- RobinFidèle du forum
Antonio Gramsci (Ales, Sardaigne, le 22 janvier 1891 - Rome, le 27 avril 1937) est un écrivain et théoricien politique italien d'origine albanaise. Membre fondateur du Parti communiste italien, dont il fut un temps à la tête, il demeure en prison sous le régime mussolinien. En tant qu'intellectuel, il a notamment étudié les problèmes de la culture et de l'autorité, ce qui en fait un des principaux penseurs du courant marxiste. Il oppose à la dialectique matérialiste une « philosophie de la praxis ». Sa conception de l'hégémonie culturelle comme moyen du maintien de l'État dans une société capitaliste a fait date.
Pierre Frackowiak, Inspecteur honoraire de l’Education nationale. Vice-président de la Ligue de l’Enseignement 62. Co-auteur avec Philippe Meirieu de "L’éducation peut-elle être encore au cœur d’un projet de société ?". Editions de l’Aube. 2008. Réédition en format de poche, 2009. Auteur de "Pour une école du futur. Du neuf et du courage." Préface de Philippe Meirieu. La Chronique Sociale. 2009. Auteur de "La place de l’élève à l’école". La Chronique Sociale. Lyon. Auteur de tribunes, analyses, sur les sites educavox, meirieu.com. Prochainement, une BD avec les dessins de J.Risso :"L"école, en rire, en pleurer, en rêver". Préface de A. Giordan. Postface de Ph. Meirieu. Chronique Sociale. 2012.
Ce bizarre rapprochement m'a été inspiré par Pierre Frackowiak lui-même, qui s'était rendu célèbre en son temps pour son incroyable courage de "désobéisseur" face au tout puissant ministre de l'Education nationale de l'époque ;-)), Monsieur Gilles de Robien qui remettait en cause les méthodes d'apprentissage de la lecture/écriture à l'école primaire.
Comme chacun sait, Monsieur Gilles de Robien a réussi à imposer ses vues en réduisant Pierre Frackowiak au silence et en faisant jeter des milliers d'enseignants "désobéisseurs" dans des camps de rééducation (nul ne peut se souvenir sans trembler de ces heures, parmi les plus sombres de notre Histoire.)
N.B. : on est même allé jusqu'à prétendre - mais comment croire à une telle barbarie ? - que Jean-Paul Brighelli, l'auteur de La Fabrique du crétin, aurait demandé au ministre la faveur de torturer personnellement le "désobéisseur" en lui faisant lécher les plantes des pieds préalablement enduites de sel par une chèvre corse.
Gilles de Robien se demandait comme beaucoup de parents, de gens de la rue et même d'enseignants de terrain "pourquoi Kevin ne sait pas lire" et s'il n'y aurait pas un rapport entre le pourcentage d'élèves qui arrivent en 6ème sans savoir lire et écrire correctement (de 20 à 30 %) et la persistance dans les écoles primaires de la méthode globale et le renoncement à un apprentissage systématique de la grammaire, du vocabulaire et de l'orthographe.
Mais Pierre Frackowiak persiste et signe : la souffrance des enseignants a été "fortement aggravée avec la volonté de G. de Robien d’imposer le b-a ba dans tous les CP de France" et à leur volonté de s'accrocher à "des disciplines ancestrales cloisonnées" :
http://www.educavox.fr/actualite/debats/article/la-refondation-et-la-souffrance#.UGVz3wIqrmo.twitter
Je n'aurais probablement pas réagi aux derniers propos du "désobéisseur", par lassitude, si Pierre Frackowiak n'avait eu la malencontreuse idée de citer, à l'appui de ses propos une phrase d'Antonio Gramsci : "L'ancien se meurt mais résiste ; le neuf ne tarde pas à voir le jour, dans le clair-obscur surgissent des monstres."
Car les idées de Pierre Frackowiak sur l'éducation n'ont strictement rien à voir avec celles d'Antonio Gramsci. A dire vrai, elles sont même l'extrême opposé :
Il convient de rappeler qu'Antonio Gramsci était partisan d'un enseignement explicite de la grammaire, du vocabulaire et de l'orthographe pour tous et résolument opposé à un enseignement à deux vitesses : un pour les enfants de "l'élite" et un pour les enfants du Peuple, comme le souhaitait Giovanni Gentile (le théoricien redoutablement intelligent du fascisme avec lequel il polémique directement), puis Cesare Maria de Vecchi (un nain intellectuel), ministres de "l’Éducation nationale" de Mussolini et Jérôme Carcopino, leur alter ego à Vichy.
Pierre Frackowiak et les infatigables apologistes de l'ignorance (Philippe Meirieu, Eveline Charmeux... et tutti quanti) n'ont donc strictement aucun droit de se réclamer de Gramsci qui était pour le BA-BA et "les disciplines ancestrales cloisonnées qui font souffrir les enfants" (sic !). Gramsci croyait fermement à la valeur émancipatrice du savoir.
Pour Pierre Frackowiak, la souffrance des enseignants a été "fortement aggravée avec la volonté de G. de Robien d’imposer le b-a ba dans tous les CP de France" et à leur volonté de s'accrocher à "des disciplines ancestrales cloisonnées" :
http://www.educavox.fr/actualite/debats/article/la-refondation-et-la-souffrance#.UGVz3wIqrmo.twitter
Extrait 1 :
Le phénomène n’est pas nouveau. L’échec des réformes successives, la régression de la place de l’école dans la société, la frilosité des pouvoirs politiques face à l’urgence de la réforme générale audacieuse dont le pays avait et a besoin, avaient déjà bien entamé « le moral des troupes » et la perception du sens du métier.
Il s’est fortement aggravé en 2005 avec la volonté de G. de Robien d’imposer le b-a ba dans tous les CP de France, conseillant aux maires de choisir les manuels de lecture conformes à ses théories réactionnaires et suggérant aux parents de dénoncer les enseignants récalcitrants que l’on n’appelait pas encore les désobéisseurs. Cette période, que j’ai bien connue, mon conflit avec le ministre avait d’ailleurs été fortement médiatisé, a provoqué des drames dans les relations entre l’école et son environnement, et un découragement généralisé chez tous les enseignants engagés dans des recherches pour l’amélioration de la réussite scolaire. Cette période a fortement dégradé le climat dans les écoles sans qu’il y ait eu de grands combats sur les questions de vie scolaire.
Extrait 2 : La souffrance des enseignants comme prétexte à des réformes idéologiques.
