula, L'étranger
Süskind, Le Parfum
Nothomb, Les Catilinaires, Hygiène de l'assassin
Monstre collectif : Hugo, Les Misérables : La bataille de Waterloo (cf. ci-dessous)
L'objet-monstre : Zola, L'assommoir (description de l'alambic), La bête humaine
HUGO, LES MISERABLES
Ils étaient trois mille cinq cents. Ils faisaient un front d'un quart de lieue. C'étaient des hommes géants sur des chevaux colosses. Ils étaient vingt-six escadrons; et ils avaient derrière eux, pour les appuyer, la division de Lefebvre-Desnouettes, les cent six gendarmes d'élite, les chasseurs de la garde, onze cent quatrevingt-dix-sept hommes et les lanciers de la garde, huit cent quatre-vingts lances. Ils portaient le casque sans crins et la cuirasse de fer battu, avec les pistolets d'arçon dans les fontes et le long sabre-épée. Le matin toute l'armée les avait admirés, quand, à neuf heures, les clairons sonnant, toutes les musiques chantant Veillons au salut de l'empire, ils étaient venus, colonne épaisse, une de leurs batteries à leur flanc, l'autre à leur centre, se déployer sur deux rangs entre la chaussée de Genappe et Frischemont, et prendre leur place de bataille dans cette puissante deuxième ligne, si savamment composée par Napoléon, laquelle, ayant à son extrémité de gauche les cuirassiers de Kellermann et à son extrémité de droite les cuirassiers de Milhaud, avait, pour ainsi dire, deux ailes de fer.
L'aide de camp Bernard leur porta l'ordre de l'empereur. Ney tira son épée et prit la tête. Les escadrons énormes s'ébranlèrent. Alors on vit un spectacle formidable. Toute cette cavalerie, sabres levés, étendards et trompettes au vent, formée en colonne par division, descendit d'un même mouvement et comme un seul homme, avec la précision d'un bélier de bronze qui ouvre une brèche, la colline de la Belle-Alliance, s'enfonça dans le fond redoutable où tant d'hommes déjà étaient tombés, y disparut dans la fumée, puis, sortant de cette ombre, reparut de l'autre côté du vallon, toujours compacte et serrée, montant au grand trot, à travers un nuage de mitraille crevant sur elle, l'épouvantable pente de boue du plateau de Mont-Saint-Jean. Ils montaient, graves, menaçants, imperturbables ; dans les intervalles de la mousqueterie et de l'artillerie, on entendait ce piétinement colossal. Étant deux divisions, ils étaient deux colonnes ; la division Wathier avait la droite, la division Delors avait la gauche. On croyait voir de loin s'allonger vers la crête du plateau deux immenses couleuvres d'acier. Cela traversa la bataille comme un prodige.
Rien de semblable ne s'était vu depuis la prise de la grande redoute de la Moskowa par la grosse cavalerie; Murat y manquait, mais Ney s'y retrouvait. Il semblait que cette masse était devenue monstre et n'eût qu'une âme. Chaque escadron ondulait et se gonflait comme un anneau du polype. On les apercevait à travers une vaste fumée déchirée çà et là. Pêle-mêle de casques, de cris, de sabres, bondissement orageux des croupes des chevaux dans le canon et la fanfare, tumulte discipliné et terrible ; là-dessus les cuirasses, comme les écailles sur l'hydre.
Ces récits semblent d'un autre âge. Quelque chose de pareil à cette vision apparaissait sans doute dans les vieilles épopées orphiques racontant les hommes-chevaux, les antiques hippanthropes, ces titans à face humaine et à poitrail équestre dont le galop escalada l'Olympe, horribles, invulnérables, sublimes ; dieux et bêtes.
