- RobinFidèle du forum
A la mémoire du Docteur Hassen ALI dont l'écoute, l'intelligence du coeur, la compréhension et la sympathie me manqueront cruellement.
"Notre pratique est une escroquerie, bluffer, faire ciller les gens, les éblouir avec des mots qui sont du chiqué (...) Du point de vue éthique, c'est intenable, notre profession ; c'est bien d'ailleurs pour ça que j'en suis malade, parce que j'ai un surmoi comme tout le monde (... ) Il s'agit de savoir si Freud est oui ou non un événement historique. Je crois qu'il a raté son coup. C'est comme moi dans très peu de temps, tout le monde s'en foutera de la psychanalyse." (Jacques Lacan, extraits d'une conférence prononcée à Bruxelles le 26 février 1977)
"Je pense que vous étant informé auprès des Belges, il est parvenu à vos oreilles que j'ai parlé de la psychanalyse comme pouvant être une escroquerie (...) La psychanalyse est peut-être une escroquerie, mais pas n'importe laquelle - c'est une escroquerie qui tombe juste sous le rapport à ce qu'est le signifiant, soit quelque chose de bien spécial, qui a des effets de sens." (Jacques Lacan, Ornicar ?, Bulletin périodique du champ freudien, "L'escoquerie psychanalytique", 17, 1979, 1, page 8)
J'ai écouté sur France-Culture le cours de Michel Onfray sur Sigmund Freud à l'université populaire de Caen et lu "Le crépuscule d'une idole, l'affabulation freudienne" (Grasset), qui reprend la plupart des "révélations" du "Livre noir de la psychanalyse" sous la direction de Catherine Meyer avec entre autres des contributions de Mikkel Borch-Jacobsen, Jean Cotraux, Didier Pleux et Jacques Van Rillaer, paru en 2005 aux éditions des Arènes.
J'ai également pris connaissance de l'opuscule d'Elisabeth Roudinesco "Pourquoi tant de haine ?", manifestement écrit dans le souci de "cacher la nudité du père" (du "Père" ?), ainsi que d'une réponse du professeur Jacques Van Rillaer de l'université de Louvain, qui me semble sérieuse et qui confronte les propos réels d'Onfray aux propos prêtés à Onfray par Elisabeth Roudinesco.
Il me semble qu'il n'est pas inutile de lever les tabous sur le totem et de rendre accessible à un large public les découvertes d'Onfray ou celles qu'il reprend à son compte - certaines étaient déjà dans "Le Livre noir de la psychanalyse" -, dès lors qu'elles sont fondées, quitte à jeter sur la vie et l'oeuvre de Freud un éclairage différent de celui de l'hagiographie officielle.
Ce point de vue m'est d'autant plus aisé à adopter que je n'ai jamais été un freudien convaincu, mais un modeste lecteur de quelques ouvrages de Freud - pas tous - ou sur Freud, pas tous non plus, heureusement pour moi !
J'ai aussi un peu lu Lacan en essayant d'extraire du sens de cette prose mallarméenne, à grands renforts de cachets d'aspirine, jusqu'à m'apercevoir qu'il ne fallait pas se prendre la tête avec les mots, mais éprouver le tranchant d'un style (?) : le stade du miroir, que l'inconscient est structuré comme un langage, (ce qui aurait bien étonné Freud qui pensait que le langage jouait au niveau du préconscient et de la censure et non de l'inconscient) que l'on peut rapprocher la "Traumdeutung" ("L'interprétation des rêves") des travaux de Ferdinand de Saussure sur le signifiant, le signifié et le référent, l'analogie entre la métaphore et le déplacement, d'une part, la métonymie et la condensation, d'autre part, que le psychanalyste est un linguiste, la relation entre le désir et la Loi, la notion de "dénégation" ('Verneinung" en allemand) : "Si le patient vous dit que ce n'est pas sa mère, alors vous pouvez être certain que c'est sa mère." (Jacques Lacan, "Écrits", le champ freudien, collection dirigée par Jacques Lacan, aux Editions du seuil, Paris)
Je ne suis pas certain d'avoir parfaitement compris l'intrication "borroméenne" du Réel, du Symbolique et de l'Imaginaire dans la structure du sujet et la comparaison de la structure névrotique à une "tore" (figure engendrée par la rotation d'un cercle autour d'un autre cercle) est demeurée au-delà de mes facultés de compréhension.
Maigre bagage qui ferait sans doute s’esclaffer les lacaniens...
Ah ! j'oubliais : que l'analysé devait mettre la main à la poche et qu'il n'était pas souhaitable de creuser le déficit de la sécurité sociale en remboursant les séances, conception qui heurtait, avec les légendes urbaines autour du coffre-fort de Lacan, mes idées progressistes.
J'ai découvert plus tard des éclairages plus accessibles, qui font pousser des cris d'orfraie (et non d'Onfray !) aux prêtres (et aux prêtresses) du culte : "L'enfant illégitime sources talmudiques de la psychanalyse (Hachette)" et "Manger le livre" (Grasset) de Gérard Haddad, passionnantes études sur les rapports entre la psychanalyse et la culture juive, qui suscitèrent, bien que dédiées à Jacques Lacan, l'ire d'Elisabeth Roudinesco, "La violence et le sacré", "Des choses cachées depuis la fondation du monde "Vérité romanesque et mensonge romantique" de René Girard (avec ses fameux concept de "mimésis" et de "modèle obstacle", qui doivent peut-être à Adler et certainement au Dostoïevski de "L'éternel mari"), René Girard se payant le luxe (dans "Des choses cachées") de réhabiliter la seule et unique oeuvre de Freud que les gardiens du Temple eussent préféré qu'il n'ait pas écrite : "Totem et tabou" et de Marie Balmary "L'Homme aux statues" et "Le sacrifice interdit", où l'auteur démontre, preuves à l'appui, que Freud a tronqué le récit de Sophocle et examine les rapports entre Sigmund Freud et Wilhelm Fliess et leur influence sur la révision par Freud de sa théorie de la séduction.
Oui, Freud a tronqué l'histoire d'Oedipe pour disculper Laïos, le père d'Oedipe, et, à travers Laïos, son propre père.
Oui, c'est à cause de son père que Freud a renoncé à sa première théorie de la séduction. Il ne faut pas oublier que le fondateur de la psychanalyse n'a jamais été analysé. Wilhelm Fliess, dont les conceptions aberrantes et les errements thérapeutiques sont bien connus, était moins que tout autre apte à jouer le rôle d'analyste.
Michel Onfray lit la correspondance entre Freud et Fliess sans comprendre que la relation entre les deux hommes est essentiellement analytique et comporte, comme toute analyse, une dose d'absurdité et d'excès, voire de délire, de "transfert" (de Freud sur Fliess) et de "contre-transfert" (de Fliess sur Freud).
Oui, Freud a eu une liaison avec sa belle-soeur.
Oui, il fallait passer par la chambre conjugale de Freud pour accéder à celle de Minna, sa belle-soeur. Mais les implications qu'en tire Michel Onfray de relations entre Freud et sa belle-soeur "sous le toit conjugal" ne sont pas vérifiables.
Oui, Freud était un tyran domestique, mais aussi un mari prévenant et un père attentionné.
Oui, Freud souffrit de jalousie pathologique, particulièrement pendant ses fiançailles.
Oui, Freud a psychanalysé sa fille Anna, ce qu'il ne faut, paraît-il, jamais faire.
Oui, c'est probablement à cause de son père qu'elle ne s'est jamais mariée. Lui a-t-il révélé ses tendances homosexuelles ou persuadé qu'elle l'était : bénéfice du doute.
Oui, Freud fumait trente cigares par jour, y compris pendant les séances et ses patients étaient victimes de "tabagisme passif". Indulgence du jury : le prévenu prétend que le tabac "l'aidait à se concentrer" et il n'y avait pas d'avertissement sur les boîtes.
Oui, Freud a inventé la méthode des "associations libres" et parlé "d'attention (également) flottante". Pensait-il vraiment que les inconscients communiquent ? Lui arrivait-il de s'endormir pendant les séances ? Bénéfice du doute, à la demande d'Elisabeth Roudinesco : l'expression aurait été mal traduite. Soit !
Oui, Freud supportait mal la dissidence : "Jurez-moi, mon cher Jung, que vous ne renoncerez jamais à l'étiologie sexuelle des névroses !" Mais il faut dire que Freud voulait faire de Jung son héritier spirituel et le continuateur de son oeuvre ; une longue amitié, marquée par une abondante et passionnante correspondance, le lia à Ludwig Binswanger, le directeur de la clinique Bellevue en Suisse alémanique qui ne partageait ni ses idées, ni sa méthode thérapeutique, ce qui montre que Freud n'était pas - toujours - le personnage intolérant et dogmatique que Michel Onfray se plaît à dépeindre.