On construit l’avenir, surtout en proposant d’améliorer le présent plutôt que de refonder le système et de prendre à bras le corps les vrais problèmes. Il ne s’agit pas que des moyens et des points d’indice, des avantages acquis et de ceux à conquérir, il s’agit de la vie des enseignants, des parents, des enfants, de la communauté éducative. Il s’agit de la compréhension du sens du métier, de la reconnaissance réelle de la place de l’éducation dans une société en mouvement accéléré, de l’aide nécessaire à la transformation des pratiques, de la mobilisation pour des projets conjugués, du bonheur d’apprendre et d’enseigner.
La souffrance des enseignants au cœur de la refondation ? Pourquoi pas ?
En tous cas, qu’elle soit prise en compte vraiment. Il n’y aura pas de refondation sans une confiance retrouvée, sans quelques parcelles d’enthousiasme pour changer l’école et changer fondamentalement ses pratiques.
Dans un contexte de défiance et de mépris, on se replie instinctivement sur des pratiques simples, que l’on fait semblant de croire éprouvées pour se rassurer, on cherche des coupables ailleurs, les enfants qui ne travaillent pas, les parents qui n’assument pas leurs responsabilité, la société et les médias, on détourne, on résiste passivement, on fait le dos rond devant l’autorité, on triche, mais on ne s’engage pas dans la construction du neuf. « L’ancien se meurt mais résiste, le neuf tarde à voir le jour, dans le clair-obscur surgissent les monstres » (Gramsci).
Passer, même progressivement de « l’heure/la classe/la discipline/ le prof » à une organisation plus souple, concertée avec un vrai travail d’équipe, des disciplines ancestrales cloisonnées à une vision moderne des savoirs de l’humanité et de l’importance de l’apprentissage de la pensée, d’un fonctionnement scolaro centré à un projet éducatif global territorialisé, nécessitent de la formation, de l’accompagnement… et de la confiance. Cela ne sera pas le plus mince des enjeux de la refondation
La tâche sera rude car la rentrée, malgré des mesures quantitatives positives et quelques annonces, a été mal vécue.
Le point de vue d'Antonio Gramsci sur l'éducation :
Abréviations utilisées
IC = Gli intellettuali e l’organizzazione della cultura, Einaudi Turin 1954.
MS = Il materialismo storico e la filosofia di Benedetto Croce, Einaudi, Turin 1954.
PP = Passato e presente, Einaudi Turin 1966.
Pourquoi certains n’ont-ils pas envie de se cultiver ?
« Pourquoi y a-t-il encore en Italie tant d'analphabètes?... Parce qu'en Italie trop de gens limitent leur vie à leur famille, à l'ombre de leur clocher. On n'éprouve pas le besoin d'apprendre la langue italienne, parce que le dialecte suffit à la vie communale et familiale, parce que la conversation en dialecte suffit à exprimer entièrement les relations courantes. Apprendre à lire n'est pas un besoin. C'est pourquoi cela se transforme en supplice, en exigence tyrannique. Pour que cela devienne un besoin, il faudrait que la vie collective soit plus chaleureuse, qu'elle concerne un nombre toujours plus grand de citoyens et fasse ainsi naître, spontanément, le sentiment du besoin, de la nécessité de connaître l'alphabet et la langue. La loi est une contrainte : elle peut vous imposer de fréquenter l'école, elle ne peut vous obliger à apprendre, ni quand vous avez appris, à [ne pas] oublier. » (Gramsci, La Città futura, 11 février 1917).
La bourgeoisie italienne du début du XXe siècle ne s’intéresse pas à l’école
« Nous ne pouvons affirmer, en conscience, que la bourgeoisie détourne l’école dans le sens de sa domination de classe : s’il en était ainsi, cela signifierait que la classe bourgeoise a un programme scolaire, qu’elle le poursuit avec énergie et persévérance ; l’école serait école vivante. Il n’en est pas ainsi : la bourgeoisie, classe qui domine l’Etat, se désintéresse de l’école, laisse les bureaucrates la faire et la défaire à leur guise, les ministres de l’Education nationale être choisis selon les hasards de la concurrence politique, des intrigues, des dosages de Partis, des combinaisons de cabinets. En de telles conditions, l’étude technique du problème scolaire devient un jeu de l’esprit, une gymnastique intellectuelle, non une contribution sérieuse et concrète à la solution du problème lui-même ». (Gramsci, Ordine Nuovo, 27 juin 1919, 1, n°7).
Contre l’école à deux vitesses
« En Italie, l'école est restée un organisme purement bourgeois, au pire sens du mot. L'école moyenne et supérieure, qui dépend de l'État, ce qui signifie qu'elle est payée par l'impôt général, donc par les contributions directes versées par le prolétariat, ne peut être fréquentée que par les fils de la bourgeoisie qui jouissent de l'indépendance économique indispensable à la tranquillité des études. Un prolétaire, même s'il est intelligent, même s'il est en possession de tous les atouts nécessaires pour devenir un homme cultivé, est obligé de gâcher ses qualités en exerçant une autre activité, ou bien de devenir un franc-tireur, un autodidacte, c'est-à-dire (à part les inévitables exceptions), une demi-portion, un homme qui ne peut donner tout ce qu'il aurait pu donner si la discipline de l'école était venue le compléter et le fortifier. La culture est un privilège. L'école est un privilège. Et nous ne voulons pas qu'il en soit ainsi. […]
Exclu des écoles de niveau moyen et supérieur par l'actuelle organisation sociale qui établit une forme de spécialisation des hommes, spécialisation anormale parce que basée sur autre chose que les différences de capacités, et par conséquent destructrice et corruptrice de la production, le prolétariat doit se déverser dans les écoles parallèles : techniques et professionnelles ». (Gramsci, Hommes ou machines, Avanti !, édition piémontaise, 24 décembre 1916)
Se cultiver requiert discipline et travail
« Dans l'État bourgeois, tout le monde obéit : les mulets de la batterie au sergent de la batterie, les chevaux aux soldats qui les montent; les soldats au lieutenant, les lieutenants aux colonels des régiments; les régiments à un général de brigade; les brigades au vice-roi des Indes. Le vice-roi à la reine Victoria. […] La discipline bourgeoise est la seule force qui maintienne solidement l'agrégat bourgeois. A discipline, il faut opposer discipline. Mais la discipline bourgeoise est une chose mécanique et autoritaire, la discipline socialiste est autonome et spontanée. » (Gramsci, La Città futura, 11 février 1917).
