- pirandellaNiveau 5
La perversion de la vocation : la recherche fonctionne sur trop de logiques symboliques (travailler toujours plus pour avoir les résultats et publications les plus prestigieuses, dans l'espoir d'avoir un poste des années plus tard, accumuler un tas de compétences nécessaires mais non monnayables : de l'editing à la communication, en passant par l'organisation ou le management de groupe) pour que soient accordés des financements et des conditions de travail dignes à des êtres corvéables à merci.
http://www.lemonde.fr/sciences/article/2014/02/17/le-burn-out-des-labos_4368153_1650684.html
- barègesÉrudit
Eh oui...
Extraits :
Extraits :
« L’ARRIVÉE DES PRINCIPES DE GESTION A ÉTÉ UNE CATASTROPHE »
Chaque année, un chercheur passe donc plusieurs mois à remplir des formulaires ultraprécis d’organismes européens ou de l’Agence nationale de recherche (ANR) avec, chaque fois, neuf chances sur dix de voir son projet retoqué. « Pour chaque projet échelonné sur trois-quatre ans, il faut développer, mois par mois, le temps consacré par chaque membre à chaque activité, explique Anne Atlan, chargée de recherche CNRS en biologie évolutive à Rennes. Comme s’il était possible d’anticiper à ce degré de précision ! En recherche, par définition, on ne sait jamais ce qu’on va trouver… »
Face aux plaintes répétées, l’ANR a bien établi, en juillet 2013, un appel à projets simplifié, visant à établir un premier tri parmi les demandes. Mais à la clôture des dossiers, en octobre, elle annonçait 8 444 prépropositions éligibles. Un chiffre décourageant pour Anne Atlan, dont les onze projets déposés ces deux dernières années ont tous été refusés.
Il y a dix ans, « l’arrivée des principes de gestion dans le monde de la recherche, jusqu’ici assez libre, a été une catastrophe », déplore le chercheur Pierre-Henri Gouyon, passé il y a quelques années au Muséum national d’histoire naturelle à Paris pour gagner un peu de sérénité, dans un environnement plus « grand public ». Car la quête de contrats n’est pas, loin s’en faut, la seule mission (ni le seul dossier) à remplir.
« PUBLIER OU PÉRIR »
Les innombrables rubriques du compte rendu d’activité annuelle du chercheur (abrégé en « CRAC », par l’ironie du sort) en disent long sur le potentiel « multitâche » attendu des professionnels du CNRS. Au premier rang de ces impératifs qui participent de l’évaluation des chercheurs, tous les cinq mois, figure bien sûr la publication. C’est le fameux « publish or perish » (publier ou périr), lesté du sacro-saint critère du « facteur d’impact » : comprendre le degré de visibilité des revues où l’on publie et donc leur valeur.
Mais si prestigieuses que soient les publications, elles ne suffisent plus : le chercheur doit encore mener une activité éditoriale – par exemple en tant que relecteur desdites revues –, participer à des animations scientifiques de type congrès ou conférences, faire partie de jurys, concourir à la vulgarisation de la science par des débats citoyens, des associations, des blogs ou des wikis et bien sûr encadrer des étudiants en thèse ou en master…
Une activité d’enseignement qui, dans le cas des enseignants-chercheurs, vaut à elle seule « un temps-plein bien rempli », confie Anne Atlan. En plus des 192 heures de présence devant les étudiants (sans compter les trois-quatre heures de préparation et les corrections pour chaque cours), ses confrères enseignants-chercheurs doivent désormais gérer les emplois du temps, harmoniser filières et groupes, participer à l’accompagnement personnalisé, assurer le contrôle continu, s’inquiéter des commandes pour les travaux pratiques, préparer les salles… « Ce n’est pas la part intéressante du travail qui a pris de l’ampleur, explique Anne Atlan. Mais la comptabilité, la paperasse administrative, la gestion de l’informatique, le travail technique… jusqu’à la rénovation des peintures du labo ! » Sans compter l’obligation de faire tenir les thèses en trois ans, faute de quoi l’école doctorale voit sa note dégradée et le nombre de bourses allouées diminué l’année suivante.