Bizarre coïncidence numérique, vingt-six bataillons allaient recevoir ces vingt-six escadrons. Derrière la crête du plateau, à l'ombre de la batterie masquée, l'infanterie anglaise, formée en treize carrés, deux bataillons par carré, et sur deux lignes, sept sur la première, six sur la seconde, la crosse à l'épaule, couchant en joue ce qui allait venir, calme, muette, immobile, attendait.
Elle ne voyait pas les cuirassiers et les cuirassiers ne la voyaient pas. Elle écoutait monter cette marée d'hommes. Elle entendait le grossissement du bruit des trois mille chevaux, le frappement alternatif et symétrique des sabots au grand trot, le froissement des cuirasses, le cliquetis des sabres, et une sorte de grand souffle farouche. Il y eut un silence redoutable, puis, subitement, une longue file de bras levés brandissant des sabres apparut au-dessus de la crête, et les casques, et les trompettes, et les étendards, et trois mille têtes à moustaches grises criant : Vive l'empereur ! toute cette cavalerie déboucha sur le plateau, et ce fut comme l'entrée d'un tremblement de terre.
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"Qui a construit Thèbes aux sept portes ? Dans les livres, on donne les noms des Rois. Les Rois ont-ils traîné les blocs de pierre ? [...] Quand la Muraille de Chine fut terminée, Où allèrent ce soir-là les maçons ?" (Brecht)
"La nostalgie, c'est plus ce que c'était" (Simone Signoret)
- henrietteMédiateur
Pour le théâtre, j'ajouterais Britannicus, le projet de Racine étant avec Néron de montrer un monstre naissant. Cela fonctionne bien en parallèle avec Cinna. Et en complément quelques textes assez effrayants de Suétone par exemple.
Toujours au théâtre, franchement 2nde et très complémentaires, Lucrèce Borgia monstre moral, et Le roi s'amuse monstre physique (il y a une préface de l'un des deux drames qui explique la complémentarité monstrueuse des deux personnages). Et en ouverture (éventuellement en 1e) Le Nain de Pär Lagerkvist, et quelque chose autour de Médée.
Il faudrait voir aussi en poésie, peut-être dans Gaspard de la nuit ? Et chez Baudelaire sûrement aussi. Et Lautréamont... Mais à cette heure, je n'ai pas de référence précise en tête.
A suivre donc !
Toujours au théâtre, franchement 2nde et très complémentaires, Lucrèce Borgia monstre moral, et Le roi s'amuse monstre physique (il y a une préface de l'un des deux drames qui explique la complémentarité monstrueuse des deux personnages). Et en ouverture (éventuellement en 1e) Le Nain de Pär Lagerkvist, et quelque chose autour de Médée.
Il faudrait voir aussi en poésie, peut-être dans Gaspard de la nuit ? Et chez Baudelaire sûrement aussi. Et Lautréamont... Mais à cette heure, je n'ai pas de référence précise en tête.
A suivre donc !
- JohnMédiateur
Ah oui, excellent :
- Néron par Suétone, Tacite, Racine (Britannicus) et Sven Delblanc (La mort de Sénèque)
- Scarbo, dans Gapspard de la Nuit
- Hugo, Lucrèce Borgia et Le Roi s'amuse (+ préfaces)
- Lautréamont, Chants de Maldoror
- Pär Lagerkvist, le Nain
Des texte sur Médée : Euripide, Sénèque, Corneille, Anouilh.
- Néron par Suétone, Tacite, Racine (Britannicus) et Sven Delblanc (La mort de Sénèque)
- Scarbo, dans Gapspard de la Nuit
- Hugo, Lucrèce Borgia et Le Roi s'amuse (+ préfaces)
- Lautréamont, Chants de Maldoror
- Pär Lagerkvist, le Nain
Des texte sur Médée : Euripide, Sénèque, Corneille, Anouilh.