Oui une cure avec Freud durait moins longtemps qu'aujourd'hui ; les séances étaient moins espacées, jusqu'à six par semaine, et duraient 15 minutes de plus, son chow chow donnait le signal de la fin en baillant trois minutes avant, mais pouvait coûter la peau des fesses.
Ceci dit, les honoraires étaient souvent "discutés" entre Freud et ses patients et étaient proportionnels à leurs revenus. Cette question du prix et de la durée de la cure qui est liée à celle de son efficacité thérapeutique est une question récurrente qui prendra avec Lacan une dimension surréaliste, Lacan allant jusqu'à pratiquer des séances-éclairs de cinq minutes pour le prix d'une séance de trois quarts d'heure, justifiant cette pratique par le fait que cinq minutes suffisaient parfois "pour aller au coeur du problème" (!)
En ce qui concerne l'homme aux loups, (Serguéï Constantinovitch Pankejeff), dont parle longuement Michel Onfray, et qui consulta Freud à partir de 1910, voici ce qu'écrit Lydia Flem à son sujet ("La vie quotidienne de Freud de ses patients", Hachette, 1986) : "Né, selon le calendrier grégorien, le 24 décembre 1886 dans la propriété d'hiver de ses parents, au bord du Dniepr, il faisait partie de ces Russes blancs élevés pour être servis et qui n'apprirent à s'habiller seuls que lorsque les circonstances politiques et économiques les y contraignirent... Fils d'un riche propriétaire foncier, il put voyager fastueusement pendant quelques années, toujours accompagné de son médecin personnel et d'un homme de confiance, mais avec la Révolution d'Octobre, il perdit tous ses biens et devint un pauvre émigré apatride dans cette Autriche qu'il avait parcourue comme un prince de sang. Dans ses souvenirs, il note : "Notre situation financière était devenue si sérieuse que nous n'aurions probablement même pas été en mesure de payer notre loyer, si le professeur Freud, qui avait des patients anglais, ne nous avait pas procuré de temps à autres quelques livres anglaises..."
Non, Freud, contrairement à Alfred Adler, très engagé socialement dans les faubourgs populaires de Vienne, ne soignait pas gratuitement.
Si Freud avait pu vivre de la vente de ses livres, il n'aurait pas pris de patients. Bénéfice du doute.
Oui, les cures ne guérissaient pas toujours les malades : "L'homme aux loups" a traîné sa neurasthénie toute sa vie.
Il est certain, par ailleurs qu'une "psychothérapie de soutien" qui aide un patient dépressif à trouver une énergie suffisante et des "stratégies efficaces" pour affronter des situations présentes concrètes, accompagnée de médicaments (anxiolytiques, antidépresseurs) peut se révéler plus "efficace" que la seule thérapie par la parole ; mais les anti-dépresseur qui agissent directement sur les liaisons neuronales en recaptant la sérotonine, n'existaient pas du temps de Freud, pas plus que les anxiolytiques.
Freud : "Agir sur le symptôme n'empêche pas de chercher la cause.
- Cause toujours !"
Mais il faut dire aussi que Freud lui-même était sceptique au sujet du pouvoir de guérison de la psychanalyse qu'il considérait plutôt comme un instrument de connaissance de soi.
Le prévenu, la tête entre les mains : "analyse infinie, résistance, résurgence des symptômes... J'aurais voulu les y voir, surtout quand le malade ne veut pas guérir et rechigne à faire le travail.
Le prévenu demande la parole (en français avec un léger accent autrichien) : "Je n'ai pas prétendu supprimer la souffrance, mais aider à échanger une souffrance intolérable, subie et incomprise contre une souffrance banale, assumée et comprise."
Non, Freud n'a pas fait l'apologie de l'irrationnel, et des "forces obscures" de la libido et de l'instinct de mort dont il se méfiait comme de la peste et dont il avait prédit les ravages présents et à venir.
Le prévenu : "Les tentations de l'ivresse dionysiaque me sont étrangères. Je suis un héritier de la "Haskala" et des Lumières. La psychanalyse est une volonté de faire émerger le sujet, ce n'est pas une descente à la cave, mais une montée vers la lumière : "Wo Es war, soll Ich werden." ("Là où c'était, je dois advenir")."Partout où/ Chaque fois qu'/ il était inconscient, un élément doit parvenir à la conscience du Moi. "Es ist Kulturarbeit wie die Trockenlegung der Zuydersee." ("C'est un travail de civilisation, comme l'assèchement du Zuydersee.")
Oui, Freud était superstitieux et croyait à la transmission de pensée. Le prévenu : "Nobody's perfect !"
Non Freud n'était pas un "progressiste" et un "émancipateur", il réprouvait la masturbation et l'homosexualité, il avait une conception rigide - sans jeu de mots, quoi que... - du rôle de la femme qu'il considérait comme intellectuellement inférieure à l'homme.
Freud : "j'ai effectivement considéré que l'homosexualité était une "perversion" ; mon jugement concernant l'homosexualité n'est pas un jugement moral, il est lié à ma théorie des "stades" : l'homosexualité est , selon moi, une fixation à un stade archaïque de la sexualité et cette fixation est de nature narcissique, mais j'ai toujours été sensible à l'intelligence, à la sensibilité et au sens moral et j'ai eu affaire à des hommes - ou à des femmes - d'une grande valeur humaine, ayant des tendances homosexuelles, qui ont forcé mon estime.
En tout état de cause le psychanalyste doit renoncer à porter un jugement moral sur les symptômes de ses patients. Il ne saurait pour autant renoncer à tout système de valeur et il ne lui est pas interdit de préférer sur le plan humain tel patient à tel autre. Ceci dit, il se peut que je me sois complètement trompé sur l'homosexualité, mais c'est une supercherie de me présenter comme un précurseur de la "libération sexuelle".
- En ce qui concerne la masturbation, j'ai dit qu'elle était un moyen régressif et "trop facile" d'obtenir la satisfaction, mais il m'est arrivé de conseiller à certains de mes patients atteints par exemple de névrose obsessionnelle un "usage modéré".
- Herr Onfray a raison de dire que je n'étais pas un révolutionnaire ; j'étais effrayé par la Révolution Russe, par ce Lénine, ce Trotski et surtout ce Staline, cette brute paranoïaque et interloqué par Wilhelm Reich qui voulait opérer la synthèse entre la psychanalyse et le marxisme, et moins effrayé qu'amusé par ce Monsieur André Breton, incapable de voir la bureaucratie derrière la Révolution ; "Manque de maturité, aveuglement politique, "Schwarmerei !"
"Pour ce qui est des femmes - "La Femme" -, j'ai dit "en règle générale", mais il y a des exceptions : Anna et Lou, par exemple, mais je n'ai pas toujours parlé d'infériorité biologique (l'absence de pénis), j'ai aussi envisagé que cette "infériorité" puisse être liée au rôle social de la femme.
- La grande question est de savoir : que veut la femme ? Je n'ai jamais réussi à répondre à cette question."
Freud considérait l'utilisation du préservatif masculin comme un "pis aller" - "il empêche de ressentir des sensations fines" (sic) - et mettait de grands espoirs dans l'invention d'un moyen contraceptif capable de bloquer l'ovulation, la "pilule" anti-contraceptive ayant permis de découpler le rapport sexuel de la procréation.
Oui, Freud a écrit une dédicace (ironique) à Mussolini, mais à la demande d'un patient italien sur un exemplaire de "Pourquoi la guerre ?". Mais Il faut savoir que Mussolini était opposé à l'annexion de l'Autriche, ce qui constituait un point de désaccord avec Hitler ; Freud, comme Dollfuss comptait naïvement, mais sincèrement sur Mussolini pour protéger l'Autriche. Rappelons également que le chancelier Dollfuss était tout, sauf un démocrate, mais qu'il finit assassiné par les nazis.
Oui Freud a écrit : "Je recommande à tous la Gestapo" sur un document où on lui demandait de certifier qu'il avait été bien traité avant son départ vers l'Angleterre. Il faut ne rien comprendre à l'humour juif pour y voir une apologie du nazisme...
Oui, Freud a envisagé de se compromettre avec les nazis "pour la survie de la psychanalyse", même s'il n'est pas allé aussi loin que Jung qui mettra cependant - rien n'est simple ! - à, partir de 1942, son excellente connaissance de l'adversaire à la disposition des services secrets américains.
Oui, Freud aurait préféré être un artiste comme Arthur Schnitzler, plutôt qu'un théoricien.
Oui, si l'on admet le critère de "réfutabilité" ("falsifiability") de Karl Popper, la psychanalyse n'est pas une science : on ne peut en tirer aucun énoncé prédictif testable et en conséquence aucune expérience ne permet d'en établir ou non la réfutation et donc la confirmation. Mais le critère de réfutabilité n'est opératoire que dans les sciences expérimentales ou d'observation, bien que Karl Popper ait défendu contre Theodor Adorno la position inverse et soutenu que la sociologie - mais non la psychanalyse - pouvait être soumise au critère de réfutabilité.
