- RobinFidèle du forum
Une (bonne) copie d'élève (Maïwen, Terminale L) :
"On oppose généralement les objets naturels aux objets techniques et aux objets d'art. Un objet naturel, comme la pierre, est une production de la nature, il n'a pas été produit par l'homme. Un objet technique (du grec techné) est une production de l'homme ; on distingue par ailleurs l'art de la technique. L'objet technique a une finalité, contrairement à l'objet d'art qui se suffit à lui-même.
Remarque : l'élève part d'une opinion générale, l'opposition traditionnelle entre nature et culture, rappelle l'étymologie grecque du mot technique, ainsi que la distinction tardive (XVIIIème siècle) entre l'art et la technique : l'objet d'art, contrairement à l'objet technique, n'a pas de finalité particulière.
La "technique", selon Aristote, est "une disposition à produire, accompagnée d'une règle vraie." Le corps humain est-il un objet ? Est-il un objet technique comme un autre ? Ces questions qui n'auraient eu aucun sens pour un contemporain d'Aristote, évoquent aujourd'hui, à l'ère de la science et de la technique, des enjeux considérables.
Remarque : l'élève rappelle la définition de la technique selon Aristote (cours) et montre que la question "ne s'est pas posée depuis toujours", qu'elle a une dimension historique, qu'elle est liée à un état de civilisation. Elle souligne l'enjeu du problème : en quoi est-il important de réfléchir sur cette question ? Peut-être aurait elle pu donner un exemple.
Nous examinerons dans un premier temps si le corps humain est un objet, puis s'il est un objet technique, et enfin si l'on échapper à cette pensée calculante (utilitariste) qui caractérise la société actuelle.
L'élève annonce le plan du devoir, la troisième partie du développement ne constituant pas une "synthèse" à proprement parler des deux points de vue précédents, mais une alternative, une "seconde hypothèse". Le mot "utilitariste" entre parenthèses précise l'un des sens possibles d'une expression de Heidegger : "pensée calculante".
Il est important de définir le mot "objet" : l'objet est une chose susceptible d'être perçue ; d'un point de vue philosophique, c'est l'occasion ou la matière d'une pensée, d'une réflexion. Peut-on dire que le corps humain est une chose susceptible d'être perçue ?
Peut-être eût-il fallu parler "d'une des définitions" du mot objet.
Prenons l'exemple du tableau de Rembrandt La Leçon d'anatomie sur lequel on voit la dissection d'un cadavre ; le corps est un objet, c'est pour Descartes "de l'étendue à l'état pur". On peut disséquer un corps, le manipuler, tel un objet. Il n'a plus de conscience, et, pour le croyant, il n'a plus d'âme ; rappelons qu'avant la Renaissance, l’Église interdisait la dissection en pensant que même après la mort, le corps gardait une conscience. Dans ce cas, chez Descartes, le corps séparé de l'âme n'est qu'un objet.
La leçon d'anatomie du Docteur Nicolaes Tulp est le premier portrait de groupe peint par Rembrandt, alors âgé de 26 ans. Le tableau renvoie à tout ce qui agite alors le monde des savants, à une époque où la dissection publique n'est admise qu'à titre exceptionnel : le rapport entre l'âme et le corps, la science et la religion, la connaissance et la foi (Galilée est en procès au même moment en Italie)
La légende veut que Descartes, alors vivant et exilé en Hollande soit représenté sur ce tableau.
L'élève fait appel à ses connaissances en Histoire de l'art et l'exemple est pertinent. Il y a une petite maladresse au sujet de la réticence de l’Église, à cause de la doctrine de l'Incarnation (éminente dignité du corps humain) et de la Résurrection des corps (et non des âmes). Avec la dissection se révèle la dimension de la "profondeur", de l'invisible ; tout doit devenir visible, "théorique" (théorie vient du grec théorein qui signifie voir). Il ne doit plus y avoir de "mystère".
Le corps humain n'est pas seulement un objet, mais aussi une conscience, voire une âme. Jean-Paul Sartre distingue "l'en soi", le "pour soi" et le "pour autrui". Ainsi, je suis un objet pour la conscience d'autrui, mais je refuse ce statut d'objet, la conscience n'étant pas un objet, mais "transcendance pure". Le corps humain est un mélange d'étendue (de matière) et de pensée, il ne peut pas être considéré comme un simple objet, une simple chose uniquement susceptible d'être perçue et pensée.
