Interrogations sur un élève de CP en grande difficulté

J'ai dans ma classe cette année un élève qui a de grosses difficultés que j'ai du mal à cerner. Il semblerait que ce soit lié à la mémoire de travail car des difficultés similaires se retrouvent en lecture et en mathématiques.

En lecture, il a compris le principe de la combinatoire, mais il ne parvient pas à mémoriser la forme des lettres. Il confond par exemple le j, le t et le f, (je ne parle même pas des b d p q, ou m et n), mais le plus curieux, c'est qu'il va voir par exemple la, et lire une fois va une fois ra, une fois ma. Comme s'il lisait "au pif".
J'ai entamé une remédiation par imprégnation syllabique, il voit la page du r et me dit "Ah, c'est le r" et commence à lire la, le, li ...
Le déchiffrage est tellement laborieux qu'il ne peut faire de sens en ânonnant une syllabe toutes les trente secondes.
En encodage, je lui donne des lettres mobiles pour ne pas lui imposer une double tâche (en plus il a du mal à écrire), il ne semble pas entendre la succession des sons, il y a souvent les consonnes et pas les voyelles, surtout quand je donne un mot même court, et pas une simple syllabe. Même pour les syllabes, on a le même problème que pour la lecture, il écrit des lettres qui ne correspondent pas aux sons.

En mathématiques, il ne parvient pas non plus à reconnaître les chiffres, ni les constellations, il doit tout recompter à chaque fois. Autant dire que la construction des nombres, les calculs et les problèmes ... c'est impossible.

Par ailleurs, il a beaucoup de mal à raconter une histoire. Il comprend bien ce qu'on lui raconte, mais il est incapable de restituer.


Pour donner un exemple, j'ai fait travailler récemment sur des inférences simples, je les lui ai lues :
Henri a pris ses outils, puis il a soulevé le capot de la voiture. Il a tout regardé, puis il a trouvé la panne.
Quel est le métier d’Henri ?

Il a une idée puisqu'il m'a dit "c'est là où on prend l'essence".
Je lui dis qu'on prend l'essence à la station-service, mais que parfois il y a aussi un garage, donc Henri est garagiste.
Je lui redemande un peu plus tard le métier d'Henri. Réponse : "heu... la panne".

La vue et l'audition ont été testées.
Je suppose qu'il faudrait voir un orthophoniste mais la maman est en liste d'attente depuis des mois.
Le psychologue scolaire se fait attendre, pour l'instant il l'a vu une fois, et s'est borné à me dire : "il n'a pas très envie de travailler, il n'est pas scolaire", ce que je trouve idiot. Si on m'obligeait à assister six heures par jour à des cours de probabilités, d'informatique ou d'électricité , toutes matières auxquelles je n'ai jamais rien compris, il y a fort à parier que je lâcherais vite l'affaire. C'est un petit bonhomme de six ans, tout à fait gentil et sage, et qui essaie de faire de son mieux, mais qui clairement ne parvient pas à faire ce qu'on lui demande. Et la mère fait tout ce qu'elle peut.

En attendant de pouvoir enfin consulter, si vous avez déjà vu un profil de ce type, si vous avez d'autres idées ... je suis preneuse. Je vais certainement faire une demande de maintien, mais je voudrais bien trouver comment l'aider.

Je ne pense pas pouvoir t'aider mais n'avait-il pas un dossier à la maternelle qui pourrait apporter un éclairage et la maman a-t-elle, elle aussi, remarqué, des problèmes dans les apprentissages simples ?
Bon courage dans tous les cas.

J'ai cette année exactement le même profil pour 2 élèves, un notifié Ulis, l'autre sans rien. Pas de mémoire de travail. En janvier ils reconnaissent quelques sons et lettres et encore. Les noms sont changés mais disons que l'un s'appelle Loris et il ne reconnais ni n'entend le L. Pour l'un toutes les lettres qu'il ne reconnaît pas sont des U (et il y en a beaucoup). J'ai un peu lâché les mathématiques pour me concentrer sur la lecture et l'encodage. Sur les dernières évaluations, il encode ii pour midi, t pour tour, et SA pour samedi. Je suis très contente, car ils progressent tout de même. Pas encore d'écriture cursive pour l'un, le deuxième est appliqué mais ne mémorise pas les lettres. Il a une AESH 12 h.
J'attends un bilan psy pour le deuxième. Le maître E ne prend pas le notifié ULIS, et ne veut plus prendre le deuxième car trop en décalage...
Pour le premier notifié ULIS il passera en CE1 car un maintien ne changera rien, pour le second je pense à  un maintien car il progresse un peu.

