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Pierre Hadot, Qu'est-ce que la philosophie antique ? Folio essais Gallimard (inédit)
Pierre Hadot (né à Paris, le 21 février 1922 - mort à Orsay, le 25 avril 2010) est un philosophe, historien et philologue français, spécialiste de l'Antiquité, profond connaisseur de la période hellénistique et en particulier du néoplatonisme et de Plotin. Pierre Hadot est l'auteur d'une œuvre développée notamment autour de la notion d'exercice spirituel et de philosophie comme manière de vivre.
"Le temps viendra où l'on préférera pour se perfectionner en morale et en raison, recourir aux Mémorables de Xénophon, plutôt qu'à la Bible et où l'on se servira de Montaigne et d'Horace comme de guides sur la voie qui mène à la compréhension du sage et du médiateur le plus simple et le plus impérissable de tous, Socrate." (Nietzsche)
"Les anciens philosophes grecs, comme Épicure, Zénon, Socrate, etc., sont restés plus fidèles à la véritable Idée du philosophe que cela ne s'est fait dans les temps modernes. Quand vas-tu enfin commencer à vivre vertueusement ? disait Platon à un vieillard qui lui racontait qu'il écoutait des leçons sur la vertu. - Il ne s'agit pas de spéculer toujours, mais il faut aussi une bonne fois penser à l'application. Mais aujourd'hui on prend pour un rêveur celui qui vit d'une manière conforme à ce qu'il enseigne." (Emmanuel Kant)
"C'est le désir qui engendre la pensée." (Plotin)
"Quelle place le philosophe tiendra-t-il dans la cité ? Ce sera celle d'un sculpteur d'hommes." (Simplicius)
"Les résultats de toutes les écoles et de toutes les expériences nous reviennent en légitime propriété. Nous ne nous ferons pas scrupule d'adopter une recette stoïcienne, sous prétexte que nous avons auparavant tiré profit de recettes épicuriennes." (Nietzsche)
... Cette remarque de Nietzsche est à rapprocher d'un aphorisme de René Char qu'aimait à citer Hannah Arendt : "Notre héritage n'est précédé d'aucun testament."
"Il est plus important de vouloir faire le bien que de connaître la vérité." (Pétrarque)
"Je pense qu'il n'y a personne qui ait rendu plus mauvais service au genre humain que ceux qui ont appris la philosophie comme un métier mercenaire." (Sénèque)
On s'imagine Platon et Aristote qu'avec de grandes robes de pédants. C'étaient des gens honnêtes et, comme les autres, riant avec leurs amis ; et, quand il se sont divertis à faire leur Lois et leur Politique, ils l'ont fait en se jouant ; c'était la partie la moins philosophique et la moins sérieuse de leur vie, la plus philosophe était de vivre simplement et tranquillement." (Pascal)
"Si les théories philosophiques te séduisent, assieds-toi et retourne-les en toi-même. Mais ne t'appelle jamais philosophe et ne souffre pas qu'un autre te donne ce nom." (Épictète)
"Il y a de nos jours des professeurs de philosophie, mais pas de philosophes." (Thoreau)
"Sans la vertu, Dieu n'est qu'un mot." (Plotin)
"Je n'ay rien fait d'aujourd'huy. - Quoy ? avez vous pas vescu ? C'est non seulement la fondamentale mais la plus illustre de vos occupations." (Montaigne)
Ces citations qui figurent en exergue de ce livre expriment, chacune à leur manière, l'ambition de l'auteur : faire mieux connaître la sagesse antique et montrer que cette sagesse ne se confond pas avec un "savoir".
Une remarque de Marcel Conche, alors que je suivais, à la Sorbonne, un cours de maîtrise, en 1978, m'avait déjà éveillé, avant la lecture de Pierre Hadot, à cette vision "existentielle" de la philosophie antique : "Platon et Aristote n'étaient pas des intellectuels !"
Cette réflexion, comparable à celles des maîtres zen, avait contribué à me réveiller d'un certain sommeil dogmatique. La philosophie ne se réduit pas à l'histoire de la philosophie, à l'apprentissage de systèmes et de concepts. Elle est avant tout une sagesse, un mode de vie, l'ouverture à une expérience d'éveil, existentielle et spirituelle.
La "mise au point" de Pierre Hadot n'enlève rien aux mérites et à l'intérêt des commentaires qui s'attachent à dégager la "pensée" des philosophes de l'antiquité (V. Goldschmidt, L. Robin, E. Bréhier...).