« La culture est une chose bien différente. Elle est organisation, discipline du véritable moi intérieur; elle est prise de possession de sa propre personnalité, elle est conquête d'une conscience supérieure grâce à laquelle chacun réussit à comprendre sa propre valeur historique, sa propre fonction dans la vie, ses propres droits et ses propres devoirs... Mais tout ceci ne peut advenir par évolution spontanée, par actions et réactions indépendantes de notre volonté». (Gramsci, Socialisme et cultura, 1916)
« La discipline n’annule pas la personnalité au sens organique, mais limite seulement l’arbitraire et l’impulsivité pour ne pas parler de la fatuité. […] La discipline n’annule pas la personnalité et la liberté ». (Gramsci, PP p. 6)
Il s’agit d’un texte de jeunesse écrit par Gramsci dans Il Grido del Popolo, le 29 janvier 1916. Gramsci y parle des rapports entre culture et prolétariat. Il explique que le prolétariat doit tirer profit de la connaissance :
« La culture est une chose bien différente. Elle est organisation, discipline du véritable moi intérieur; elle est prise de possession de sa propre personnalité, elle est conquête d'une conscience supérieure grâce à laquelle chacun réussit à comprendre sa propre valeur historique, sa propre fonction dans la vie, ses propres droits et ses propres devoirs... Mais tout ceci ne peut advenir par évolution spontanée, par actions et réactions indépendantes.
L’enfant qui peine sur les divers types de discours logiques « se fatigue, certes – et il faut s’en tenir à la seule fatigue nécessaire – mais il devra toujours peiner pour se contraindre lui-même, par des privations, par une discipline gestuelle, pour se soumettre à un apprentissage psycho-physiologique. Il importe de persuader maintes personnes que l’étude elle-même est un métier, un rude labeur, qu’elle implique un apprentissage spécial à la fois intellectuel et musculaire-nerveux. C’est un processus d’adaptation, c’est une disposition acquise moyennant l’effort, l’ennui, voire la souffrance. La participation de larges masses aux études secondaires comporte la tendance à ralentir la discipline, à demander des « facilités ». Beaucoup pensent que les difficultés sont artificielles parce qu’ils sont habitués à relier la fatigue au seul travail manuel ». (Gramsci, IC p. 113-114)
Le peuple doit se cultiver
« La classe ouvrière doit s’entraîner, se former à la gestion sociale, acquérir la culture et la psychologie de classe dominante, les acquérir avec ses moyens et selon ses modèles, avec ses réunions, ses congrès, ses débats et l’éducation réciproque ». (Gramsci, Ordine nuovo 28 février- 6 mars 1920, n°3)
« Je préfère voir un paysan se rapprocher de notre mouvement, plutôt qu'un professeur de faculté. Reste seulement que le paysan devrait essayer d'acquérir autant d'expérience et de largeur de vue que peut en avoir un professeur de faculté, afin de ne pas rendre stériles son action et son éventuel sacrifice. » (Gramsci, La Città futura, 11 février 1917).
Faut-il s’exprimer simplement ?
Des journalistes de droite se moquent de journaux socialistes qui selon eux écrivent dans un style incompréhensible pour les ouvriers. Gramsci répond :
« Sous prétexte d'être faciles nous aurions dû dénaturer, appauvrir, un débat qui portait sur des idées de la plus haute importance, sur la plus intime et la plus précieuse substance de notre esprit. Agir ainsi, ce n'est pas se rendre faciles, cela revient à frauder, comme le marchand de vin qui vend de l'eau colorée en place de Barolo ou de Lambrusco. Une idée difficile en soi ne peut être rendue facile dans sa formulation sans se transformer en une platitude. […]
Les hebdomadaires socialistes s'adaptent donc au niveau moyen des milieux régionaux auxquels ils s'adressent; cependant le ton des articles et de la propagande doit toujours être un peu supérieur à cette moyenne, afin de stimuler le progrès intellectuel, afin qu'au moins quelques travailleurs échappent à la généralité imprécise des rabâchages de brochures et raffermissent leurs esprits par une vision critique supérieure de l'histoire et du monde où ils vivent et luttent. […]
Certes, à Turin comme ailleurs, la classe prolétarienne absorbe continuellement de nouveaux individus, qui ne sont pas intellectuellement préparés, qui ne sont pas capables de comprendre toute la portée- de l'exploitation à laquelle ils sont soumis. Pour eux, il faudrait toujours tout reprendre aux premiers principes de base, à la propagande élémentaire. Et les autres, alors? Et ces prolétaires déjà intellectuellement développés, déjà rompus au langage de la critique socialiste? Qui faudrait-il donc sacrifier? A qui s'agit-il de s'adresser? Le prolétariat est moins compliqué qu'il n'y peut paraître. Une hiérarchie culturelle et spirituelle s'est formée spontanément, et l'éducation réciproque fait son œuvre là où ne peut parvenir l'activité des écrivains et des propagandistes. » (Gramsci, Il Grido del Popolo, 25 mai 1918).
Pour une école de type nouveau
« Il faut en finir avec une conception de la culture comme savoir encyclopédique où l’homme est envisagé sous le seul aspect de récipient à remplir […] La culture est tout autre chose. Elle est organisation, discipline de son moi intérieur, possession de sa personnalité, conquête d’une conscience supérieure par quoi on parvient à comprendre sa propre valeur historique » (Gramsci, Socialisme et cultura, 1916).
« Qu’un peuple ou un groupe social arriéré aient besoin d’une discipline interne collective, pour être civilement éduqués, ne signifie pas qu’ils doivent être réduits en esclavage ». (Gramsci, IC, P. 117).
Gramsci soutient « une école unique initiale de culture générale, humaniste, formatrice, qui équilibre le développement des aptitudes au travail (technique, industriel) avec celui des aptitudes au travail intellectuel. De ce type d’école unique,, à travers des expériences répétées d’orientation professionnelle, on passera à une école spécialisée et au travail productif ». (Gramsci, IC p. 98).