Il me fait un peu penser à une petite que j'ai eue l'année dernière et qui redouble cette année son CP dans la classe de ma collègue. Rien de ce qu'on a pu tenter en classe ne fonctionnait.  Les bilans n'ont rien donné de flagrant. On voit que, parfois elle y est. Mais parfois (la majeure partie du temps), son cerveau se met en Off et elle devient incapable de penser, voire fait le contraire de ce qui est demandé : écrit des chiffres pour une dictée de lettres et vice-versa, propose tous les jours de la semaine sauf le bon, etc. Le tout sans provoc', de toute évidence. Pour elle, on est sur une piste plutôt psy. Gamine envahie par des soucis perso, un père abandonnique et une mère également… Une gamine abreuvée d'écrans dès sa toute petite enfance, H24. Elle a un suivi au CMP. On commence à voir un tout petit mieux, mais ce n'est pas flagrant. Mais vu ce que tu dis de la mère, ça ne semble pas être le même profil…

Thalie : Malheureusement non.  Le Rased est intervenu l'an passé en mathématiques, mais n'a rien à me dire pour expliquer la situation, ni pour m'aider.

Maikreeesse : Merci de ton message. J'envisage le maintien car il progresse, mais très très lentement, et les acquis sont très fragiles.
Lors des évaluations, la seule syllabe bien encodée a été sa, sinon : ur pour lur, mi pour mu, acceptable, mais tm pour na, a pour ol, et ti pour pli.
Pour les mots : mt pour moto, min pour midi, mn pour uni, sm pour samedi, te pour tour, a pour lavabo, mon pour mardi et ri pour riche.  

C'est assez incohérent pour que j'y perde mon latin.

Et le psy sco qui me dit "mais en même temps, le maintien risque de lui faire perdre de la confiance en soi".
C'est sûr que voir toute la classe lire des textes entiers pendant qu'il n'arrive à rien est excellent pour la confiance en soi.

Effectivement, Choup90 , il ne semble pas avoir le profil de "l'élève empêché de penser" tel que défini par Serge Boimare. En revanche je le pense un peu immature, c'est le petit dernier qu'on a du mal à laisser grandir (d'autant qu'il est physiquement tout petit tout mimi).

Il s'exprime comment à l'oral s'il doit raconter quelque chose du genre "Qu'as-tu fais pendant les vacances ?" ?

J'ai eu une élève avec des difficultés un peu similaires, mais en maternelle.
Maintien MS avec retard intellectuel.
En maths, j'ai passé toute la première partie de l'année sur "1, c'est un tout seul", et "2, c'est un et encore un, c'est deux comme les 2 mains" en multipliant les situations et avec beaucoup de boîtes à compter. Quand le 1 et le 2 ont été reconnus dans toutes les situations (dés, doigts, objets, dans la vie quotidienne), j'ai introduit le 3 comme "c'est deux et encore un, c'est un et encore deux". En fin de maintien de MS, le 3 était en bonne voie (ok dans la vie quotidienne en touchant les objets mais pas dans toutes les situations type dé) le 1 et le 2 acquis. Plus distinction avec "c'est plus" en parallèle. La psychologue scolaire, qui l'a testée en fin de MS était finalement surprise qu'elle ait atteint ce niveau en numération, vraiment grosse déficience. J'en ai déduit que ma méthode n'était pas trop mauvaise.
La chance était qu'elle avait une AVS.

Une collègue que je complétais a utilisé pour la lecture en CP l'imagier fleurus niveau 1, avec des caches, et en répétant mes mêmes pages longtemps. Elle avait réussi (et moi un tout petit peu avec elle) à faire rentrer dans la combinatoire un élève qui n'identifiait pas les sons voyelles en janvier. Le voir lire péniblement le lit ou un ami était un vrai progrès.
Le risque avec ce type de répétition est que l'enfant associe les caches et les réponses, mais comme ton élève ne mémorise pas, peu de risque.

Pour le langage, il donne quoi en langage en situation ? En langage d'évocation sur des situations vécues ?