"Grünbaum affirme, contrairement à Popper que la psychanalyse est réfutable et n'est donc pas pseudo-scientifique. Mais la réfutabilité d'une théorie de peut pas prouver que celle-ci n'est pas pseudo-scientifique. Sinon, l'astrologie solaire (...) que Popper cite comme exemple de pseudo-science n'aurait pas ce statut, car elle est certainement susceptible de vérification empirique et a même été réfutée." (Franck Cioffi, Epistémologie et mauvaise foi : le cas du freudisme, Le Livre noir de la psychanalyse, édition des Arènes, page 320)
Oui, j'ose à peine l'écrire, Freud préférait Odette Guilbert : "Elle avait le nombril en forme de cinq" - à Gustav Malher.
Reste-t-il cependant quelque chose de Freud et du freudisme ?
Oui, tous ceux pour qui Freud a été une source d'inspiration et qui ont eu le courage moral et intellectuel de s'en séparer pour suivre leur propre chemin après avoir "tué le père" : Jung, Adler, Abraham, Binswanger, Ferenczy, Reich, Marcuse, Alexandre Herzberg, à la suite d'une intéressante remarque Freud en 1919 sur le traitement "actif" de l'agoraphobie et son continuateur Hans Eysenck...
Oui, l'alliance thérapeutique, qui est reprise par les thérapies cognitivo-comportementalistes : "une compréhension sympathique, affection et amitié sont les véhicules de la psychanalyse." ("On beginning the treatment : further recommendations on the technique of psychoanalysis", 1913, Standard Edition, 12, Londres, Hogarth, 1958), le langage du rêve, les lapsus, les actes manqués, les traits d'esprit (Witz), la sexualité infantile - mais pas les "stades" -, le traitement de l'agoraphobie, les conséquences psychiques de la dépendance du sujet humain pendant la petite enfance en raison de la maturation incomplète du système nerveux, le fait que nous sommes la proie de notre enfance et de nos parents, pour le meilleur et pour le pire, que "l'enfant est le père de l'homme" (Lacan)
... La dimension tragique de la condition humaine, la part obscure de nous-mêmes, l'ambivalence de l'amour et de la haine, le caractère conflictuel des relations humaines, l'impossibilité de combler le manque, de satisfaire le désir : thèmes que l'on trouve bien avant et bien après Freud, dans l'art et la littérature de tous les temps, depuis Sophocle jusqu'à Michel Houellbecq, en passant par Shakespeare.
Points litigieux : le complexe d'Oedipe, la théorie de la séduction, la question du "transfert", le statut de la femme, le rôle du sacrifice, le rôle de l'imitation, la question de savoir si le désir est "spontané" ou s'il est "imité", la question de savoir si la différence entre le "normal" et le "pathologique" est de nature ou de degré, le rôle de la "scène primitive", l'étiologie sexuelle des névroses, la "sublimation", les similitudes et les différences entre l'homme et l'animal, en particulier dans les comportements d'appropriation et de rivalité.
Une différence absolument cruciale sur laquelle René Girard a bâti sa théorie de la rivalité mimétique : il n'y a pas de régulation instinctuelle de la mimésis d'appropriation et de rivalité chez l'homme, d'où les institutions religieuses, et juridiques, la morale, la Loi et son intériorisation, ce que le nietzschéisme libertaire de Michel Onfray se refuse absolument à voir.
Le fameux "instinct de mort" pourrait bien avoir un rapport avec cette caractéristique, de même que la "censure", le "surmoi" et le "refoulement". La question de la sexualité ne serait donc pas aussi centrale que celle de l'agressivité, bien que les deux réalités soient liées puisqu'il n'y a pas non plus de régulation instinctuelle de la sexualité.
Cette polémique entre les partisans d'une relecture rationaliste, voire positiviste de Freud et de son oeuvre et les admirateurs inconditionnels du grand homme ne peut que tourner au dialogue de sourds si personne n'écoute la petite voix du symbolique - je rejoins ici Jacques Alain Miller - , car on peut tout savoir et ne rien comprendre.
Les concepts psychanalytiques : complexes, libido, inconscient, instinct de vie/mort, paranoïa, hystérie... fonctionnent, dans la culture moderne post-freudienne, comme des "signifiants flottants" déconnectés de tout ancrage référentiel. la psychanalyse vulgarisée est le roman-feuilleton de la modernité.
Mais cette utilisation ne plaide pas forcément en défaveur de ces concepts. Il peut y avoir une utilisation triviale (étymologiquement : "ramassés dans la rue") de concepts géniaux - la physique quantique, n'a pas été mieux lotie que la psychanalyse à cet égard -, comme il peut y avoir une utilisation géniale de concepts triviaux, chez Hitchcock, par exemple dans "La maison du Dr. Edwardes", "Pas de printemps pour Marnie" et "Psychose".
La théorie freudienne est une allégorie d'une réalité impossible à saisir : la psyché humaine dont l'étude ne saurait relever de la méthodologie des sciences de la matière... Notion tout aussi mystérieuse que l'esprit : qu'aurait compris Galilée à la théorie de la relativité, à la constante de Planck, à la notion de causalité statistique ?
"Je crois qu'à laisser se dissiper le sens du mystère, nous perdons l'essentiel même de la démarche sur laquelle toute analyse doit être fondée." (Jacques Lacan, 1956, à l'occasion du centenaire de la naissance de Freud).
L'insistance sur l'intériorité, la culture, l'introspection, l'acquisition d'une autonomie réflexive critique vis-à-vis des conditionnements, l'acceptation du manque - "Ne manquer de rien, c'est manquer du manque", disait Jacques Lacan -, le caractère tragique de la condition humaine... est insupportable pour les partisans d'une société décomplexée, dans laquelle des individus "adaptés" et parfaitement socialisés communient dans la béatitude de la consommation et du spectacle. Dans un tel contexte, il est incongru de rappeler que le désir ne saurait se confondre avec le besoin.
Certains font comme si les concepts freudiens étaient sortis de la cervelle du professeur Freud comme Athéna de la cuisse de Jupiter, alors qu'ils ont constitué un effort pour rendre compte du réel, de l'observation quotidienne et de la pratique, pour le "théoriser", c'est-à-dire (au sens étymologique) pour le "voir".
Dans le domaine de la recherche, les "errements" ne sont pas pure négativité, mais des moments sur le chemin d'une vérité virtuelle, d'un horizon théorique. Chez Freud, cette vérité, en l'occurrence l'hypothèse de l'existence d'un inconscient psychique, rappelle la noumène kantienne, postulée par la raison, mais inaccessible à l'entendement.
L'analogie entre l'inconscient freudien et la noumène kantienne est le fruit d'un débat amical entre Sigmund Freud, plutôt hostile à la philosophie et Ludwig Binswanger qui tentera de concilier dans "l'analyse existentielle" ("Daseinanalyse") la psychanalyse freudienne et l'approche phénoménologique : Heidegger et l'analytique du "Dasein" dans "Sein und Zeit" et la phénoménologie de Husserl. Cette approche qui fait du sujet un "être dans monde", doté d'un "projet existentiel" brise la dichotomie entre le sujet et l'objet que Biswanger considérait comme le "cancer de la psychanalyse".
L'inconscient n'est pas une réalité spatio-temporelle, mais une hypothèse épistémologique qui permet de réintroduire de la causalité et du sens dans des phénomènes considérés comme aberrants ou négligeables : les lapsus et les actes manqués.
Dire de l'inconscient qu'il est semblable à la noumène kantienne, veut dire qu'il n'est pas connaissable directement, que l'inconscient n'est pas une "réalité objectale", une chose, un phénomène accessible à l'entendement, mais que son existence est postulé par la raison à titre d'hypothèse.
"L'inconscient est ce chapitre de mon histoire qui est marqué par un blanc ou occupé par un mensonge : c'est le chapître censuré. Mais la vérité peut être retrouvée ; le plus souvent déjà elle est écrite ailleurs..." (Jacques Lacan, "Fonction et champ de la Parole et du Langage", page 259, "Ecrits", Le Seuil)
Ceci dit il est impossible aussi bien de "prouver" que nier l'existence de l'inconscient, c'est la fameuse notion popérienne de "réfutablité", et la pratique de la TCC (thérapie cognitive et comportementaliste) montre que l'on peut très bien s'en passer pour soigner les gens.