En replaçant ces approches dans la perspective existentielle d'une pensée (d'une logique, d'une physique et d'une morale) enracinée dans "la vie bonne", comme origine et comme fin, elle dégage un horizon d'intelligibilité qui prémunit de l'anachronisme et du contre-sens.
"On réfléchit assez rarement, explique Pierre Hadot, sur ce qu'est en elle-même la philosophie. Il est effectivement extrêmement difficile de la définir. Aux étudiants en philosophie, on fait surtout connaître des philosophies. Le programme d'agrégation leur propose régulièrement, par exemple, Platon, Aristote, Epicure, les Stoïciens, Plotin, et, après les "ténèbres" du Moyen-âge, trop souvent ignorées des programmes officiels, Descartes, Malebranche, Spinoza, Leibniz, Kant, Hegel, Fichte, Schelling, Bergson et quelques contemporains.
Pour l'examen, il faudra rédiger une dissertation qui montrera que l'on connaît bien les problèmes que posent les théories de tel ou tel auteur. Une autre dissertation témoignera de la capacité que l'on a de réfléchir sur un problème qualifié de "philosophique", parce qu'il a été en général traité par les philosophes anciens ou contemporains.
En soi, il n'y a rien à redire à cela. C'est bien, semble-t-il, en étudiant les philosophies que l'on peut avoir une idée de la philosophie. Pourtant l'histoire de la "philosophie" ne se confond pas avec l'histoire des philosophies, si l'on entend par "philosophie" les discours théoriques et les systèmes des philosophes. A côté de cette histoire, il y a place en effet pour une étude des comportements et de la vie philosophiques..."
Le présent ouvrage voudrait précisément essayer de décrire dans ses traits généraux et communs le phénomène historique et spirituel que représente la philosophie antique (...)
Si nous parlons maintenant de "philosophie", c'est parce que les Grecs ont inventé le mot philosophia qui veut dire "amour de la sagesse", et c'est parce que la tradition de la philosophia grecque s'est transmise au Moyen Âge, puis aux Temps Modernes Il s'agit donc de ressaisir le phénomène à son origine en prenant bien conscience du fait que la philosophie est un phénomène historique qui a commencé dans le temps et a évolué jusqu'à nos jours.
J'ai l'intention de montrer dans mon livre la différence profonde qui existe entre la représentation que les Anciens se faisaient de la philosophia et la représentation que l'on se fait de nos jours, habituellement, de la philosophie, tout au moins dans l'image qui en est donnée aux étudiants à cause des nécessités de l'enseignement universitaire. Ils ont l'impression que tous les philosophes qu'ils étudient se sont tour à tour évertués à inventer, chacun d'une manière originale, une nouvelle construction systématique et abstraite, destinée à expliquer, d'une manière ou d'une autre, l'univers, ou tout au moins, s'il s'agit de philosophes contemporains, qu'ils ont cherché à élaborer un discours nouveau sur le langage. De ces théories que l'on pourrait appeler de "philosophie générale", découlent, dans presque tous les systèmes, des doctrines ou des critiques de la morale qui tirent en quelque sorte les conséquences, pour l'homme et pour la société, des principes généraux du système et invitent ainsi à faire un choix de vie, à adopter une certaine manière de se comporter. Le problème de savoir si ce choix de vie sera effectif est tout à fait secondaire et accessoire. Cela n'entre pas dans la perspective du discours philosophique.
Je pense qu'une telle représentation est une erreur si on l'applique à la philosophie de l'antiquité (...)
Plan de l'ouvrage :
Première partie : la définition platonicienne du philosophe et ses antécédents
I) La philosophie avant la philosophie
II) L'apparition de la notion de "philosopher"
III) La figure de Socrate
IV) La définition du philosophe dans le Banquet de Platon
Deuxième partie : La philosophie comme mode de vie
V) Platon et l'Académie
VI) Aristote et son École
VII) Les Écoles hellénistiques
VIII) Les Écoles philosophiques à l'époque impériale
IX) Philosophie et discours philosophique
Troisième partie : rupture et continuité. Le moyen Âge et les temps modernes
X) Le christianisme comme philosophie révélée
XI) Disparition et réapparition de la conception antique de la philosophie
XII) Disparitions et réapparitions de la conception antique de la philosophie
XII) Questions et perspectives
Pierre Hadot (né à Paris, le 21 février 1922 - mort à Orsay, le 25 avril 2010) est un philosophe, historien et philologue français, spécialiste de l'Antiquité, profond connaisseur de la période hellénistique et en particulier du néoplatonisme et de Plotin. Pierre Hadot est l'auteur d'une œuvre développée notamment autour de la notion d'exercice spirituel et de philosophie comme manière de vivre.