La référence à Sartre est la bienvenue. J.-P. Sartre ne dit pas seulement que le corps humain, uni à la conscience n'est pas un objet, mais que la conscience refuse d'être un objet sous le regard d'autrui. En tant que conscience, j'excède tous les jugements qu'autrui peut porter sur moi ; la conscience n'est même pas transparente à elle-même parce qu'elle porte, avec la temporalité, la dimension du "possible". Le passage de Descartes à Sartre est un peu abrupt ; l'élève aurait pu souligner davantage le lien entre la pensée de J.-P. Sartre et celle de Descartes : la distinction entre la conscience et le corps chez Sartre et entre l'âme et le corps chez Descartes (le "dualisme").
Ce corps humain peut être l'occasion d'une pensée ou d'une réflexion, mais on ne peut pas penser le corps humain comme un objet. Est-il un objet technique ?
Le sujet n'était pas "Le corps humain est-il un objet ?", mais "Le corps humain est-il un objet technique parmi d' autres ?" L'élève aurait pu montrer que le sujet contenait une affirmation implicite : le corps humain est un objet technique, la question étant de savoir s'il est un objet technique "parmi d'autres".
Les professeurs qui conçoivent les sujets évitent en général ce genre de "question fermée", mais il est bon d'apprendre aux élèves à les déceler et à les convertir en "questions ouvertes".
L'objet technique est "un objet produit par l'homme selon une règle vraie". Il est défini par sa finalité et il s'oppose à un objet d'art : on ne peut pas comparer une automobile avec une sculpture d'Ernest Bussière.
En effet ! "il se distingue", plutôt qu'il ne "s'oppose".
Le corps n'est pas un objet technique puisqu'il est produit par la nature et il n'a pas de finalité apparente. L'Homme a imaginé des "objets techniques" semblables à lui : les automates, les robots et peut-être certains rêvent-ils de transformer les hommes en robots ("robot" vient de "robotnik" qui signifie travailleur en russe), comme le montre Charlie Chaplin dans Les Temps modernes.
On est ici au cœur du sujet : l'homme transformé en chose, au service de la technique et même partie de la technique ; on pense évidemment au travail à la chaîne, mais aussi à des formes plus sophistiquées de réification (le fait de transformer un être humain en objet). dans la rationalisation des tâches et les calculs de rentabilité.
Dans Les Temps modernes, Chaplin ne se contente pas de montrer ce processus de réification, il le dénonce par le rire dont Rabelais disait qu'il était "le propre de l'homme. Pensez aussi à l’Ève future de Villiers de l'Ile Adam, à Metropolis de Fritz Lang ou à La Bête humaine de Zola où le thème de la "déshumanisation" se traduit par le fait que l'on ne sait plus très bien ce qui distingue l'homme de la machine ou de l'animal.
Pour Heidegger, la technique moderne est bien autre chose qu'un ensemble de règles qui définissent les moyens à employer en vue d'une fin. Elle est un mode de pensée. L'homme ne pense plus qu'à gérer, à calculer, à prévoir ; c'est ce que l'on appelle la "pensée calculante" qui veut dominer la nature et l'asservir aux besoins de l'homme. Elle s'oppose alors à la pensée désintéressée (philosophie, art, poésie).
L'homme ne pense pas seulement la nature, mais il se pense lui-même comme un objet, une "ressource" à exploiter. Pour les nazis, les "sous-hommes" étaient considérés comme de la matière première, par exemple pour fabriquer du savon. Heidegger les compare avec la terre dans l'agriculture intensive. Le danger ne réside donc pas dans un accident technique, mais bien dans l'asservissement de l'homme à la technique.
L'élève anticipe ici sur sa "seconde hypothèse" (comment échapper à la domination de la technique ?) et suggère qu'il faut d'abord comprendre ce qu'elle est (Ti esti ?) ; "l'essence de la technique n'a rien de technique.", dit Heidegger et c'est justement l'une des caractéristiques de la technique que la neutralité sous laquelle elle se présente comme simple adaptation de moyens en vue d'une fin.
Il faut ensuite chercher des solutions individuelles (non techniques) en se tournant vers d'autres manifestations de la culture humaine, telles que l'art, la poésie ou la philosophie, à condition de préciser qu'il s'agit de la philosophie comme "pensée méditante", plutôt que vers la philosophie de Descartes qui n'est pas le remède, mais l'origine du problème en même temps que sa première formulation. Le cogito, la subjectivité humaine devient, à partir de Descartes, dans le destin historial de la métaphysique occidentale la perspective originelle (et non plus Dieu ou la Nature).
L'allusion au nazisme (avec lequel s'est compromis Heidegger lui-même pour prendre ensuite ses distances avec ce mouvement) est hélas en rapport avec le sujet et montre la logique de la "pensée calculante" qui commence à transformer les hommes en "travailleurs", puis en objets purs et simples. Le danger réside dans un accident de la technique (mais l'explosion d'une bombe atomique peut-elle être considérée comme un simple "accident" ?), mais de façon dérivée : la pensée philosophique ne doit pas se contenter de décrire le monde, mais de chercher les causes premières, de passer de l'ontique (les choses, les événements), qui est le domaine des médias et du journalisme à l'ontologique (l'essence).
