- RobinFidèle du forum
"Sentimus experimurque nos aeternos esse." (B. Spinoza)
Qu'en est-il du temps dans lequel s'inscrit le temps de la Fête pour le subvertir ?
a) dans un premier sens, le temps est un milieu indéfini, vide où paraissent se dérouler des faits irréversibles (le passé n'est plus). Cet aspect du temps, c'est l'écoulement pur par lequel les instants tombent dans le néant.
b) dans un deuxième sens, on entend par "temps" l'acte de succéder, de remplacer, la modalité la plus régulière de la succession est la suite des nombres entiers qui permet d'encadrer le temps, de le mesurer.
c) dans un troisième sens, le temps se définit par des cadres sociaux : les jours, les semaines, les saisons, les années, les générations, les siècles, les millénaires.
d) enfin et surtout, le temps se caractérise par le sentiment intime d'une durée coextensive à l'existence même, une durée qui épouse toutes les nuances de la vie psychique : instants indifférenciés dans l'expérience de l'ennui (l'expérience du temps "à l'état pur"), durée où trois heures au cadran paraissent ne durer qu'un instant. C'est à cette dernière modalité du temps, subjective, existentielle, toute vibrante et riche de mes sentiments, de mes émotions , de mes souvenirs et de mes espoirs que se rattache ce que les anciens Grecs appelaient le "Kairos", l'événement et dont relève le temps de la fête.
Le "Kairos", ce n'est pas simplement le printemps, mais le coeur qui refleurit après le long hiver, poussant, comme le dit admirablement Lanza del Vasto "vers l'impassible ciel ses ambigus rameaux et ses fleurs fidèles", c'est la rencontre inespérée ou secrètement espérée. Le chemin qui soudain s'éclaire après le "voyage au bout de la nuit".
Surgissement d'un jour nouveau dans la grisaille des jours, libération d'un prisonnier, guérison inespérée d'un malade. "Kairos Chronos" : temps favorable, temps fort qui nous délivre de la répétition, du déterminisme clos d'une histoire personnelle ou collective.
Elles sont terribles les existences qui ne connaissent pas de "Kairos" et sont hantées par le retour éternel des mêmes expériences et des mêmes échecs : "La treizième revient... c'est encore la première. Et c'est toujours la seule ou c'est le seul moment." (Gérard de Nerval, "Artémis")
Retour au passé douloureux de l'orphelin hanté par la mort, du don Juan par l'abandon, de l'avare par le manque d'amour...
"Ainsi, bien des hommes, prisonniers d'un souvenir ancien qu'ils ne parviennent pas à évoquer à leur conscience claire, sont contraints par ce souvenir, à mille gestes qu'ils recommencent toujours, en sorte que toutes leurs aventures semblent une même histoire, perpétuellement reprise..." écrit F. Alquié dans "Le désir d'éternité". Ce désir, rivé à un souvenir inconscient que l'on ne parvient pas à évoquer, c'est aussi la "perversion" au sens freudien : l'investissement par le moi d'une grande quantité d'énergie psychique de façon répétitive, aveugle, obsessionnelle, distordue au niveau de l'objet.
La passion, au sens où l'entend F. Alquié, grève notre liberté, nous contraignant à agir de façon répétitive, sans avenir, sans changement, sans devenir, elle nous rend étranger à nous-mêmes.
La passion a sa temporalité propre : le passionné ne vit pas le présent comme présent car l'essence du présent est de "passer". Exister, c'est sortir de soi ; n'existe vraiment que celui qui n'a pas lui-même pour site. Or la passion nous installe dans un présent-passé étranger à la dimension du futur.
L'ambitieux n'a pas conscience que son désir de réussir à tout prix a pour source le souvenir d'une ancienne humiliation ; ses "victoires" sur les autres ne peuvent combler ce désir ancien d'être estimé. Ses victoires ne sont que des vengeances méconnues ; aussi est-il condamné à persévérer dans sa recherche effrénée et répétitive de substituts. La servitude du passionné vient de l'ignorance de ce qui le passionne.
Mais l'existence humaine n'est pas vouée à la répétition :
a) les crises :
Les crises constituent une rupture et un désordre. Sur le plan médical, elle se situent à un carrefour, sur une bifurcation qui peut mener soit vers la guérison, soir vers une dégradation de l'état initial, soit vers un rétablissement ou même une amélioration. Toute vie humaine est faite de crises, ponctuée par une succession de crises : la naissance (archétype de toute crise), la rupture du 8ème mois, la puberté, etc. Mais pour douloureux qu'ils puissent être, ces événements sont des étapes inévitables.
b) les reprises ("Nachträglichkeit", réorganisations)
"Je travaille sur l'hypothèse que notre mécanisme psychique s'est établi par stratification : les matériaux présents sous forme de traces mnésiques subissent de temps en temps, en fonction de nouvelles conditions, une réorganisation, une réinscription." (S. Freud, Lettre à Fliess, 1896)
L'existence humaine s'accompagne donc d'une véritable ré élaboration permanente en fonction d'événements nouveaux. Le passé lui-même n'est pas quelque chose de stable, de figé ; les traces mnésiques ne sont pas dans l'inconscient comme des choses inertes, elles ont une vie propre. Un stade ne reprend pas textuellement le stade précédent, mais un certain type de structure "attrape" dans l'univers des indices parlants, leur donne un sens émouvant, les intègre à des faits anciens, physiquement disparus.
