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- Docteur OXGrand sage
http://tempsreel.nouvelobs.com/education/20120911.OBS1996/l-etrange-deprime-francaise-l-ecole-en-cause-comme-en-1940.html
Je trouve son interprétation du texte de Bloch à côté de la plaque, mais c'est mon opinion...
Par Patrick Fauconnier
Dans "L'Etrange défaite", l'historien Marc Bloch a magistralement montré que la débâcle de 1940 provenait d'une mauvaise formation des élites françaises. L'histoire se reproduit-elle avec notre débâcle économique actuelle ?
En cette rentrée où l’on ploie sous les mauvaises nouvelles économiques, et où fleurissent, comme d’habitude, de nombreuses analyses sur l’école, c’est la relecture d’un livre exceptionnel écrit en 1940 - « L’Etrange défaite » de l’érudit historien Marc Bloch - qui nous retient. Car on comprend bien - même si François Hollande ne nous l’a pas tellement expliqué - que le désespérant état de langueur actuelle de la France ne résulte pas juste de la crise économique de 2008 (dite des « subprimes »). Notre dette grimpe sans interruption depuis plus de 25 ans, l’effondrement de notre balance commerciale s’aggrave de façon inexorable depuis 10 ans, la perte de compétitivité de notre industrie n’est pas survenue subitement, elle est signalée de longue date par nombre d’études, la décrépitude de nos universités était patente depuis des décennies, et on sait depuis au moins 15 ans que 150 000 jeunes sortent chaque année du système éducatif sans le moindre bagage monnayable, sans y remédier.
Dans ce contexte il est passionnant de revisiter le raisonnement implacable avec lequel Marc Bloch impute notre débâcle de 1940 – l’un des plus dramatiques épisodes de notre histoire - à une carence intellectuelle collective, entraînée par un manque de remise en cause, d’ouverture d’esprit et d’audace de nos élites à l'époque. Le grand historien impute de façon convaincante une bonne part de ce déclin à ce qu’était notre école dans les années 30. Cet ancien de Normale Sup, prof de lycée et d’université, savait de quoi il parlait. Engagé volontaire, héros de la résistance, il écrivit ce livre d’un seul trait durant le dramatique été 40, caché à l’abri de l’invasion allemande, avant d’entrer en résistance et d'être torturé puis fusillé par les allemands. Son manuscrit fut sauvé par miracle.
Bloch explique comment les élites françaises, imbues de certitudes, ont très mal analysé la montée des périls des années 30 et les causes profondes du Front Populaire. Il montre que dans tous les domaines - politique, militaire, économique… - les dirigeants français d’alors baignaient dans un conservatisme plus ou moins béat ("Nous avons la meilleure armée du monde" clamait-t-on le 14 juillet 1939, qui vit défiler 30 000 soldats devant un million de parisiens) et dans le déni. Il décrit avec beaucoup de finesse et sans détours le goût des médiocres combines politiques, la prédilection pour les protections et les « Lignes Maginot », la grande difficulté à innover face à l’imprévu, le culte des certitudes qui tuent et une constante façon de traiter les problèmes de demain avec les recettes d’hier. Bloch impute cette façon d’avoir « une guerre de retard » à un système éducatif générateur d’œillères, de conformisme, et d’autosatisfaction.
« Une société plus usée psychologiquement que physiquement »
Il consacre un chapitre entier aux réformes qu’il suggère d’apporter à l’école et à l’enseignement supérieur pour que notre pays soit moins frileux et replié sur lui-même. De façon impressionnante, on découvre que ce qu’il préconise en 1940 …reste d’une troublante actualité. Ne continuons-nous pas à vouloir nous abriter derrière des Lignes Maginot (sortie de l’Europe, rétablissement des frontières, demandaient plusieurs candidats à la présidentielle), des principes de précaution, des peurs de la mondialisation, des certitudes (d’avoir un bon, voire très bon, système éducatif ), au lieu d’accueillir l’imprévu, la nouveauté et la remise en cause avec esprit d’entreprise et optimisme ?
Tout ceci semble en rapport avec le profond malaise actuel de la société Française, championne du pessimisme dans les sondages internationaux. Malaise souligné par l’ancien Médiateur de la République, Jean Paul Delevoye, qui décrivait en termes inquiétants, dans son rapport annuel 2009, une "société plus usée psychologiquement que physiquement". C’est - quasiment au mot près - ce que disait Marc Bloch de notre état en… 1939.
Voici, ci-après, les réformes que cet universitaire et héros ( père de famille nombreuse, Croix de Guerre 1914, il exigea d’être mobilisé à 54 ans, et le paya de sa vie ) appelait de ses voeux pour que l’école cesse de produire "des profils conformistes et manquant d'esprit critique"
La maladie du bachotage
« De tant de reconstructions indispensables, celle de notre système éducatif ne sera pas la moins urgente . Notre effondrement a été avant tout, chez nos dirigeants et dans toute une partie de notre peuple, une défaite à la fois de l’intelligence et du caractère. Parmi ses causes profondes, les insuffisances de la formation que notre société donnait à ses jeunes ont figuré au premier rang. Un mot, un affreux mot, résume une des tares les plus pernicieuses de notre système éducatif : celui de bachotage. Le secondaire, les universités, les grandes écoles en sont tout infectés. « Bachotage » : autrement dit : hantise de l’examen et du classement. On n’invite plus les étudiants à acquérir les connaissances, mais seulement à se préparer à l’examen. Dans ce contexte l’élève savant n’est pas celui qui sait beaucoup de choses, mais celui qui a été dressé à donner, par quelques exercices choisis d’avance, l’illusion du savoir. Au grand détriment de leur instruction, parfois de leur santé, on plonge trop précocement les élèves dans la compétition afin d’éviter tout retard pour intégrer telle ou telle grande école. Il n’est pas nécessaire d’insister sur les inconvénients intellectuels d’un pareille « manie examinatoire ». Mais ses conséquences morales, c’est la crainte de toute initiative, chez les maîtres comme chez les élèves, le culte du succès substitué au goût de la connaissance, une sorte de tremblement perpétuel et de la hargne, là ou devrait au contraire régner la libre joie d’apprendre."
Que de sujets toujours d'actualité dans ce texte ! La violence à l'école ( il dit "tremblement et hargne"), le problème de la phobie scolaire ( il parle de la santé), de la sélection par l'échec (baptisée "manie examinatoire"), de la diplômite, du manque d'initiative des élèves ( les études PISA de l'OCDE montrent que les jeunes français sont ceux qui osent le moins s'exprimer et poser des questions en classe de peur de se tromper et/ou être stigmatisés)...
Alléger les programmes du secondaire
"Au lycée il faudrait une très souple liberté d’options dans les matières. A cause du bac, la France est l’un des rares pays ou toute l’expérimentation pédagogique, toute nouveauté qui ne s’élève pas immédiatement à l’universel se trouve interdite. Des allègements sérieux peuvent être apportés aux programmes. Mais il sera difficile de persuader des maîtres que les méthodes qu’ils ont longuement pratiquées n’étaient peut être pas les meilleures ".
Qui croit encore au bac ?
« Pourquoi noter au point ou au demi point près alors que la façon de noter varie beaucoup d’un enseignant à l’autre ? Ramenons, comme dans d’autres pays l’échelle des notes à cinq grandes catégories : très mauvais, mauvais, passable, bien, très bien (…) Qui croit encore au baccalauréat ? Des procédés de sélection demeureront nécessaires, mais plus rationnellement conçus. »
La notation, le bac : deux sujets totalement d'actualité ! !
Manque de recherche dans les grandes écoles
« L’enseignement supérieur a été dévoré par les grandes écoles. Qu’est ce qu’une faculté de lettres, sinon avant tout une usine a fabriquer des professeurs ? Tout comme Polytechnique est une usine à fabriquer des ingénieurs. D’où deux résultats déplorables. Le premier est que nous préparons mal à la recherche scientifique. Et que cette recherche de ce fait périclite chez nous. Notre rayonnement international en a été gravement atteint. Dans les grandes écoles nous formons des chefs d’entreprises qui sont de bons techniciens, mais sont sans connaissances réelles des problèmes humains. Nous avons des administrateurs qui ont horreur du neuf. Et nous créons des petites sociétés fermées où se développe l’esprit de corps, qui ne favorise guère la largeur d’esprit. »
Encore une rafale de sujets brûlants d'actualité: le manque de recherche dans les grandes écoles, le manque de rayonnement international, attesté par l'absence d'université française dans les 35 premières universités mondiales du classement de Shanghaï ( et seulement deux universités françaises dans le top 100 mondial), le déficit de formation des élites en sciences humaines, (on pense aux suicides dans certaines grandes entreprises (France Télécom, Renault...), les administrateurs qui ont "horreur du neuf"...
A quoi sert l'ENA ?
Sur ce sujet encore, Bloch est visionnaire:
"Par l'établissement d'une Ecole d'administration, le Front Populaire prétendit battre en brèche le monopole des "Sciences Po". Le projet était mal venu. Mieux eût valu favoriser, par des bourses, l'accès de tous aux fonctions administratives et en confier la préparation aux universités, selon le large système de culture générale qui fait la force du Civil Service britannique"
L’édition Folio du livre de Bloch, parue en 1990, fut préfacée en ces termes sévères par Stanley Hoffman, le grand professeur américain de Science Politique :
« la réforme que souhaitait Bloch pour la France n’a pas vraiment eu lieu : la reconstitution de vraies universités ( ie : rapprochant les disciplines en lieu et place des facultés ) a tourné court, les grandes écoles avec leurs monopoles, et les grands corps, sont plus forts que jamais et les bibliothèques universitaire toujours aussi mal loties (…) Et la machinerie des partis politiques exhale toujours un parfum moisi de petit café ou d’obscurs bureaux d’affaires. »
72 ans après le diagnostic de Marc Bloch, et 22 ans après la mise en garde de Stanley Hoffman, on est saisi par le sentiment affreux que les choses ont bien peu bougé dans la conception de notre appareil éducatif : toujours autant de bachotage et de surnotation dans le secondaire, toujours aussi peu de recherche (et d’autosatisfaction) dans les grandes écoles, toujours autant de cloisonnements entre les disciplines, toujours autant de patrons « sans connaissances réelles des problèmes humains », puisque la matière la plus discriminante pour intégrer les meilleures écoles de management reste les maths, au détriment des sciences humaines et sociales. Il trouvait qu'on enseignait mal l'histoire. Là, ça s'est aggravé... La preuve: qui connaît Marc Bloch ?
Je trouve son interprétation du texte de Bloch à côté de la plaque, mais c'est mon opinion...
- RoninMonarque
Je trouve que se poser la question est une bonne chose, le parallèle est intéressant et au-delà de l'analyse de Bloch, le fait de se demander si le logiciel d'analyse de la société et si les élites sont à la hauteur des enjeux est primordial. Enfin, en ce qui me concerne, la réponse est déjà dans la question...
