- ShajarVénérable
Je suis allée hier à un colloque proposé par Radio-France sur le thème "cerveau et musique" ; la journée était consacrée aux problèmes de la mémoire. C'était très intéressant, et quelques trucs peuvent faire écho dans nos pratiques pédagogiques.
Intervention 1
Francis Eustache (neuropsychologue. CHU de Caen) – La mémoire, les mémoires : Des amnésies aux techniques de neuroimagerie
Bref historique
Les maladies de la mémoire ont commencé à être décrites et étudiées à la fin du XIXe siècle (Ribot, Les maladies de la mémoire). L'étude des pathologies de la mémoire montre que celle-ci a une structure (l'amnésie ne touche qu'un domaine de la mémoire). Bekhterev est le premier à avoir mis l’accent sur la zone du cerveau appelée l’hippocampe, et fait le lien entre hippocampe et la mémoire.
De nouvelles avancées ont eu lieu dans les années 1950, mais l'imagerie médicale a permis une véritable révolution dans les années 2000, et les travaux sont donc tous très récent.
Systèmes de mémoire
La mémoire est formée de différents systèmes en coordination, plus ou moins complexe et plus ou moins précoces dans l'évolution (même si tout cela peut être soumis à discussion). Evidemment, les formes de mémoire ne sont pas rigides et étanches ; elles interagissent les unes avec les autres, mais ont une réalité pathologique.
5 systèmes de mémoire :
- Mémoire procédurale : Habitudes acquises au fil du temps. (par ex. faire du vélo)
- Mémoire perceptive : contact perceptif avec un objet. (par ex. j'ai vu un éléphant)
- Mémoire sémantique : mémoire des connaissances sur le monde et sur soi-même (par ex. Paris est la capitale de la France).
- Mémoire de travail : mémoire temporaire, permettant de retenir une info à un moment donné (par ex. je dois appeler le numéro 0987489571).
- Mémoire épisodique : mémoire des souvenirs (« je me souviens »). Retour à une scène. Mémoire = voyage dans le temps (dans le passé et dans le futur).
On peut former des connaissances sans former nécessairement un souvenir. Le souvenir peut aussi être transformé en connaissance. Jeux de consolidation, de transformation, etc.
Le cerveau est constitué du cortex (substance grise) et de connexions (substance blanche). Le circuit de Papez est le grand circuit de la mémoire dans le cerveau, dans la matière blanche. Il peut être altéré dans différentes pathologies.
Les syndromes amnésiques des enfants et le développement de la mémoire épisodique de l'enfant
Ils ont été décrits de manière plutôt récente (1er : 1997), mais ont depuis donné lieu à de nombreuses études.
La lésion des hippocampes des enfants donne lieu à des observation assez stéréotypée :
- 1ers troubles entre 5 et 7 ans. Auparavant, les enfants ont appris à marcher (aspect psychomoteur) et à parler normalement. Apprentissage du monde de manière normale à partir de 2 ans.
- Pas de récit des activités de la journée
- Pas d'altération du QI (normal ou sub-normal)
- Tests de mémoire montrent une amnésie dès qu’il existe un délai (par exemple se souvenir d'une forme après 20 minutes)
Ces enfants peuvent (plus ou moins difficilement) apprendre de nouveaux concepts, mais sont incapables de se souvenir de tous les éléments contextuels où ils ont été acquis.
On explique ces symptômes (et notamment le "retard" entre l'apparition des lésions et les symptômes eux-mêmes) par le fait que les différentes mémoires ne se mettent pas en place chez l'enfant à la même période. L'enfant utilise dans un premier temps une mémoire événementielle. La mémoire épisodique (situer dans le temps, dans l’espace… : quoi, où, quand) met beaucoup de temps à se mettre en place. Elle apparaît au début de l'adolescence, en même temps que la capacité de la théorie de l’esprit (capacité à se mettre à la place de l’autre, à « voyager vers l’autre »). Le "quand" à toujours du retard par rapport au "quoi" et au "où" ?