Inspiré par la lecture de Martin Buber, Ludwig Biswanger souligne l'importance de l'intersubjectivité : ni le "je", ni le "tu" ne vivent séparément, ils n'ont n'existence que dans le contexte Je-Tu qui précède la sphère du Je et la sphère du Tu ; de même ni le je, ni le cela (l'étant, les "objets" du monde) n'existent séparément, ils existent uniquement dans la sphère du Je-Cela. Je, Tu ou Cela ne dépend donc pas de la nature de l'objet, mais de la relation que le sujet établit avec cet objet. En phénoménologie, on parlerait "d'intentionalité".
René Girard a montré de son côté que l'idée d'une "spontanéité du désir" et le dualisme sujet/objet était une illusion du désir qui interdisait d'en percevoir le caractère imitatif et la médiation d'un tiers.
La conviction nietzschéenne, reprise par Michel Onfray et qui constitue le fil conducteur de son livre que toute pensée, tout système philosophique est "généalogique", est liée à une histoire personnelle, et le souci de préserver les spécificités individuelles n'implique pas que toute pensée se réduit à sa généalogie et n'interdit pas de chercher et de proposer des explications théoriques et des concepts universels, y compris dans les sciences humaines, sauf à tomber dans un scepticisme radical ou à transformer les sciences humaines et la biographie des "grands hommes" en bric-à-brac anecdotique et à réduire la philosophie à une "histoire des idées", une philologie, ce que Nietzsche s'est bien gardé de faire.
Le postulat de toute recherche scientifique est qu'il existe des Lois qui permettent de relier les faits particulier et de leur donner un sens.
Cependant, les critiques de la psychanalyse freudienne soulignent "l'obstacle" que peut constituer la théorie, par exemple en ce qui concerne le petit Hans et sa phobie des chevaux, phobie très handicapante à l'époque car elle lui interdisait pratiquement toute sortie et la tendance à écarter ou à sous-estimer trop rapidement le "réel" : un accident traumatisant dont l'enfant fut réellement le témoin au profit de l'Imaginaire : la castration. La phobie du cheval apparaît chez l'enfant quand ce dernier assiste à la chute d'un cheval tirant un carrosse, qu'il voit à terre se débattre, fouetté par le cocher et que le cheval vient s'effondrer près de lui.
Si j'ai bien compris la triple intrication "borroméenne" du Réel, du Symbolique et de l'Imaginaire (Lacan), le Réel serait l'accident dont l'enfant fut le témoin, le Symbolique la dimension du langage, du "parlêtre". L'accident n'est pas un "fait" brut, mais un fait interprété, associé à un traumatisme (cheval, carrosse, violence, mort, pitié, peur, danger...) et l'Imaginaire, le retentissement dans la psyché de l'enfant en relation avec d'autres affects inconscients que seule l'analyse peut mettre à jour et relier (l'angoisse de castration), le signifiant "cheval" étant la métonymie de cette angoisse, la condensation d'une chaîne d'une pluralité de signifiants "secondaires" (père, mère, pénis, grossesse, interdit, masturbation, moustache, lunettes...), évoquant les interrogations et les craintes de l'enfant à propos de la sexualité.
Particulièrement éveillé, attachant et intelligent l'enfant surnommé "Le petit Hans" par Freud s'appelait en réalité Herbert Graf ; il devint par la suite un célèbre metteur en scène d'opéra ; il est décédé en 1973. Il semble avoir guéri de sa névrose phobique et avoir totalement oublié par la suite cet épisode de sa vie ; l'analyse fut menée par son père et supervisée par Freud.
Selon Jacques Van Rillaer, la phobie du petit Hans correspondrait à une phobie banale à cet âge-là et la teneur symbolique de cette phobie trahirait une surinterprétation par le père de Hans, très suggestif et directif dans ses questions à l'égard de son fils, et par Freud lui-même.
"La possibilité que les guérisons par la psychanalyse soient réellement causées par la suggestion doit être sérieusement considérée (...) Le récit - particulièrement connu et absolument révoltant - du "Petit Hans" est un bon exemple, d'autant que Freud, dans son compte-rendu, anticipe l'accusation que l'enfant puisse avoir été influencé par la suggestion en admettant un amour incestueux pour sa mère et le désir de tuer son père." (Aldous Huxley, "Une supercherie pour notre siècle", The Forum, 1925, traduction Agnès Fonbonne)
Voici ce que Jacques Lacan répondait au sujet de l'angoisse de castration à Françoise Dolto (l'Inconscient et la répétition, séance du 12 février 1964 in "Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse", Le Séminaire, Livre XI, Le Seuil, page 62) : "La description des stades formateurs de la libido, ne doit pas être référée à une pseudo-maturation naturelle, qui reste toujours opaque. Les stades s'organisent autour de l'angoisse de castration. Le fait copulatoire de l’introduction de la sexualité est traumatisant - voilà un accroc de taille - et il a fonction organisatrice pour le développement..."
Je comprends très bien que cette phraséologie puisse agacer les adversaires de la psychanalyse ; elle semble relever de la pétition de principe et de l'argument d'autorité : Lacan s'appuie sur Freud qui s'appuie sur... Freud. Sur un point aussi important, on souhaiterait ne pas avoir à se contenter d'un "peut-être".
La triangulation oedipienne est (serait), avec l'interdit de l'inceste, le "tourniquet" par lequel le petit d'homme doit passer pour accéder au stade génital, aux relations amoureuses et à la parentalité. Les névroses, les psychoses et les perversions traduisent (traduiraient) les errements, les impasses ou les échecs d'un "parcours".
Certains reprochent à Freud d'avoir focalisé son attention sur l'enfant et sous-estimé le rôle des parents : déficience du père et/ou de la mère, inceste, surinvestissement de l'un des parents sur l'enfant... alors que logiquement et chronologiquement Jocaste et Laïos viennent avant Oedipe.
Que la relation causale doive être repensée à nouveaux frais après Freud ne plaide pas en défaveur de sa démarche et de ses découvertes, mais la théorisation de cette démarche : s'est-il totalement trompé, sa théorie doit-elle être relativisée et intégrée dans un ensemble plus vaste, comme l'a fait Jung avec l'hypothèse d'un "inconscient collectif", l'étiologie sexuelle des névroses doit elle être complétée par d'autres facteurs, ces facteurs pouvant d'ailleurs se greffer sur la dynamique sexuelle, par exemple l'image du moi, comme l'a fait Adler, et/ou doit-elle être "simplifiée" (René Girard) toutes ces questions - légitimes - ne surgissent pas nécessairement de la consistance de la théorie freudienne, mais aussi de son "inconsistance" et de son inaptitude à rendre compte de certains phénomènes, d'une fécondité "en creux". On peut penser "contre" Freud, mais pas sans lui.
D'un point de vue clinique, Michel Onfray semble assez peu au fait des pratiques actuelles. Si de nombreux praticiens continuent à s'inspirer des analyses de Freud et/ou de Lacan, en invitant le patient à un travail d'anamnèse, ils favorisent parallèlement l'émergence d'un projet existentiel.
Les thérapies comportementales ont abandonné la quasi totalité des concepts de la psychanalyse : complexe d'Oedipe, fantasmes de séduction, associations libres, transfert, scène primitive... et qui semblent obtenir de meilleurs résultats thérapeutiques que la psychanalyse "pure et dure" ont néanmoins conservé une phase d'investigation dans le passé du patient dont la parole joue un rôle tout aussi essentiel.
Par ailleurs, le comportement privé de Freud et de son entourage plaide en défaveur des hagiographes de Freud, mais non de la démarche psychanalytique.
L'exhumation du "misérable petit tas de secrets" comme disait André Malraux ("qu'est ce qu'un homme après tout...") n'est pas dénuée d'intérêt dans la mesure ou l'hagiographie constitue un obstacle épistémologique, mais encore faut-il montrer de façon fine et précise, comme le fait par exemple Marie Balmary, en quoi ces "secrets" peuvent constituer des obstacles et "déblayer le terrain" pour aller de l'avant, quitte à retrouver le grand refoulé freudien, mais qui "travaille" le freudisme "de l'intérieur" : la pensée juive.
Mais le parti pris anti-religieux aussi bien de Michel Onfray que d'Elisabeth Roudinesco et de la modernité contemporaine en général, n'est-il pas, à son tour, un obstacle majeur à la découverte de l'intérêt anthropologique des textes ?