- CondorcetOracle
L'analyse de Marc Bloch dans L'Etrange défaite souffre de l'esprit de système qui consiste à ne retenir des faits que les éléments appuyant la thèse défendue : le Général Estienne en 1921 a ainsi été le premier à préconiser un emploi tactique offensif des chars, ce qui souligne que l'élite militaire n'était pas dans sa totalité fermée aux méthodes de la guerre moderne, contrairement à ce que soutient Marc Bloch. Il voit une dimension morale dans la victoire ou la défaite et ce biais le conduit à transformer une défaite militaire en faute morale et nationale. Ce changement de registre n'est pas anodin et semble partagé par beaucoup de contemporains, la stupeur et l'abattement expliquant l'aisance avec laquelle Vichy cueille comme un fruit mur la République le 10 juillet 1940 à Clermont-Ferrand. Témoin privilégié, Marc Bloch n'est pas moins tributaire des représentations propres à son époque et commet à mon sens une erreur de perspectives, transformant une interrogation légitime ("comment en est-on arrivé là ?") en postulat ("ruine des élites, désorganisation de l'état-major...") qui s'appuie sur la connaissance du dénouement. Je considère donc L'Etrange défaite avant-tout comme une source fascinante.
En 2000, les éditions Autrement avaient publié un ouvrage collectif qui mérite à cet égard le détour car il offre l'opportunité de revisiter nos certitudes : http://www.cairn.info/mai-juin-1940--9782746714090.htm
Faillite de Normale supérieure durant l'entre-deux-guerres qui forme Jean-Paul Sartre, Raymond Aron, Paul Nizan, Emmanuel Mounier, Simone Weil ? http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1989_num_22_1_2149_t1_0163_0000_1
"Comme en 1940" : la métaphore historique a quelque chose d'obscène ne serait-ce qu'à cause du courage des soldats qui ont vaillamment combattu. Pourquoi donc s'autoriser de références qui, manifestement, n'ont que peu à voir, avec le coeur même de son essai ?
En 2000, les éditions Autrement avaient publié un ouvrage collectif qui mérite à cet égard le détour car il offre l'opportunité de revisiter nos certitudes : http://www.cairn.info/mai-juin-1940--9782746714090.htm
Faillite de Normale supérieure durant l'entre-deux-guerres qui forme Jean-Paul Sartre, Raymond Aron, Paul Nizan, Emmanuel Mounier, Simone Weil ? http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1989_num_22_1_2149_t1_0163_0000_1
"Comme en 1940" : la métaphore historique a quelque chose d'obscène ne serait-ce qu'à cause du courage des soldats qui ont vaillamment combattu. Pourquoi donc s'autoriser de références qui, manifestement, n'ont que peu à voir, avec le coeur même de son essai ?
- MarcassinHabitué du forum
C'est vrai qu'avec 85% de réussite au bac, on peut encore parler de hantise de l'examen et du classement.La maladie du bachotage
« De tant de reconstructions indispensables, celle de notre système éducatif ne sera pas la moins urgente . Notre effondrement a été avant tout, chez nos dirigeants et dans toute une partie de notre peuple, une défaite à la fois de l’intelligence et du caractère. Parmi ses causes profondes, les insuffisances de la formation que notre société donnait à ses jeunes ont figuré au premier rang. Un mot, un affreux mot, résume une des tares les plus pernicieuses de notre système éducatif : celui de bachotage. Le secondaire, les universités, les grandes écoles en sont tout infectés. « Bachotage » : autrement dit : hantise de l’examen et du classement.
Réfléchir à un texte de littérature ou de philosophie, c'est vraiment de l'illusion. C'est vrai : comment les élèves le pourraient-ils aujourd'hui s'ils ne savent même pas lire ?On n’invite plus les étudiants à acquérir les connaissances, mais seulement à se préparer à l’examen. Dans ce contexte l’élève savant n’est pas celui qui sait beaucoup de choses, mais celui qui a été dressé à donner, par quelques exercices choisis d’avance, l’illusion du savoir.
En Allemagne, le système scolaire des années 30 poussait davantage à l'audace et à l'innovation.Au grand détriment de leur instruction, parfois de leur santé, on plonge trop précocement les élèves dans la compétition afin d’éviter tout retard pour intégrer telle ou telle grande école. Il n’est pas nécessaire d’insister sur les inconvénients intellectuels d’un pareille « manie examinatoire ». Mais ses conséquences morales, c’est la crainte de toute initiative, chez les maîtres comme chez les élèves, le culte du succès substitué au goût de la connaissance, une sorte de tremblement perpétuel et de la hargne, là ou devrait au contraire régner la libre joie d’apprendre."
On sait ce qu'il faut penser de l'étude PISA et de la souffrance scolaire en France...Que de sujets toujours d'actualité dans ce texte ! La violence à l'école ( il dit "tremblement et hargne"), le problème de la phobie scolaire ( il parle de la santé), de la sélection par l'échec (baptisée "manie examinatoire"), de la diplômite, du manque d'initiative des élèves ( les études PISA de l'OCDE montrent que les jeunes français sont ceux qui osent le moins s'exprimer et poser des questions en classe de peur de se tromper et/ou être stigmatisés)...
Les "allègements sérieux" ont été apportés au-delà des espoirs de Marc Bloch. :diable:Alléger les programmes du secondaire
"Au lycée il faudrait une très souple liberté d’options dans les matières. A cause du bac, la France est l’un des rares pays ou toute l’expérimentation pédagogique, toute nouveauté qui ne s’élève pas immédiatement à l’universel se trouve interdite. Des allègements sérieux peuvent être apportés aux programmes. Mais il sera difficile de persuader des maîtres que les méthodes qu’ils ont longuement pratiquées n’étaient peut être pas les meilleures ".
Si la façon de noter n'est pas rationnelle avec des points, pourquoi le serait-elle avec cinq catégories ?Qui croit encore au bac ?
« Pourquoi noter au point ou au demi point près alors que la façon de noter varie beaucoup d’un enseignant à l’autre ? Ramenons, comme dans d’autres pays l’échelle des notes à cinq grandes catégories : très mauvais, mauvais, passable, bien, très bien (…) Qui croit encore au baccalauréat ? Des procédés de sélection demeureront nécessaires, mais plus rationnellement conçus. »
Aujourd'hui, les deux premières catégories ne sont presque plus nécessaires au bac.
Surtout qu'on parle du même bac à l'époque de Marc Bloch et aujourd'hui...La notation, le bac : deux sujets totalement d'actualité ! !
Les Trente Glorieuses ont donné raison à Marc Bloch : une période noire pour la recherche et la recherche du neuf.Manque de recherche dans les grandes écoles
« L’enseignement supérieur a été dévoré par les grandes écoles. Qu’est ce qu’une faculté de lettres, sinon avant tout une usine a fabriquer des professeurs ? Tout comme Polytechnique est une usine à fabriquer des ingénieurs. D’où deux résultats déplorables. Le premier est que nous préparons mal à la recherche scientifique. Et que cette recherche de ce fait périclite chez nous. Notre rayonnement international en a été gravement atteint. Dans les grandes écoles nous formons des chefs d’entreprises qui sont de bons techniciens, mais sont sans connaissances réelles des problèmes humains. Nous avons des administrateurs qui ont horreur du neuf. Et nous créons des petites sociétés fermées où se développe l’esprit de corps, qui ne favorise guère la largeur d’esprit. »
Et les journalistes aussi, visiblement.Encore une rafale de sujets brûlants d'actualité: le manque de recherche dans les grandes écoles, le manque de rayonnement international, attesté par l'absence d'université française dans les 35 premières universités mondiales du classement de Shanghaï ( et seulement deux universités françaises dans le top 100 mondial), le déficit de formation des élites en sciences humaines, (on pense aux suicides dans certaines grandes entreprises (France Télécom, Renault...), les administrateurs qui ont "horreur du neuf"...
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"Je regarde la grammaire comme la première partie de l'art de penser." (Condillac)
- MoonchildSage
Il était temps que les langues se délient ; maintenant que la loi du silence est brisée, les témoignages affluent et on apprend que les mathématiques sont responsables non seulement de la violence scolaire mais aussi des suicides sur le lieu de travail. Attendons-nous-à bien d'autres scandaleuses révélations dans les semaines qui suivent.Encore une rafale de sujets brûlants d'actualité: le manque de recherche dans les grandes écoles, le manque de rayonnement international, attesté par l'absence d'université française dans les 35 premières universités mondiales du classement de Shanghaï ( et seulement deux universités françaises dans le top 100 mondial), le déficit de formation des élites en sciences humaines, (on pense aux suicides dans certaines grandes entreprises (France Télécom, Renault...), les administrateurs qui ont "horreur du neuf"...
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72 ans après le diagnostic de Marc Bloch, et 22 ans après la mise en garde de Stanley Hoffman, on est saisi par le sentiment affreux que les choses ont bien peu bougé dans la conception de notre appareil éducatif : toujours autant de bachotage et de surnotation dans le secondaire, toujours aussi peu de recherche (et d’autosatisfaction) dans les grandes écoles, toujours autant de cloisonnements entre les disciplines, toujours autant de patrons « sans connaissances réelles des problèmes humains », puisque la matière la plus discriminante pour intégrer les meilleures écoles de management reste les maths, au détriment des sciences humaines et sociales. Il trouvait qu'on enseignait mal l'histoire. Là, ça s'est aggravé... La preuve: qui connaît Marc Bloch ?
:malmaisbien:
- CondorcetOracle
Les sciences humaines n'ont pas le monopole de l'humanité et de l'empathie
- OsmieSage
De façon impressionnante, on découvre que ce qu’il préconise en 1940 …reste d’une troublante actualité. Ne continuons-nous pas à vouloir nous abriter derrière des Lignes Maginot (sortie de l’Europe, rétablissement des frontières, demandaient plusieurs candidats à la présidentielle), des principes de précaution, des peurs de la mondialisation, des certitudes (d’avoir un bon, voire très bon, système éducatif ), au lieu d’accueillir l’imprévu, la nouveauté et la remise en cause avec esprit d’entreprise et optimisme ?
Patrick Fauconnier a fait l'ESSEC et est le fondateur de Challenges : pas étonnant qu'il emploie le verbe "abriter", les Français sont des timorés.
Soyons des audacieux : exploitons les gaz de schiste, mangeons des OGM et jetons aux orties le principe de précaution (déjà fait), louons la mondialisation et son nivellement social, lisons Paris Match, transformons les pays d'Afrique en poubelle européenne, voyageons pour 3 francs 6 sous en Tunisie, soyons des challengers, des entrepreneurs de notre vie, prenons un second job la nuit pour soigner notre cancer trop coûteux, etc. !
Super.
Ah oui : je le trouve aussi à côté de la plaque dans sa "lecture" de Marc Bloch. Mais bon, Marine Le Pen cite bien Jaurès...
Patrick Fauconnier a fait l'ESSEC et est le fondateur de Challenges : pas étonnant qu'il emploie le verbe "abriter", les Français sont des timorés.