Le cerveau : mature d’abord dans la partie postérieure, puis dans les régions frontales et enfin dans les connexions à longue distance entre zone antérieure et postérieure. Cette maturation qui passe par des suppressions (de voies non-empruntées) et des développements.
Le circuit de la mémoire épisodique concerne plusieurs zones différentes : le cortex temporal interne, le cortex préfrontal et le cortex pariétal (j'espère ne pas me tromper dans les noms !). C'est leur synchronisation qui permet de rendre la mémoire épisodique efficace à l’adolescence.
L'adolescence est le moment de révélation de certaines pathologies, car c'est le moment de création de l’identité (souvenirs épisodiques, connaissances générales sur soi, qui suis-je ?, qu'est-ce que les autres pensent de moi ?). Il existe des régions cérébrales associées au "soi", de même qu'il en existe associées à "l'autre", beaucoup étant communes ou en interaction. (recherches vraiment très récentes). Certaines sont cependant spécifiques : par exemple, le cortex singulaire antérieur est associé seulement au soi ; c'est aussi une région impliquée dans la mémoire épisodique => le fait de se tourner vers soi améliore les performances de mémoire.
Maladie d’Alzheimer
Maladie d’Alzheimer n’est pas liée aux phénomènes de vieillissement physiologique : lors du vieillissement "normal", l'hippocampe, et notamment sa tête, est ce qui résiste le mieux. Or, la maladie d'alzheimer est caractérisée par une atrophie hippocampique. Néanmoins, il n'y a pas de modification fonctionnelle dans l’hippocampe ; par contre, on voit des modifications fonctionnelles dans d’autres régions. L'atrophie de l'hippocampe se transmet à des zones/réseaux différents (gyrus cingulaire postérieur et région orbito-frontale), liés à la mémoire, à la relation à soi et à la relation à l'autre.
La maladie d'alzheimer est une maladie de la mémoire épisodique, à l'inverse, par exemple, de la démence sémantique : personnes qui ne comprennent plus le sens de certains concepts (même très simples, par exemple "montre"), mais ne perdent pas leurs souvenirs. Dans les 2 cas, l’hippocampe est atteint, mais les réseaux altérés sont différents.
2e intervention
Olivier Houdé (Paris XII, spécialiste des processus d'apprentissage) - Le cerveau de l’apprentissage : qu’est-ce qu’un cerveau qui apprend bien ?
Historique et formes d'intelligence
Jean Piaget a mis en valeur différents stades de développement de l’intelligence chez l'enfant. Pour lui, l'intelligence se réduit à l'intelligence logico-mathématique (celle mesurée par le QI, pour faire simple). Mais Howard Gardner a fait éclater la notion d’intelligence dans les années 1980, en montrant qu'il en existait de nombreuses formes : logico-mathématique, interpersonnelle, visio-spatiale, verbale-linguistique… Ses théories restent très débattues, mais il est nécessaire de tenir compte de la variabilité des formes de l’intelligence. La question étant : ces intelligences multiples ont-elles une réalité dans le cerveau ? C'est plut compliqué que cela, mais il existe des réseaux, spécifiques ou partagés, qui correspondent à ces formes d’intelligence ; formes qui ne sont pas nécessairement antinomiques. Il existe une sorte de "constellation" de zones liées à l'intelligence dans le cerveau, en constante interaction.
L'architecture cognitive
L'objet : principe de permanence de l’objet (permanence d’un objet qui est caché). Pas inné pour le bébé. Construit dans les premiers mois. Objet > Nombre > Catégorisation > Raisonnement.
Le nombre : une fois que le bébé reconnaît des objets uniques dans son environnement, envie de les compter => principe du nombre.
La catégorisation : apparaît en même temps que le principe du nombre : différenciation, classement des objets identifiés.