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"La nostalgie, c'est plus ce que c'était" (Simone Signoret)
- ysabelDevin
Ne pas oublier Borges et son Livre des êtres imaginaires
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« vous qui entrez, laissez toute espérance ». Dante
« Il vaut mieux n’avoir rien promis que promettre sans accomplir » (L’Ecclésiaste)
- AbraxasDoyen
Matheson, Journal d'un monstre (pour commencer - c'est disponible sur le Net).
- CircéExpert
J'ai fait un bide avec Matheson avec mes secondes, l'avaient déjà presque tous fait en 3°...
J'ai en souvenir une nouvelle de Lovecraft d'une superbe créature qui dévoraient ses amants...j'ai oublié le titre !
Sinon Barbey d'Aurevilly.
J'ai en souvenir une nouvelle de Lovecraft d'une superbe créature qui dévoraient ses amants...j'ai oublié le titre !
Sinon Barbey d'Aurevilly.
- RuthvenGuide spirituel
Quelques références en histoire culturelle, des idées et de l'art, pour enrichir la perspective :
- Une introduction en Découvertes Gallimard par S. Audeguy, Les monstres. Si loin et si proches (belle iconographie, mais le texte est trop succinct).
- Chapitre sur les monstres dans l'Histoire de la laideur de U. Eco
- G.Lascault, Le monstre dans l'art occidental, Klincksieck
- O. Roux, Monstres. Une histoire générale de la tératologie des origines à nos jours, CNRS Editions
- E. Martin, Histoire des monstres, J. Millon (un vieux texte de la fin du XIXème)
Par période historique,
-Pour l'Antiquité, B. Cuny-Le Callet, Rome et ses monstres. Naissance d'un concept philosophique et rhétorique, J. Millon (seul le premier tome est paru)
- Pour le Moyen Age, C.-C. Kappler, Monstres, démons et merveilles à la fin du Moyen Age, Payot (et le dernier chapitre du premier tome de la thèse de F. Dubost, Aspects fantastiques de la littérature médiévale, Champion)
- Pour la Renaissance, indispensable livre de J. Céard, La Nature et les prodiges, Droz (poche) (et pour les amateurs, le texte d'Ambroise Paré Des Monstres et prodiges, édités chez L'oeil d'or)
- Une introduction en Découvertes Gallimard par S. Audeguy, Les monstres. Si loin et si proches (belle iconographie, mais le texte est trop succinct).
- Chapitre sur les monstres dans l'Histoire de la laideur de U. Eco
- G.Lascault, Le monstre dans l'art occidental, Klincksieck
- O. Roux, Monstres. Une histoire générale de la tératologie des origines à nos jours, CNRS Editions
- E. Martin, Histoire des monstres, J. Millon (un vieux texte de la fin du XIXème)
Par période historique,
-Pour l'Antiquité, B. Cuny-Le Callet, Rome et ses monstres. Naissance d'un concept philosophique et rhétorique, J. Millon (seul le premier tome est paru)
- Pour le Moyen Age, C.-C. Kappler, Monstres, démons et merveilles à la fin du Moyen Age, Payot (et le dernier chapitre du premier tome de la thèse de F. Dubost, Aspects fantastiques de la littérature médiévale, Champion)
- Pour la Renaissance, indispensable livre de J. Céard, La Nature et les prodiges, Droz (poche) (et pour les amateurs, le texte d'Ambroise Paré Des Monstres et prodiges, édités chez L'oeil d'or)
- henrietteMédiateur
Pour info, l y a eu un colloque sur Le monstre dans l'art dans mon lycée ce printemps assocaint difféetns niveaux de primaire, collège et HIDA lycée. Conjointement les projections d'Elephant Man et de M. le Maudit.
En bref et grosso modo les différents points au programme :
- Confrontations textes œuvres : La tentation de Saint-Antoine Flaubert/Bosch/Dali
- Extraits de Rhinocéros.
- Les monstres dans la mythologie grecque.
- Pour Baudelaire : A chacun sa chimère.