Soyons des audacieux : exploitons les gaz de schiste, mangeons des OGM et jetons aux orties le principe de précaution (déjà fait), louons la mondialisation et son nivellement social, lisons Paris Match, transformons les pays d'Afrique en poubelle européenne, voyageons pour 3 francs 6 sous en Tunisie, soyons des challengers, des entrepreneurs de notre vie, prenons un second job la nuit pour soigner notre cancer trop coûteux, etc. !
Super.
Ah oui : je le trouve aussi à côté de la plaque dans sa "lecture" de Marc Bloch. Mais bon, Marine Le Pen cite bien Jaurès...
- doctor whoDoyen
Voici ce que j'ai écrit ailleurs à ce propos :
Et sur la critique du bachotage, dont parlent Bloch puis Fauconnier :
Il s'agit en fait d'une resucée d'un autre article du même Fauconnier paru en 2010, mais appliqué cette fois aux débuts du mandat Hollande et à la crise économique (http://leblogdeleducation.blogs.nouvelobs.com/archive/2010/05/05/notre-systeme-educatif-produit-un-pays-conservateur.html). Pour voir qui est Fauconnier : http://fr.wikipedia.org/wiki/Patrick_Fauconnier (édifiant)
Il s'agit de pointer le caractère prophétique d'une texte de Marc Bloch, tiré des Ecrits clandestins de Marc Bloch, qui attribue l'"étrange défaite" des français en 1940 à, entre autres, la sclérose du système scolaire d'avant-guerre. On trouve l'intégralité du texte ici : http://www.marcbloch.fr/notes.html
Les critiques faites pendant la guerre contre les enseignements secondaires et supérieurs sont intéressantes, sinon valables. Mais, ce qu'oublient contempteurs du secondaire actuel, comme Fauconnier, qui se servent de l'autorité de Marc Bloch, c'est qu'elles font l'impasse sur le primaire. Marc Bloch lui-même s'excuse de son ignorance, quand il s'agit de parler du "bachotage" :
Un mot, un affreux mot, résume une des tares les plus pernicieuses de notre système actuel : celui de bachotage. C'est certainement dans l'enseignement primaire que le poison a pénétré le moins avant : sans l'avoir, je le crains, tout à fait épargné. L'enseignement secondaire, celui des universités et les grandes écoles en sont tout infectés.
Puis :
Mais l'abus des examens n'est peut-être, à son tour, qu'un des signes de déformations plus profondes. Là encore, je parlerai peu de l'école primaire. Autant que je la connaisse - car j'ai avec elle, je l'avoue, moins de familiarité qu'avec le Lycée et l'Université - elle n'est pas sans défauts. Elle me paraît, cependant, beaucoup moins mal adaptée à ses fins que ne le sont, pour leur part, les établissements des deux autres degrés. Les erreurs des enseignements secondaire et supérieur sont patentes.
Bref, si les élites françaises ont failli en 40, c'est la faute du secondaire, et non du système scolaire en son entier.
Suzanne Citron, historienne appartenant à l'association de professeurs d'histoire Aggiornamento, diffuse sur leur liste de discussion un montage de texte de Bloch : https://docs.google.com/viewer?a=v&pid=forums&srcid=MTI0MjE0ODU1ODM4Njc3MTEyNTcBMDMwMTM3NTYwNjU2Njk4MzEyMzcBS0REbzFhU3hFMmNKATQBAXYy
et
https://docs.google.com/viewer?a=v&pid=forums&srcid=MTI0MjE0ODU1ODM4Njc3MTEyNTcBMDMwMTM3NTYwNjU2Njk4MzEyMzcBS0REbzFhU3hFMmNKATUBAXYy
Implicitement, elle rapproche donc la situation du secondaire d'avant-guerre avec le secondaire actuel, ce qui n'est pas contestable, tant le rapprochement s'impose (la critique du bachotage est parfaitement adaptée à la situation actuelle). Mais elle omet naturellement l'influence de la pédagogie nouvelle et des sciences modernes des années 60, qui existe tout de même aussi dans le lycée d'aujourd'hui. Surtout, elle passe sous silence l'aveu d'ignorance de Bloch concernant le primaire. Bref, elle jette le bébé avec l'eau du bain.
Et sur la critique du bachotage, dont parlent Bloch puis Fauconnier :
Hier comme aujourd'hui, le bachotage ne vient pas du fait qu'on évalue les capacités de l'élève ou de l'étudiant, mais de ce que ces mêmes élèves et étudiants sont censés ingurgiter une somme de savoirs d'autant plus immense qu'elle est désordonnée, incohérente, et inadaptée à leur âge.
La pédagogie intuitive avait pour ambition, sans doute réalisée trop partiellement, de dépasser le bachotage qui existait en primaire avant l'époque de Buisson. En cela, Suzanne Citron, Patrick Fauconnier et ceux qui pourraient se réclamer de Marc Bloch pour dauber sur le collège et le lycée actuels devraient réclamer non pas le rejet global de l'enseignement d'avant-guerre, mais le retour à ce qui n'a pas failli en 1940, c'est-à-dire l'école primaire de la IIIème République.
Le secondaire actuel souffre sans doute de ne pas avoir tiré assez de conséquences des progrès accomplis par l'école primaire depuis 1882. Je constate aujourd'hui une synthèse bancale à l'oeuvre dans les cours de mes collègues, un amalgame pervers de méthodes didactiques et pédagogiques "modernes" (entendre, post années 60), d'ambition élitiste digne du lycée d'avant-guerre (teinté de culpabilité, naturellement) et dogmatisme anti-intuitif.
_________________
Mon blog sur Tintin (entre autres) : http://popanalyse.over-blog.com/
Blog pédagogique : http://pedagoj.eklablog.com
- RobinFidèle du forum
Je ne suis convaincu ni par Marc Bloch (que j'admire pourtant) qui ne semble pas comprendre que la victoire allemande est due avant tout au caractère totalitaire du nazisme, entièrement tourné vers l'effort de guerre et encore moins par Fauconnier qui se sert de Marc Bloch pour nous servir du Meirieu.
Loin de se replier "frileusement" sur elle-même (expression passe-partout qui ne signifie rien, mais qui fait toujours son petit effet), il me semble que la France s'est au contraire jetée à corps perdu dans toutes sortes d'innovations saugrenues (élargissement incessante de l'Union européenne, désindustrialisation au profit du secteur tertiaire, délocalisations, endettement auprès des banques privées, création d'une bulle financière séparée de l'économie réelle, sans oublier la destruction du socle de l'école républicaine à l'école primaire (lire, écrire, compter), la disparition des frontières, la monnaie unique et la technocratie bruxelloise étant des facteurs aggravants de déclin.
Il me semble par ailleurs que la réussite économique de l'Allemagne est due en grande partie à des facteurs géopolitiques spécifiques (réunification et proximité des marchés de la Russie et des pays de l'Est), alors que le déficit de notre balance commerciale est aggravé par un taux excessif de l'euro favorable à l'Allemagne et à l'impossibilité de dévaluer.
Loin de se replier "frileusement" sur elle-même (expression passe-partout qui ne signifie rien, mais qui fait toujours son petit effet), il me semble que la France s'est au contraire jetée à corps perdu dans toutes sortes d'innovations saugrenues (élargissement incessante de l'Union européenne, désindustrialisation au profit du secteur tertiaire, délocalisations, endettement auprès des banques privées, création d'une bulle financière séparée de l'économie réelle, sans oublier la destruction du socle de l'école républicaine à l'école primaire (lire, écrire, compter), la disparition des frontières, la monnaie unique et la technocratie bruxelloise étant des facteurs aggravants de déclin.
Il me semble par ailleurs que la réussite économique de l'Allemagne est due en grande partie à des facteurs géopolitiques spécifiques (réunification et proximité des marchés de la Russie et des pays de l'Est), alors que le déficit de notre balance commerciale est aggravé par un taux excessif de l'euro favorable à l'Allemagne et à l'impossibilité de dévaluer.
- archebocEsprit éclairé
Robin a écrit:Je ne suis convaincu ni par Marc Bloch (que j'admire pourtant) qui ne semble pas comprendre que la victoire allemande est due avant tout au caractère totalitaire du nazisme, entièrement tourné vers l'effort de guerre
Marc Bloch montre que la doctrine d'emploi des forces est en retard d'une guerre. Ni les leçons de De Gaulle, ni celle du Général Estienne n'avait été retenues. A ce titre, la critique de Bloch de la sclérose des décideurs militaires, organisés en coterie courtisane, est pertinente.
Marc Bloch dénonce l'absence de confiance de la haute hiérarchie militaire envers la République et ses représentants élus. Plusieurs faits extérieurs au témoignage de Marc Bloch l'attestent : le Front Populaire avait développé, pour former des pilotes de combat, la pratique du vol libre. La hiérarchie militaire a refusé de les incorporer dans l'aviation. Une grande partie des appareils disponibles, produits par le plan des 1500 avions en ligne, est restée au sol.
Robin a écrit:et encore moins par Fauconnier qui se sert de Marc Bloch pour nous servir du Meirieu.
Il est clair qu'on peut servir Bloch à toutes les sauces. On pourrait par exemple projeter sur la haute administration de notre EN le tableau que trace Marc Bloch de l'esprit de système du haut état major des années 1930.
A.
edit : orthographe de Grobianus.
- CondorcetOracle
archeboc a écrit:Robin a écrit:Je ne suis convaincu ni par Marc Bloch (que j'admire pourtant) qui ne semble pas comprendre que la victoire allemande est due avant tout au caractère totalitaire du nazisme, entièrement tourné vers l'effort de guerre
Marc Bloch montre que la doctrine d'emploi des forces est en retard d'une guerre. Ni les leçons de De Gaulle, ni celle du Général Estienne n'avait été retenu. A ce titre, la critique de Bloch de la sclérose des décideurs militaires, organisés en coterie courtisane, est pertinente.
Marc Bloch dénonce l'absence de confiance de la haute hiérarchie militaire envers la République et ses représentants élus. Plusieurs faits extérieurs au témoignage de Marc Bloch l'attestent : le Front Populaire avait développé, pour former des pilotes de combat, la pratique du vol libre. La hiérarchie militaire a refusé de les incorporer dans l'aviation. Une grande partie des appareils disponibles, produits par le plan des 1500 avions en ligne, sont restés au sol.Robin a écrit:et encore moins par Fauconnier qui se sert de Marc Bloch pour nous servir du Meirieu.
Il est clair qu'on peut servir Bloch à toutes les sauces. On pourrait par exemple projeter sur la haute administration de notre EN le tableau que trace Marc Bloch de l'esprit de système du haut état major des années 1930.
A.
Mais l'état-major allemand n'avait pas une confiance immodérée en Hitler : ils le craignaient et admiraient ses succès, ce qui est autre chose. L'aviation française en 1940 était très inférieure à son homologue allemande. En revanche, les chars français étaient loin d'être ridicules. Comme le soulignent les contributeurs du collectif Autrement cité ci-avant, le Général Gamelin avait réfléchi à la campagne allemande en Pologne. Le premier Fall Gelb avait été compromis.
