- InvitéInvité
l'interview entière dans les échos
Les mathématiques ont une image assez ambivalente : il y a ceux qui ont « la bosse pour » et ceux qui ne l'ont pas, et qui sont bien souvent exclus des meilleures filières pour la bonne raison que la sélection se fait encore principalement sur cette discipline...
C'est moins vrai que par le passé, ne serait-ce que parce que le niveau exigé en mathématiques d'un lycéen aujourd'hui est objectivement très inférieur à celui exigé il y a dix ans. Il y a eu un appauvrissement des programmes, qui partait peut-être d'une bonne intention, celle de rendre la discipline plus accessible, mais qui a complètement échoué. On a complètement occulté ce qui devrait être le but premier de cette matière, qui n'est pas d'acquérir des notions ou des techniques, mais d'apprendre à construire un raisonnement logique.
Encore une fois, c'est quelque chose qui s'apprend : l'art de faire des démonstrations. Or cela s'apprend principalement en faisant des exercices. La philosophie contribue aussi à cet apprentissage, et ce n'est pas un hasard si tant de grands mathématiciens furent aussi de grands philosophes : Leibniz, Wittgenstein, Russell... Mais on trouve aussi, à l'opposé, des « philosophes » - si tant est qu'ils méritent ce nom -qui n'ont dans leurs raisonnements rien de rigoureux, comme Lacan et tous ceux que Bricmont et Sokal se sont amusés à éreinter dans « Impostures intellectuelles ». En mathématiques, vous êtes davantage tenu à la rigueur : la moindre erreur de raisonnement et toute la démonstration s'écroule.
Vous êtes vous-même parent d'élèves. Trouvez-vous que les manuels insistent suffisamment sur cette dimension humaine et historique que vous évoquez ?
En général, pas assez. Mais il faut prendre garde à ne pas tomber dans l'excès inverse, et occulter les concepts. C'est une question de dosage. Mais allons au-delà des manuels. Les problèmes les plus sérieux de l'enseignement scientifique sont en amont, et plus structurels. D'abord, le problème du temps : on n'en consacre pas assez aux sciences, y compris dans les filières littéraires. Pas pour en faire ingurgiter davantage aux élèves, mais pour leur permettre de mieux apprivoiser les notions. Si vous accompagnez une définition de trois exercices, l'effet ne sera pas le même qu'avec un seul, il y aura moins d'élèves pour qui le train sera passé trop vite.
L'autre grand problème tient à l'organisation même de l'école, en ce qui concerne tant les questions de management que d'évaluation. Le système actuel des inspections, je suis désolé de le dire, ne marche pas. Le fait que les inspecteurs n'enseignent plus ou peu les décrédibilise, le rythme aléatoire de leurs visites et le côté sanctionnant de la note sont problématiques. Quant à la possibilité qu'un enseignant puisse être affecté dans un établissement sans que le chef de cet établissement ait son mot à dire, elle est tout bonnement choquante : aucune autre organisation humaine ne fonctionne ainsi. Il faut repenser de manière plus réaliste, plus humaine, plus pragmatique, plus personnelle aussi, le monde de l'enseignement. Je prends juste un exemple : « La Main à la pâte » [une approche nouvelle de l'enseignement des sciences en primaire, fondée sur l'expérimentation et lancée par Georges Charpak en 1996, NDLR] est une initiative formidable qui a recueilli l'assentiment de tous les ministres de l'Education nationale qui se sont succédé depuis. N'empêche que, plus de quinze ans plus tard, le nombre d'établissements qui proposent cette activité reste marginal. Pourquoi ? Le système ne fonctionne pas bien : il est lent à la réaction, trop pointilleux dans son contrôle, ne fait pas assez de place aux initiatives personnelles et ne laisse pas les bonnes idées se répandre librement. C'est un problème de gouvernance.
Il y a en France une tradition d'excellence en mathématiques dont témoignent entre autres les deux médailles Fields de 2010 ou les deux lauréates françaises du prix Henri Poincaré cette année. Et pourtant, dans les différents classements internationaux (Pisa, TIMSS...), les jeunes Français ne se classent pas particulièrement bien. Comment expliquez-vous ce décalage ?