- En HIDA : les gargouilles / les grotesques et les peintres suivants : Bacon, Goya, Frida Kahlo, Niki de Saint Phalle
En bref et grosso modo les différents points au programme :
- Confrontations textes œuvres : La tentation de Saint-Antoine Flaubert/Bosch/Dali
- Extraits de Rhinocéros.
- Les monstres dans la mythologie grecque.
- Pour Baudelaire : A chacun sa chimère.
- En HIDA : les gargouilles / les grotesques et les peintres suivants : Bacon, Goya, Frida Kahlo, Niki de Saint Phalle
- krineNiveau 4
Sympa comme idée de GT.
J'ai mis cette année en bac blanc 2de, un extrait de ND de Paris (la grimace de Quasimodo) texte sur lequel portait le commentaire, 20000 lieues sous les mers avec le calamar géant et l'assassinat se Séverine dans la Bête humaine (OE : le roman).
J'ai mis cette année en bac blanc 2de, un extrait de ND de Paris (la grimace de Quasimodo) texte sur lequel portait le commentaire, 20000 lieues sous les mers avec le calamar géant et l'assassinat se Séverine dans la Bête humaine (OE : le roman).
- InvitéInvité
Je retiens l'idée qui me semble excellente.
- AbraxasDoyen
Et on leur montrera Elephant Man, pour faire bonne mesure.
- JohnMédiateur
Tiens, on avait oublié Docteur Jekyll et Mister Hyde dans la liste.
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"La nostalgie, c'est plus ce que c'était" (Simone Signoret)
- nuagesGrand sage
petite rectification dans le 1er message de John: le parfum de Süskind ( le liseur de Schlink) mais vous aviez déjà rectifié!
j'étudie effectivement Grenouille comme monstre en seconde ...et Grégoire Samsa dans La Métamorphose
j'étudie effectivement Grenouille comme monstre en seconde ...et Grégoire Samsa dans La Métamorphose
- JohnMédiateur
Et on avait oublié les ogres de Perrault et les monstres de Tolkien, ainsi que le Horla.
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"La nostalgie, c'est plus ce que c'était" (Simone Signoret)
- JohnMédiateur
Et pour le monstre moral, les Bienveillantes
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"Qui a construit Thèbes aux sept portes ? Dans les livres, on donne les noms des Rois. Les Rois ont-ils traîné les blocs de pierre ? [...] Quand la Muraille de Chine fut terminée, Où allèrent ce soir-là les maçons ?" (Brecht)
"La nostalgie, c'est plus ce que c'était" (Simone Signoret)
- InvitéeHrÉrudit
Monstres moraux :
Les Diaboliques sont qualifiées de monstres par Barbey, il évoque aussi des femmes sphinx.
Et je pense aussi à Mme Chantelouve dans Là-bas de Huysmans et à sa métamorphose en monstre de luxure dans la scène d'amour.
Les Diaboliques sont qualifiées de monstres par Barbey, il évoque aussi des femmes sphinx.
Et je pense aussi à Mme Chantelouve dans Là-bas de Huysmans et à sa métamorphose en monstre de luxure dans la scène d'amour.
- aposiopèseNeoprof expérimenté
"La demeure d'Astérion" de Borges, dans le recueil l'Aleph. Renversement des points de vue : la légende du Minotaure est racontée du point de vue du monstre. Un monstre très humain dans sa solitude et son orgueil, si bien que le dévoilement de son identité à la fin de la nouvelle sonne comme une surprise invitant le lecteur à relire le texte sous un nouvel angle.
Et la reine donna le jour à un fils qui
s'appela Astérion.
APOLLODORE, Bibl., III, L.