« Il importe non de multiplier et de graduer les types d’école professionnelle, mais de créer un type unique d’école préparatoire qui conduise le jeune jusqu’au seuil du choix professionnel et qui fasse de lui, en même temps, une personne capable de penser, d’étudier, de diriger et de contrôler les dirigeants ». (Gramsci, IC p. 112)
« Ce qui est nécessaire au prolétariat, c'est une école désintéressée. Une école où serait donnée à l'enfant la possibilité de se former, de devenir un homme, d'acquérir ces critères généraux qui servent au développement du caractère. Une école humaniste, en somme, telle que l'entendaient les Anciens, et, plus près de nous, les hommes de la Renaissance. Une école qui n'hypothèque pas l'avenir d'un enfant, et ne contraigne pas sa volonté, son intelligence, sa conscience en formation, à s'engager sur des rails au terminus fixé d'avance. Une école de liberté et de libre initiative, et non point une école d'esclavage et de dressage mécaniste. Les fils de prolétaires, eux aussi, doivent avoir devant eux toutes les possibilités, et tous les champs doivent leur rester libres afin qu'ils puissent réaliser leur personnalité de la meilleure des façons, à savoir de la façon la plus productive, tant pour eux-mêmes que pour la collectivité. L'école professionnelle ne doit pas devenir un incubateur pour petits monstres sèchement instruits en vue d'un métier, dépourvus d'idées générales, de culture générale, d'âme, et n'ayant à leur actif qu'un coup d'œil infaillible et une main sûre. Même à travers la culture professionnelle, il est possible de faire jaillir, à partir de l'enfant, l'homme. A condition que ce soit une culture éducative et non pas seulement une culture informative, que ce ne soit pas une pure pratique manuelle (Gramsci, Hommes ou machines, Avanti !, édition piémontaise, 24 décembre 1916)
« L’homme moderne devrait être une synthèse de traits que l’on a hypostasié en caractères nationaux : l’ingénieur américain, le philosophe allemand, le politique français, en recréant pour ainsi dire, l’homme italien de la Renaissance, le type moderne de Léonard de Vinci, en le faisant devenir l’homme-masse, homme qui soit collectif tout en gardant sa forte personnalité et son originalité individuelle ». (Gramsci, Lettre à son épouse, 1er août 1932) (Lettr., p. 654).
« Dans le monde moderne, l’éducation technique, étroitement liée au travail industriel même le plus rudimentaire, le moins qualifié, doit constituer la base d’un nouveau type d’intellectuel ». (Gramsci, IC p. 7).
« Mais le pire, dans les présupposés théoriques des programmes, est que l’activité scolaire devrait se faire toujours plus aérienne, évanescente, l’enseignant devenir un philosophe et un esthète, avec pour résultat l’oubli des notions concrètes et l’inflation de formules creuses. A ce compte, l’école tombera en décadence parce qu’elle affrontera de moins en moins la dense matérialité du certain et ne procurera qu’un vrai de parole, un vrai théorique. » (Gramsci, IC p. 108).
Sources :
- Franco Lombardi, La pédagogie marxiste d’Antonio Gramsci, Privat 1971.
- Université du Québec à Chicoutimi, les classiques des sciences sociales
http://classiques.uqac.ca/classiques/gramsci_antonio/ecrits_pol_1/ecrits_pol_1.html
Pierre Frackowiak, Inspecteur honoraire de l’Education nationale. Vice-président de la Ligue de l’Enseignement 62. Co-auteur avec Philippe Meirieu de "L’éducation peut-elle être encore au cœur d’un projet de société ?". Editions de l’Aube. 2008. Réédition en format de poche, 2009. Auteur de "Pour une école du futur. Du neuf et du courage." Préface de Philippe Meirieu. La Chronique Sociale. 2009. Auteur de "La place de l’élève à l’école". La Chronique Sociale. Lyon. Auteur de tribunes, analyses, sur les sites educavox, meirieu.com. Prochainement, une BD avec les dessins de J.Risso :"L"école, en rire, en pleurer, en rêver". Préface de A. Giordan. Postface de Ph. Meirieu. Chronique Sociale. 2012.
Ce bizarre rapprochement m'a été inspiré par Pierre Frackowiak lui-même, qui s'était rendu célèbre en son temps pour son incroyable courage de "désobéisseur" face au tout puissant ministre de l'Education nationale de l'époque ;-)), Monsieur Gilles de Robien qui remettait en cause les méthodes d'apprentissage de la lecture/écriture à l'école primaire.
Comme chacun sait, Monsieur Gilles de Robien a réussi à imposer ses vues en réduisant Pierre Frackowiak au silence et en faisant jeter des milliers d'enseignants "désobéisseurs" dans des camps de rééducation (nul ne peut se souvenir sans trembler de ces heures, parmi les plus sombres de notre Histoire.)
N.B. : on est même allé jusqu'à prétendre - mais comment croire à une telle barbarie ? - que Jean-Paul Brighelli, l'auteur de La Fabrique du crétin, aurait demandé au ministre la faveur de torturer personnellement le "désobéisseur" en lui faisant lécher les plantes des pieds préalablement enduites de sel par une chèvre corse.
Gilles de Robien se demandait comme beaucoup de parents, de gens de la rue et même d'enseignants de terrain "pourquoi Kevin ne sait pas lire" et s'il n'y aurait pas un rapport entre le pourcentage d'élèves qui arrivent en 6ème sans savoir lire et écrire correctement (de 20 à 30 %) et la persistance dans les écoles primaires de la méthode globale et le renoncement à un apprentissage systématique de la grammaire, du vocabulaire et de l'orthographe.
Mais Pierre Frackowiak persiste et signe : la souffrance des enseignants a été "fortement aggravée avec la volonté de G. de Robien d’imposer le b-a ba dans tous les CP de France" et à leur volonté de s'accrocher à "des disciplines ancestrales cloisonnées" :
http://www.educavox.fr/actualite/debats/article/la-refondation-et-la-souffrance#.UGVz3wIqrmo.twitter
Je n'aurais probablement pas réagi aux derniers propos du "désobéisseur", par lassitude, si Pierre Frackowiak n'avait eu la malencontreuse idée de citer, à l'appui de ses propos une phrase d'Antonio Gramsci : "L'ancien se meurt mais résiste ; le neuf ne tarde pas à voir le jour, dans le clair-obscur surgissent des monstres."
Car les idées de Pierre Frackowiak sur l'éducation n'ont strictement rien à voir avec celles d'Antonio Gramsci. A dire vrai, elles sont même l'extrême opposé :
Il convient de rappeler qu'Antonio Gramsci était partisan d'un enseignement explicite de la grammaire, du vocabulaire et de l'orthographe pour tous et résolument opposé à un enseignement à deux vitesses : un pour les enfants de "l'élite" et un pour les enfants du Peuple, comme le souhaitait Giovanni Gentile (le théoricien redoutablement intelligent du fascisme avec lequel il polémique directement), puis Cesare Maria de Vecchi (un nain intellectuel), ministres de "l’Éducation nationale" de Mussolini et Jérôme Carcopino, leur alter ego à Vichy.
Pierre Frackowiak et les infatigables apologistes de l'ignorance (Philippe Meirieu, Eveline Charmeux... et tutti quanti) n'ont donc strictement aucun droit de se réclamer de Gramsci qui était pour le BA-BA et "les disciplines ancestrales cloisonnées qui font souffrir les enfants" (sic !). Gramsci croyait fermement à la valeur émancipatrice du savoir.