Toute crise, toute réorganisation, peuvent être le signe d'un temps favorable, d'un "kairos" et une occasion de joie.
Cette joie se confond-elle pour autant avec ce que Freud appelle le "sentiment océanique" provenant du narcissisme primaire qui imprègne les premiers mois de l'existence humaine ? Il constituerait une reprise d'un sentiment latent, plus ancien puisque "rien dans la vie psychique ne peut se perdre, rien ne peut disparaître de ce qui s'est formé, tout est conservé d'une façon quelconque et peut reparaître dans certaines circonstances favorables, par exemple au cours d'une régression suffisante."
Ce sentiment d'expansion infinie du moi serait donc la résurgence du "paradis" fœtal perdu.
Mais tout sentiment d'éternité est-il de nature régressive, implique-t-il une perte des phases intermédiaires ?
La vrai joie, au contraire, selon Spinoza, est le sentiment qui accompagne "le passage d'une perfection moindre à une perfection plus grande"... "Sentimus experimurque nos aeternos esse." ; "l'amour de Dieu (la substance éternelle) se lève comme un soleil suscitant la béatitude qui dissipe toute crainte, même celle de la mort."
"Tout ce que nous comprenons par le troisième genre de connaissance, nous en éprouvons une joie accompagnée de l'idée de Dieu comme cause."
Démonstration : De ce genre de connaissance naît la plus grande satisfaction de l'esprit qui puisse être donnée, c'est-à-dire la plus grande Joie, et celle-ci accompagnée de l'idée de soi-même et par conséquent accompagnée de l'idée de Dieu comme cause."
Corollaire : Du troisième genre de connaissance naît nécessairement l'amour intellectuel de Dieu. De ce genre de connaissance naît en effet une joie accompagnée de l'idée de Dieu comme cause, non en tant que nous l'imaginons présent, mais en tant que nous comprenons que Dieu est éternel ; et c'est cela que j'appelle amour intellectuel de Dieu.
"Par là nous pouvons comprendre clairement en quoi consiste notre salut, ou, en d'autres termes, notre béatitude ou notre liberté : dans l'amour constant et éternel envers Dieu, ou, en d'autres termes, dans l'amour de Dieu envers les hommes. Et c'est à bon droit que, dans les Livres Saints, cet amour ou béatitude est appelée "Gloire".
Qu'en est-il du temps dans lequel s'inscrit le temps de la Fête pour le subvertir ?
a) dans un premier sens, le temps est un milieu indéfini, vide où paraissent se dérouler des faits irréversibles (le passé n'est plus). Cet aspect du temps, c'est l'écoulement pur par lequel les instants tombent dans le néant.
b) dans un deuxième sens, on entend par "temps" l'acte de succéder, de remplacer, la modalité la plus régulière de la succession est la suite des nombres entiers qui permet d'encadrer le temps, de le mesurer.
c) dans un troisième sens, le temps se définit par des cadres sociaux : les jours, les semaines, les saisons, les années, les générations, les siècles, les millénaires.
d) enfin et surtout, le temps se caractérise par le sentiment intime d'une durée coextensive à l'existence même, une durée qui épouse toutes les nuances de la vie psychique : instants indifférenciés dans l'expérience de l'ennui (l'expérience du temps "à l'état pur"), durée où trois heures au cadran paraissent ne durer qu'un instant. C'est à cette dernière modalité du temps, subjective, existentielle, toute vibrante et riche de mes sentiments, de mes émotions , de mes souvenirs et de mes espoirs que se rattache ce que les anciens Grecs appelaient le "Kairos", l'événement et dont relève le temps de la fête.
Le "Kairos", ce n'est pas simplement le printemps, mais le coeur qui refleurit après le long hiver, poussant, comme le dit admirablement Lanza del Vasto "vers l'impassible ciel ses ambigus rameaux et ses fleurs fidèles", c'est la rencontre inespérée ou secrètement espérée. Le chemin qui soudain s'éclaire après le "voyage au bout de la nuit".
Surgissement d'un jour nouveau dans la grisaille des jours, libération d'un prisonnier, guérison inespérée d'un malade. "Kairos Chronos" : temps favorable, temps fort qui nous délivre de la répétition, du déterminisme clos d'une histoire personnelle ou collective.
Elles sont terribles les existences qui ne connaissent pas de "Kairos" et sont hantées par le retour éternel des mêmes expériences et des mêmes échecs : "La treizième revient... c'est encore la première. Et c'est toujours la seule ou c'est le seul moment." (Gérard de Nerval, "Artémis")
Retour au passé douloureux de l'orphelin hanté par la mort, du don Juan par l'abandon, de l'avare par le manque d'amour...