CERTAINES PRATIQUES FONT FROID DANS LE DOS
Concernant l’évaluation quadriennale des laboratoires par l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Aeres), certaines pratiques des labos font froid dans le dos, comme celle qui consiste à gommer des organigrammes les noms de certains collaborateurs « non publiants ». Une méthode violente pour éviter la note sanction, qui consiste tout simplement à nier l’existence de certains chercheurs, tenus un temps éloignés de la course à l’article pour des raisons aussi banales qu’un sujet d’étude moins fructueux ou un congé parental…
Le plus souvent c’est la « perte de sens de leur travail » qui mine les professionnels, estime la médecin Jeannie Trépos : « Ce sont des gens qui ont choisi ce métier par passion, qui ont souvent supporté d’être précaires à un âge avancé et mis des années à obtenir leur poste. » Mais quand la « recherche frénétique de financements », la pression de l’évaluation et les tâches administratives les empêchent le plus souvent d’« être à leur paillasse », alors à quoi bon ? En 2012, une psychologue a été recrutée d’urgence, pour renforcer l’équipe du SMUT. Une clinicienne chevronnée qui, jamais, n’avait vu auparavant tant de « passion et de désespoir associés ».
Ce malaise dans le milieu de la recherche est rarement exposé au grand jour. Anne Atlan explique cette discrétion par « l’aura fantasmatique » qui entoure la profession de chercheur. Un métier correctement payé, reconnu, où l’on n’a pas à pointer… « Si bien qu’on n’ose pas se plaindre, de peur de ne pas être crus. »
Ces six dernières années, l’équipe de Jeannie Trépos a vu une trentaine de chercheurs « sortir du circuit » : certains, très brillants, ont tout plaqué pour ouvrir un restaurant ou un gîte. D’autres émigrent pour les Etats-Unis, l’Europe du Nord ou le Québec, où leur « valeur est mieux reconnue » et la logistique, prise en charge par l’administration. Audrey, qui a dû terminer sa thèse à Marseille en vivant de ses allocations chômage parce que son CDD n’avait pas été renouvelé, songe ainsi « sérieusement à changer de voie ».
- e-WandererGrand sage
Le tableau est dans l'ensemble exact (j'y souscris à 90%), mais tout de même un peu caricatural. Il faut aussi, pour être juste, signaler quelques aspects positifs :
1°) Je ne trouve pas scandaleux qu'on ait à rendre de temps en temps quelques comptes. Cela n'exclut pas une certaine souplesse, car de jeunes parents, des conjoints éloignés géographiquement, des collègues soumis à l'épreuve de la maladie peuvent légitimement avoir des périodes de creux. On ne devrait pas non plus être considéré comme "non publiant" si on est engagé dans des projets à très long terme. Un de mes collègues médiévistes a consacré les 15 dernières années de sa carrière à retranscrire, traduire et commenter des milliers de pages en latin : il travaille énormément, très sérieusement, simplement il ne suit pas les rythmes attendus par l'institution. Des collègues allemands m'ont dit qu'ils avaient l'impression d'aller contre leur propre culture, celle de la grande monographie érudite, en étant de plus en plus obligés de s'engager dans des projets ponctuels à court terme, de prendre l'avion pour courir les colloques foireux à l'étranger etc.
Cependant, je trouve absolument anormal qu'un collègue de grec de 35 ans (sans problème de santé ni charges familiales, sans charges administratives, sans jury de concours) publie 2 malheureux articles en 8 ans (sans être engagé dans un quelconque projet à long terme)… Là, oui, c'est un glandeur, et les places sont suffisamment chères dans le monde de la recherche pour qu'on ait le droit d'être scandalisé. À mes yeux, il devrait être mis à la porte, tout simplement (même si ça fait hurler les syndicats gauchistes quand on dit ça). Et je ne trouve pas normal que l'institution ne réagisse pas. Je suis favorable à une évaluation, mais seulement si elle sert à quelque chose : dégager les 5% de glandeurs qui profitent du système de façon éhontée, et récompenser (vraiment) les gens qui se dévouent à leur métier. Une évaluation qui ne débouche sur rien, c'est simplement une perte de temps.
2°) Je dirige une revue dite "de rang A", et nous pratiquons systématiquement la double expertise anonyme des articles. C'est une EXCELLENTE mesure, certes contraignante, mais qui permet d'améliorer les textes qui nous sont soumis. J'ai travaillé il y a quinze ans pour cette même revue, et le travail d'expertise était alors plus théorique qu'autre chose. Je trouve que la qualité est aujourd'hui très nettement en hausse.