Pour Pierre Frackowiak, la souffrance des enseignants a été "fortement aggravée avec la volonté de G. de Robien d’imposer le b-a ba dans tous les CP de France" et à leur volonté de s'accrocher à "des disciplines ancestrales cloisonnées" :
http://www.educavox.fr/actualite/debats/article/la-refondation-et-la-souffrance#.UGVz3wIqrmo.twitter
Extrait 1 :
Le phénomène n’est pas nouveau. L’échec des réformes successives, la régression de la place de l’école dans la société, la frilosité des pouvoirs politiques face à l’urgence de la réforme générale audacieuse dont le pays avait et a besoin, avaient déjà bien entamé « le moral des troupes » et la perception du sens du métier.
Il s’est fortement aggravé en 2005 avec la volonté de G. de Robien d’imposer le b-a ba dans tous les CP de France, conseillant aux maires de choisir les manuels de lecture conformes à ses théories réactionnaires et suggérant aux parents de dénoncer les enseignants récalcitrants que l’on n’appelait pas encore les désobéisseurs. Cette période, que j’ai bien connue, mon conflit avec le ministre avait d’ailleurs été fortement médiatisé, a provoqué des drames dans les relations entre l’école et son environnement, et un découragement généralisé chez tous les enseignants engagés dans des recherches pour l’amélioration de la réussite scolaire. Cette période a fortement dégradé le climat dans les écoles sans qu’il y ait eu de grands combats sur les questions de vie scolaire.
Extrait 2 : La souffrance des enseignants comme prétexte à des réformes idéologiques.
On construit l’avenir, surtout en proposant d’améliorer le présent plutôt que de refonder le système et de prendre à bras le corps les vrais problèmes. Il ne s’agit pas que des moyens et des points d’indice, des avantages acquis et de ceux à conquérir, il s’agit de la vie des enseignants, des parents, des enfants, de la communauté éducative. Il s’agit de la compréhension du sens du métier, de la reconnaissance réelle de la place de l’éducation dans une société en mouvement accéléré, de l’aide nécessaire à la transformation des pratiques, de la mobilisation pour des projets conjugués, du bonheur d’apprendre et d’enseigner.
La souffrance des enseignants au cœur de la refondation ? Pourquoi pas ?
En tous cas, qu’elle soit prise en compte vraiment. Il n’y aura pas de refondation sans une confiance retrouvée, sans quelques parcelles d’enthousiasme pour changer l’école et changer fondamentalement ses pratiques.
Dans un contexte de défiance et de mépris, on se replie instinctivement sur des pratiques simples, que l’on fait semblant de croire éprouvées pour se rassurer, on cherche des coupables ailleurs, les enfants qui ne travaillent pas, les parents qui n’assument pas leurs responsabilité, la société et les médias, on détourne, on résiste passivement, on fait le dos rond devant l’autorité, on triche, mais on ne s’engage pas dans la construction du neuf. « L’ancien se meurt mais résiste, le neuf tarde à voir le jour, dans le clair-obscur surgissent les monstres » (Gramsci).
Passer, même progressivement de « l’heure/la classe/la discipline/ le prof » à une organisation plus souple, concertée avec un vrai travail d’équipe, des disciplines ancestrales cloisonnées à une vision moderne des savoirs de l’humanité et de l’importance de l’apprentissage de la pensée, d’un fonctionnement scolaro centré à un projet éducatif global territorialisé, nécessitent de la formation, de l’accompagnement… et de la confiance. Cela ne sera pas le plus mince des enjeux de la refondation
La tâche sera rude car la rentrée, malgré des mesures quantitatives positives et quelques annonces, a été mal vécue.
Le point de vue d'Antonio Gramsci sur l'éducation :
Abréviations utilisées
IC = Gli intellettuali e l’organizzazione della cultura, Einaudi Turin 1954.
MS = Il materialismo storico e la filosofia di Benedetto Croce, Einaudi, Turin 1954.
PP = Passato e presente, Einaudi Turin 1966.
Pourquoi certains n’ont-ils pas envie de se cultiver ?
« Pourquoi y a-t-il encore en Italie tant d'analphabètes?... Parce qu'en Italie trop de gens limitent leur vie à leur famille, à l'ombre de leur clocher. On n'éprouve pas le besoin d'apprendre la langue italienne, parce que le dialecte suffit à la vie communale et familiale, parce que la conversation en dialecte suffit à exprimer entièrement les relations courantes. Apprendre à lire n'est pas un besoin. C'est pourquoi cela se transforme en supplice, en exigence tyrannique. Pour que cela devienne un besoin, il faudrait que la vie collective soit plus chaleureuse, qu'elle concerne un nombre toujours plus grand de citoyens et fasse ainsi naître, spontanément, le sentiment du besoin, de la nécessité de connaître l'alphabet et la langue. La loi est une contrainte : elle peut vous imposer de fréquenter l'école, elle ne peut vous obliger à apprendre, ni quand vous avez appris, à [ne pas] oublier. » (Gramsci, La Città futura, 11 février 1917).
La bourgeoisie italienne du début du XXe siècle ne s’intéresse pas à l’école
« Nous ne pouvons affirmer, en conscience, que la bourgeoisie détourne l’école dans le sens de sa domination de classe : s’il en était ainsi, cela signifierait que la classe bourgeoise a un programme scolaire, qu’elle le poursuit avec énergie et persévérance ; l’école serait école vivante. Il n’en est pas ainsi : la bourgeoisie, classe qui domine l’Etat, se désintéresse de l’école, laisse les bureaucrates la faire et la défaire à leur guise, les ministres de l’Education nationale être choisis selon les hasards de la concurrence politique, des intrigues, des dosages de Partis, des combinaisons de cabinets. En de telles conditions, l’étude technique du problème scolaire devient un jeu de l’esprit, une gymnastique intellectuelle, non une contribution sérieuse et concrète à la solution du problème lui-même ». (Gramsci, Ordine Nuovo, 27 juin 1919, 1, n°7).