"Notre pratique est une escroquerie, bluffer, faire ciller les gens, les éblouir avec des mots qui sont du chiqué (...) Du point de vue éthique, c'est intenable, notre profession ; c'est bien d'ailleurs pour ça que j'en suis malade, parce que j'ai un surmoi comme tout le monde (... ) Il s'agit de savoir si Freud est oui ou non un événement historique. Je crois qu'il a raté son coup. C'est comme moi dans très peu de temps, tout le monde s'en foutera de la psychanalyse." (Jacques Lacan, extraits d'une conférence prononcée à Bruxelles le 26 février 1977)
"Je pense que vous étant informé auprès des Belges, il est parvenu à vos oreilles que j'ai parlé de la psychanalyse comme pouvant être une escroquerie (...) La psychanalyse est peut-être une escroquerie, mais pas n'importe laquelle - c'est une escroquerie qui tombe juste sous le rapport à ce qu'est le signifiant, soit quelque chose de bien spécial, qui a des effets de sens." (Jacques Lacan, Ornicar ?, Bulletin périodique du champ freudien, "L'escoquerie psychanalytique", 17, 1979, 1, page 8)
J'ai écouté sur France-Culture le cours de Michel Onfray sur Sigmund Freud à l'université populaire de Caen et lu "Le crépuscule d'une idole, l'affabulation freudienne" (Grasset), qui reprend la plupart des "révélations" du "Livre noir de la psychanalyse" sous la direction de Catherine Meyer avec entre autres des contributions de Mikkel Borch-Jacobsen, Jean Cotraux, Didier Pleux et Jacques Van Rillaer, paru en 2005 aux éditions des Arènes.
J'ai également pris connaissance de l'opuscule d'Elisabeth Roudinesco "Pourquoi tant de haine ?", manifestement écrit dans le souci de "cacher la nudité du père" (du "Père" ?), ainsi que d'une réponse du professeur Jacques Van Rillaer de l'université de Louvain, qui me semble sérieuse et qui confronte les propos réels d'Onfray aux propos prêtés à Onfray par Elisabeth Roudinesco.
Il me semble qu'il n'est pas inutile de lever les tabous sur le totem et de rendre accessible à un large public les découvertes d'Onfray ou celles qu'il reprend à son compte - certaines étaient déjà dans "Le Livre noir de la psychanalyse" -, dès lors qu'elles sont fondées, quitte à jeter sur la vie et l'oeuvre de Freud un éclairage différent de celui de l'hagiographie officielle.
Ce point de vue m'est d'autant plus aisé à adopter que je n'ai jamais été un freudien convaincu, mais un modeste lecteur de quelques ouvrages de Freud - pas tous - ou sur Freud, pas tous non plus, heureusement pour moi !
J'ai aussi un peu lu Lacan en essayant d'extraire du sens de cette prose mallarméenne, à grands renforts de cachets d'aspirine, jusqu'à m'apercevoir qu'il ne fallait pas se prendre la tête avec les mots, mais éprouver le tranchant d'un style (?) : le stade du miroir, que l'inconscient est structuré comme un langage, (ce qui aurait bien étonné Freud qui pensait que le langage jouait au niveau du préconscient et de la censure et non de l'inconscient) que l'on peut rapprocher la "Traumdeutung" ("L'interprétation des rêves") des travaux de Ferdinand de Saussure sur le signifiant, le signifié et le référent, l'analogie entre la métaphore et le déplacement, d'une part, la métonymie et la condensation, d'autre part, que le psychanalyste est un linguiste, la relation entre le désir et la Loi, la notion de "dénégation" ('Verneinung" en allemand) : "Si le patient vous dit que ce n'est pas sa mère, alors vous pouvez être certain que c'est sa mère." (Jacques Lacan, "Écrits", le champ freudien, collection dirigée par Jacques Lacan, aux Editions du seuil, Paris)
Je ne suis pas certain d'avoir parfaitement compris l'intrication "borroméenne" du Réel, du Symbolique et de l'Imaginaire dans la structure du sujet et la comparaison de la structure névrotique à une "tore" (figure engendrée par la rotation d'un cercle autour d'un autre cercle) est demeurée au-delà de mes facultés de compréhension.
Maigre bagage qui ferait sans doute s’esclaffer les lacaniens...
Ah ! j'oubliais : que l'analysé devait mettre la main à la poche et qu'il n'était pas souhaitable de creuser le déficit de la sécurité sociale en remboursant les séances, conception qui heurtait, avec les légendes urbaines autour du coffre-fort de Lacan, mes idées progressistes.
J'ai découvert plus tard des éclairages plus accessibles, qui font pousser des cris d'orfraie (et non d'Onfray !) aux prêtres (et aux prêtresses) du culte : "L'enfant illégitime sources talmudiques de la psychanalyse (Hachette)" et "Manger le livre" (Grasset) de Gérard Haddad, passionnantes études sur les rapports entre la psychanalyse et la culture juive, qui suscitèrent, bien que dédiées à Jacques Lacan, l'ire d'Elisabeth Roudinesco, "La violence et le sacré", "Des choses cachées depuis la fondation du monde "Vérité romanesque et mensonge romantique" de René Girard (avec ses fameux concept de "mimésis" et de "modèle obstacle", qui doivent peut-être à Adler et certainement au Dostoïevski de "L'éternel mari"), René Girard se payant le luxe (dans "Des choses cachées") de réhabiliter la seule et unique oeuvre de Freud que les gardiens du Temple eussent préféré qu'il n'ait pas écrite : "Totem et tabou" et de Marie Balmary "L'Homme aux statues" et "Le sacrifice interdit", où l'auteur démontre, preuves à l'appui, que Freud a tronqué le récit de Sophocle et examine les rapports entre Sigmund Freud et Wilhelm Fliess et leur influence sur la révision par Freud de sa théorie de la séduction.
Oui, Freud a tronqué l'histoire d'Oedipe pour disculper Laïos, le père d'Oedipe, et, à travers Laïos, son propre père.
Oui, c'est à cause de son père que Freud a renoncé à sa première théorie de la séduction. Il ne faut pas oublier que le fondateur de la psychanalyse n'a jamais été analysé. Wilhelm Fliess, dont les conceptions aberrantes et les errements thérapeutiques sont bien connus, était moins que tout autre apte à jouer le rôle d'analyste.
Michel Onfray lit la correspondance entre Freud et Fliess sans comprendre que la relation entre les deux hommes est essentiellement analytique et comporte, comme toute analyse, une dose d'absurdité et d'excès, voire de délire, de "transfert" (de Freud sur Fliess) et de "contre-transfert" (de Fliess sur Freud).
Oui, Freud a eu une liaison avec sa belle-soeur.
Oui, il fallait passer par la chambre conjugale de Freud pour accéder à celle de Minna, sa belle-soeur. Mais les implications qu'en tire Michel Onfray de relations entre Freud et sa belle-soeur "sous le toit conjugal" ne sont pas vérifiables.
Oui, Freud était un tyran domestique, mais aussi un mari prévenant et un père attentionné.
Oui, Freud souffrit de jalousie pathologique, particulièrement pendant ses fiançailles.
Oui, Freud a psychanalysé sa fille Anna, ce qu'il ne faut, paraît-il, jamais faire.
Oui, c'est probablement à cause de son père qu'elle ne s'est jamais mariée. Lui a-t-il révélé ses tendances homosexuelles ou persuadé qu'elle l'était : bénéfice du doute.
Oui, Freud fumait trente cigares par jour, y compris pendant les séances et ses patients étaient victimes de "tabagisme passif". Indulgence du jury : le prévenu prétend que le tabac "l'aidait à se concentrer" et il n'y avait pas d'avertissement sur les boîtes.
Oui, Freud a inventé la méthode des "associations libres" et parlé "d'attention (également) flottante". Pensait-il vraiment que les inconscients communiquent ? Lui arrivait-il de s'endormir pendant les séances ? Bénéfice du doute, à la demande d'Elisabeth Roudinesco : l'expression aurait été mal traduite. Soit !
Oui, Freud supportait mal la dissidence : "Jurez-moi, mon cher Jung, que vous ne renoncerez jamais à l'étiologie sexuelle des névroses !" Mais il faut dire que Freud voulait faire de Jung son héritier spirituel et le continuateur de son oeuvre ; une longue amitié, marquée par une abondante et passionnante correspondance, le lia à Ludwig Binswanger, le directeur de la clinique Bellevue en Suisse alémanique qui ne partageait ni ses idées, ni sa méthode thérapeutique, ce qui montre que Freud n'était pas - toujours - le personnage intolérant et dogmatique que Michel Onfray se plaît à dépeindre.
Oui une cure avec Freud durait moins longtemps qu'aujourd'hui ; les séances étaient moins espacées, jusqu'à six par semaine, et duraient 15 minutes de plus, son chow chow donnait le signal de la fin en baillant trois minutes avant, mais pouvait coûter la peau des fesses.
Ceci dit, les honoraires étaient souvent "discutés" entre Freud et ses patients et étaient proportionnels à leurs revenus. Cette question du prix et de la durée de la cure qui est liée à celle de son efficacité thérapeutique est une question récurrente qui prendra avec Lacan une dimension surréaliste, Lacan allant jusqu'à pratiquer des séances-éclairs de cinq minutes pour le prix d'une séance de trois quarts d'heure, justifiant cette pratique par le fait que cinq minutes suffisaient parfois "pour aller au coeur du problème" (!)