Je sais qu'on m'accuse d'orgueil, peut-être de misanthropie,
peut-être de démence. Ces accusations (que je punirai le
moment venu) sont ridicules. Il est exact que je ne sors pas de ma
maison ; mais il est moins exact que les portes de celle-ci, dont le
nombre est infini (1), sont ouvertes jour et nuit aux hommes et aussi aux bêtes. Entre qui veut. Il ne trouvera pas de vains ornements féminins, ni
l'étrange faste des palais, mais la tranquillité et la solitude. Il trouvera aussi une demeure comme il n'en existe aucune
autre sur la surface de la terre. (Ceux qui prétendent qu'il y
en a une semblable en Égypte sont des menteurs.)
Jusqu'à mes calomniateurs reconnaissent qu'il n'y a pas un
seul meuble dans la maison. Selon une autre fable grotesque, je
serais, moi, Astérion, un prisonnier. Dois-je
répéter qu'aucune porte n'est fermée ? Dois-je
ajouter qu'il n'y a pas une seule serrure ? Du reste, il m'est
arrivé, au crépuscule, de sortir dans la rue. Si je
suis rentré avant la nuit, c'est à cause de la peur
qu'ont provoquée en moi les visages des gens de la foule,
visages sans relief ni couleur, comme la paume de la main. Le soleil
était déjà couché. Mais le
gémissement abandonné d'un enfant et les supplications
stupides de la multitude m'avertirent que j'étais reconnu. Les
gens priaient, fuyaient, s'agenouillaient. Certains montaient sur le
perron du temple des Haches. D'autres ramassaient les pierres. L'un
des passants, je crois, se cacha dans la mer. Ce n'est pas pour rien
que ma mère est une reine. Je ne peux pas être confondu
avec le vulgaire, comme ma modestie le désire.
Je suis unique; c'est un fait. Ce qu'un homme peut communiquer
à d'autres hommes ne m'intéresse pas. Comme le
philosophe, je pense que l'art d'écrire ne peut rien
transmettre. Tout détail importun et banal n'a pas place dans
mon esprit, lequel est à la mesure du grand. Jamais je n'ai
retenu la différence entre une lettre et une autre. Je ne sais
quelle généreuse impatience m'a interdit d'apprendre
à lire. Quelquefois, je le regrette, car les nuits et les
jours sont longs.
Il est clair que je ne manque pas de distractions. Semblable au
mouton qui fonce, je me précipite dans les galeries de pierre
jusqu'à tomber sur le sol, pris de vertige. Je me cache dans
l'ombre d'une citerne ou au détour d'un couloir et j'imagine
qu'on me poursuit. Il ya des terrasses d'où je me laisse
tomber jusqu'à en rester ensanglanté. À toute
heure, je joue à être endormi, fermant les yeux et
respirant puissamment. (Parfois, j'ai dormi réellement,
parfois la couleur du jour était changée quand j'ai
ouvert les yeux.) Mais, de tant de jeux, je préfère le
jeu de l'autre Astérion. Je me figure qu'il vient me rendre
visite et que je lui montre la demeure. Avec de grandes marques de
politesse, je lui dis: « Maintenant, nous débouchons dans
une autre cour », ou : « Je te disais bien que cette
conduite d'eau te plairait », ou : « Maintenant, tu vas
voir une citerne que le sable a rempli », ou : « Tu vas
voir comme bifurque la cave. » Quelquefois, je me trompe et nous
rions tous deux de bon coeur.
Je ne me suis pas contenté d'inventer ce jeu. Je
méditais sur ma demeure. Toutes les parties de celle-ci sont
répétées plusieurs fois. Chaque endroit est un
autre endroit. Il n'y a pas un puits, une cour, un abreuvoir, une
mangeoire ; les mangeoires, les abreuvoirs, les cours, les puits sont
quatorze [sont en nombre infini]. la demeure a l'échelle du
monde ou plutôt, elle est le monde. Cependant, à force
de lasser les cours avec un puits et les galeries
poussiéreuses de pierre grise, je me suis risqué dans
la rue, j'ai vu le temple des Haches et la mer. Ceci,je ne l'ai pas
compris, jusqu'à ce qu'une vision nocturne me
révèle que les mers et les temples sont aussi quatorze
[sont en nombre infini] .Tout est plusieurs fois, quatorze fois. Mais
il y a deux choses au monde qui paraissent n'exister qu'une seule
fois : là-haut le soleil enchaîné ; ici-bas
Astérion. Peut-être ai-je créé les
étoiles, le soleil et l'immense demeure, mais je ne m'en
souviens plus.