Contre l’école à deux vitesses
« En Italie, l'école est restée un organisme purement bourgeois, au pire sens du mot. L'école moyenne et supérieure, qui dépend de l'État, ce qui signifie qu'elle est payée par l'impôt général, donc par les contributions directes versées par le prolétariat, ne peut être fréquentée que par les fils de la bourgeoisie qui jouissent de l'indépendance économique indispensable à la tranquillité des études. Un prolétaire, même s'il est intelligent, même s'il est en possession de tous les atouts nécessaires pour devenir un homme cultivé, est obligé de gâcher ses qualités en exerçant une autre activité, ou bien de devenir un franc-tireur, un autodidacte, c'est-à-dire (à part les inévitables exceptions), une demi-portion, un homme qui ne peut donner tout ce qu'il aurait pu donner si la discipline de l'école était venue le compléter et le fortifier. La culture est un privilège. L'école est un privilège. Et nous ne voulons pas qu'il en soit ainsi. […]
Exclu des écoles de niveau moyen et supérieur par l'actuelle organisation sociale qui établit une forme de spécialisation des hommes, spécialisation anormale parce que basée sur autre chose que les différences de capacités, et par conséquent destructrice et corruptrice de la production, le prolétariat doit se déverser dans les écoles parallèles : techniques et professionnelles ». (Gramsci, Hommes ou machines, Avanti !, édition piémontaise, 24 décembre 1916)
Se cultiver requiert discipline et travail
« Dans l'État bourgeois, tout le monde obéit : les mulets de la batterie au sergent de la batterie, les chevaux aux soldats qui les montent; les soldats au lieutenant, les lieutenants aux colonels des régiments; les régiments à un général de brigade; les brigades au vice-roi des Indes. Le vice-roi à la reine Victoria. […] La discipline bourgeoise est la seule force qui maintienne solidement l'agrégat bourgeois. A discipline, il faut opposer discipline. Mais la discipline bourgeoise est une chose mécanique et autoritaire, la discipline socialiste est autonome et spontanée. » (Gramsci, La Città futura, 11 février 1917).
« La culture est une chose bien différente. Elle est organisation, discipline du véritable moi intérieur; elle est prise de possession de sa propre personnalité, elle est conquête d'une conscience supérieure grâce à laquelle chacun réussit à comprendre sa propre valeur historique, sa propre fonction dans la vie, ses propres droits et ses propres devoirs... Mais tout ceci ne peut advenir par évolution spontanée, par actions et réactions indépendantes de notre volonté». (Gramsci, Socialisme et cultura, 1916)
« La discipline n’annule pas la personnalité au sens organique, mais limite seulement l’arbitraire et l’impulsivité pour ne pas parler de la fatuité. […] La discipline n’annule pas la personnalité et la liberté ». (Gramsci, PP p. 6)
Il s’agit d’un texte de jeunesse écrit par Gramsci dans Il Grido del Popolo, le 29 janvier 1916. Gramsci y parle des rapports entre culture et prolétariat. Il explique que le prolétariat doit tirer profit de la connaissance :
« La culture est une chose bien différente. Elle est organisation, discipline du véritable moi intérieur; elle est prise de possession de sa propre personnalité, elle est conquête d'une conscience supérieure grâce à laquelle chacun réussit à comprendre sa propre valeur historique, sa propre fonction dans la vie, ses propres droits et ses propres devoirs... Mais tout ceci ne peut advenir par évolution spontanée, par actions et réactions indépendantes.
L’enfant qui peine sur les divers types de discours logiques « se fatigue, certes – et il faut s’en tenir à la seule fatigue nécessaire – mais il devra toujours peiner pour se contraindre lui-même, par des privations, par une discipline gestuelle, pour se soumettre à un apprentissage psycho-physiologique. Il importe de persuader maintes personnes que l’étude elle-même est un métier, un rude labeur, qu’elle implique un apprentissage spécial à la fois intellectuel et musculaire-nerveux. C’est un processus d’adaptation, c’est une disposition acquise moyennant l’effort, l’ennui, voire la souffrance. La participation de larges masses aux études secondaires comporte la tendance à ralentir la discipline, à demander des « facilités ». Beaucoup pensent que les difficultés sont artificielles parce qu’ils sont habitués à relier la fatigue au seul travail manuel ». (Gramsci, IC p. 113-114)
Le peuple doit se cultiver
« La classe ouvrière doit s’entraîner, se former à la gestion sociale, acquérir la culture et la psychologie de classe dominante, les acquérir avec ses moyens et selon ses modèles, avec ses réunions, ses congrès, ses débats et l’éducation réciproque ». (Gramsci, Ordine nuovo 28 février- 6 mars 1920, n°3)
« Je préfère voir un paysan se rapprocher de notre mouvement, plutôt qu'un professeur de faculté. Reste seulement que le paysan devrait essayer d'acquérir autant d'expérience et de largeur de vue que peut en avoir un professeur de faculté, afin de ne pas rendre stériles son action et son éventuel sacrifice. » (Gramsci, La Città futura, 11 février 1917).
Faut-il s’exprimer simplement ?
Des journalistes de droite se moquent de journaux socialistes qui selon eux écrivent dans un style incompréhensible pour les ouvriers. Gramsci répond :
« Sous prétexte d'être faciles nous aurions dû dénaturer, appauvrir, un débat qui portait sur des idées de la plus haute importance, sur la plus intime et la plus précieuse substance de notre esprit. Agir ainsi, ce n'est pas se rendre faciles, cela revient à frauder, comme le marchand de vin qui vend de l'eau colorée en place de Barolo ou de Lambrusco. Une idée difficile en soi ne peut être rendue facile dans sa formulation sans se transformer en une platitude. […]
Les hebdomadaires socialistes s'adaptent donc au niveau moyen des milieux régionaux auxquels ils s'adressent; cependant le ton des articles et de la propagande doit toujours être un peu supérieur à cette moyenne, afin de stimuler le progrès intellectuel, afin qu'au moins quelques travailleurs échappent à la généralité imprécise des rabâchages de brochures et raffermissent leurs esprits par une vision critique supérieure de l'histoire et du monde où ils vivent et luttent. […]
Certes, à Turin comme ailleurs, la classe prolétarienne absorbe continuellement de nouveaux individus, qui ne sont pas intellectuellement préparés, qui ne sont pas capables de comprendre toute la portée- de l'exploitation à laquelle ils sont soumis. Pour eux, il faudrait toujours tout reprendre aux premiers principes de base, à la propagande élémentaire. Et les autres, alors? Et ces prolétaires déjà intellectuellement développés, déjà rompus au langage de la critique socialiste? Qui faudrait-il donc sacrifier? A qui s'agit-il de s'adresser? Le prolétariat est moins compliqué qu'il n'y peut paraître. Une hiérarchie culturelle et spirituelle s'est formée spontanément, et l'éducation réciproque fait son œuvre là où ne peut parvenir l'activité des écrivains et des propagandistes. » (Gramsci, Il Grido del Popolo, 25 mai 1918).
Pour une école de type nouveau
« Il faut en finir avec une conception de la culture comme savoir encyclopédique où l’homme est envisagé sous le seul aspect de récipient à remplir […] La culture est tout autre chose. Elle est organisation, discipline de son moi intérieur, possession de sa personnalité, conquête d’une conscience supérieure par quoi on parvient à comprendre sa propre valeur historique » (Gramsci, Socialisme et cultura, 1916).
« Qu’un peuple ou un groupe social arriéré aient besoin d’une discipline interne collective, pour être civilement éduqués, ne signifie pas qu’ils doivent être réduits en esclavage ». (Gramsci, IC, P. 117).