- IphigénieProphète
où le serpent se mort la queue, non?Dans ce contexte il est passionnant de revisiter le raisonnement implacable avec lequel Marc Bloch impute notre débâcle de 1940 – l’un des plus dramatiques épisodes de notre histoire - à une carence intellectuelle collective, entraînée par un manque de remise en cause, d’ouverture d’esprit et d’audace de nos élites à l'époque. Le grand historien impute de façon convaincante une bonne part de ce déclin à ce qu’était notre école dans les années 30. Cet ancien de Normale Sup, prof de lycée et d’université, savait de quoi il parlait.
- doctor whoDoyen
iphigénie a écrit:où le serpent se mort la queue, non?Dans ce contexte il est passionnant de revisiter le raisonnement implacable avec lequel Marc Bloch impute notre débâcle de 1940 – l’un des plus dramatiques épisodes de notre histoire - à une carence intellectuelle collective, entraînée par un manque de remise en cause, d’ouverture d’esprit et d’audace de nos élites à l'époque. Le grand historien impute de façon convaincante une bonne part de ce déclin à ce qu’était notre école dans les années 30. Cet ancien de Normale Sup, prof de lycée et d’université, savait de quoi il parlait.
Justement, il ne le savait pas si bien que ça, et il l'avoue humblement.
_________________
Mon blog sur Tintin (entre autres) : http://popanalyse.over-blog.com/
Blog pédagogique : http://pedagoj.eklablog.com
- RobinFidèle du forum
Oui, on ne peut qu'être d'accord avec l'analyse de Marc Bloch sur l'impréparation militaire française, l'aveuglement, pour ne pas dire l'incompétence de l’État-major (à l'exception du colonel de Gaulle et du général Estienne)...
Malgré toute sa lucidité, de Gaulle avait compris l'importance du mouvement et le rôle des chars et de l'aviation, mais pas (si je me souviens bien) de leur conjugaison stratégique par l'intermédiaire des transmissions radio (il me semble qu'il a ajouté cet élément capital a posteriori)
Mais je persiste à trouver boiteux le raisonnement par analogie de Fauconnier. Si on veut parler du "déclin (actuel) de la France", il faut raisonner domaine par domaine : militaire, politique, économique, éducatif, etc. et ne pas mélanger les époques.
Malgré toute sa lucidité, de Gaulle avait compris l'importance du mouvement et le rôle des chars et de l'aviation, mais pas (si je me souviens bien) de leur conjugaison stratégique par l'intermédiaire des transmissions radio (il me semble qu'il a ajouté cet élément capital a posteriori)
Mais je persiste à trouver boiteux le raisonnement par analogie de Fauconnier. Si on veut parler du "déclin (actuel) de la France", il faut raisonner domaine par domaine : militaire, politique, économique, éducatif, etc. et ne pas mélanger les époques.
- archebocEsprit éclairé
condorcet a écrit:L'analyse de Marc Bloch dans L'Etrange défaite souffre de l'esprit de système qui consiste à ne retenir des faits que les éléments appuyant la thèse défendue : le Général Estienne en 1921 a ainsi été le premier à préconiser un emploi tactique offensif des chars, ce qui souligne que l'élite militaire n'était pas dans sa totalité fermée aux méthodes de la guerre moderne, contrairement à ce que soutient Marc Bloch.
Au sujet des erreurs de doctrine d'emploi, Marc Bloch parle moins de "l'élite militaire" que du premier cercle de dirigeants, les chefs d'Etat Major et leurs officiers d'EM cooptés, eux-mêmes destinés à devenir les dirigeants de la génération suivante. Marc Bloch pointe en particulier le rôle joué par l'Ecole de Guerre dans cette sclérose. Je ne pense pas que le général Estienne ait fondé une chapelle au sein de l'Ecole de Guerre.
Estienne n'a pas de postérité solide en France avant De Gaulle. Et il y a bel et bien une allusion à De Gaulle dans l’Étrange Défaite, disant que ce jeune ministre ne pouvait rien faire, en si peu de temps, pour redresser la situation.
condorcet a écrit:Il voit une dimension morale dans la victoire ou la défaite et ce biais le conduit à transformer une défaite militaire en faute morale et nationale.
En quoi est-ce un biais ? Marc Bloch voit une cause morale à la défaite, et il l'argumente. Si vous pensez que ses arguments sont biaisés, dites-nous en quoi. Sinon, on est ici dans la pétition de principe. C'est ma première protestation ici, et la plus importante.
Le principal biais de Marc Bloch, son extrême patriotisme, il a su pourtant le dépasser de manière exemplaire pour faire l'analyse psychologique de cette défaite : "Français, je vais être contraint, parlant de mon pays, de ne pas en parler qu'en bien".
On a rarement allié, dans une même phrase en français, l'amour de son pays et celui de la vérité.
Ensuite, Bloch ne dénonce pas une "faute morale", mais des erreurs, dont certaines procèdent de fautes morales. Contrairement à Vichy qui condamne et vitupère une cause unique, désignée par l'idéologie, et à cause de cela ira se ridiculiser au honteux procès de Riom, Marc Bloch analyse différents ressorts psychologiques de l'action : aveuglements pacifistes, réflexe de classe, conformisme, esprit de système, etc. Derrière ces erreurs, il débusque parfois des "fautes morales" (la lâcheté, la trahison, le mépris, le mensonge), mais il reste toujours très mesurés, pour ne pas dire indulgent.
Enfin, plus qu'une "faute nationale", ce sont les erreurs des élites dont Bloch fait l'analyse.
condorcet a écrit:Ce changement de registre n'est pas anodin et semble partagé par beaucoup de contemporains, la stupeur et l'abattement expliquant l'aisance avec laquelle Vichy cueille comme un fruit mur la République le 10 juillet 1940 à Clermont-Ferrand.
Vichy est à Clermont-Ferrand le 10 juillet ?
Cet état d'abattement, Marc Bloch l'analyse en partie, montrant ce qu'il contient d'illusion, et espère son caractère passager. Les lignes sur Pétain et Hitler sont parmi les plus spirituelles du livre.
Mais il est presque comique de dire que Marc Bloch a partagé la stupeur et l'abattement de ses contemporains quand on voit le travail qu'il a fourni en quelques semaines, en juillet 1940, pour écrire ce livre.
condorcet a écrit:Témoin privilégié, Marc Bloch n'est pas moins tributaire des représentations propres à son époque et commet à mon sens une erreur de perspectives, transformant une interrogation légitime ("comment en est-on arrivé là ?") en postulat ("ruine des élites, désorganisation de l'état-major...") qui s'appuie sur la connaissance du dénouement. Je considère donc L'Etrange défaite avant-tout comme une source fascinante.
C'est une source, certes, mais aussi et surtout un travail d'analyse exceptionnel au regard du choc que représentait l'événement et de ce que Bloch a réussi à en faire.
condorcet a écrit:En 2000, les éditions Autrement avaient publié un ouvrage collectif qui mérite à cet égard le détour car il offre l'opportunité de revisiter nos certitudes : http://www.cairn.info/mai-juin-1940--9782746714090.htm
A lire les résumés, plusieurs des contributions de ce recueil semble concordantes avec celles de Marc Bloch, pour ne pas dire redondantes :
- Dennis E. Showalter : "[..]Mais le concept de « bataille préparée » se révéla impossible à mettre en oeuvre [..]"
- Robert A. Doughty : "l’armée française et ses dirigeants accordèrent plus d’importance à l’obéissance et à la précision qu’à l’initiative et à l’imagination, faisant ainsi excessivement confiance à la logique et à la raison".
En face, il y a deux historiens dont les thèses semblent opposés. celui qui met en avant les erreurs de l'armée allemande semblent se perdre dans les détails, mais sa fiche wikipédia est beaucoup plus claire : "Le résultat de cette campagne trouve ses sources dans le développement de technologies, de modes d’organisation, et de modes de coordination entre les armes (infanterie, blindés, aviation notamment) adaptés aux besoins opérationnels, prenant en compte les évolutions récentes de la technique, ce que l’Armée française n'a pas su accomplir".
Là encore, rien qu'on n'ait pu lire auparavant sous la plume de Marc Bloch.
Pour Martin S. Alexander, quant à la défense de Gamelin, il faudrait aller y voir de plus près, mais le dossier à charge de ce monsieur est plutôt lourd, et les critiques de Bloch n'y ont une part qu'assez légère en comparaison. Quant à la faute à la malchance, cela rappelle que Napoléon, lorsqu'on lui proposait la nomination d'un nouveau général, demandait : "a-t-il de la chance" ?
condorcet a écrit:Faillite de Normale supérieure durant l'entre-deux-guerres qui forme Jean-Paul Sartre, Raymond Aron, Paul Nizan, Emmanuel Mounier, Simone Weil ?
Il ne me semble pas que Marc Bloch mette en cause Normale Sup, mais je peux me tromper. Je n'ai pas le livre sous la main.
A.
- CondorcetOracle
J'ai le livre de Marc Bloch et l'ouvrage collectif d'Autrement sous la main.
Oui, ce n'est pas Clermont-Ferrand mais Vichy (mea culpa, la fièvre aidant, je ne suis pas allé vérifier).
1/ Marc Bloch ne savait pas que son ouvrage connaîtrait une postérité qui dépasse probablement tous les autres qu'il a rédigés et n'a jamais prétendu dépasser le cadre d'un témoignage, arguant très justement de l'absence de sources à sa disposition pour établir un livre d'histoire. A partir de là, le fait de transformer un témoignage en ouvrage d'analyse approfondi et omniscient me semble outrepasser de loin non seulement les règles de la méthode historique mais aussi les voeux de son auteur.
Le biais tient d'abord au procès en canonisation (le mot est d'Olivier Dumoulin dans son ouvrage intitulé Marc Bloch) et plus encore dans l'omniscience qui lui est attribuée au mépris même du dépouillement des autres sources, y compris étrangères.
2/ La notule de Karl-Heinze Friezer mérite le détour : " Contrairement à ce que prétend l'une des légendes les plus tenaces et les plus universellement répandues sur la Seconde Guerre mondiale, l'armée allemande de 1940 n'a pas véritablement cherché à mettre en œuvre une stratégie de Blitzkrieg (« guerre éclair »), laquelle n'avait d'ailleurs été qu'assez superficiellement pensée et théorisée dans les années précédentes. On a donc plutôt assisté à une combinaison étrange et quelque peu surréaliste de confusion, d'improvisation, d'occasions saisies... et d'ordres non suivis. Hitler et la plupart des membres de son état-major n'ont en effet jamais compris la véritable nature de la guerre industrielle moderne : de Dunkerque à l'opération Barbarossa, toutes leurs erreurs sont là pour le prouver". Marc Bloch insiste à fort juste titre sur l'aspect psychologique mais ne restitue pas au hasard et à la chance pure sa place (lire pages 79 et 80 du collectif autrement, l'exécution plus qu'erratique du Fall Gelb durant les premiers jours et la panique de Bulson (un rapport erronné d'un observateur d'artillerie français annonçant les blindés allemands franchissant la Meuse 12 heures avant qu'ils ne fussent là)". Plus marquante encore est l'une de ses phrases de conclusion : "la campagne de France fut une Blitzkrieg improvisée mais réussie, celle contre l'URSS une Blitzkrieg planifiée mais ratée".
