[Mediapart] Le distanciel, « un outil redoutable » pour contrer la mobilisation à l’université

Au-delà de ça, c'est aussi un moyen de gérer des pénuries, parfois un confort personnel etc. qui s'exercent pour l'instant sans grand cadre.

Mediapart : Sur le fond, la question sera tranchée dans plusieurs mois par le tribunal administratif, mais comment comprenez-vous, en tant qu’enseignants-chercheurs à l’université, la manière dont y est cadré l’usage du distanciel ?

Noé Wagener : Les seuls points de certitude que nous avons tiennent dans le cadre posé en 2013 sur l’enseignement numérique à l’université, qui a introduit la possibilité de passer des cours en « format numérique ». À l’époque, on réfléchissait d’ailleurs plutôt sur les contenus, à travers les « Moocs » [cours en ligne libres d’accès] notamment. Il y a toute une procédure sur le sujet, il faut que ce soit décidé par les conseils académiques, prévu dans le contrat passé entre l’université et le ministère, collectivement discuté. Pour résumer, c’est assez lourd, très loin de l’ambiance Far West que l’on voit se développer aujourd’hui sur le distanciel.

https://www.mediapart.fr/journal/france/220323/le-distanciel-un-outil-redoutable-pour-contrer-la-mobilisation-l-universite

Chez nous, interdiction absolue de donner des cours à distance sans une autorisation spéciale, au cas par cas, délivrée par la direction de l'UFR (et la tendance est nettement au refus d'autorisation – refus systématique les jours de grosses mobilisations nationales, et hautement probable dans une période de troubles sociaux comme actuellement). C'est une décision qui n'est pas arbitraire mais a fait l'objet d'un vote en conseil d'UFR. En somme, les exceptions concernent surtout les turbo-profs qui rencontrent un problème de train ponctuel en dehors des gros mouvements sociaux, ou les collègues qui doivent faire face à des difficultés familiales ou sont en déplacement prolongé à l'étranger etc. On a une semaine 13 prévue en fin de chaque semestre pour pouvoir décaler des cours qui sautent (colloques, soutenances, comités de sélection etc.), mais ça ne suffit pas toujours.

Du “distanciel” réputé un “mode dégradé” d'enseignement et justifié par une situation sanitaire, on est en train de passer à un “distanciel” de commodité : plus assez de sous pour payer le chauffage ou l'électricité ? hop ! un coup de distanciel ! Des grèves ? hop ! du distanciel ! Et pourquoi pas : pas assez de salles ou d'amphis ? hop ! du distanciel ! Finalement les locaux coûtent trop cher en entretien, en personnels etc. donc : tout en distanciel (et juste un bureau type poste restante à la place du reste).
Pour ma part, c'est clair : c'est non.

Je m'y refuse aussi et nous avons eu des échanges assez tendus quand nous avons reçu un mail lors d'une fermeture administrative, nous "préconisant" de continuer à distance. (Enfin, tendus, moi j'ai ri et me suis contentée de dire même pas en rêve. )

Une porte a été bien ouverte et peu fermée: comme chez e-Wanderer, le passage à distance inscrit sur ADE dans une autre couleur est censé avoir fait l'objet d'une autorisation spéciale -- cas d'intervenants étrangers ponctuels par ex et à leur demande, ou bien sûr aménagements RQTH.
Mais j'ai aussi connaissance de cours qui ont eu lieu à distance (pas nécessairement en visio pour autant) sans qu'ils apparaissent comme tels sur ADE, et sans autorisation spéciale, pour lesquels le passage a simplement été annoncé aux étudiants concernés par mail, parfois la veille -- y compris avant le mouvement social.

Souvenir aussi, à la première rentrée post-adaptations Covid, d'une collègue expliquant à un amphi de collègues pas aussi médusés qu'on aurait pu le croire qu'en cas de jambe cassée, par ex, c'était quand même bien pratique de pouvoir se dire qu'on pouvait continuer les cours à distance. Bref, entre la théorie que je partage et la pratique que je constate (pour des raisons différentes selon la personne qui préconise ou la personne qui fait des cours à distance), j'ai l'impression que nous ne sommes peut-être pas si nombreux à tenir la même position que toi, epekeina.tes.ousias -- alors qu'en effet, le risque que ce "mode" devienne une pseudo solution aux pénuries et coupes budgétaires est bien réel.

À mon avis, nous sommes un certain nombre, mais pas si nombreux que cela. Chez un grand nombre de mes collègues, cela rentre comme dans du beurre : mais pourquoi ne pas utiliser son propre ordinateur pour faire cours à distance, puisque c'est si pratique ? (voilà en gros ce que j'ai entendu à plusieurs reprises). Le pire étant que toute critique est immédiatement assimilée à de la “technophobie” (ce qui marche moyennement avec moi vu que j'en suis loin et même très loin). Ce n'est ni une question de génération, ni une question de “méthode” ou je ne sais quoi — c'est un certain état d'esprit.
Je n'ai pas plus de raison que toi d'être optimiste — mais c'est tout de même non car je suis plus têtu qu'un troupeau de mulets.