Gramsci soutient « une école unique initiale de culture générale, humaniste, formatrice, qui équilibre le développement des aptitudes au travail (technique, industriel) avec celui des aptitudes au travail intellectuel. De ce type d’école unique,, à travers des expériences répétées d’orientation professionnelle, on passera à une école spécialisée et au travail productif ». (Gramsci, IC p. 98).
« Il importe non de multiplier et de graduer les types d’école professionnelle, mais de créer un type unique d’école préparatoire qui conduise le jeune jusqu’au seuil du choix professionnel et qui fasse de lui, en même temps, une personne capable de penser, d’étudier, de diriger et de contrôler les dirigeants ». (Gramsci, IC p. 112)
« Ce qui est nécessaire au prolétariat, c'est une école désintéressée. Une école où serait donnée à l'enfant la possibilité de se former, de devenir un homme, d'acquérir ces critères généraux qui servent au développement du caractère. Une école humaniste, en somme, telle que l'entendaient les Anciens, et, plus près de nous, les hommes de la Renaissance. Une école qui n'hypothèque pas l'avenir d'un enfant, et ne contraigne pas sa volonté, son intelligence, sa conscience en formation, à s'engager sur des rails au terminus fixé d'avance. Une école de liberté et de libre initiative, et non point une école d'esclavage et de dressage mécaniste. Les fils de prolétaires, eux aussi, doivent avoir devant eux toutes les possibilités, et tous les champs doivent leur rester libres afin qu'ils puissent réaliser leur personnalité de la meilleure des façons, à savoir de la façon la plus productive, tant pour eux-mêmes que pour la collectivité. L'école professionnelle ne doit pas devenir un incubateur pour petits monstres sèchement instruits en vue d'un métier, dépourvus d'idées générales, de culture générale, d'âme, et n'ayant à leur actif qu'un coup d'œil infaillible et une main sûre. Même à travers la culture professionnelle, il est possible de faire jaillir, à partir de l'enfant, l'homme. A condition que ce soit une culture éducative et non pas seulement une culture informative, que ce ne soit pas une pure pratique manuelle (Gramsci, Hommes ou machines, Avanti !, édition piémontaise, 24 décembre 1916)
« L’homme moderne devrait être une synthèse de traits que l’on a hypostasié en caractères nationaux : l’ingénieur américain, le philosophe allemand, le politique français, en recréant pour ainsi dire, l’homme italien de la Renaissance, le type moderne de Léonard de Vinci, en le faisant devenir l’homme-masse, homme qui soit collectif tout en gardant sa forte personnalité et son originalité individuelle ». (Gramsci, Lettre à son épouse, 1er août 1932) (Lettr., p. 654).
« Dans le monde moderne, l’éducation technique, étroitement liée au travail industriel même le plus rudimentaire, le moins qualifié, doit constituer la base d’un nouveau type d’intellectuel ». (Gramsci, IC p. 7).
« Mais le pire, dans les présupposés théoriques des programmes, est que l’activité scolaire devrait se faire toujours plus aérienne, évanescente, l’enseignant devenir un philosophe et un esthète, avec pour résultat l’oubli des notions concrètes et l’inflation de formules creuses. A ce compte, l’école tombera en décadence parce qu’elle affrontera de moins en moins la dense matérialité du certain et ne procurera qu’un vrai de parole, un vrai théorique. » (Gramsci, IC p. 108).
Sources :
- Franco Lombardi, La pédagogie marxiste d’Antonio Gramsci, Privat 1971.
- Université du Québec à Chicoutimi, les classiques des sciences sociales
http://classiques.uqac.ca/classiques/gramsci_antonio/ecrits_pol_1/ecrits_pol_1.html
- MarcassinHabitué du forum
Mise au point salutaire. Merci Robin.
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"Je regarde la grammaire comme la première partie de l'art de penser." (Condillac)
- IgniatiusGuide spirituel
Merci Robin en effet.
J'entends de plus en plus citer Gramsci, sans l'avoir jamais lu : récemment, c'était NKM, sans doute pour faire joli.
C'est effectivement incroyable que Frackowiack ose le citer quand on lit tes extraits ci-dessus : son credo est tout ce qui fait vomir le SGEN et les pédagos modernes.
C'en serait à mourir de rire si ce n'était pas aussi triste.
Quelque part, ça me fait penser à Sarko qui osait citer Jaurès...
J'entends de plus en plus citer Gramsci, sans l'avoir jamais lu : récemment, c'était NKM, sans doute pour faire joli.
C'est effectivement incroyable que Frackowiack ose le citer quand on lit tes extraits ci-dessus : son credo est tout ce qui fait vomir le SGEN et les pédagos modernes.
C'en serait à mourir de rire si ce n'était pas aussi triste.
Quelque part, ça me fait penser à Sarko qui osait citer Jaurès...
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"Celui qui se perd dans sa passion est moins perdu que celui qui perd sa passion."
St Augustin
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- Padre P. LucasNiveau 10
Très édifiant, cher Robin.
Mais ce pauvre Fracko a peut être confondu avec celui-là gramski
Mais ce pauvre Fracko a peut être confondu avec celui-là gramski
- yphrogEsprit éclairé
merci, Robin!
« Il importe non de multiplier et de graduer les types d’école professionnelle, mais de créer un type unique d’école préparatoire qui conduise le jeune jusqu’au seuil du choix professionnel et qui fasse de lui, en même temps, une personne capable de penser, d’étudier, de diriger et de contrôler les dirigeants ». (Gramsci, IC p. 112)
« Il importe non de multiplier et de graduer les types d’école professionnelle, mais de créer un type unique d’école préparatoire qui conduise le jeune jusqu’au seuil du choix professionnel et qui fasse de lui, en même temps, une personne capable de penser, d’étudier, de diriger et de contrôler les dirigeants ». (Gramsci, IC p. 112)
- gelsomina31Grand Maître
Marcassin a écrit:Mise au point salutaire. Merci Robin.
+ 1000!!!!
Un grand merci à toi Robin (ainsi qu'à tous les Néos qui régulièrement enrichissent ma culture historique, éducative et politique)
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Fear buildswalls.Hope builds bridges !
« De chacun selon ses forces, à chacun selon ses besoins. »
- ParatgeNeoprof expérimenté
Quelques autres remarques de Gramsci qui sont totalement l’inverse des positions de Frackowiak !