3/ Marc Bloch dans le texte (très agréable à relire) :
Dans la partie "Examen de conscience d'un Français" : [après les passages fort bien venus sur les Grandes Ecoles et les abus de la cooptation dans l'accès aux grands corps d'Etat et aux postes d'état-major] "Les révolutions nous paraissent tantôt souhaitables, tantôt odieuses, selon que leurs principes sont ou non les nôtres. J'abhorre le nazisme. Mais, comme la Révolution française, à laquelle on rougit de la comparer, la révolution nazie a mis aux commandes, que ce soit à la tête des troupes ou à la tête de l'Etat, des hommes, qui, parce qu'ils avaient un cerveau frais et n'avaient pas été formés aux routines scolaires, étaient capables de comprendre le "surprenant et le nouveau". Nous ne leur opposions guère que des messieurs chenus et des vieillards".
4/ L'argumentaire de Julian Jackson "A bien d'autres égards, les situations de 1914 et 1940 ne sont pas aussi différentes qu'il n'y paraît au vu de leurs issues très différentes l'une de l'autre. En réalité, il serait possible d'argumenter que, sous certains aspects, la France est mieux préparée pour la guerre en 1940 qu'elle ne l'était en 1914 [....] En bref, l'armée française n'était ni vouée à la victoire en 1914 ni condamnée à la défaite en 1940. Mais quand l'issue est connue, l'histoire a trop tendance à s'écrire dans le sens de la vague [... Bien sûr, il ne serait pas convaincant de pousser cette argumentation trop loin. Sans parle de la situation politique, d'importantes différences entre 1914 et 1940 subsistent. Malgré le retour de l'autorité politique sous Daladier, l'esprit de la classe politique en 1939 est pessimiste et hésitant. Daladier lui-même est rongé de doutes [....] Le problème, cependant, de lier ces événements à la défaite qui s'ensuit est qu'il serait possible de fournir une description très similaire, mutatis mutandis, de la Grande-Bretagne durant la "drôle de guerre", ou, comme beaucoup de gens l'appellent significativement, "la guerre de l'ennui".".
5/Marc Bloch dans l'Etrange défaite : "Est-ce dépit d'amoureux ? Historien, j'inclinerai à être particulièrement sévère à l'enseignement de l'histoire. Ce n'est pas l'Ecole de Guerre seulement qui arme mal pour l'action. Non certes que, dans nos lycées, on puisse lui reprocher de négliger le monde contemporain. Il lui accorde au contraire, une place sans cesse plus exclusive. Mais, justement, parce qu'il ne veut plus regarder que le présent, ou le très proche passé, il se rend incapable de les expliquer : tel un océanographe qui, refusant de lever les yeux vers les astres, sous prétexte qu'ils sont trop loin de la mer, ne saurait plus trouver la cause des marées [...] Ainsi notre politique rhénane après 1918, s'est fondée sur une image périmée de l'Europe. Elle persistait à croire vivant ce mort : le séparatisme allemand. Ainsi, nos diplomates ont obstinément mis leur foi dans les Habsbourg, ces fantômes décolorés pour albums de salons bien-pensants : on craint les Hohenzollern plutôt que Hitler".
Oui, ce n'est pas Clermont-Ferrand mais Vichy (mea culpa, la fièvre aidant, je ne suis pas allé vérifier).
1/ Marc Bloch ne savait pas que son ouvrage connaîtrait une postérité qui dépasse probablement tous les autres qu'il a rédigés et n'a jamais prétendu dépasser le cadre d'un témoignage, arguant très justement de l'absence de sources à sa disposition pour établir un livre d'histoire. A partir de là, le fait de transformer un témoignage en ouvrage d'analyse approfondi et omniscient me semble outrepasser de loin non seulement les règles de la méthode historique mais aussi les voeux de son auteur.
Le biais tient d'abord au procès en canonisation (le mot est d'Olivier Dumoulin dans son ouvrage intitulé Marc Bloch) et plus encore dans l'omniscience qui lui est attribuée au mépris même du dépouillement des autres sources, y compris étrangères.
2/ La notule de Karl-Heinze Friezer mérite le détour : " Contrairement à ce que prétend l'une des légendes les plus tenaces et les plus universellement répandues sur la Seconde Guerre mondiale, l'armée allemande de 1940 n'a pas véritablement cherché à mettre en œuvre une stratégie de Blitzkrieg (« guerre éclair »), laquelle n'avait d'ailleurs été qu'assez superficiellement pensée et théorisée dans les années précédentes. On a donc plutôt assisté à une combinaison étrange et quelque peu surréaliste de confusion, d'improvisation, d'occasions saisies... et d'ordres non suivis. Hitler et la plupart des membres de son état-major n'ont en effet jamais compris la véritable nature de la guerre industrielle moderne : de Dunkerque à l'opération Barbarossa, toutes leurs erreurs sont là pour le prouver". Marc Bloch insiste à fort juste titre sur l'aspect psychologique mais ne restitue pas au hasard et à la chance pure sa place (lire pages 79 et 80 du collectif autrement, l'exécution plus qu'erratique du Fall Gelb durant les premiers jours et la panique de Bulson (un rapport erronné d'un observateur d'artillerie français annonçant les blindés allemands franchissant la Meuse 12 heures avant qu'ils ne fussent là)". Plus marquante encore est l'une de ses phrases de conclusion : "la campagne de France fut une Blitzkrieg improvisée mais réussie, celle contre l'URSS une Blitzkrieg planifiée mais ratée".
3/ Marc Bloch dans le texte (très agréable à relire) :
Dans la partie "Examen de conscience d'un Français" : [après les passages fort bien venus sur les Grandes Ecoles et les abus de la cooptation dans l'accès aux grands corps d'Etat et aux postes d'état-major] "Les révolutions nous paraissent tantôt souhaitables, tantôt odieuses, selon que leurs principes sont ou non les nôtres. J'abhorre le nazisme. Mais, comme la Révolution française, à laquelle on rougit de la comparer, la révolution nazie a mis aux commandes, que ce soit à la tête des troupes ou à la tête de l'Etat, des hommes, qui, parce qu'ils avaient un cerveau frais et n'avaient pas été formés aux routines scolaires, étaient capables de comprendre le "surprenant et le nouveau". Nous ne leur opposions guère que des messieurs chenus et des vieillards".
4/ L'argumentaire de Julian Jackson "A bien d'autres égards, les situations de 1914 et 1940 ne sont pas aussi différentes qu'il n'y paraît au vu de leurs issues très différentes l'une de l'autre. En réalité, il serait possible d'argumenter que, sous certains aspects, la France est mieux préparée pour la guerre en 1940 qu'elle ne l'était en 1914 [....] En bref, l'armée française n'était ni vouée à la victoire en 1914 ni condamnée à la défaite en 1940. Mais quand l'issue est connue, l'histoire a trop tendance à s'écrire dans le sens de la vague [... Bien sûr, il ne serait pas convaincant de pousser cette argumentation trop loin. Sans parle de la situation politique, d'importantes différences entre 1914 et 1940 subsistent. Malgré le retour de l'autorité politique sous Daladier, l'esprit de la classe politique en 1939 est pessimiste et hésitant. Daladier lui-même est rongé de doutes [....] Le problème, cependant, de lier ces événements à la défaite qui s'ensuit est qu'il serait possible de fournir une description très similaire, mutatis mutandis, de la Grande-Bretagne durant la "drôle de guerre", ou, comme beaucoup de gens l'appellent significativement, "la guerre de l'ennui".".
5/Marc Bloch dans l'Etrange défaite : "Est-ce dépit d'amoureux ? Historien, j'inclinerai à être particulièrement sévère à l'enseignement de l'histoire. Ce n'est pas l'Ecole de Guerre seulement qui arme mal pour l'action. Non certes que, dans nos lycées, on puisse lui reprocher de négliger le monde contemporain. Il lui accorde au contraire, une place sans cesse plus exclusive. Mais, justement, parce qu'il ne veut plus regarder que le présent, ou le très proche passé, il se rend incapable de les expliquer : tel un océanographe qui, refusant de lever les yeux vers les astres, sous prétexte qu'ils sont trop loin de la mer, ne saurait plus trouver la cause des marées [...] Ainsi notre politique rhénane après 1918, s'est fondée sur une image périmée de l'Europe. Elle persistait à croire vivant ce mort : le séparatisme allemand. Ainsi, nos diplomates ont obstinément mis leur foi dans les Habsbourg, ces fantômes décolorés pour albums de salons bien-pensants : on craint les Hohenzollern plutôt que Hitler".
- CondorcetOracle
archeboc a écrit:condorcet a écrit:L'analyse de Marc Bloch dans L'Etrange défaite souffre de l'esprit de système qui consiste à ne retenir des faits que les éléments appuyant la thèse défendue : le Général Estienne en 1921 a ainsi été le premier à préconiser un emploi tactique offensif des chars, ce qui souligne que l'élite militaire n'était pas dans sa totalité fermée aux méthodes de la guerre moderne, contrairement à ce que soutient Marc Bloch.
Au sujet des erreurs de doctrine d'emploi, Marc Bloch parle moins de "l'élite militaire" que du premier cercle de dirigeants, les chefs d'Etat Major et leurs officiers d'EM cooptés, eux-mêmes destinés à devenir les dirigeants de la génération suivante. Marc Bloch pointe en particulier le rôle joué par l'Ecole de Guerre dans cette sclérose. Je ne pense pas que le général Estienne ait fondé une chapelle au sein de l'Ecole de Guerre.
Estienne n'a pas de postérité solide en France avant De Gaulle. Et il y a bel et bien une allusion à De Gaulle dans l’Étrange Défaite, disant que ce jeune ministre ne pouvait rien faire, en si peu de temps, pour redresser la situation.condorcet a écrit:Il voit une dimension morale dans la victoire ou la défaite et ce biais le conduit à transformer une défaite militaire en faute morale et nationale.
En quoi est-ce un biais ? Marc Bloch voit une cause morale à la défaite, et il l'argumente. Si vous pensez que ses arguments sont biaisés, dites-nous en quoi. Sinon, on est ici dans la pétition de principe. C'est ma première protestation ici, et la plus importante.
Le principal biais de Marc Bloch, son extrême patriotisme, il a su pourtant le dépasser de manière exemplaire pour faire l'analyse psychologique de cette défaite : "Français, je vais être contraint, parlant de mon pays, de ne pas en parler qu'en bien".
On a rarement allié, dans une même phrase en français, l'amour de son pays et celui de la vérité.