Il parle aisément pour dire que dimanche il a joué au foot ou mangé du gâteau au chocolat.
En revanche, reformuler une histoire, décrire une image est mission impossible.
Le plus surprenant est qu'il retient des bribes de mots ou d'expressions, mais ne les réutilise pas forcément à bon escient. Il y a une sorte de proximité sémantique, mais le mot manque. (comme la panne pour le garagiste qu'il n'arrive pas à mémoriser).
En APC en période 2, j'ai essayé avec deux autres élèves de faire retenir et raconter le conte "Les musiciens de Brême", qui a tout de même un schéma assez répétitif, mais il n'a pas pu restituer l'histoire, ni avec le livre, ni avec de petites marionnettes.
Il ne mémorise ni en visuel, ni en auditif. Et j'ai envie de dire pas en kinesthésique non plus puisque ni Borel-Maisonny ni les lettres rugueuses n'ont fonctionné.

Je remonte le sujet car une nouvelle élève est arrivée dans ma classe fin février. Et c'est un clone de celui qui faisait le sujet de ce fil, à une différence près : c'est son deuxième CP.
Le nombre n'est pas construit, tout ce qu'elle fait en mathématiques est "automatique" sans compréhension, elle ne lit pas et j'ai droit aussi , lorsque je lui montre une lettre et lui en demande le son à "je sais plus". Elle fait son écriture mais n'encode pas. Apparemment rien ne l'intéresse, ni les histoires, ni le chant, ni le dessin... Elle parle, au contraire de mon premier élève, et même beaucoup, et surtout d'une façon qui me fait parfois pâlir.

Comme son frère (en CM1) elle parle beaucoup de choses qui font peur, ils ont l'air d'en être gavés.

J'ai créé des ateliers pour essayer de les faire avancer un peu, mais lorsqu'ils sont seuls ils ne font rien. Ils n'essayent même pas. C'est déprimant.

Que pourrait-on faire, dans le cadre de l'école publique, pour ces élèves (de plus en plus nombreux, je trouve) qui clairement n'aiment pas l'école et n'ont envie de rien ? Dans le contexte actuel où on nous met une pression de dingue pour "faire réussir tous les élèves" (ce qui me semble parfaitement irréaliste, soit dit en passant), ou je m'occupe du gros de la troupe en aménageant comme je peux pour eux (mais comme ils ne font rien seuls...), ou je m'occupe d'eux à temps plein et que deviennent les autres ? Et nous ne sommes a priori pas dans le champ du dys ou du handicap, c'est une forme d'aboulie scolaire (néologisme tout à fait personnel).

Ma réponse ne va certainement pas t'aider mais je rebondis sur une de tes phrases: "ils n'aiment pas l'école". Est-ce vraiment le problème?
Une amie a eu en classe de CP , une élève qui ne voulait rien faire. Après de multiples tentatives de projets, discussions, elle a découvert que cette élève était "élevée" par les écrans. (abrutie par les écrans serait le terme plus appropriée). Mon amie n'a rien pu faire sur du long terme. L'enfant ne parvenait pas à se concentrée, n'était intéressée par rien. Elle voulait son téléphone portable.

Cela ne va pas t'aider beaucoup.
J'ai eu il y a quelques années un élève "plante verte", qui ne faisait rien, passait ses journées à attendre. C'était l'époque où il y avait encore des Rased. L'élève était en MS.
C'est la prise en charge du maître G qui a débloqué la situation. Prise en charge une grande partie de l'année. Je suis convaincue que cet élève aurait fini comme le tien sinon.
J'étais sans ressources face à cet élève.

J'ai eu plus récemment des élèves apathiques en élémentaire, pas au point du tien mais pas loin. Même les smart games ne fonctionnaient pas : il fallait essayer.

Mis à part remplir 3 tonnes de paperasse pour une demande Rased qui ne viendra pas ...
Je peux juste te dire de ne pas porter toute la misère du monde, ni la responsabilité de ce que tu ne peux pas changer.
Je me suis posé les mêmes questions, et ai fini par penser que je ne pouvais pas sacrifier tous mes élèves qui essayaient et le reste de la classe pour mon noyau le plus en difficulté. C'est dur.