(=> traitements quantitatifs et qualitatifs).
Le raisonnement : apparaît quand les traitements qualitatifs et quantitatifs portent aussi sur des idées, hypothèses, propositions logiques...
Le développement cognitif n’est pas en forme d’escalier (grands stades d'évolution, cf. Piaget), mais au contraire, beaucoup plus dynamiques (vagues de stratégies dominantes). La difficulté pour l’enfant est de jongler avec les stratégies mentales (les composer ou en inhiber une en faveur de l’autre).
L'importance de l'inhibition
Lorsqu'on présente à un enfant de moins de six-sept an deux rangées de 7 jetons identiques, l'enfant répond qu'il y a le même nombre de jetons dans les deux. Mais si on écarte devant lui les jetons de l'une des lignes (il y a toujours autant de jetons, mais espacées les uns des autres, et donc la ligne est plus longue), l'enfant répond que la ligne la plus longue a plus de jetons.
On a pensé d'abord que c'était dû au fait que l'enfant n'acquérait pas la notion de nombre avant cet âge, qu'il n'avait pas le cerveau "en ordre" pour cela avant 6-7 ans, mais c'est faux. Les connaissances proto-mathématiques existent chez l'enfant bien plus tôt, mais l'enfant ne les utilise pas. Le problème est un problème d'inhibition.
En fait, il existe deux stratégies pour résoudre ce problème : l'une "heuristique", qui consiste à regarder la longueur ; l'autre, "algorithmique", qui consiste à dénombrer. Dans le cerveau, les zones liées à ces deux stratégies sont postérieures, proches l'une de l'autre. L'enfant peut faire les deux, mais l'heuristique lui est plus naturelle (parce qu'elle est présente tout le temps dans son environnement, c'est aussi la plus rapide). Pour réussir le problème des jetons, il faut donc qu'il inhibe la pensée "longueur = nombre" pour activer l’algorithme de comptage. Le contrôle inhibiteur est lié au cortex préfrontal inférieur droit, une zone éloignée, qui joue le rôle d'arbitre entre les deux stratégies cognitives. Le cortex préfrontal ne dépend pas d'une perception sensorielle ; il fait la synthèse entre toutes les entrées.
L'intelligence, c'est donc savoir inhiber au bon moment la stratégie inadéquate pour résoudre le problème donné.
En inhibant, on force le cerveau à aller chercher d'autres réseaux, donc d'autres solutions, et de faire preuve de créativité.
Ces dynamiques d’activation et d’inhibition semblent vraies pour toutes les formes d’intelligence ; il y a en fait une sorte de "compétition" entre les formes d'intelligence, et la nécessité d'un arbitrage.
L'apprentissage, c'est à la fois créer des automatismes (donc des heuristiques), par le biais de la répétition (apprendre les listes de vocabulaire, par exemple), et créer des inhibition (pousser l'enfant à faire usage d'une stratégie de raisonnement différente.
Dans le cerveau, cela fonctionne de manière symétrique : par exemplen lorsqu'on apprend une liste de mots, au début, on utilise beaucoup le cortex préfrontal (effort de mémorisation) ; à la fin, ce sont les zones postérieures qui sont mobilisées (création de l’automatisme).
=> Automatisation : reconfiguration antéro-postérieure du cerveau (de l’avant vers l’arrière).
=> Inhibition : reconfiguration postéro-antérieure du cerveau (de l’arrière vers l’avant).
L'éducation doit mobiliser ces deux processus.
(Je ne vous résume pas la 3e intervention, qui était plus sur la musique).
Intervention 1
Francis Eustache (neuropsychologue. CHU de Caen) – La mémoire, les mémoires : Des amnésies aux techniques de neuroimagerie
Bref historique
Les maladies de la mémoire ont commencé à être décrites et étudiées à la fin du XIXe siècle (Ribot, Les maladies de la mémoire). L'étude des pathologies de la mémoire montre que celle-ci a une structure (l'amnésie ne touche qu'un domaine de la mémoire). Bekhterev est le premier à avoir mis l’accent sur la zone du cerveau appelée l’hippocampe, et fait le lien entre hippocampe et la mémoire.