Ensuite, Bloch ne dénonce pas une "faute morale", mais des erreurs, dont certaines procèdent de fautes morales. Contrairement à Vichy qui condamne et vitupère une cause unique, désignée par l'idéologie, et à cause de cela ira se ridiculiser au honteux procès de Riom, Marc Bloch analyse différents ressorts psychologiques de l'action : aveuglements pacifistes, réflexe de classe, conformisme, esprit de système, etc. Derrière ces erreurs, il débusque parfois des "fautes morales" (la lâcheté, la trahison, le mépris, le mensonge), mais il reste toujours très mesurés, pour ne pas dire indulgent.
Enfin, plus qu'une "faute nationale", ce sont les erreurs des élites dont Bloch fait l'analyse.condorcet a écrit:Ce changement de registre n'est pas anodin et semble partagé par beaucoup de contemporains, la stupeur et l'abattement expliquant l'aisance avec laquelle Vichy cueille comme un fruit mur la République le 10 juillet 1940 à Clermont-Ferrand.
Vichy est à Clermont-Ferrand le 10 juillet ?
Cet état d'abattement, Marc Bloch l'analyse en partie, montrant ce qu'il contient d'illusion, et espère son caractère passager. Les lignes sur Pétain et Hitler sont parmi les plus spirituelles du livre.
Mais il est presque comique de dire que Marc Bloch a partagé la stupeur et l'abattement de ses contemporains quand on voit le travail qu'il a fourni en quelques semaines, en juillet 1940, pour écrire ce livre.condorcet a écrit:Témoin privilégié, Marc Bloch n'est pas moins tributaire des représentations propres à son époque et commet à mon sens une erreur de perspectives, transformant une interrogation légitime ("comment en est-on arrivé là ?") en postulat ("ruine des élites, désorganisation de l'état-major...") qui s'appuie sur la connaissance du dénouement. Je considère donc L'Etrange défaite avant-tout comme une source fascinante.
C'est une source, certes, mais aussi et surtout un travail d'analyse exceptionnel au regard du choc que représentait l'événement et de ce que Bloch a réussi à en faire.condorcet a écrit:En 2000, les éditions Autrement avaient publié un ouvrage collectif qui mérite à cet égard le détour car il offre l'opportunité de revisiter nos certitudes : http://www.cairn.info/mai-juin-1940--9782746714090.htm
A lire les résumés, plusieurs des contributions de ce recueil semble concordantes avec celles de Marc Bloch, pour ne pas dire redondantes :
- Dennis E. Showalter : "[..]Mais le concept de « bataille préparée » se révéla impossible à mettre en oeuvre [..]"
- Robert A. Doughty : "l’armée française et ses dirigeants accordèrent plus d’importance à l’obéissance et à la précision qu’à l’initiative et à l’imagination, faisant ainsi excessivement confiance à la logique et à la raison".
En face, il y a deux historiens dont les thèses semblent opposés. celui qui met en avant les erreurs de l'armée allemande semblent se perdre dans les détails, mais sa fiche wikipédia est beaucoup plus claire : "Le résultat de cette campagne trouve ses sources dans le développement de technologies, de modes d’organisation, et de modes de coordination entre les armes (infanterie, blindés, aviation notamment) adaptés aux besoins opérationnels, prenant en compte les évolutions récentes de la technique, ce que l’Armée française n'a pas su accomplir".
Là encore, rien qu'on n'ait pu lire auparavant sous la plume de Marc Bloch.
Pour Martin S. Alexander, quant à la défense de Gamelin, il faudrait aller y voir de plus près, mais le dossier à charge de ce monsieur est plutôt lourd, et les critiques de Bloch n'y ont une part qu'assez légère en comparaison. Quant à la faute à la malchance, cela rappelle que Napoléon, lorsqu'on lui proposait la nomination d'un nouveau général, demandait : "a-t-il de la chance" ?condorcet a écrit:Faillite de Normale supérieure durant l'entre-deux-guerres qui forme Jean-Paul Sartre, Raymond Aron, Paul Nizan, Emmanuel Mounier, Simone Weil ?
Il ne me semble pas que Marc Bloch mette en cause Normale Sup, mais je peux me tromper. Je n'ai pas le livre sous la main.
A.
Relisez ma phrase : il s'applique aux contemporains et non à Marc Bloch.
- CondorcetOracle
Le biais de l'analyse de Marc Bloch réside donc dans le fait :
- de ne retenir que de facteurs collectifs à charge ;
- de ne pas assez prendre compte le lourd tribut humain consenti par l'armée française en 1940 (les pertes quotidiennes en 1940 sont équivalentes à celles de 1914-1918) :
- d'étendre son expérience vécue (certes très riche, puisqu'il a été en 1914-1918 et en 1940 officier de renseignement, chargé du ravitaillement en carburants de l'armée) à un tableau d'ensemble de la bataille de France.
Sa force réside dans la très belle analyse de la guerre de vitesse, des modalités de prise de la décision, la sclérose engendrée par la démographie.
En somme, c'est une très belle source, d'autant plus précieuse qu'elle est rédigée à chaud : elle ne prétend pas au statut de vérité d'Evangile qui lui est aujourd'hui reconnu et cette modestie l'honore grandement. Les reproches que l'auteur adresse à son pays et à son armée qu'il aborde ensemble ne sont pas voilées et avouent leur subjectivité (dès les accroches). Je ne sais pas qui de l'auteur ou de l'éditeur a choisi les titres de parti mais ils reflètent cette approche ("Présentation du témoin", "Déposition du vaincu", "Examen de conscience d'un Français").
Enfin, la lecture critique que je dresse de l'ouvrage ne diminue en rien l'affectation à distance que j'ai pour Marc Bloch qui a le mérite de donner à penser, ce qui n'est pas si courant.
N.B : j'ai trouvé nulle trace de Normale Supérieure dans l'Etrange défaite. Ma phrase répondait plutôt à l'assertion formulée par l'auteur de l'article journalistique.
- de ne retenir que de facteurs collectifs à charge ;
- de ne pas assez prendre compte le lourd tribut humain consenti par l'armée française en 1940 (les pertes quotidiennes en 1940 sont équivalentes à celles de 1914-1918) :
- d'étendre son expérience vécue (certes très riche, puisqu'il a été en 1914-1918 et en 1940 officier de renseignement, chargé du ravitaillement en carburants de l'armée) à un tableau d'ensemble de la bataille de France.
Sa force réside dans la très belle analyse de la guerre de vitesse, des modalités de prise de la décision, la sclérose engendrée par la démographie.
En somme, c'est une très belle source, d'autant plus précieuse qu'elle est rédigée à chaud : elle ne prétend pas au statut de vérité d'Evangile qui lui est aujourd'hui reconnu et cette modestie l'honore grandement. Les reproches que l'auteur adresse à son pays et à son armée qu'il aborde ensemble ne sont pas voilées et avouent leur subjectivité (dès les accroches). Je ne sais pas qui de l'auteur ou de l'éditeur a choisi les titres de parti mais ils reflètent cette approche ("Présentation du témoin", "Déposition du vaincu", "Examen de conscience d'un Français").
Enfin, la lecture critique que je dresse de l'ouvrage ne diminue en rien l'affectation à distance que j'ai pour Marc Bloch qui a le mérite de donner à penser, ce qui n'est pas si courant.
N.B : j'ai trouvé nulle trace de Normale Supérieure dans l'Etrange défaite. Ma phrase répondait plutôt à l'assertion formulée par l'auteur de l'article journalistique.
- archebocEsprit éclairé
condorcet a écrit:J'ai le livre de Marc Bloch et l'ouvrage collectif d'Autrement sous la main.
Je n’ai l’un que de mémoire, et je ne connais de l’autre que les notules dont vous avez donné l’URL. Je vais tâcher de répondre à vos 5 points.
condorcet a écrit:1/ Marc Bloch ne savait pas que son ouvrage connaîtrait une postérité qui dépasse probablement tous les autres qu'il a rédigés et n'a jamais prétendu dépasser le cadre d'un témoignage, arguant très justement de l'absence de sources à sa disposition pour établir un livre d'histoire. A partir de là, le fait de transformer un témoignage en ouvrage d'analyse approfondi et omniscient me semble outrepasser de loin non seulement les règles de la méthode historique mais aussi les voeux de son auteur.
Le biais tient d'abord au procès en canonisation (le mot est d'Olivier Dumoulin dans son ouvrage intitulé Marc Bloch) et plus encore dans l'omniscience qui lui est attribuée au mépris même du dépouillement des autres sources, y compris étrangères.
Que le livre dépasse les vœux de son auteur, rien d’étonnant quand on connaît la modestie de cet auteur. Mais aucune règle de la méthode historique n’interdit l’existence d’esprits supérieurs qui saisissent d’un coup d’œil une situation, en discernent les causes obscures, en démontent les ressorts psychologiques individuels ou collectifs, et en tracent, en une langue claire et frappante, un tableau conforme à la réalité.
Nous récupérons un vieux cahier contenant un témoignage. Ce témoignage a ceci d’exceptionnel qu’il présente une série d’analyses de très haut niveau – tellement haut que des historiens publient aujourd’hui des articles pour dire la même chose. C'est exceptionnel, mais cela ne viole aucune règle de méthode que ce soit. Et après tout, ce monsieur lui-même était historien – il a appliqué les règles de son métier à la situation qu’il a vécue.
Qu’il y ait des informations importantes qui manquent à Marc Bloch, par exemple l’emploi des armes combinées, c’est évident. Mais il a su tirer des éléments à sa disposition ce qui permet de décrire l’effondrement de l’armée française, et d’en dévoiler plusieurs causes de manière très efficace.
Sa canonisation ne me semble donc pas immérité, et sans connaître le contenu du livre de la collection « Autrement », je me dis que vu le titre de l’introduction et des deux parties qui le composent, ce livre participe activement au culte du canonisé
condorcet a écrit:2/ La notule de Karl-Heinze Friezer mérite le détour : " Contrairement à ce que prétend l'une des légendes les plus tenaces et les plus universellement répandues sur la Seconde Guerre mondiale, l'armée allemande de 1940 n'a pas véritablement cherché à mettre en œuvre une stratégie de Blitzkrieg (« guerre éclair »),
Je pense que ce n’est pas à Marc Bloch que Karl-Heinz Frieser s’oppose ici, mais plutôt à Liddell-Hart, qui a peint une doctrine militaire allemande toute entière contenue dans la pensée du Führer, et qui a théorisé les principes gouvernants le Blitzkrieg.
Sur ce point, Marc Bloch a seulement montré que la guerre mécanisée avait pris en 1940 une tournure qui périme la notion de front telle qu’elle est héritée de 1914.
condorcet a écrit:On a donc plutôt assisté à une combinaison étrange et quelque peu surréaliste de confusion, d'improvisation, d'occasions saisies... et d'ordres non suivis.
On peut dire la même chose de toutes les grandes campagnes de Napoléon. Ce n’est pas le lieu d’en dresser une liste, mais c’est un résultat de la tactique française, développée dans les années 1760-1770, de laisser la place à l’initiative donc à l’improvisation. L’initiative laissée aux éléments de tête permet de saisir les occasions aussitôt qu’elles se présentent, et avant qu’elles ne se périment. C’est ce qu’illustre l’anecdote sur Napoléon que j’ai donnée (« A-t-il de la chance ? »).