« Dans l’école actuelle, la crise profonde de la tradition culturelle, de la conception de la vie et de l’homme entraîne un processus de dégénérescence progressive : les écoles de type professionnel, c’est-à-dire préoccupées de satisfaire des intérêts pratiques immédiats, prennent l’avantage sur l’école formatrice, immédiatement désintéressée. L’aspect le plus paradoxal, c’est que ce nouveau type d’école paraît démocratique et est prôné comme tel, alors qu’elle est au contraire destinée non seulement à perpétuer les différences sociales, mais à les cristalliser à la chinoise. »
« Il est à noter que la nouvelle pédagogie a voulu battre en brèche le dogmatisme précisément dans le domaine de l’instruction, de l’acquisition des notions concrètes, c’est-à-dire précisément dans le domaine où un certain dogmatisme est pratiquement inévitable et ne peut être réabsorbé et dissout que dans le cycle entier du cours des études… »
« Quelques principes de la pédagogie moderne.
Chercher l’origine historique exacte de quelques principes de la pédagogie moderne : l’école active ou la collaboration amicale du maître et de l’élève ; l’école ouverte ; la nécessité de laisser libre cours au développement des facultés spontanées de l’écolier, sous la surveillance mais non sous le contrôle voyant du maître. La Suisse a apporté une grande contribution à la pédagogie moderne (Pestalozzi, etc.) à travers la tradition genevoise de Rousseau ; en réalité, cette pédagogie est une forme confuse de philosophie liée à une série de règles empiriques. On n’a pas tenu compte du fait que les idées de Rousseau sont une réaction violente contre l’école et contre les méthodes pédagogiques des jésuites et en tant que telles représentent un progrès ; mais il s’est formé ensuite une espèce d’église qui a paralysé les études pédagogiques et a donné lieu à de curieuses involutions (dans les doctrines de Gentile [ministre fasciste] et de Lombardo-Radice). La « spontanéité » est une de ces involutions : on se représente presque le cerveau de l’enfant comme une pelote que le maître aide à dévider. En réalité, chaque génération éduque la nouvelle génération, c’est-à-dire la forme ; l’éducation est une lutte contre les instincts liés aux fonctions biologiques élémentaires, une lutte contre la nature pour la dominer et créer l’homme « actuel » dans son époque. On ne tient pas compte du fait que l’enfant, dès qu’il commence à « voir et toucher », peu de jours peut-être après la naissance, accumule des sensations et des images qui se multiplient et deviennent complexes au moment de l’apprentissage du langage. La « spontanéité », si on l’analyse, devient de plus en plus problématique. De plus, l’ « école », c’est-à-dire l’activité éducative directe, n’est qu’une partie de la vie de l’élève qui entre en contact aussi bien avec la société humaine qu’avec la societas rerum, et se forme des critères à partir de ces sources « extra-scolaires » beaucoup plus importantes qu’on ne croit communément. L’école unique, intellectuelle et manuelle a aussi l’avantage de mettre l’enfant en contact en même temps avec l’histoire humaine et avec l’histoire des « choses » sous le contrôle du maître. »
« Dans l’école actuelle, la crise profonde de la tradition culturelle, de la conception de la vie et de l’homme entraîne un processus de dégénérescence progressive : les écoles de type professionnel, c’est-à-dire préoccupées de satisfaire des intérêts pratiques immédiats, prennent l’avantage sur l’école formatrice, immédiatement désintéressée. L’aspect le plus paradoxal, c’est que ce nouveau type d’école paraît démocratique et est prôné comme tel, alors qu’elle est au contraire destinée non seulement à perpétuer les différences sociales, mais à les cristalliser à la chinoise. »
« Il est à noter que la nouvelle pédagogie a voulu battre en brèche le dogmatisme précisément dans le domaine de l’instruction, de l’acquisition des notions concrètes, c’est-à-dire précisément dans le domaine où un certain dogmatisme est pratiquement inévitable et ne peut être réabsorbé et dissout que dans le cycle entier du cours des études… »
« Quelques principes de la pédagogie moderne.
Chercher l’origine historique exacte de quelques principes de la pédagogie moderne : l’école active ou la collaboration amicale du maître et de l’élève ; l’école ouverte ; la nécessité de laisser libre cours au développement des facultés spontanées de l’écolier, sous la surveillance mais non sous le contrôle voyant du maître. La Suisse a apporté une grande contribution à la pédagogie moderne (Pestalozzi, etc.) à travers la tradition genevoise de Rousseau ; en réalité, cette pédagogie est une forme confuse de philosophie liée à une série de règles empiriques. On n’a pas tenu compte du fait que les idées de Rousseau sont une réaction violente contre l’école et contre les méthodes pédagogiques des jésuites et en tant que telles représentent un progrès ; mais il s’est formé ensuite une espèce d’église qui a paralysé les études pédagogiques et a donné lieu à de curieuses involutions (dans les doctrines de Gentile [ministre fasciste] et de Lombardo-Radice). La « spontanéité » est une de ces involutions : on se représente presque le cerveau de l’enfant comme une pelote que le maître aide à dévider. En réalité, chaque génération éduque la nouvelle génération, c’est-à-dire la forme ; l’éducation est une lutte contre les instincts liés aux fonctions biologiques élémentaires, une lutte contre la nature pour la dominer et créer l’homme « actuel » dans son époque. On ne tient pas compte du fait que l’enfant, dès qu’il commence à « voir et toucher », peu de jours peut-être après la naissance, accumule des sensations et des images qui se multiplient et deviennent complexes au moment de l’apprentissage du langage. La « spontanéité », si on l’analyse, devient de plus en plus problématique. De plus, l’ « école », c’est-à-dire l’activité éducative directe, n’est qu’une partie de la vie de l’élève qui entre en contact aussi bien avec la société humaine qu’avec la societas rerum, et se forme des critères à partir de ces sources « extra-scolaires » beaucoup plus importantes qu’on ne croit communément. L’école unique, intellectuelle et manuelle a aussi l’avantage de mettre l’enfant en contact en même temps avec l’histoire humaine et avec l’histoire des « choses » sous le contrôle du maître. »
- Presse-puréeGrand sage
@ Paratge: ce sont des citations de qui?
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Homines, dum docent, discunt.Sénèque, Epistulae Morales ad Lucilium VII, 8
"La culture est aussi une question de fierté, de rapport de soi à soi, d’esthétique, si l’on veut, en un mot de constitution du sujet humain." (Paul Veyne, La société romaine)
"Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres". La Boétie
"Confondre la culture et son appropriation inégalitaire du fait des conditions sociales : quelle erreur !" H. Pena-Ruiz
"Il vaut mieux qu'un élève sache tenir un balai plutôt qu'il ait été initié à la philosophie: c'est ça le socle commun" un IPR
- ParatgeNeoprof expérimenté
C'est tiré de Gramsci comme c'est marqué.Paratge a écrit:[b]Quelques autres remarques de Gramsci qui sont totalement l’inverse des positions de Frackowiak !
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