De nouvelles avancées ont eu lieu dans les années 1950, mais l'imagerie médicale a permis une véritable révolution dans les années 2000, et les travaux sont donc tous très récent.
Systèmes de mémoire
La mémoire est formée de différents systèmes en coordination, plus ou moins complexe et plus ou moins précoces dans l'évolution (même si tout cela peut être soumis à discussion). Evidemment, les formes de mémoire ne sont pas rigides et étanches ; elles interagissent les unes avec les autres, mais ont une réalité pathologique.
5 systèmes de mémoire :
- Mémoire procédurale : Habitudes acquises au fil du temps. (par ex. faire du vélo)
- Mémoire perceptive : contact perceptif avec un objet. (par ex. j'ai vu un éléphant)
- Mémoire sémantique : mémoire des connaissances sur le monde et sur soi-même (par ex. Paris est la capitale de la France).
- Mémoire de travail : mémoire temporaire, permettant de retenir une info à un moment donné (par ex. je dois appeler le numéro 0987489571).
- Mémoire épisodique : mémoire des souvenirs (« je me souviens »). Retour à une scène. Mémoire = voyage dans le temps (dans le passé et dans le futur).
On peut former des connaissances sans former nécessairement un souvenir. Le souvenir peut aussi être transformé en connaissance. Jeux de consolidation, de transformation, etc.
Le cerveau est constitué du cortex (substance grise) et de connexions (substance blanche). Le circuit de Papez est le grand circuit de la mémoire dans le cerveau, dans la matière blanche. Il peut être altéré dans différentes pathologies.
Les syndromes amnésiques des enfants et le développement de la mémoire épisodique de l'enfant
Ils ont été décrits de manière plutôt récente (1er : 1997), mais ont depuis donné lieu à de nombreuses études.
La lésion des hippocampes des enfants donne lieu à des observation assez stéréotypée :
- 1ers troubles entre 5 et 7 ans. Auparavant, les enfants ont appris à marcher (aspect psychomoteur) et à parler normalement. Apprentissage du monde de manière normale à partir de 2 ans.
- Pas de récit des activités de la journée
- Pas d'altération du QI (normal ou sub-normal)
- Tests de mémoire montrent une amnésie dès qu’il existe un délai (par exemple se souvenir d'une forme après 20 minutes)
Ces enfants peuvent (plus ou moins difficilement) apprendre de nouveaux concepts, mais sont incapables de se souvenir de tous les éléments contextuels où ils ont été acquis.
On explique ces symptômes (et notamment le "retard" entre l'apparition des lésions et les symptômes eux-mêmes) par le fait que les différentes mémoires ne se mettent pas en place chez l'enfant à la même période. L'enfant utilise dans un premier temps une mémoire événementielle. La mémoire épisodique (situer dans le temps, dans l’espace… : quoi, où, quand) met beaucoup de temps à se mettre en place. Elle apparaît au début de l'adolescence, en même temps que la capacité de la théorie de l’esprit (capacité à se mettre à la place de l’autre, à « voyager vers l’autre »). Le "quand" à toujours du retard par rapport au "quoi" et au "où" ?
Le cerveau : mature d’abord dans la partie postérieure, puis dans les régions frontales et enfin dans les connexions à longue distance entre zone antérieure et postérieure. Cette maturation qui passe par des suppressions (de voies non-empruntées) et des développements.
Le circuit de la mémoire épisodique concerne plusieurs zones différentes : le cortex temporal interne, le cortex préfrontal et le cortex pariétal (j'espère ne pas me tromper dans les noms !). C'est leur synchronisation qui permet de rendre la mémoire épisodique efficace à l’adolescence.