En ce qui concerne l'homme aux loups, (Serguéï Constantinovitch Pankejeff), dont parle longuement Michel Onfray, et qui consulta Freud à partir de 1910, voici ce qu'écrit Lydia Flem à son sujet ("La vie quotidienne de Freud de ses patients", Hachette, 1986) : "Né, selon le calendrier grégorien, le 24 décembre 1886 dans la propriété d'hiver de ses parents, au bord du Dniepr, il faisait partie de ces Russes blancs élevés pour être servis et qui n'apprirent à s'habiller seuls que lorsque les circonstances politiques et économiques les y contraignirent... Fils d'un riche propriétaire foncier, il put voyager fastueusement pendant quelques années, toujours accompagné de son médecin personnel et d'un homme de confiance, mais avec la Révolution d'Octobre, il perdit tous ses biens et devint un pauvre émigré apatride dans cette Autriche qu'il avait parcourue comme un prince de sang. Dans ses souvenirs, il note : "Notre situation financière était devenue si sérieuse que nous n'aurions probablement même pas été en mesure de payer notre loyer, si le professeur Freud, qui avait des patients anglais, ne nous avait pas procuré de temps à autres quelques livres anglaises..."
Non, Freud, contrairement à Alfred Adler, très engagé socialement dans les faubourgs populaires de Vienne, ne soignait pas gratuitement.
Si Freud avait pu vivre de la vente de ses livres, il n'aurait pas pris de patients. Bénéfice du doute.
Oui, les cures ne guérissaient pas toujours les malades : "L'homme aux loups" a traîné sa neurasthénie toute sa vie.
Il est certain, par ailleurs qu'une "psychothérapie de soutien" qui aide un patient dépressif à trouver une énergie suffisante et des "stratégies efficaces" pour affronter des situations présentes concrètes, accompagnée de médicaments (anxiolytiques, antidépresseurs) peut se révéler plus "efficace" que la seule thérapie par la parole ; mais les anti-dépresseur qui agissent directement sur les liaisons neuronales en recaptant la sérotonine, n'existaient pas du temps de Freud, pas plus que les anxiolytiques.
Freud : "Agir sur le symptôme n'empêche pas de chercher la cause.
- Cause toujours !"
Mais il faut dire aussi que Freud lui-même était sceptique au sujet du pouvoir de guérison de la psychanalyse qu'il considérait plutôt comme un instrument de connaissance de soi.
Le prévenu, la tête entre les mains : "analyse infinie, résistance, résurgence des symptômes... J'aurais voulu les y voir, surtout quand le malade ne veut pas guérir et rechigne à faire le travail.
Le prévenu demande la parole (en français avec un léger accent autrichien) : "Je n'ai pas prétendu supprimer la souffrance, mais aider à échanger une souffrance intolérable, subie et incomprise contre une souffrance banale, assumée et comprise."
Non, Freud n'a pas fait l'apologie de l'irrationnel, et des "forces obscures" de la libido et de l'instinct de mort dont il se méfiait comme de la peste et dont il avait prédit les ravages présents et à venir.
Le prévenu : "Les tentations de l'ivresse dionysiaque me sont étrangères. Je suis un héritier de la "Haskala" et des Lumières. La psychanalyse est une volonté de faire émerger le sujet, ce n'est pas une descente à la cave, mais une montée vers la lumière : "Wo Es war, soll Ich werden." ("Là où c'était, je dois advenir")."Partout où/ Chaque fois qu'/ il était inconscient, un élément doit parvenir à la conscience du Moi. "Es ist Kulturarbeit wie die Trockenlegung der Zuydersee." ("C'est un travail de civilisation, comme l'assèchement du Zuydersee.")
Oui, Freud était superstitieux et croyait à la transmission de pensée. Le prévenu : "Nobody's perfect !"
Non Freud n'était pas un "progressiste" et un "émancipateur", il réprouvait la masturbation et l'homosexualité, il avait une conception rigide - sans jeu de mots, quoi que... - du rôle de la femme qu'il considérait comme intellectuellement inférieure à l'homme.
Freud : "j'ai effectivement considéré que l'homosexualité était une "perversion" ; mon jugement concernant l'homosexualité n'est pas un jugement moral, il est lié à ma théorie des "stades" : l'homosexualité est , selon moi, une fixation à un stade archaïque de la sexualité et cette fixation est de nature narcissique, mais j'ai toujours été sensible à l'intelligence, à la sensibilité et au sens moral et j'ai eu affaire à des hommes - ou à des femmes - d'une grande valeur humaine, ayant des tendances homosexuelles, qui ont forcé mon estime.
En tout état de cause le psychanalyste doit renoncer à porter un jugement moral sur les symptômes de ses patients. Il ne saurait pour autant renoncer à tout système de valeur et il ne lui est pas interdit de préférer sur le plan humain tel patient à tel autre. Ceci dit, il se peut que je me sois complètement trompé sur l'homosexualité, mais c'est une supercherie de me présenter comme un précurseur de la "libération sexuelle".
- En ce qui concerne la masturbation, j'ai dit qu'elle était un moyen régressif et "trop facile" d'obtenir la satisfaction, mais il m'est arrivé de conseiller à certains de mes patients atteints par exemple de névrose obsessionnelle un "usage modéré".
- Herr Onfray a raison de dire que je n'étais pas un révolutionnaire ; j'étais effrayé par la Révolution Russe, par ce Lénine, ce Trotski et surtout ce Staline, cette brute paranoïaque et interloqué par Wilhelm Reich qui voulait opérer la synthèse entre la psychanalyse et le marxisme, et moins effrayé qu'amusé par ce Monsieur André Breton, incapable de voir la bureaucratie derrière la Révolution ; "Manque de maturité, aveuglement politique, "Schwarmerei !"
"Pour ce qui est des femmes - "La Femme" -, j'ai dit "en règle générale", mais il y a des exceptions : Anna et Lou, par exemple, mais je n'ai pas toujours parlé d'infériorité biologique (l'absence de pénis), j'ai aussi envisagé que cette "infériorité" puisse être liée au rôle social de la femme.
- La grande question est de savoir : que veut la femme ? Je n'ai jamais réussi à répondre à cette question."
Freud considérait l'utilisation du préservatif masculin comme un "pis aller" - "il empêche de ressentir des sensations fines" (sic) - et mettait de grands espoirs dans l'invention d'un moyen contraceptif capable de bloquer l'ovulation, la "pilule" anti-contraceptive ayant permis de découpler le rapport sexuel de la procréation.
Oui, Freud a écrit une dédicace (ironique) à Mussolini, mais à la demande d'un patient italien sur un exemplaire de "Pourquoi la guerre ?". Mais Il faut savoir que Mussolini était opposé à l'annexion de l'Autriche, ce qui constituait un point de désaccord avec Hitler ; Freud, comme Dollfuss comptait naïvement, mais sincèrement sur Mussolini pour protéger l'Autriche. Rappelons également que le chancelier Dollfuss était tout, sauf un démocrate, mais qu'il finit assassiné par les nazis.
Oui Freud a écrit : "Je recommande à tous la Gestapo" sur un document où on lui demandait de certifier qu'il avait été bien traité avant son départ vers l'Angleterre. Il faut ne rien comprendre à l'humour juif pour y voir une apologie du nazisme...
Oui, Freud a envisagé de se compromettre avec les nazis "pour la survie de la psychanalyse", même s'il n'est pas allé aussi loin que Jung qui mettra cependant - rien n'est simple ! - à, partir de 1942, son excellente connaissance de l'adversaire à la disposition des services secrets américains.
Oui, Freud aurait préféré être un artiste comme Arthur Schnitzler, plutôt qu'un théoricien.
Oui, si l'on admet le critère de "réfutabilité" ("falsifiability") de Karl Popper, la psychanalyse n'est pas une science : on ne peut en tirer aucun énoncé prédictif testable et en conséquence aucune expérience ne permet d'en établir ou non la réfutation et donc la confirmation. Mais le critère de réfutabilité n'est opératoire que dans les sciences expérimentales ou d'observation, bien que Karl Popper ait défendu contre Theodor Adorno la position inverse et soutenu que la sociologie - mais non la psychanalyse - pouvait être soumise au critère de réfutabilité.
"Grünbaum affirme, contrairement à Popper que la psychanalyse est réfutable et n'est donc pas pseudo-scientifique. Mais la réfutabilité d'une théorie de peut pas prouver que celle-ci n'est pas pseudo-scientifique. Sinon, l'astrologie solaire (...) que Popper cite comme exemple de pseudo-science n'aurait pas ce statut, car elle est certainement susceptible de vérification empirique et a même été réfutée." (Franck Cioffi, Epistémologie et mauvaise foi : le cas du freudisme, Le Livre noir de la psychanalyse, édition des Arènes, page 320)
Oui, j'ose à peine l'écrire, Freud préférait Odette Guilbert : "Elle avait le nombril en forme de cinq" - à Gustav Malher.