A partir de là, que la souplesse de la chaîne de commandement soit une source de confusion, que certains échelons s’affranchissent de certains ordres parce que la situation à leur niveau l’exige, oui, c’est un effet collatéral de ce type de doctrine.
condorcet a écrit:Marc Bloch insiste à fort juste titre sur l'aspect psychologique mais ne restitue pas au hasard et à la chance pure sa place
Je ne vois pas ce que le hasard et la chance pure ont à voir avec la campagne de France. Il est difficile de prétendre que la défaite s’est jouée sur un coup de dé.
condorcet a écrit:Plus marquante encore est l'une de ses phrases de conclusion : "la campagne de France fut une Blitzkrieg improvisée mais réussie, celle contre l'URSS une Blitzkrieg planifiée mais ratée".
Bloch montre bien le caractère opportuniste de la guerre de mouvement, en particulier lorsqu’il pointe la fragilité des détachements d’infanterie motorisée allemands qui prennent le contrôle des nœuds routiers, détachements qui se seraient révélés terriblement exposés à des actions de retardement menées par des petits groupes pratiquant la même tactique. Une fois encore, le succès de la guerre de mouvement repose sur la faculté, pour les échelons intermédiaires, de saisir l’occasion favorable dès qu’elle se présente, sans avoir à en référer à la hiérarchie.
Pour dire les choses autrement, il y a toujours de l’improvisation dans le Blitzkrieg, et « Blitzkrieg planifiée » est une contradiction dans les termes, du moins si on entend la planification comme celle mise en oeuvre dans la guerre de siège.
condorcet a écrit:3/ Marc Bloch dans le texte (très agréable à relire) :
[...] "Les révolutions nous paraissent tantôt souhaitables, tantôt odieuses, selon que leurs principes sont ou non les nôtres. J'abhorre le nazisme. Mais, comme la Révolution française, à laquelle on rougit de la comparer, la révolution nazie a mis aux commandes, que ce soit à la tête des troupes ou à la tête de l'Etat, des hommes, qui, parce qu'ils avaient un cerveau frais et n'avaient pas été formés aux routines scolaires, étaient capables de comprendre le "surprenant et le nouveau". Nous ne leur opposions guère que des messieurs chenus et des vieillards".
Oui, et alors ?
Bloch produit ici une analyse sociologique de la victoire allemande.
Qu’y a-t-il à critiquer ici ?
condorcet a écrit:4/ L'argumentaire de Julian Jackson "A bien d'autres égards, les situations de 1914 et 1940 ne sont pas aussi différentes qu'il n'y paraît au vu de leurs issues très différentes l'une de l'autre. En réalité, il serait possible d'argumenter que, sous certains aspects, la France est mieux préparée pour la guerre en 1940 qu'elle ne l'était en 1914 [....] En bref, l'armée française n'était ni vouée à la victoire en 1914 ni condamnée à la défaite en 1940. Mais quand l'issue est connue, l'histoire a trop tendance à s'écrire dans le sens de la vague [...] Bien sûr, il ne serait pas convaincant de pousser cette argumentation trop loin. Sans parle de la situation politique, d'importantes différences entre 1914 et 1940 subsistent. Malgré le retour de l'autorité politique sous Daladier, l'esprit de la classe politique en 1939 est pessimiste et hésitant. Daladier lui-même est rongé de doutes [....] Le problème, cependant, de lier ces événements à la défaite qui s'ensuit est qu'il serait possible de fournir une description très similaire, mutatis mutandis, de la Grande-Bretagne durant la "drôle de guerre", ou, comme beaucoup de gens l'appellent significativement, "la guerre de l'ennui".".
Une description similaire pour un destin similaire : en mai-juin 1940, la Grande Bretagne n’a pas fait mieux que la France. Son insularité seule l’a sauvée. Donc je ne vois pas que ce Julian Jackson veut montrer ici, ou plutôt ce que vous voulez montrer contre Marc Bloch en vous appuyant sur cet extrait de Julian Jackson
condorcet a écrit:5/Marc Bloch dans l'Etrange défaite : "Est-ce dépit d'amoureux ? Historien, j'inclinerai à être particulièrement sévère à l'enseignement de l'histoire. Ce n'est pas l'Ecole de Guerre seulement qui arme mal pour l'action. Non certes que, dans nos lycées, on puisse lui reprocher de négliger le monde contemporain. Il lui accorde au contraire, une place sans cesse plus exclusive. Mais, justement, parce qu'il ne veut plus regarder que le présent, ou le très proche passé, il se rend incapable de les expliquer : tel un océanographe qui, refusant de lever les yeux vers les astres, sous prétexte qu'ils sont trop loin de la mer, ne saurait plus trouver la cause des marées [...]
Là non plus, je ne comprends pas en quoi cette citation disqualifie la pensée de Bloch. D’autant plus que c’est une partie accessoire dans son raisonnement.
condorcet a écrit:Le biais de l'analyse de Marc Bloch réside donc dans le fait :
- de ne retenir que de facteurs collectifs à charge ;
- de ne pas assez prendre compte le lourd tribut humain consenti par l'armée française en 1940 (les pertes quotidiennes en 1940 sont équivalentes à celles de 1914-1918) :
- d'étendre son expérience vécue (certes très riche, puisqu'il a été en 1914-1918 et en 1940 officier de renseignement, chargé du ravitaillement en carburants de l'armée) à un tableau d'ensemble de la bataille de France.
Sa force réside dans la très belle analyse de la guerre de vitesse, des modalités de prise de la décision, la sclérose engendrée par la démographie.
Points par points :
- Bloch plaide généralement à charge et à décharge.
- Bloch n’a pas accès aux chiffres des pertes, mais il ne minimise pas l’héroïsme du commun des soldats et de l’encadrement subalterne. Il en donne des exemples, soit qu’il a connus dans son commandement (le tringlot touché au ventre), soit plus largement connus du public à la fin juin 1940 (les cadets de Saumur). Ce qu’il met en cause, c’est la haute hiérarchie.
- Au passage, les pertes quotidiennes équivalentes à celle de 1914-1918 sont-elles à considérer sur la seule durée de l’offensive allemande, soit cinq semaines, en excluant la drôle de guerre ? Si tel est le cas, il n’est pas raisonnable de comparer l’attrition durant une phase offensive avec l’attrition moyenne d’un conflit de quatre ans.
- Bloch dit bien que son point de vue est partiel, mais que sa position à l’état major de la première armée lui a donné des vues approfondies sur le fonctionnement de celle-ci, et sur ses liens avec le GQG.
En conclusion, ma conclusion :
Bloch a pondu en quelques semaines un diagnostic tellement profond et pertinent qu’on publie plus de soixante ans plus tard, dans la collection « Autrement », au moins deux articles d’historiens qui viennent dire la même chose que lui.
Difficile, dans ces conditions, de ne voir en son travail qu’une source, et non pas une analyse rigoureuse et véridique des causes ayant entraîné l’effondrement des forces françaises.
Je ne vais pas prétendre que le travail de Bloch est ontologiquement indépassable. Je constate simplement qu'il semble difficile à dépasser.
- LouisBarthasExpert
Pour en revenir au thème initial, voici une autre analogie que le livre de Marc Bloch a inspirée au mathématicien médaillé Fields Laurent Lafforgue dans son introduction au livre collectif "La débâcle de l'école" (F.X. de Guibert, 2007) :
Comment, à propos de l'école, oser parler de débâcle ?
Pour beaucoup, ce mot évoque le désastre de mai-juin 1940 : l'effondrement d'une armée héritière de l'une des plus glorieuses traditions militaires de l'histoire et qui se croyait la meilleure du monde, les énormes fautes d'appréciation commises par le commandement tant sur le plan des doctrines auxquelles il a aveuglément ajouté foi que dans la préparation et la conduite des combats, l'affaiblissement du caractère, le fléchissement de la pensée et la défaillance de la raison qui ont rendu ces fautes possibles et empêché de prendre conscience de leurs effets inéluctables, la disparition des repères moraux qui a accompagné et suivi la défaite, la dissolution de toutes les structures, l'effacement et le démembrement programmé de la France, l'abolition du régime républicain et la suppression des libertés avec leurs conséquences inimaginables sur les personnes et les peuples laissés sans défense.
Nous parlons de débâcle de l'école car celle-ci se trouve aujourd'hui dans une situation qui présente d'étonnantes analogies avec celles de l'armée française en 1940. Ses conséquences pour notre pays - si elles ne se manifestent pas avec la même immédiateté et la même brutalité - promettent d'être aussi graves et destructrices, à moins qu'une prise de conscience collective ne conduise rapidement à un sursaut et à l'amorce d'un processus de refondation et de reconstruction.
L'histoire de l'école française est vieille de bien des siècles et a connu de brillants développements jusqu'au tournant des années 60. Le statut de grande civilisation de l'esprit que notre pays a conquis et conservé si longtemps aurait été impensable sans les institutions qu'il a crées ou adoptées et constamment améliorées pour transmettre de génération en génération l'instruction, la culture et le savoir.
Ce statut a été remis en cause et le fondement de cette civilisation ruiné en quelques décennies par le déclin de l'école. Un déclin qui est le résultat de politiques bien précises, conçues, décidées et mises en oeuvre par ceux qui étaient chargés de gouverner l'école. Comme dans le cas de la bataille du printemps 1940, la responsabilité du désastre appartient d'abord au commandement, c'est à dire aux instances dirigeantes de l'Éducation nationale, en ses experts organisés en d'innombrables commissions, à ceux des universitaires et des intellectuels qui les ont inspirées, et à la majorité des membres de la hiérarchie - cooptés en fonction de leur adhésion aux principes et aux doctrines de l'école nouvelle - qui ont appliqué et imposé avec brutalité des directives visant à transformer la nature de l'école et à redéfinir sa finalité. Comme en 1940, les fautes commises procèdent d'un affaiblissement du caractère et d'une déliquescence de la pensée, qu'elles amplifient encore par leurs conséquences d'ordre intellectuel et moral sur les jeunes générations. Elles font planer la menace d'un anéantissement de la liberté des personnes. Celui-ci serait d'autant plus profond qu'il ne résulterait pas d'une tyrannie extérieure mais du défaut de transmission des moyens de la liberté de l'esprit.
:ace:
Comment, à propos de l'école, oser parler de débâcle ?
Pour beaucoup, ce mot évoque le désastre de mai-juin 1940 : l'effondrement d'une armée héritière de l'une des plus glorieuses traditions militaires de l'histoire et qui se croyait la meilleure du monde, les énormes fautes d'appréciation commises par le commandement tant sur le plan des doctrines auxquelles il a aveuglément ajouté foi que dans la préparation et la conduite des combats, l'affaiblissement du caractère, le fléchissement de la pensée et la défaillance de la raison qui ont rendu ces fautes possibles et empêché de prendre conscience de leurs effets inéluctables, la disparition des repères moraux qui a accompagné et suivi la défaite, la dissolution de toutes les structures, l'effacement et le démembrement programmé de la France, l'abolition du régime républicain et la suppression des libertés avec leurs conséquences inimaginables sur les personnes et les peuples laissés sans défense.