Il tient au fait que ceux qui sont les plus à l'aise et deviendront des chercheurs passeront à travers les défauts du système scolaire. Il est cruel de constater que même la France, qui se positionne au top niveau mondial en mathématiques, n'est pas capable d'avoir pour cette matière un enseignement de qualité et motivant. Et encore une fois, ce n'est pas la faute des enseignements, mais de tout l'écosystème. Quand on y réfléchit bien, la menace la plus fondamentale qui pèse sur la science occidentale n'est ni d'ordre budgétaire ni d'ordre structurel : c'est le manque de motivation des jeunes. On sait bien qu'on a en France un déficit de formation de scientifiques et d'ingénieurs alors qu'on en a plus besoin que jamais.
- PatissotDoyen
« La Main à la pâte »
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« Déjà, certaines portions de ma vie ressemblent aux salles dégarnies d'un palais trop vaste, qu'un propriétaire appauvri renonce à occuper tout entier. »
- TrinityEsprit éclairé
Patissot a écrit:« La Main à la pâte »
Je ne te le fais pas dire.
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"Deux choses sont infinies : l'Univers et la bêtise humaine. Mais en ce qui concerne l'Univers, je n'en ai pas encore acquis la certitude absolue." Albert Einstein
- AuroreEsprit éclairé
La réputation des matheux d'être légèrement à l'ouest n'est donc pas totalement usurpée... :chanson:
- JPhMMDemi-dieu
No comment.Aurore a écrit:La réputation des matheux d'être légèrement à l'ouest n'est donc pas totalement usurpée... :chanson:
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Labyrinthe où l'admiration des ignorants et des idiots qui prennent pour savoir profond tout ce qu'ils n'entendent pas, les a retenus, bon gré malgré qu'ils en eussent. — John Locke
Je crois que je ne crois en rien. Mais j'ai des doutes. — Jacques Goimard
- linkusNeoprof expérimenté
Qu'est ce qu'il m’énerve. Il se vante sur canal + en faisant le guignol.
Je préfère Jean Pierre Demailly.
Education
Je préfère Jean Pierre Demailly.
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J'entends souvent dire qu'avec l'agrégation, c'est travailler moins pour gagner plus. En réalité, avec le CAPES c'est travailler plus pour gagner moins.
Avec un travail acharné, même un raté peut battre un génie. Rock Lee
Je ne suis pas gros, j'ai une ossature lourde!
Vous aimez Bomberman? Venez jouer à Bombermine.
- AuroreEsprit éclairé
Voyons, on ne peut même plus faire de l'humour à deux balles, maintenant ?JPhMM a écrit:No comment.Aurore a écrit:La réputation des matheux d'être légèrement à l'ouest n'est donc pas totalement usurpée... :chanson:
Tout de même, il est complètement à l'ouest sur les deux points suivants :
- "Quant à la possibilité qu'un enseignant puisse être affecté dans un établissement sans que le chef de cet établissement ait son mot à dire, elle est tout bonnement choquante : aucune autre organisation humaine ne fonctionne ainsi.". On dirait du Luc Chatel !
- "Je prends juste un exemple : « La Main à la pâte » [une approche nouvelle de l'enseignement des sciences en primaire, fondée sur l'expérimentation et lancée par Georges Charpak en 1996, NDLR] est une initiative formidable qui a recueilli l'assentiment de tous les ministres de l'Education nationale qui se sont succédé depuis. N'empêche que, plus de quinze ans plus tard, le nombre d'établissements qui proposent cette activité reste marginal." Là, pour le coup, on peut vraiment dire : no comment !
- JPhMMDemi-dieu
Aurore a écrit:Voyons, on ne peut même plus faire de l'humour à deux balles, maintenant ?JPhMM a écrit:No comment.Aurore a écrit:La réputation des matheux d'être légèrement à l'ouest n'est donc pas totalement usurpée... :chanson:
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Labyrinthe où l'admiration des ignorants et des idiots qui prennent pour savoir profond tout ce qu'ils n'entendent pas, les a retenus, bon gré malgré qu'ils en eussent. — John Locke
Je crois que je ne crois en rien. Mais j'ai des doutes. — Jacques Goimard
- IgniatiusGuide spirituel
Une interview intéressante : Villani, dernière médaille Fields française et succès surprise de librairie avec son livre rempli d'équations incompréhensibles, y parle surtout des sciences mais va un peu au-delà.