Néanmoins, je ne suis pas un fanatique de la classification des revues (rang A, rang B, etc.). On peut publier d'excellentes choses dans de "petites" revues. De même, il faut faire attention à ne pas appliquer partout les mêmes règles : les habitudes de publication ne sont pas les mêmes en sciences dures qu'en SHS (sans parler des différences, considérables, au sein même des SHS). Or le moule n'est clairement pas fait pour nous…
3°) Je ne suis pas opposé aux financements sur projets. J'en ai bénéficié pendant plusieurs années dans le cadre d'une ACI ("action concertée incitative") montée avec plusieurs collègues, donc j'aurais mauvaise grâce à cracher dans la soupe. En l'occurrence, nous venons de 7 établissements différents et nous aurions eu bien du mal à trouver un financement par une autre voie.
Le malheur est que ce mode de financement devient le modèle archi-dominant et se fait au détriment des financements permanents (dits "récurrents"). Ce qui entraîne d'importantes dérives :
– il faut effectivement sans cesse monter des projets, sinon on ne reçoit pratiquement rien. Et pour être crédible, il faut se donner une allure de "grosse machine" : monter des colloques internationaux (avec des gens des Etats-Unis de préférence, ça fait plus chic que l'Italie ou le Mexique - et tant pis s'ils racontent des bêtises !), demander du matériel informatique en pagaille, réclamer un secrétariat, des ingénieurs recherche… Si votre projet est excellent mais qu'il ne nécessite pas de gros moyens, c'est raté d'avance.
– l'opacité des décisions est totale : on peut recevoir une réponse négative (voire insultante) lors d'une première candidature, et être pris l'année suivante avec le même dossier, simplement parce qu'est entrée au jury une personne capable de comprendre ce que vous faites.
– toutes ces procédures prennent un temps fou : il faut monter les projets (sans garantie de résultat), il faut des gens pour les évaluer, il faut dresser des bilans au terme de la période etc. Et comme nous sommes des gens à peu près instruits, rien de plus facile avec un peu de rhétorique que d'enrober de façon séduisante un truc banal : il est donc extrêmement difficile pour les instances d'évaluation de faire le tri.
Pour ma part, je suis favorable à ce qu'on allège cette machinerie technocratique, qu'on introduise de la souplesse dans les évaluations, qu'on accorde des décharges de service plus nombreuses aux gens qui travaillent beaucoup, qu'on garantisse les financements récurrents à côté des financements sur projets. Mais tout n'est pas à jeter.
1°) Je ne trouve pas scandaleux qu'on ait à rendre de temps en temps quelques comptes. Cela n'exclut pas une certaine souplesse, car de jeunes parents, des conjoints éloignés géographiquement, des collègues soumis à l'épreuve de la maladie peuvent légitimement avoir des périodes de creux. On ne devrait pas non plus être considéré comme "non publiant" si on est engagé dans des projets à très long terme. Un de mes collègues médiévistes a consacré les 15 dernières années de sa carrière à retranscrire, traduire et commenter des milliers de pages en latin : il travaille énormément, très sérieusement, simplement il ne suit pas les rythmes attendus par l'institution. Des collègues allemands m'ont dit qu'ils avaient l'impression d'aller contre leur propre culture, celle de la grande monographie érudite, en étant de plus en plus obligés de s'engager dans des projets ponctuels à court terme, de prendre l'avion pour courir les colloques foireux à l'étranger etc.
Cependant, je trouve absolument anormal qu'un collègue de grec de 35 ans (sans problème de santé ni charges familiales, sans charges administratives, sans jury de concours) publie 2 malheureux articles en 8 ans (sans être engagé dans un quelconque projet à long terme)… Là, oui, c'est un glandeur, et les places sont suffisamment chères dans le monde de la recherche pour qu'on ait le droit d'être scandalisé. À mes yeux, il devrait être mis à la porte, tout simplement (même si ça fait hurler les syndicats gauchistes quand on dit ça). Et je ne trouve pas normal que l'institution ne réagisse pas. Je suis favorable à une évaluation, mais seulement si elle sert à quelque chose : dégager les 5% de glandeurs qui profitent du système de façon éhontée, et récompenser (vraiment) les gens qui se dévouent à leur métier. Une évaluation qui ne débouche sur rien, c'est simplement une perte de temps.
2°) Je dirige une revue dite "de rang A", et nous pratiquons systématiquement la double expertise anonyme des articles. C'est une EXCELLENTE mesure, certes contraignante, mais qui permet d'améliorer les textes qui nous sont soumis. J'ai travaillé il y a quinze ans pour cette même revue, et le travail d'expertise était alors plus théorique qu'autre chose. Je trouve que la qualité est aujourd'hui très nettement en hausse.