Je trouve tes descriptions du premier et de la deuxième assez différentes. À te lire le problème semble plus médical dans le premier cas et plus social dans le deuxième. Pour le premier, si la liste d'attente pour l'orthophoniste ne se débloque pas, la piste d'un bilan en milieu hospitalier n'est-elle pas envisageable ? Peut-être consulter un pédiatre qui pourrait l'orienter vers quelque chose.

La bonne nouvelle est que la maman a enfin obtenu un rv pour un bilan orthophonique en avril (après des dizaines d'appels, cela doit te rappeler quelque chose, Lene), dans une ville située à 50 km d'ici. Il n'y a pas de centre référent ici, il faut aller à Dijon, à une heure et demie de route. Et il n'y a pas non plus de maître G.

Pour la deuxième élève, vu le profil du frère, je penche aussi pour une éducation aux écrans.

Merci Verdurette pour la description si précise de ces “cas”. C’est effrayant. Et je ne serais pas étonné si de plus en plus de petits/petites arrivaient dans vos classes dans les années à venir, avant de nous être envoyés au collège… Bon courage et ils ont de la chance d’avoir une PE comme toi.

A lire la description du premier cas, on a l'impression d'une déficience intellectuelle, tout de même.

Je me suis posé la question. J'en saurai plus si la mère veut bien me communiquer, au moins en partie, les résultats des tests du psy-EN qu'elle doit recevoir prochainement. Qui pour l'instant me dit qu'il est juste "immature et pas scolaire". Bon. Toutefois, le fait qu'il parle peu aux adultes et exclusivement en présence de sa mère ne facilite pas les choses en classe.

En effet ça ressemble à un retard global de développement, il faudrait une évaluation par le psy scolaire, et un bilan orthophonique du langage oral/écrit mais aussi un bilan logico-mathématiques vu ce que tu décris. Peut-être dire à la maman de bien préciser quand elle appellle les orthophonistes que l'enfant va être évalué par le psy sco, qu'il y a des difficultés en langage oral et écrit avec des erreurs visuo-attentionnelles mais aussi en logico-maths ? (je reçois en moyenne 4 appels de demande par jour et je vais être plus réactive s'il y a plus de signes d'alertes) Peut-être aussi inciter la maman à faire un bilan orthoptique si la vue a déjà été vérifiée (en signalant les erreurs visuo-attentionnelles) et tenter de consulter un neuropédiatre en libéral ? Bon courage en tout cas.

Le psychologue scolaire ne m'a pas été d'une grande aide .... il m'a dit ce que je sais déjà : il est immature, il n'a pas très envie de travailler, il va trop vite, il ne se concentre pas...
Je n'ai aucun élément clair et quantifié du WISC.
Je continue l'imprégnation syllabique puisque ça a l'air de marcher, au moins pour de petites phrases simples. Ça lui donnera au moins le plaisir de réussir quelque chose (ce qui n'est pas rien). Et puis si le maintien n'est pas validé...
Pour les nombres je désespère. A partir de 7 doigts il doit tout recompter.

Mon élève (celui qui n'est pas notifié Ulis) en est au même point il me semble. Il est obligé de sur compter au delà de 4,ne reconnaît pas les constellations du dé ou avec les 2 mains.
Au niveau des lettres, il a maintenant presque toutes les voyelles sauf le e (mais a le é) et 9 consonnes. J'ai tenté le ou, mais encore inaccessible. Il dessine encore donc est très loin de l'écriture cursive. Il encode difficilement s'il n'a pas les cartes lettres. Pour le déchiffrage de mot simple (moto) sa mémoire ne lui permet pas de se rapeller de la première syllabe. Il a un petit frère de 3 ans. On travaillait sur les termes aîné, cadet, benjamin. Il a été incapable de savoir s'il était plus grand que lui ou plus petit. Je propose un maintien qui lui sera profitable.
En revanche je ne comprends pas pourquoi tu dis qu'on ne te le permettrait pas. C'est le conseil des maîtres qui est décisionnaire, l'ien peut porter un avis qu'on suit ou pas. Si la famille est d'accord avec le maintien, je passe outre l'avis de l'ien. Je constitue un mini dossier pour la forme (ppre, mise en place pédagogique, APC, rased, rencontre avec les parents, équipe éducatrice, absences nombreuses ou pas ...) que j'envoie pour info à l'ien et hop je maintiens.