Je suis personnellement ravi qu'un gars de ce niveau explique enfin à quel point les programmes actuels en mathématiques sont une aberration : puisse l'inspection l'entendre... Et il affirme que le niveau de connaissances est objectivement bcp plus bas qu'il y a 10 ans seulement.
Il en met aussi une petite louche aux inspecteurs, et je suis d'accord.
Et il rappelle qu'on fait des maths en faisant des exercices, pas des applications débiles genre la loi normale en terminale.
Le curseur de ce qu'on appelle techniques vs exercices est à discuter à mon avis.
Il y a des choses avec lesquelles je suis moins d'accord, mais bon...
Le lien vers l'article : http://www.lesechos.fr/economie-politique/politique/actu/0202327724540-cedric-villani-il-faut-repenser-notre-approche-de-l-enseignement-500522.php
Je suis personnellement ravi qu'un gars de ce niveau explique enfin à quel point les programmes actuels en mathématiques sont une aberration : puisse l'inspection l'entendre... Et il affirme que le niveau de connaissances est objectivement bcp plus bas qu'il y a 10 ans seulement.
Il en met aussi une petite louche aux inspecteurs, et je suis d'accord.
Et il rappelle qu'on fait des maths en faisant des exercices, pas des applications débiles genre la loi normale en terminale.
Le curseur de ce qu'on appelle techniques vs exercices est à discuter à mon avis.
Il y a des choses avec lesquelles je suis moins d'accord, mais bon...
Les Echos a écrit:
Les mathématiques ont une image assez ambivalente : il y a ceux qui ont « la bosse pour » et ceux qui ne l'ont pas, et qui sont bien souvent exclus des meilleures filières pour la bonne raison que la sélection se fait encore principalement sur cette discipline...
C'est moins vrai que par le passé, ne serait-ce que parce que le niveau exigé en mathématiques d'un lycéen aujourd'hui est objectivement très inférieur à celui exigé il y a dix ans. Il y a eu un appauvrissement des programmes, qui partait peut-être d'une bonne intention, celle de rendre la discipline plus accessible, mais qui a complètement échoué. On a complètement occulté ce qui devrait être le but premier de cette matière, qui n'est pas d'acquérir des notions ou des techniques, mais d'apprendre à construire un raisonnement logique.
Encore une fois, c'est quelque chose qui s'apprend : l'art de faire des démonstrations. Or cela s'apprend principalement en faisant des exercices. La philosophie contribue aussi à cet apprentissage, et ce n'est pas un hasard si tant de grands mathématiciens furent aussi de grands philosophes : Leibniz, Wittgenstein, Russell... Mais on trouve aussi, à l'opposé, des « philosophes » - si tant est qu'ils méritent ce nom -qui n'ont dans leurs raisonnements rien de rigoureux, comme Lacan et tous ceux que Bricmont et Sokal se sont amusés à éreinter dans « Impostures intellectuelles ». En mathématiques, vous êtes davantage tenu à la rigueur : la moindre erreur de raisonnement et toute la démonstration s'écroule.
Vous intervenez régulièrement dans les salles de classe ou les amphis pour parler de mathématiques. Pourquoi et comment ?
Je le fais pour que les jeunes, quel que soit leur futur métier, aient conscience de l'existence de ces êtres qu'on appelle les mathématiciens, et plus généralement les chercheurs. Ce sont des acteurs importants et discrets de la vie publique, ne serait-ce que parce qu'ils jouent un rôle fondamental dans l'innovation et le progrès technologique. (A cet égard, la distinction que l'on fait toujours entre chercheurs et ingénieurs n'est pas pertinente.)