"Ainsi, bien des hommes, prisonniers d'un souvenir ancien qu'ils ne parviennent pas à évoquer à leur conscience claire, sont contraints par ce souvenir, à mille gestes qu'ils recommencent toujours, en sorte que toutes leurs aventures semblent une même histoire, perpétuellement reprise..." écrit F. Alquié dans "Le désir d'éternité". Ce désir, rivé à un souvenir inconscient que l'on ne parvient pas à évoquer, c'est aussi la "perversion" au sens freudien : l'investissement par le moi d'une grande quantité d'énergie psychique de façon répétitive, aveugle, obsessionnelle, distordue au niveau de l'objet.
La passion, au sens où l'entend F. Alquié, grève notre liberté, nous contraignant à agir de façon répétitive, sans avenir, sans changement, sans devenir, elle nous rend étranger à nous-mêmes.
La passion a sa temporalité propre : le passionné ne vit pas le présent comme présent car l'essence du présent est de "passer". Exister, c'est sortir de soi ; n'existe vraiment que celui qui n'a pas lui-même pour site. Or la passion nous installe dans un présent-passé étranger à la dimension du futur.
L'ambitieux n'a pas conscience que son désir de réussir à tout prix a pour source le souvenir d'une ancienne humiliation ; ses "victoires" sur les autres ne peuvent combler ce désir ancien d'être estimé. Ses victoires ne sont que des vengeances méconnues ; aussi est-il condamné à persévérer dans sa recherche effrénée et répétitive de substituts. La servitude du passionné vient de l'ignorance de ce qui le passionne.
Mais l'existence humaine n'est pas vouée à la répétition :
a) les crises :
Les crises constituent une rupture et un désordre. Sur le plan médical, elle se situent à un carrefour, sur une bifurcation qui peut mener soit vers la guérison, soir vers une dégradation de l'état initial, soit vers un rétablissement ou même une amélioration. Toute vie humaine est faite de crises, ponctuée par une succession de crises : la naissance (archétype de toute crise), la rupture du 8ème mois, la puberté, etc. Mais pour douloureux qu'ils puissent être, ces événements sont des étapes inévitables.
b) les reprises ("Nachträglichkeit", réorganisations)
"Je travaille sur l'hypothèse que notre mécanisme psychique s'est établi par stratification : les matériaux présents sous forme de traces mnésiques subissent de temps en temps, en fonction de nouvelles conditions, une réorganisation, une réinscription." (S. Freud, Lettre à Fliess, 1896)
L'existence humaine s'accompagne donc d'une véritable ré élaboration permanente en fonction d'événements nouveaux. Le passé lui-même n'est pas quelque chose de stable, de figé ; les traces mnésiques ne sont pas dans l'inconscient comme des choses inertes, elles ont une vie propre. Un stade ne reprend pas textuellement le stade précédent, mais un certain type de structure "attrape" dans l'univers des indices parlants, leur donne un sens émouvant, les intègre à des faits anciens, physiquement disparus.
Toute crise, toute réorganisation, peuvent être le signe d'un temps favorable, d'un "kairos" et une occasion de joie.
Cette joie se confond-elle pour autant avec ce que Freud appelle le "sentiment océanique" provenant du narcissisme primaire qui imprègne les premiers mois de l'existence humaine ? Il constituerait une reprise d'un sentiment latent, plus ancien puisque "rien dans la vie psychique ne peut se perdre, rien ne peut disparaître de ce qui s'est formé, tout est conservé d'une façon quelconque et peut reparaître dans certaines circonstances favorables, par exemple au cours d'une régression suffisante."
Ce sentiment d'expansion infinie du moi serait donc la résurgence du "paradis" fœtal perdu.
Mais tout sentiment d'éternité est-il de nature régressive, implique-t-il une perte des phases intermédiaires ?
La vrai joie, au contraire, selon Spinoza, est le sentiment qui accompagne "le passage d'une perfection moindre à une perfection plus grande"... "Sentimus experimurque nos aeternos esse." ; "l'amour de Dieu (la substance éternelle) se lève comme un soleil suscitant la béatitude qui dissipe toute crainte, même celle de la mort."
"Tout ce que nous comprenons par le troisième genre de connaissance, nous en éprouvons une joie accompagnée de l'idée de Dieu comme cause."
Démonstration : De ce genre de connaissance naît la plus grande satisfaction de l'esprit qui puisse être donnée, c'est-à-dire la plus grande Joie, et celle-ci accompagnée de l'idée de soi-même et par conséquent accompagnée de l'idée de Dieu comme cause."
Corollaire : Du troisième genre de connaissance naît nécessairement l'amour intellectuel de Dieu. De ce genre de connaissance naît en effet une joie accompagnée de l'idée de Dieu comme cause, non en tant que nous l'imaginons présent, mais en tant que nous comprenons que Dieu est éternel ; et c'est cela que j'appelle amour intellectuel de Dieu.
"Par là nous pouvons comprendre clairement en quoi consiste notre salut, ou, en d'autres termes, notre béatitude ou notre liberté : dans l'amour constant et éternel envers Dieu, ou, en d'autres termes, dans l'amour de Dieu envers les hommes. Et c'est à bon droit que, dans les Livres Saints, cet amour ou béatitude est appelée "Gloire".
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