L'adolescence est le moment de révélation de certaines pathologies, car c'est le moment de création de l’identité (souvenirs épisodiques, connaissances générales sur soi, qui suis-je ?, qu'est-ce que les autres pensent de moi ?). Il existe des régions cérébrales associées au "soi", de même qu'il en existe associées à "l'autre", beaucoup étant communes ou en interaction. (recherches vraiment très récentes). Certaines sont cependant spécifiques : par exemple, le cortex singulaire antérieur est associé seulement au soi ; c'est aussi une région impliquée dans la mémoire épisodique => le fait de se tourner vers soi améliore les performances de mémoire.
Maladie d’Alzheimer
Maladie d’Alzheimer n’est pas liée aux phénomènes de vieillissement physiologique : lors du vieillissement "normal", l'hippocampe, et notamment sa tête, est ce qui résiste le mieux. Or, la maladie d'alzheimer est caractérisée par une atrophie hippocampique. Néanmoins, il n'y a pas de modification fonctionnelle dans l’hippocampe ; par contre, on voit des modifications fonctionnelles dans d’autres régions. L'atrophie de l'hippocampe se transmet à des zones/réseaux différents (gyrus cingulaire postérieur et région orbito-frontale), liés à la mémoire, à la relation à soi et à la relation à l'autre.
La maladie d'alzheimer est une maladie de la mémoire épisodique, à l'inverse, par exemple, de la démence sémantique : personnes qui ne comprennent plus le sens de certains concepts (même très simples, par exemple "montre"), mais ne perdent pas leurs souvenirs. Dans les 2 cas, l’hippocampe est atteint, mais les réseaux altérés sont différents.
2e intervention
Olivier Houdé (Paris XII, spécialiste des processus d'apprentissage) - Le cerveau de l’apprentissage : qu’est-ce qu’un cerveau qui apprend bien ?
Historique et formes d'intelligence
Jean Piaget a mis en valeur différents stades de développement de l’intelligence chez l'enfant. Pour lui, l'intelligence se réduit à l'intelligence logico-mathématique (celle mesurée par le QI, pour faire simple). Mais Howard Gardner a fait éclater la notion d’intelligence dans les années 1980, en montrant qu'il en existait de nombreuses formes : logico-mathématique, interpersonnelle, visio-spatiale, verbale-linguistique… Ses théories restent très débattues, mais il est nécessaire de tenir compte de la variabilité des formes de l’intelligence. La question étant : ces intelligences multiples ont-elles une réalité dans le cerveau ? C'est plut compliqué que cela, mais il existe des réseaux, spécifiques ou partagés, qui correspondent à ces formes d’intelligence ; formes qui ne sont pas nécessairement antinomiques. Il existe une sorte de "constellation" de zones liées à l'intelligence dans le cerveau, en constante interaction.
L'architecture cognitive
L'objet : principe de permanence de l’objet (permanence d’un objet qui est caché). Pas inné pour le bébé. Construit dans les premiers mois. Objet > Nombre > Catégorisation > Raisonnement.
Le nombre : une fois que le bébé reconnaît des objets uniques dans son environnement, envie de les compter => principe du nombre.
La catégorisation : apparaît en même temps que le principe du nombre : différenciation, classement des objets identifiés.
(=> traitements quantitatifs et qualitatifs).
Le raisonnement : apparaît quand les traitements qualitatifs et quantitatifs portent aussi sur des idées, hypothèses, propositions logiques...
Le développement cognitif n’est pas en forme d’escalier (grands stades d'évolution, cf. Piaget), mais au contraire, beaucoup plus dynamiques (vagues de stratégies dominantes). La difficulté pour l’enfant est de jongler avec les stratégies mentales (les composer ou en inhiber une en faveur de l’autre).