Un autre élément de réponse, davantage lié au cours lui-même, c'est que j'interviens en complément du travail de l'enseignant, pour parler de choses que celui-ci, bien souvent, n'a pas le temps d'aborder. Des concepts comme ceux de vecteur ou de barycentre ne sont pas tombés du ciel, ils ont une histoire - une histoire humaine, pour revenir à ce que nous disions. Or ce sont les histoires qui intéressent : un ancien chômeur devenu député qui raconte son histoire aura bien plus d'impact sur les gens que toutes les statistiques du monde sur l'ascenseur social. Mes interventions sont des sortes de catalyseurs, qui augmentent l'intérêt et la motivation des élèves.
Vous êtes vous-même parent d'élèves. Trouvez-vous que les manuels insistent suffisamment sur cette dimension humaine et historique que vous évoquez ?
En général, pas assez. Mais il faut prendre garde à ne pas tomber dans l'excès inverse, et occulter les concepts. C'est une question de dosage. Mais allons au-delà des manuels. Les problèmes les plus sérieux de l'enseignement scientifique sont en amont, et plus structurels. D'abord, le problème du temps : on n'en consacre pas assez aux sciences, y compris dans les filières littéraires. Pas pour en faire ingurgiter davantage aux élèves, mais pour leur permettre de mieux apprivoiser les notions. Si vous accompagnez une définition de trois exercices, l'effet ne sera pas le même qu'avec un seul, il y aura moins d'élèves pour qui le train sera passé trop vite.
L'autre grand problème tient à l'organisation même de l'école, en ce qui concerne tant les questions de management que d'évaluation. Le système actuel des inspections, je suis désolé de le dire, ne marche pas. Le fait que les inspecteurs n'enseignent plus ou peu les décrédibilise, le rythme aléatoire de leurs visites et le côté sanctionnant de la note sont problématiques. Quant à la possibilité qu'un enseignant puisse être affecté dans un établissement sans que le chef de cet établissement ait son mot à dire, elle est tout bonnement choquante : aucune autre organisation humaine ne fonctionne ainsi. Il faut repenser de manière plus réaliste, plus humaine, plus pragmatique, plus personnelle aussi, le monde de l'enseignement. Je prends juste un exemple : « La Main à la pâte » [une approche nouvelle de l'enseignement des sciences en primaire, fondée sur l'expérimentation et lancée par Georges Charpak en 1996, NDLR] est une initiative formidable qui a recueilli l'assentiment de tous les ministres de l'Education nationale qui se sont succédé depuis. N'empêche que, plus de quinze ans plus tard, le nombre d'établissements qui proposent cette activité reste marginal. Pourquoi ? Le système ne fonctionne pas bien : il est lent à la réaction, trop pointilleux dans son contrôle, ne fait pas assez de place aux initiatives personnelles et ne laisse pas les bonnes idées se répandre librement. C'est un problème de gouvernance.
Il y a en France une tradition d'excellence en mathématiques dont témoignent entre autres les deux médailles Fields de 2010 ou les deux lauréates françaises du prix Henri Poincaré cette année. Et pourtant, dans les différents classements internationaux (Pisa, TIMSS...), les jeunes Français ne se classent pas particulièrement bien. Comment expliquez-vous ce décalage ?
Il tient au fait que ceux qui sont les plus à l'aise et deviendront des chercheurs passeront à travers les défauts du système scolaire. Il est cruel de constater que même la France, qui se positionne au top niveau mondial en mathématiques, n'est pas capable d'avoir pour cette matière un enseignement de qualité et motivant. Et encore une fois, ce n'est pas la faute des enseignements, mais de tout l'écosystème. Quand on y réfléchit bien, la menace la plus fondamentale qui pèse sur la science occidentale n'est ni d'ordre budgétaire ni d'ordre structurel : c'est le manque de motivation des jeunes. On sait bien qu'on a en France un déficit de formation de scientifiques et d'ingénieurs alors qu'on en a plus besoin que jamais.
Le lien vers l'article : http://www.lesechos.fr/economie-politique/politique/actu/0202327724540-cedric-villani-il-faut-repenser-notre-approche-de-l-enseignement-500522.php
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