Tous les neuf ans, neuf êtres humains
pénètrent dans la maison pour que je les délivre
de toute souffrance. J'entends leurs pas et leurs voix au fond des
galeries de pierre, et je cours joyeusement à leur rencontre.
Ils tombent l'un après l'autre, sans même que mes mains
soient tachées de sang. Ils restent où ils sont
tombés. Et leurs cadavres m'aident à distinguer des
autres telle ou telle galerie. J'ignore qui ils sont. Mais je sais
que l'un d'eux, au moment de mourir, annonça qu'un jour
viendrait mon rédempteur. Depuis lors, la solitude ne me fait
plus souffrir, parce que je sais que mon rédempteur existe et
qu'à la fin il se lèvera sur la poussière. Si je
pouvais entendre toutes les rumeurs du monde, je percevrais le bruit
de ses pas. Pourvu qu'il me conduise dans un lieu où il y aura
moins de galeries et moins de portes. Comment sera mon
rédempteur ? Je me le demande. Sera-t-il un taureau ou un
homme ? Sera-t-il un taureau à tête d'homme ? Ou
Sera-t-il comme moi ?
Le soleil du matin resplendissait sur l'épée de
bronze, où il n'y avait déjà plus trace de
sang.
« Le croiras-tu, Ariane ? dit Thésée, le Minotaure
s'est à peine défendu. »
(1) Le texte original
dit quatorze, mais maintes raisons invitent à supposer que,
dans la bouche d'Astérion, ce nombre représente
l'infini.
et le tableau de Watts qui a inspiré Borges :
Et la reine donna le jour à un fils qui
s'appela Astérion.
APOLLODORE, Bibl., III, L.
Je sais qu'on m'accuse d'orgueil, peut-être de misanthropie,
peut-être de démence. Ces accusations (que je punirai le
moment venu) sont ridicules. Il est exact que je ne sors pas de ma
maison ; mais il est moins exact que les portes de celle-ci, dont le
nombre est infini (1), sont ouvertes jour et nuit aux hommes et aussi aux bêtes. Entre qui veut. Il ne trouvera pas de vains ornements féminins, ni
l'étrange faste des palais, mais la tranquillité et la solitude. Il trouvera aussi une demeure comme il n'en existe aucune
autre sur la surface de la terre. (Ceux qui prétendent qu'il y
en a une semblable en Égypte sont des menteurs.)
Jusqu'à mes calomniateurs reconnaissent qu'il n'y a pas un
seul meuble dans la maison. Selon une autre fable grotesque, je
serais, moi, Astérion, un prisonnier. Dois-je
répéter qu'aucune porte n'est fermée ? Dois-je
ajouter qu'il n'y a pas une seule serrure ? Du reste, il m'est
arrivé, au crépuscule, de sortir dans la rue. Si je
suis rentré avant la nuit, c'est à cause de la peur
qu'ont provoquée en moi les visages des gens de la foule,
visages sans relief ni couleur, comme la paume de la main. Le soleil
était déjà couché. Mais le
gémissement abandonné d'un enfant et les supplications
stupides de la multitude m'avertirent que j'étais reconnu. Les
gens priaient, fuyaient, s'agenouillaient. Certains montaient sur le
perron du temple des Haches. D'autres ramassaient les pierres. L'un
des passants, je crois, se cacha dans la mer. Ce n'est pas pour rien
que ma mère est une reine. Je ne peux pas être confondu
avec le vulgaire, comme ma modestie le désire.