Reste-t-il cependant quelque chose de Freud et du freudisme ?
Oui, tous ceux pour qui Freud a été une source d'inspiration et qui ont eu le courage moral et intellectuel de s'en séparer pour suivre leur propre chemin après avoir "tué le père" : Jung, Adler, Abraham, Binswanger, Ferenczy, Reich, Marcuse, Alexandre Herzberg, à la suite d'une intéressante remarque Freud en 1919 sur le traitement "actif" de l'agoraphobie et son continuateur Hans Eysenck...
Oui, l'alliance thérapeutique, qui est reprise par les thérapies cognitivo-comportementalistes : "une compréhension sympathique, affection et amitié sont les véhicules de la psychanalyse." ("On beginning the treatment : further recommendations on the technique of psychoanalysis", 1913, Standard Edition, 12, Londres, Hogarth, 1958), le langage du rêve, les lapsus, les actes manqués, les traits d'esprit (Witz), la sexualité infantile - mais pas les "stades" -, le traitement de l'agoraphobie, les conséquences psychiques de la dépendance du sujet humain pendant la petite enfance en raison de la maturation incomplète du système nerveux, le fait que nous sommes la proie de notre enfance et de nos parents, pour le meilleur et pour le pire, que "l'enfant est le père de l'homme" (Lacan)
... La dimension tragique de la condition humaine, la part obscure de nous-mêmes, l'ambivalence de l'amour et de la haine, le caractère conflictuel des relations humaines, l'impossibilité de combler le manque, de satisfaire le désir : thèmes que l'on trouve bien avant et bien après Freud, dans l'art et la littérature de tous les temps, depuis Sophocle jusqu'à Michel Houellbecq, en passant par Shakespeare.
Points litigieux : le complexe d'Oedipe, la théorie de la séduction, la question du "transfert", le statut de la femme, le rôle du sacrifice, le rôle de l'imitation, la question de savoir si le désir est "spontané" ou s'il est "imité", la question de savoir si la différence entre le "normal" et le "pathologique" est de nature ou de degré, le rôle de la "scène primitive", l'étiologie sexuelle des névroses, la "sublimation", les similitudes et les différences entre l'homme et l'animal, en particulier dans les comportements d'appropriation et de rivalité.
Une différence absolument cruciale sur laquelle René Girard a bâti sa théorie de la rivalité mimétique : il n'y a pas de régulation instinctuelle de la mimésis d'appropriation et de rivalité chez l'homme, d'où les institutions religieuses, et juridiques, la morale, la Loi et son intériorisation, ce que le nietzschéisme libertaire de Michel Onfray se refuse absolument à voir.
Le fameux "instinct de mort" pourrait bien avoir un rapport avec cette caractéristique, de même que la "censure", le "surmoi" et le "refoulement". La question de la sexualité ne serait donc pas aussi centrale que celle de l'agressivité, bien que les deux réalités soient liées puisqu'il n'y a pas non plus de régulation instinctuelle de la sexualité.
Cette polémique entre les partisans d'une relecture rationaliste, voire positiviste de Freud et de son oeuvre et les admirateurs inconditionnels du grand homme ne peut que tourner au dialogue de sourds si personne n'écoute la petite voix du symbolique - je rejoins ici Jacques Alain Miller - , car on peut tout savoir et ne rien comprendre.
Les concepts psychanalytiques : complexes, libido, inconscient, instinct de vie/mort, paranoïa, hystérie... fonctionnent, dans la culture moderne post-freudienne, comme des "signifiants flottants" déconnectés de tout ancrage référentiel. la psychanalyse vulgarisée est le roman-feuilleton de la modernité.
Mais cette utilisation ne plaide pas forcément en défaveur de ces concepts. Il peut y avoir une utilisation triviale (étymologiquement : "ramassés dans la rue") de concepts géniaux - la physique quantique, n'a pas été mieux lotie que la psychanalyse à cet égard -, comme il peut y avoir une utilisation géniale de concepts triviaux, chez Hitchcock, par exemple dans "La maison du Dr. Edwardes", "Pas de printemps pour Marnie" et "Psychose".
La théorie freudienne est une allégorie d'une réalité impossible à saisir : la psyché humaine dont l'étude ne saurait relever de la méthodologie des sciences de la matière... Notion tout aussi mystérieuse que l'esprit : qu'aurait compris Galilée à la théorie de la relativité, à la constante de Planck, à la notion de causalité statistique ?
"Je crois qu'à laisser se dissiper le sens du mystère, nous perdons l'essentiel même de la démarche sur laquelle toute analyse doit être fondée." (Jacques Lacan, 1956, à l'occasion du centenaire de la naissance de Freud).
L'insistance sur l'intériorité, la culture, l'introspection, l'acquisition d'une autonomie réflexive critique vis-à-vis des conditionnements, l'acceptation du manque - "Ne manquer de rien, c'est manquer du manque", disait Jacques Lacan -, le caractère tragique de la condition humaine... est insupportable pour les partisans d'une société décomplexée, dans laquelle des individus "adaptés" et parfaitement socialisés communient dans la béatitude de la consommation et du spectacle. Dans un tel contexte, il est incongru de rappeler que le désir ne saurait se confondre avec le besoin.
Certains font comme si les concepts freudiens étaient sortis de la cervelle du professeur Freud comme Athéna de la cuisse de Jupiter, alors qu'ils ont constitué un effort pour rendre compte du réel, de l'observation quotidienne et de la pratique, pour le "théoriser", c'est-à-dire (au sens étymologique) pour le "voir".
Dans le domaine de la recherche, les "errements" ne sont pas pure négativité, mais des moments sur le chemin d'une vérité virtuelle, d'un horizon théorique. Chez Freud, cette vérité, en l'occurrence l'hypothèse de l'existence d'un inconscient psychique, rappelle la noumène kantienne, postulée par la raison, mais inaccessible à l'entendement.
L'analogie entre l'inconscient freudien et la noumène kantienne est le fruit d'un débat amical entre Sigmund Freud, plutôt hostile à la philosophie et Ludwig Binswanger qui tentera de concilier dans "l'analyse existentielle" ("Daseinanalyse") la psychanalyse freudienne et l'approche phénoménologique : Heidegger et l'analytique du "Dasein" dans "Sein und Zeit" et la phénoménologie de Husserl. Cette approche qui fait du sujet un "être dans monde", doté d'un "projet existentiel" brise la dichotomie entre le sujet et l'objet que Biswanger considérait comme le "cancer de la psychanalyse".
L'inconscient n'est pas une réalité spatio-temporelle, mais une hypothèse épistémologique qui permet de réintroduire de la causalité et du sens dans des phénomènes considérés comme aberrants ou négligeables : les lapsus et les actes manqués.
Dire de l'inconscient qu'il est semblable à la noumène kantienne, veut dire qu'il n'est pas connaissable directement, que l'inconscient n'est pas une "réalité objectale", une chose, un phénomène accessible à l'entendement, mais que son existence est postulé par la raison à titre d'hypothèse.
"L'inconscient est ce chapitre de mon histoire qui est marqué par un blanc ou occupé par un mensonge : c'est le chapître censuré. Mais la vérité peut être retrouvée ; le plus souvent déjà elle est écrite ailleurs..." (Jacques Lacan, "Fonction et champ de la Parole et du Langage", page 259, "Ecrits", Le Seuil)
Ceci dit il est impossible aussi bien de "prouver" que nier l'existence de l'inconscient, c'est la fameuse notion popérienne de "réfutablité", et la pratique de la TCC (thérapie cognitive et comportementaliste) montre que l'on peut très bien s'en passer pour soigner les gens.
Inspiré par la lecture de Martin Buber, Ludwig Biswanger souligne l'importance de l'intersubjectivité : ni le "je", ni le "tu" ne vivent séparément, ils n'ont n'existence que dans le contexte Je-Tu qui précède la sphère du Je et la sphère du Tu ; de même ni le je, ni le cela (l'étant, les "objets" du monde) n'existent séparément, ils existent uniquement dans la sphère du Je-Cela. Je, Tu ou Cela ne dépend donc pas de la nature de l'objet, mais de la relation que le sujet établit avec cet objet. En phénoménologie, on parlerait "d'intentionalité".
René Girard a montré de son côté que l'idée d'une "spontanéité du désir" et le dualisme sujet/objet était une illusion du désir qui interdisait d'en percevoir le caractère imitatif et la médiation d'un tiers.
La conviction nietzschéenne, reprise par Michel Onfray et qui constitue le fil conducteur de son livre que toute pensée, tout système philosophique est "généalogique", est liée à une histoire personnelle, et le souci de préserver les spécificités individuelles n'implique pas que toute pensée se réduit à sa généalogie et n'interdit pas de chercher et de proposer des explications théoriques et des concepts universels, y compris dans les sciences humaines, sauf à tomber dans un scepticisme radical ou à transformer les sciences humaines et la biographie des "grands hommes" en bric-à-brac anecdotique et à réduire la philosophie à une "histoire des idées", une philologie, ce que Nietzsche s'est bien gardé de faire.