"Le temps viendra où l'on préférera pour se perfectionner en morale et en raison, recourir aux Mémorables de Xénophon, plutôt qu'à la Bible et où l'on se servira de Montaigne et d'Horace comme de guides sur la voie qui mène à la compréhension du sage et du médiateur le plus simple et le plus impérissable de tous, Socrate." (Nietzsche)
"Les anciens philosophes grecs, comme Épicure, Zénon, Socrate, etc., sont restés plus fidèles à la véritable Idée du philosophe que cela ne s'est fait dans les temps modernes. Quand vas-tu enfin commencer à vivre vertueusement ? disait Platon à un vieillard qui lui racontait qu'il écoutait des leçons sur la vertu. - Il ne s'agit pas de spéculer toujours, mais il faut aussi une bonne fois penser à l'application. Mais aujourd'hui on prend pour un rêveur celui qui vit d'une manière conforme à ce qu'il enseigne." (Emmanuel Kant)
"C'est le désir qui engendre la pensée." (Plotin)
"Quelle place le philosophe tiendra-t-il dans la cité ? Ce sera celle d'un sculpteur d'hommes." (Simplicius)
"Les résultats de toutes les écoles et de toutes les expériences nous reviennent en légitime propriété. Nous ne nous ferons pas scrupule d'adopter une recette stoïcienne, sous prétexte que nous avons auparavant tiré profit de recettes épicuriennes." (Nietzsche)
... Cette remarque de Nietzsche est à rapprocher d'un aphorisme de René Char qu'aimait à citer Hannah Arendt : "Notre héritage n'est précédé d'aucun testament."
"Il est plus important de vouloir faire le bien que de connaître la vérité." (Pétrarque)
"Je pense qu'il n'y a personne qui ait rendu plus mauvais service au genre humain que ceux qui ont appris la philosophie comme un métier mercenaire." (Sénèque)
On s'imagine Platon et Aristote qu'avec de grandes robes de pédants. C'étaient des gens honnêtes et, comme les autres, riant avec leurs amis ; et, quand il se sont divertis à faire leur Lois et leur Politique, ils l'ont fait en se jouant ; c'était la partie la moins philosophique et la moins sérieuse de leur vie, la plus philosophe était de vivre simplement et tranquillement." (Pascal)
"Si les théories philosophiques te séduisent, assieds-toi et retourne-les en toi-même. Mais ne t'appelle jamais philosophe et ne souffre pas qu'un autre te donne ce nom." (Épictète)
"Il y a de nos jours des professeurs de philosophie, mais pas de philosophes." (Thoreau)
"Sans la vertu, Dieu n'est qu'un mot." (Plotin)
"Je n'ay rien fait d'aujourd'huy. - Quoy ? avez vous pas vescu ? C'est non seulement la fondamentale mais la plus illustre de vos occupations." (Montaigne)
Ces citations qui figurent en exergue de ce livre expriment, chacune à leur manière, l'ambition de l'auteur : faire mieux connaître la sagesse antique et montrer que cette sagesse ne se confond pas avec un "savoir".
Une remarque de Marcel Conche, alors que je suivais, à la Sorbonne, un cours de maîtrise, en 1978, m'avait déjà éveillé, avant la lecture de Pierre Hadot, à cette vision "existentielle" de la philosophie antique : "Platon et Aristote n'étaient pas des intellectuels !"
Cette réflexion, comparable à celles des maîtres zen, avait contribué à me réveiller d'un certain sommeil dogmatique. La philosophie ne se réduit pas à l'histoire de la philosophie, à l'apprentissage de systèmes et de concepts. Elle est avant tout une sagesse, un mode de vie, l'ouverture à une expérience d'éveil, existentielle et spirituelle.
La "mise au point" de Pierre Hadot n'enlève rien aux mérites et à l'intérêt des commentaires qui s'attachent à dégager la "pensée" des philosophes de l'antiquité (V. Goldschmidt, L. Robin, E. Bréhier...).