Je suis unique; c'est un fait. Ce qu'un homme peut communiquer
à d'autres hommes ne m'intéresse pas. Comme le
philosophe, je pense que l'art d'écrire ne peut rien
transmettre. Tout détail importun et banal n'a pas place dans
mon esprit, lequel est à la mesure du grand. Jamais je n'ai
retenu la différence entre une lettre et une autre. Je ne sais
quelle généreuse impatience m'a interdit d'apprendre
à lire. Quelquefois, je le regrette, car les nuits et les
jours sont longs.
Il est clair que je ne manque pas de distractions. Semblable au
mouton qui fonce, je me précipite dans les galeries de pierre
jusqu'à tomber sur le sol, pris de vertige. Je me cache dans
l'ombre d'une citerne ou au détour d'un couloir et j'imagine
qu'on me poursuit. Il ya des terrasses d'où je me laisse
tomber jusqu'à en rester ensanglanté. À toute
heure, je joue à être endormi, fermant les yeux et
respirant puissamment. (Parfois, j'ai dormi réellement,
parfois la couleur du jour était changée quand j'ai
ouvert les yeux.) Mais, de tant de jeux, je préfère le
jeu de l'autre Astérion. Je me figure qu'il vient me rendre
visite et que je lui montre la demeure. Avec de grandes marques de
politesse, je lui dis: « Maintenant, nous débouchons dans
une autre cour », ou : « Je te disais bien que cette
conduite d'eau te plairait », ou : « Maintenant, tu vas
voir une citerne que le sable a rempli », ou : « Tu vas
voir comme bifurque la cave. » Quelquefois, je me trompe et nous
rions tous deux de bon coeur.
Je ne me suis pas contenté d'inventer ce jeu. Je
méditais sur ma demeure. Toutes les parties de celle-ci sont
répétées plusieurs fois. Chaque endroit est un
autre endroit. Il n'y a pas un puits, une cour, un abreuvoir, une
mangeoire ; les mangeoires, les abreuvoirs, les cours, les puits sont
quatorze [sont en nombre infini]. la demeure a l'échelle du
monde ou plutôt, elle est le monde. Cependant, à force
de lasser les cours avec un puits et les galeries
poussiéreuses de pierre grise, je me suis risqué dans
la rue, j'ai vu le temple des Haches et la mer. Ceci,je ne l'ai pas
compris, jusqu'à ce qu'une vision nocturne me
révèle que les mers et les temples sont aussi quatorze
[sont en nombre infini] .Tout est plusieurs fois, quatorze fois. Mais
il y a deux choses au monde qui paraissent n'exister qu'une seule
fois : là-haut le soleil enchaîné ; ici-bas
Astérion. Peut-être ai-je créé les
étoiles, le soleil et l'immense demeure, mais je ne m'en
souviens plus.
Tous les neuf ans, neuf êtres humains
pénètrent dans la maison pour que je les délivre
de toute souffrance. J'entends leurs pas et leurs voix au fond des
galeries de pierre, et je cours joyeusement à leur rencontre.
Ils tombent l'un après l'autre, sans même que mes mains
soient tachées de sang. Ils restent où ils sont
tombés. Et leurs cadavres m'aident à distinguer des
autres telle ou telle galerie. J'ignore qui ils sont. Mais je sais
que l'un d'eux, au moment de mourir, annonça qu'un jour
viendrait mon rédempteur. Depuis lors, la solitude ne me fait
plus souffrir, parce que je sais que mon rédempteur existe et
qu'à la fin il se lèvera sur la poussière. Si je
pouvais entendre toutes les rumeurs du monde, je percevrais le bruit
de ses pas. Pourvu qu'il me conduise dans un lieu où il y aura
moins de galeries et moins de portes. Comment sera mon
rédempteur ? Je me le demande. Sera-t-il un taureau ou un
homme ? Sera-t-il un taureau à tête d'homme ? Ou
Sera-t-il comme moi ?