Le postulat de toute recherche scientifique est qu'il existe des Lois qui permettent de relier les faits particulier et de leur donner un sens.
Cependant, les critiques de la psychanalyse freudienne soulignent "l'obstacle" que peut constituer la théorie, par exemple en ce qui concerne le petit Hans et sa phobie des chevaux, phobie très handicapante à l'époque car elle lui interdisait pratiquement toute sortie et la tendance à écarter ou à sous-estimer trop rapidement le "réel" : un accident traumatisant dont l'enfant fut réellement le témoin au profit de l'Imaginaire : la castration. La phobie du cheval apparaît chez l'enfant quand ce dernier assiste à la chute d'un cheval tirant un carrosse, qu'il voit à terre se débattre, fouetté par le cocher et que le cheval vient s'effondrer près de lui.
Si j'ai bien compris la triple intrication "borroméenne" du Réel, du Symbolique et de l'Imaginaire (Lacan), le Réel serait l'accident dont l'enfant fut le témoin, le Symbolique la dimension du langage, du "parlêtre". L'accident n'est pas un "fait" brut, mais un fait interprété, associé à un traumatisme (cheval, carrosse, violence, mort, pitié, peur, danger...) et l'Imaginaire, le retentissement dans la psyché de l'enfant en relation avec d'autres affects inconscients que seule l'analyse peut mettre à jour et relier (l'angoisse de castration), le signifiant "cheval" étant la métonymie de cette angoisse, la condensation d'une chaîne d'une pluralité de signifiants "secondaires" (père, mère, pénis, grossesse, interdit, masturbation, moustache, lunettes...), évoquant les interrogations et les craintes de l'enfant à propos de la sexualité.
Particulièrement éveillé, attachant et intelligent l'enfant surnommé "Le petit Hans" par Freud s'appelait en réalité Herbert Graf ; il devint par la suite un célèbre metteur en scène d'opéra ; il est décédé en 1973. Il semble avoir guéri de sa névrose phobique et avoir totalement oublié par la suite cet épisode de sa vie ; l'analyse fut menée par son père et supervisée par Freud.
Selon Jacques Van Rillaer, la phobie du petit Hans correspondrait à une phobie banale à cet âge-là et la teneur symbolique de cette phobie trahirait une surinterprétation par le père de Hans, très suggestif et directif dans ses questions à l'égard de son fils, et par Freud lui-même.
"La possibilité que les guérisons par la psychanalyse soient réellement causées par la suggestion doit être sérieusement considérée (...) Le récit - particulièrement connu et absolument révoltant - du "Petit Hans" est un bon exemple, d'autant que Freud, dans son compte-rendu, anticipe l'accusation que l'enfant puisse avoir été influencé par la suggestion en admettant un amour incestueux pour sa mère et le désir de tuer son père." (Aldous Huxley, "Une supercherie pour notre siècle", The Forum, 1925, traduction Agnès Fonbonne)
Voici ce que Jacques Lacan répondait au sujet de l'angoisse de castration à Françoise Dolto (l'Inconscient et la répétition, séance du 12 février 1964 in "Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse", Le Séminaire, Livre XI, Le Seuil, page 62) : "La description des stades formateurs de la libido, ne doit pas être référée à une pseudo-maturation naturelle, qui reste toujours opaque. Les stades s'organisent autour de l'angoisse de castration. Le fait copulatoire de l’introduction de la sexualité est traumatisant - voilà un accroc de taille - et il a fonction organisatrice pour le développement..."
Je comprends très bien que cette phraséologie puisse agacer les adversaires de la psychanalyse ; elle semble relever de la pétition de principe et de l'argument d'autorité : Lacan s'appuie sur Freud qui s'appuie sur... Freud. Sur un point aussi important, on souhaiterait ne pas avoir à se contenter d'un "peut-être".
La triangulation oedipienne est (serait), avec l'interdit de l'inceste, le "tourniquet" par lequel le petit d'homme doit passer pour accéder au stade génital, aux relations amoureuses et à la parentalité. Les névroses, les psychoses et les perversions traduisent (traduiraient) les errements, les impasses ou les échecs d'un "parcours".
Certains reprochent à Freud d'avoir focalisé son attention sur l'enfant et sous-estimé le rôle des parents : déficience du père et/ou de la mère, inceste, surinvestissement de l'un des parents sur l'enfant... alors que logiquement et chronologiquement Jocaste et Laïos viennent avant Oedipe.
Que la relation causale doive être repensée à nouveaux frais après Freud ne plaide pas en défaveur de sa démarche et de ses découvertes, mais la théorisation de cette démarche : s'est-il totalement trompé, sa théorie doit-elle être relativisée et intégrée dans un ensemble plus vaste, comme l'a fait Jung avec l'hypothèse d'un "inconscient collectif", l'étiologie sexuelle des névroses doit elle être complétée par d'autres facteurs, ces facteurs pouvant d'ailleurs se greffer sur la dynamique sexuelle, par exemple l'image du moi, comme l'a fait Adler, et/ou doit-elle être "simplifiée" (René Girard) toutes ces questions - légitimes - ne surgissent pas nécessairement de la consistance de la théorie freudienne, mais aussi de son "inconsistance" et de son inaptitude à rendre compte de certains phénomènes, d'une fécondité "en creux". On peut penser "contre" Freud, mais pas sans lui.
D'un point de vue clinique, Michel Onfray semble assez peu au fait des pratiques actuelles. Si de nombreux praticiens continuent à s'inspirer des analyses de Freud et/ou de Lacan, en invitant le patient à un travail d'anamnèse, ils favorisent parallèlement l'émergence d'un projet existentiel.
Les thérapies comportementales ont abandonné la quasi totalité des concepts de la psychanalyse : complexe d'Oedipe, fantasmes de séduction, associations libres, transfert, scène primitive... et qui semblent obtenir de meilleurs résultats thérapeutiques que la psychanalyse "pure et dure" ont néanmoins conservé une phase d'investigation dans le passé du patient dont la parole joue un rôle tout aussi essentiel.
Par ailleurs, le comportement privé de Freud et de son entourage plaide en défaveur des hagiographes de Freud, mais non de la démarche psychanalytique.
L'exhumation du "misérable petit tas de secrets" comme disait André Malraux ("qu'est ce qu'un homme après tout...") n'est pas dénuée d'intérêt dans la mesure ou l'hagiographie constitue un obstacle épistémologique, mais encore faut-il montrer de façon fine et précise, comme le fait par exemple Marie Balmary, en quoi ces "secrets" peuvent constituer des obstacles et "déblayer le terrain" pour aller de l'avant, quitte à retrouver le grand refoulé freudien, mais qui "travaille" le freudisme "de l'intérieur" : la pensée juive.
Mais le parti pris anti-religieux aussi bien de Michel Onfray que d'Elisabeth Roudinesco et de la modernité contemporaine en général, n'est-il pas, à son tour, un obstacle majeur à la découverte de l'intérêt anthropologique des textes ?
- Nom d'utilisateurNiveau 10
Ce texte peut être lu (c'est en tout cas ainsi que j'ai fait) comme une réponse à Onfray, réponse mesurée, ferme là où, vraiment, on peut difficilement ne pas l'être comme par exemple sur les les pitoyables critiques de "non-scientificité", réponse très stimulante jusqu'au dernier point... d'orgue !
Bref, voilà qui mériterait d'être diffusé plus largement ! Envisagez-vous une publication ?
Bref, voilà qui mériterait d'être diffusé plus largement ! Envisagez-vous une publication ?
- RobinFidèle du forum
Nom d'utilisateur a écrit:Ce texte peut être lu (c'est en tout cas ainsi que j'ai fait) comme une réponse à Onfray, réponse mesurée, ferme là où, vraiment, on peut difficilement ne pas l'être comme par exemple sur les les pitoyables critiques de "non-scientificité", réponse très stimulante jusqu'au dernier point... d'orgue !
Bref, voilà qui mériterait d'être diffusé plus largement ! Envisagez-vous une publication ?
On m'a dit qu'Onfray l'avait lu et qu'il en avait été agacé. Je ne sais pas si c'est vrai, mais je peux le concevoir étant donné son parti pris maladif contre Freud (et contre Sartre !). Je ne sais pas quel revue accepterait un texte aussi atypique et aussi personnel... Et puis l'anti-freudisme est à la mode, mais on peut penser "contre" un géant comme Freud, mais pas sans.
- SeiGrand Maître
Merci pour cet article passionnant et édifiant.
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"Humanité, humanité, engeance de crocodile."
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