L'importance de l'inhibition
Lorsqu'on présente à un enfant de moins de six-sept an deux rangées de 7 jetons identiques, l'enfant répond qu'il y a le même nombre de jetons dans les deux. Mais si on écarte devant lui les jetons de l'une des lignes (il y a toujours autant de jetons, mais espacées les uns des autres, et donc la ligne est plus longue), l'enfant répond que la ligne la plus longue a plus de jetons.
On a pensé d'abord que c'était dû au fait que l'enfant n'acquérait pas la notion de nombre avant cet âge, qu'il n'avait pas le cerveau "en ordre" pour cela avant 6-7 ans, mais c'est faux. Les connaissances proto-mathématiques existent chez l'enfant bien plus tôt, mais l'enfant ne les utilise pas. Le problème est un problème d'inhibition.
En fait, il existe deux stratégies pour résoudre ce problème : l'une "heuristique", qui consiste à regarder la longueur ; l'autre, "algorithmique", qui consiste à dénombrer. Dans le cerveau, les zones liées à ces deux stratégies sont postérieures, proches l'une de l'autre. L'enfant peut faire les deux, mais l'heuristique lui est plus naturelle (parce qu'elle est présente tout le temps dans son environnement, c'est aussi la plus rapide). Pour réussir le problème des jetons, il faut donc qu'il inhibe la pensée "longueur = nombre" pour activer l’algorithme de comptage. Le contrôle inhibiteur est lié au cortex préfrontal inférieur droit, une zone éloignée, qui joue le rôle d'arbitre entre les deux stratégies cognitives. Le cortex préfrontal ne dépend pas d'une perception sensorielle ; il fait la synthèse entre toutes les entrées.
L'intelligence, c'est donc savoir inhiber au bon moment la stratégie inadéquate pour résoudre le problème donné.
En inhibant, on force le cerveau à aller chercher d'autres réseaux, donc d'autres solutions, et de faire preuve de créativité.
Ces dynamiques d’activation et d’inhibition semblent vraies pour toutes les formes d’intelligence ; il y a en fait une sorte de "compétition" entre les formes d'intelligence, et la nécessité d'un arbitrage.
L'apprentissage, c'est à la fois créer des automatismes (donc des heuristiques), par le biais de la répétition (apprendre les listes de vocabulaire, par exemple), et créer des inhibition (pousser l'enfant à faire usage d'une stratégie de raisonnement différente.
Dans le cerveau, cela fonctionne de manière symétrique : par exemplen lorsqu'on apprend une liste de mots, au début, on utilise beaucoup le cortex préfrontal (effort de mémorisation) ; à la fin, ce sont les zones postérieures qui sont mobilisées (création de l’automatisme).
=> Automatisation : reconfiguration antéro-postérieure du cerveau (de l’avant vers l’arrière).
=> Inhibition : reconfiguration postéro-antérieure du cerveau (de l’arrière vers l’avant).
L'éducation doit mobiliser ces deux processus.
(Je ne vous résume pas la 3e intervention, qui était plus sur la musique).
- OxfordNeoprof expérimenté
Très intéressant en effet.
Merci beaucoup et bon dimanche à toi !
Merci beaucoup et bon dimanche à toi !
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Tutti i ghjorna si n'impara.
- ElyasEsprit sacré
C'est effectivement tout ce que j'ai lu et entendu en formations/colloques sur le sujet ! Il y a aussi tout le problème de l'attention qui est central. Il y a un exercice horrible à faire pour comprendre le problème de l'attention et de l'inhibition : le test de Stroop ( si vous voulez tester : http://psychologie.psyblogs.net/2011/12/le-test-de-stroop-lexperience.html , la planche 3 est horrible, j'ai subi en direct).
- cannelle21Grand Maître
Merci : c'est extrêmement intéressant.
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Il y a des gens si bêtes que si une idée apparaissait à la surface de leur cerveau, elle se suiciderait, terrifiée de solitude.
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