Le soleil du matin resplendissait sur l'épée de
bronze, où il n'y avait déjà plus trace de
sang.
« Le croiras-tu, Ariane ? dit Thésée, le Minotaure
s'est à peine défendu. »
(1) Le texte original
dit quatorze, mais maintes raisons invitent à supposer que,
dans la bouche d'Astérion, ce nombre représente
l'infini.
et le tableau de Watts qui a inspiré Borges :
- JohnMédiateur
Il y a aussi le Minotaure dans Thésée de Gide : Thésée découvre que le Minotaure est, contrairement à ce que l'on dit, très beau, et il ne le tue pas !
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"Qui a construit Thèbes aux sept portes ? Dans les livres, on donne les noms des Rois. Les Rois ont-ils traîné les blocs de pierre ? [...] Quand la Muraille de Chine fut terminée, Où allèrent ce soir-là les maçons ?" (Brecht)
"La nostalgie, c'est plus ce que c'était" (Simone Signoret)
- aposiopèseNeoprof expérimenté
ah, je ne connaissais pas, il faudra que je me le procure, je suis fascinée par le mythe du Minotaure !
Et aussi, je viens de penser à La Belle et la Bête (le conte est trop simple pour des lycéens, mais le film de Cocteau est magnifique, je trouve)
Et aussi, je viens de penser à La Belle et la Bête (le conte est trop simple pour des lycéens, mais le film de Cocteau est magnifique, je trouve)
- CircéExpert
Alain Dorémieux, Aurora dont voici l'excipit:
Avant que la déglutition commence, Wilfrid comprit quel était le sort des amants d'Aurora. Elle avait un système digestif analogue à celui d'une plante carnivore.
Avant que la déglutition commence, Wilfrid comprit quel était le sort des amants d'Aurora. Elle avait un système digestif analogue à celui d'une plante carnivore.
- thrasybuleDevin
john tu connais peut etre l essai de BLandine Lecallet_la romanciere d une piece montee, egalement maitre de conf en latin_ Rome et ses monstres...pardon pr les accents, c est ce c... de smartphone
- JPhMMDemi-dieu
Beaucoup de monstres dans la SF.
Le monde perdu (d'où... King Kong), Doyle.
Blade runner (Do Androids Dream of Electric Sheep?), Dick (nature hybride homme/machine)
Le voyage dans le temps, Wells.
Les plus qu'humains, Sturgeon.
Tout Lovecraft (avec la création d'une mythologie monstrueuse complète).
Farmer, etc, ...
Le monde perdu (d'où... King Kong), Doyle.
Blade runner (Do Androids Dream of Electric Sheep?), Dick (nature hybride homme/machine)
Le voyage dans le temps, Wells.
Les plus qu'humains, Sturgeon.
Tout Lovecraft (avec la création d'une mythologie monstrueuse complète).
Farmer, etc, ...
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Labyrinthe où l'admiration des ignorants et des idiots qui prennent pour savoir profond tout ce qu'ils n'entendent pas, les a retenus, bon gré malgré qu'ils en eussent. — John Locke
Je crois que je ne crois en rien. Mais j'ai des doutes. — Jacques Goimard
- lapetitemuExpert
Ca me rappelle bien de bons souvenirs tout ça ! (mon mémoire de M1 sur la poétique du monstrueux chez Maupassant...)
Pas grand-chose à rajouter, vous en avez déjà énuméré beaucoup.
Pour Maupassant, les recueils de la fin sont excellents. Une nouvelle à utiliser pour la figure de la mère monstrueuse : "La mère aux monstres" (dans le recueil Toine).
Pas grand-chose à rajouter, vous en avez déjà énuméré beaucoup.
Pour Maupassant, les recueils de la fin sont excellents. Une nouvelle à utiliser pour la figure de la mère monstrueuse : "La mère aux monstres" (dans le recueil Toine).
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