Nous parlons de débâcle de l'école car celle-ci se trouve aujourd'hui dans une situation qui présente d'étonnantes analogies avec celles de l'armée française en 1940. Ses conséquences pour notre pays - si elles ne se manifestent pas avec la même immédiateté et la même brutalité - promettent d'être aussi graves et destructrices, à moins qu'une prise de conscience collective ne conduise rapidement à un sursaut et à l'amorce d'un processus de refondation et de reconstruction.
L'histoire de l'école française est vieille de bien des siècles et a connu de brillants développements jusqu'au tournant des années 60. Le statut de grande civilisation de l'esprit que notre pays a conquis et conservé si longtemps aurait été impensable sans les institutions qu'il a crées ou adoptées et constamment améliorées pour transmettre de génération en génération l'instruction, la culture et le savoir.
Ce statut a été remis en cause et le fondement de cette civilisation ruiné en quelques décennies par le déclin de l'école. Un déclin qui est le résultat de politiques bien précises, conçues, décidées et mises en oeuvre par ceux qui étaient chargés de gouverner l'école. Comme dans le cas de la bataille du printemps 1940, la responsabilité du désastre appartient d'abord au commandement, c'est à dire aux instances dirigeantes de l'Éducation nationale, en ses experts organisés en d'innombrables commissions, à ceux des universitaires et des intellectuels qui les ont inspirées, et à la majorité des membres de la hiérarchie - cooptés en fonction de leur adhésion aux principes et aux doctrines de l'école nouvelle - qui ont appliqué et imposé avec brutalité des directives visant à transformer la nature de l'école et à redéfinir sa finalité. Comme en 1940, les fautes commises procèdent d'un affaiblissement du caractère et d'une déliquescence de la pensée, qu'elles amplifient encore par leurs conséquences d'ordre intellectuel et moral sur les jeunes générations. Elles font planer la menace d'un anéantissement de la liberté des personnes. Celui-ci serait d'autant plus profond qu'il ne résulterait pas d'une tyrannie extérieure mais du défaut de transmission des moyens de la liberté de l'esprit.
:ace:
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Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. - Albert Camus
Aller apprendre l'ignorance à l'école, c'est une histoire qui ne s'invente pas ! - Alexandre Vialatte
À quels enfants allons-nous laisser le monde ? - Jaime Semprun
Comme si, tous ceux qui n'approuvent pas les nouveaux abus étaient évidemment partisans des anciens. - Edmund Burke
Versaillais de droite et Versaillais de gauche doivent être égaux devant la haine du peuple. - Manifeste des proscrits de la Commune
- MarcassinHabitué du forum
Pour résumer mon sentiment, l'analogie avec 1940 n'a aucun sens.
Si "étrange déprime française actuelle" et responsabilité des élites il y a, l'école n'en est pas la cause, mais bien - aujourd'hui - la principale victime. Et parmi ces "élites" il faudrait compter certains journalistes qui tiennent le même discours accusateur sur l'école publique et en précipitent la crise tout en préservant soigneusement leur progéniture.
Si Marc Bloch devait juger avec lucidité la situation actuelle de l'école, je ne suis pas sûr qu'il serait du côté où M. Fauconnier veut enrôler sa mémoire.
Si "étrange déprime française actuelle" et responsabilité des élites il y a, l'école n'en est pas la cause, mais bien - aujourd'hui - la principale victime. Et parmi ces "élites" il faudrait compter certains journalistes qui tiennent le même discours accusateur sur l'école publique et en précipitent la crise tout en préservant soigneusement leur progéniture.
Si Marc Bloch devait juger avec lucidité la situation actuelle de l'école, je ne suis pas sûr qu'il serait du côté où M. Fauconnier veut enrôler sa mémoire.
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"Je regarde la grammaire comme la première partie de l'art de penser." (Condillac)
- CondorcetOracle
Archeboc, je pense que vous devriez essayer de trouver les articles du collectif et les confronter avec l'ouvrage de Marc Bloch : vous y verriez probablement, plus qu'avec les extraits mentionnés ici (et de manière la plus complète possible) et plus que dans le cadre de cette discussion la diversité des positions à ce sujet.
Concernant le premier point, effectivement, aucun auteur ne peut préjuger de la postérité de son oeuvre.
Concernant le deuxième point, je citerai simplement cet autre extrait de Karl-Heinz Frieser :
"Quant au fait que la campagne de France se soit changée en une Blitzkrieg victorieuse à l'encontre des prudentes prévisions, il faut le ramener à trois facteurs principaux :
- des hasards incompréhensibles ;
- des erreurs incompréhensibles des Alliés ;
- un non moins incompréhensible individualisme de quelques généraux "fonceurs" à la tête des divisions blindées, et qui mirent non seulement les Alliés mais également la direction allemande devant le fait accompli".
Concernant le troisième point, je doute de l'acuité de ce jugement si l'on porte son regard vers les ministres allemands en 1940 qui furent loin de comprendre toujours le "surprenant et le nouveau".
Concernant le quatrième point, l'article de Julian Jackson démontre avec éclat que la défaite de 1940 ne provint pas plus que le sursaut de septembre 1914 de la sclérose de l'entre-deux guerres ou de la vitalité de la Belle Epoque.
Concernant le cinquième point, je pense que votre conclusion est bien éloignée de ce qu'est l'ouvrage collectif "Autrement".
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_2001_num_69_1_1308_t1_0211_0000_4
Enfin, le passage sur l'enseignement de l'histoire m'a semblé assez cocasse pour souligner le fait que des reproches récurrents lui sont adressés.
Concernant le premier point, effectivement, aucun auteur ne peut préjuger de la postérité de son oeuvre.
Concernant le deuxième point, je citerai simplement cet autre extrait de Karl-Heinz Frieser :
"Quant au fait que la campagne de France se soit changée en une Blitzkrieg victorieuse à l'encontre des prudentes prévisions, il faut le ramener à trois facteurs principaux :
- des hasards incompréhensibles ;
- des erreurs incompréhensibles des Alliés ;
- un non moins incompréhensible individualisme de quelques généraux "fonceurs" à la tête des divisions blindées, et qui mirent non seulement les Alliés mais également la direction allemande devant le fait accompli".
Concernant le troisième point, je doute de l'acuité de ce jugement si l'on porte son regard vers les ministres allemands en 1940 qui furent loin de comprendre toujours le "surprenant et le nouveau".
Concernant le quatrième point, l'article de Julian Jackson démontre avec éclat que la défaite de 1940 ne provint pas plus que le sursaut de septembre 1914 de la sclérose de l'entre-deux guerres ou de la vitalité de la Belle Epoque.
Concernant le cinquième point, je pense que votre conclusion est bien éloignée de ce qu'est l'ouvrage collectif "Autrement".
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_2001_num_69_1_1308_t1_0211_0000_4
Enfin, le passage sur l'enseignement de l'histoire m'a semblé assez cocasse pour souligner le fait que des reproches récurrents lui sont adressés.
- CondorcetOracle
+ 1000 Marcassin (surtout que le titre originel prévu par Marc Bloch était Témoignage ; c'est Georges Altman, son compagnon de "Franc-Tireur", qui l'a transformé).
- LouisBarthasExpert
Oui, l'école est la victime et non la cause du désastre : "Qui veut noyer son chien, l'accuse de la rage" (Molière)
"Nous parlons de débâcle de l'école car celle-ci se trouve aujourd'hui dans une situation qui présente d'étonnantes analogies avec celles de l'armée française en 1940."
"Un déclin qui est le résultat de politiques bien précises, conçues, décidées et mises en oeuvre par ceux qui étaient chargés de gouverner l'école. Comme dans le cas de la bataille du printemps 1940, la responsabilité du désastre appartient d'abord au commandement, c'est à dire aux instances dirigeantes de l'Éducation nationale, en ses experts organisés en d'innombrables commissions, à ceux des universitaires et des intellectuels qui les ont inspirées, et à la majorité des membres de la hiérarchie - cooptés en fonction de leur adhésion aux principes et aux doctrines de l'école nouvelle - qui ont appliqué et imposé avec brutalité des directives visant à transformer la nature de l'école et à redéfinir sa finalité."
Laurent Lafforgue (La débâcle de l'école)
"Nous parlons de débâcle de l'école car celle-ci se trouve aujourd'hui dans une situation qui présente d'étonnantes analogies avec celles de l'armée française en 1940."
"Un déclin qui est le résultat de politiques bien précises, conçues, décidées et mises en oeuvre par ceux qui étaient chargés de gouverner l'école. Comme dans le cas de la bataille du printemps 1940, la responsabilité du désastre appartient d'abord au commandement, c'est à dire aux instances dirigeantes de l'Éducation nationale, en ses experts organisés en d'innombrables commissions, à ceux des universitaires et des intellectuels qui les ont inspirées, et à la majorité des membres de la hiérarchie - cooptés en fonction de leur adhésion aux principes et aux doctrines de l'école nouvelle - qui ont appliqué et imposé avec brutalité des directives visant à transformer la nature de l'école et à redéfinir sa finalité."
Laurent Lafforgue (La débâcle de l'école)
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Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. - Albert Camus
Aller apprendre l'ignorance à l'école, c'est une histoire qui ne s'invente pas ! - Alexandre Vialatte
À quels enfants allons-nous laisser le monde ? - Jaime Semprun
Comme si, tous ceux qui n'approuvent pas les nouveaux abus étaient évidemment partisans des anciens. - Edmund Burke
Versaillais de droite et Versaillais de gauche doivent être égaux devant la haine du peuple. - Manifeste des proscrits de la Commune
- IgniatiusGuide spirituel
Je lis avec attention ce débat de spécialistes très instructif : cela me donne envié de lire ce livre de Marc Bloch dont j'avais entendu parler sans en connaître le contenu.
La première citation de Lafforgue résonne fortement pour moi : je crois aussi à l'importance historique pour le pays de ce qu'il est en train de se passer depuis une quinzaine d'années dans l'éducation en France.
Je ne crois pas la comparaison excessivement lyrique, mais tout à fait adaptée et justifiée.
Un jour, on cherchera les responsables de l'effondrement.
Lafforgue est pertinent et c'est un immense mathématicien : dommage qu'il ait des fréquentations un peu extrêmes d'après ce que j'ai pigé.
La première citation de Lafforgue résonne fortement pour moi : je crois aussi à l'importance historique pour le pays de ce qu'il est en train de se passer depuis une quinzaine d'années dans l'éducation en France.
Je ne crois pas la comparaison excessivement lyrique, mais tout à fait adaptée et justifiée.
Un jour, on cherchera les responsables de l'effondrement.
Lafforgue est pertinent et c'est un immense mathématicien : dommage qu'il ait des fréquentations un peu extrêmes d'après ce que j'ai pigé.
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"Celui qui se perd dans sa passion est moins perdu que celui qui perd sa passion."
St Augustin
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