Néanmoins, je ne suis pas un fanatique de la classification des revues (rang A, rang B, etc.). On peut publier d'excellentes choses dans de "petites" revues. De même, il faut faire attention à ne pas appliquer partout les mêmes règles : les habitudes de publication ne sont pas les mêmes en sciences dures qu'en SHS (sans parler des différences, considérables, au sein même des SHS). Or le moule n'est clairement pas fait pour nous…
3°) Je ne suis pas opposé aux financements sur projets. J'en ai bénéficié pendant plusieurs années dans le cadre d'une ACI ("action concertée incitative") montée avec plusieurs collègues, donc j'aurais mauvaise grâce à cracher dans la soupe. En l'occurrence, nous venons de 7 établissements différents et nous aurions eu bien du mal à trouver un financement par une autre voie.
Le malheur est que ce mode de financement devient le modèle archi-dominant et se fait au détriment des financements permanents (dits "récurrents"). Ce qui entraîne d'importantes dérives :
– il faut effectivement sans cesse monter des projets, sinon on ne reçoit pratiquement rien. Et pour être crédible, il faut se donner une allure de "grosse machine" : monter des colloques internationaux (avec des gens des Etats-Unis de préférence, ça fait plus chic que l'Italie ou le Mexique - et tant pis s'ils racontent des bêtises !), demander du matériel informatique en pagaille, réclamer un secrétariat, des ingénieurs recherche… Si votre projet est excellent mais qu'il ne nécessite pas de gros moyens, c'est raté d'avance.
– l'opacité des décisions est totale : on peut recevoir une réponse négative (voire insultante) lors d'une première candidature, et être pris l'année suivante avec le même dossier, simplement parce qu'est entrée au jury une personne capable de comprendre ce que vous faites.
– toutes ces procédures prennent un temps fou : il faut monter les projets (sans garantie de résultat), il faut des gens pour les évaluer, il faut dresser des bilans au terme de la période etc. Et comme nous sommes des gens à peu près instruits, rien de plus facile avec un peu de rhétorique que d'enrober de façon séduisante un truc banal : il est donc extrêmement difficile pour les instances d'évaluation de faire le tri.
Pour ma part, je suis favorable à ce qu'on allège cette machinerie technocratique, qu'on introduise de la souplesse dans les évaluations, qu'on accorde des décharges de service plus nombreuses aux gens qui travaillent beaucoup, qu'on garantisse les financements récurrents à côté des financements sur projets. Mais tout n'est pas à jeter.
- Marie LaetitiaBon génie
D'accord avec toi, e-Wanderer...
_________________
Si tu crois encore qu'il nous faut descendre dans le creux des rues pour monter au pouvoir, si tu crois encore au rêve du grand soir, et que nos ennemis, il faut aller les pendre... Aucun rêve, jamais, ne mérite une guerre. L'avenir dépend des révolutionnaires, mais se moque bien des petits révoltés. L'avenir ne veut ni feu ni sang ni guerre. Ne sois pas de ceux-là qui vont nous les donner (J. Brel, La Bastille)
Antigone, c'est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien. Elle regarde droit devant elle. Elle pense. [...] Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire. Elle s'appelle Antigone et il va falloir qu'elle joue son rôle jusqu'au bout...
Et on ne dit pas "voir(e) même" mais "voire" ou "même".
- barègesÉrudit
Slu donne un lien vers une intervention radiophonique sur le sujet du "publish or perish", facteur H, etc (surtout valable pour les sciences "dures" tout de même) :
http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article6675
http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article6675
- CondorcetOracle
Mme Fioraso aurait un secrétariat d'Etat à l'ESR...http://www.lemonde.fr/education/article/2014/04/02/benoit-hamon-a-genevieve-fioraso-merci-beaucoup-a-bientot_4394551_1473685.html
(ce n'est pas un poisson d'avril...).
(ce n'est pas un poisson d'avril...).
- Marcel KhrouchtchevEnchanteur
Ah, heureusement il y aura des secrétaires d'Etat, sinon pas de gouvernement resserré qui tienne!
- barègesÉrudit
En 2009, ils tournaient obstinément, en 2014 ils vont marcher "pour la science" ; fin septembre, début octobre, les chercheurs et universitaires convergeront vers Paris pour essayer d'obtenir quelques crédits. Une BD informative est publiée sur le blog sciences 2 :
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