En replaçant ces approches dans la perspective existentielle d'une pensée (d'une logique, d'une physique et d'une morale) enracinée dans "la vie bonne", comme origine et comme fin, elle dégage un horizon d'intelligibilité qui prémunit de l'anachronisme et du contre-sens.
"On réfléchit assez rarement, explique Pierre Hadot, sur ce qu'est en elle-même la philosophie. Il est effectivement extrêmement difficile de la définir. Aux étudiants en philosophie, on fait surtout connaître des philosophies. Le programme d'agrégation leur propose régulièrement, par exemple, Platon, Aristote, Epicure, les Stoïciens, Plotin, et, après les "ténèbres" du Moyen-âge, trop souvent ignorées des programmes officiels, Descartes, Malebranche, Spinoza, Leibniz, Kant, Hegel, Fichte, Schelling, Bergson et quelques contemporains.
Pour l'examen, il faudra rédiger une dissertation qui montrera que l'on connaît bien les problèmes que posent les théories de tel ou tel auteur. Une autre dissertation témoignera de la capacité que l'on a de réfléchir sur un problème qualifié de "philosophique", parce qu'il a été en général traité par les philosophes anciens ou contemporains.
En soi, il n'y a rien à redire à cela. C'est bien, semble-t-il, en étudiant les philosophies que l'on peut avoir une idée de la philosophie. Pourtant l'histoire de la "philosophie" ne se confond pas avec l'histoire des philosophies, si l'on entend par "philosophie" les discours théoriques et les systèmes des philosophes. A côté de cette histoire, il y a place en effet pour une étude des comportements et de la vie philosophiques..."
Le présent ouvrage voudrait précisément essayer de décrire dans ses traits généraux et communs le phénomène historique et spirituel que représente la philosophie antique (...)
Si nous parlons maintenant de "philosophie", c'est parce que les Grecs ont inventé le mot philosophia qui veut dire "amour de la sagesse", et c'est parce que la tradition de la philosophia grecque s'est transmise au Moyen Âge, puis aux Temps Modernes Il s'agit donc de ressaisir le phénomène à son origine en prenant bien conscience du fait que la philosophie est un phénomène historique qui a commencé dans le temps et a évolué jusqu'à nos jours.
J'ai l'intention de montrer dans mon livre la différence profonde qui existe entre la représentation que les Anciens se faisaient de la philosophia et la représentation que l'on se fait de nos jours, habituellement, de la philosophie, tout au moins dans l'image qui en est donnée aux étudiants à cause des nécessités de l'enseignement universitaire. Ils ont l'impression que tous les philosophes qu'ils étudient se sont tour à tour évertués à inventer, chacun d'une manière originale, une nouvelle construction systématique et abstraite, destinée à expliquer, d'une manière ou d'une autre, l'univers, ou tout au moins, s'il s'agit de philosophes contemporains, qu'ils ont cherché à élaborer un discours nouveau sur le langage. De ces théories que l'on pourrait appeler de "philosophie générale", découlent, dans presque tous les systèmes, des doctrines ou des critiques de la morale qui tirent en quelque sorte les conséquences, pour l'homme et pour la société, des principes généraux du système et invitent ainsi à faire un choix de vie, à adopter une certaine manière de se comporter. Le problème de savoir si ce choix de vie sera effectif est tout à fait secondaire et accessoire. Cela n'entre pas dans la perspective du discours philosophique.
Je pense qu'une telle représentation est une erreur si on l'applique à la philosophie de l'antiquité (...)
Plan de l'ouvrage :
Première partie : la définition platonicienne du philosophe et ses antécédents
I) La philosophie avant la philosophie
II) L'apparition de la notion de "philosopher"
III) La figure de Socrate
IV) La définition du philosophe dans le Banquet de Platon
Deuxième partie : La philosophie comme mode de vie
V) Platon et l'Académie
VI) Aristote et son École
VII) Les Écoles hellénistiques
VIII) Les Écoles philosophiques à l'époque impériale
IX) Philosophie et discours philosophique
Troisième partie : rupture et continuité. Le moyen Âge et les temps modernes
X) Le christianisme comme philosophie révélée
XI) Disparition et réapparition de la conception antique de la philosophie
XII) Disparitions et réapparitions de la conception antique de la philosophie
XII) Questions et perspectives
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