Au fond, notre époque est dans cette vision de l'homme ; Foucault écrit : "la pensée de l'homme s'efface, c'est une construction artificielle." Peut-on échapper à la pensée calculante ?
Le texte de Foucault sur la "disparition de l'homme" en tant qu'objet du savoir (les sciences de l'Homme) se trouve à la fin de Les Mots et les Choses. La perspective de Michel Foucault est différente de celle de Heidegger ; pour Heidegger l'homme (le "Dasein") n'existe vraiment que dans la mesure où il cesse de se préoccuper exclusivement de l'étant, pour "se tenir dans la clairière de l'Etre".
Pour Foucault, l'homme n'a pas toujours été un "objet de savoir" et il cessera peut-être un jour de l'être . Par ailleurs pour les structuralistes, le "sujet" est une construction artificielle. Nous sommes la résultante de déterminismes socio-culturels liés aux dispositions fondamentales du savoir. Ce n'est pas le sujet qui parle, mais les structures qui parlent en nous. Pour J.-P. Sartre, il faut bien qu'il y ait un sujet historien, sociologue, épistémologue pour mettre à jour les structures. Le texte de Foucault est ambigu : on ne sait pas très bien si Foucault parle de la disparition de l'homme en tant qu'objet d'étude (l'anthropologie), de la remise en cause de la notion de sujet par le structuralisme, ou de quelque chose de plus profond (et de plus inquiétant) qui se manifeste dans le structuralisme, dans la notion d'inconscient freudien, dans la théorie de l'évolution et aujourd'hui dans certaines approches "scientifiques" qui "réduisent l'humain au biologique, lui-même rabattu sur le génétiquement programmé ou supposé tel." (Lucien Sève)
A la toute dernière ligne de Les Mots et les Choses, Foucault parle de la disparition d'un "visage sur le sable" : "Si les dispositions fondamentales du savoir venaient à disparaître comme elles sont apparues, si par quelque événement dont nous pouvons tout au plus pressentir la possibilité, mais dont nous ne connaissons pour l'instant encore ni la forme, ni la promesse, elle basculaient, comme le fit au tournant du XVIIIème siècle, le sol de la pensée classique, - alors on peut bien parier que l'homme s'effacerait, comme à la limite de la mer un visage sur le sable." La métaphore n'est pas neutre. Le "sable" est l'image même de la désagrégation. et le visage (panim en hébreu, et toujours au pluriel : les faces) est ce qu'il y a, en l'homme de plus humain.
Note : Panim signifie en hébreu les visages. l’hébreu ne connaît pas la forme au singulier de ce mot car il pense qu’il existe en permanence plusieurs visages d'une même entité, homme ou concept.
Panim signifie aussi en hébreu "les intérieurs", mais il est traduit par l’intérieur. Voir Genèse - Chap 4, versets 5 et 6 : " - Et à Caïn et à son offrande il ne se montra pas favorable (disponible) ; et Caïn s’enflamma (de colère) et ses visages tombèrent. "Et D... dit à Caïn "pourquoi es-tu enflammé (en colère) et pourquoi tes visages sont-ils tombés ?"
Dans le texte biblique, D... est parfois appelé Panim, car D... se manifeste par un, voire plusieurs de ses attributs qui composent les figures de son infinitude. (on retrouve cette idée chez Spinoza : Dieu possède une infinité d'attributs inaccessibles à l'entendement humain qui ne peut en connaître que deux : la pensée et l'étendue)
La notion de visages au pluriel est contenue dans la formation de l’homme par D... : Il forma (avec deux lettres Yod) que l’homme réunit en lui, deux principes duels, "le spirituel et le temporel", l’homme et la femme, le monde d’en-haut et le monde d’en-bas (Rachi)....l’humain et le bestial...la nature et la culture...
Il semblerait donc que le visage (panim) renvoie, dans la judaïsme, à l'humanitas de l'homme comme intériorité, à la pensée, à la liberté, à la Loi, à la transcendance, à la relation libre avec le "tout autre", à la dialectique du fini et de l'infini. Ce n'est donc pas un hasard si Emmanuel Lévinas décide de reprendre la question de l'éthique à partir du visage (De Dieu qui vient à l'idée) ; la rupture du lien avec la transcendance et/ou avec l'intériorité (la conscience) entraîne ipso facto la disparition des visages ("ses visages tombèrent."... "Pourquoi tes visages sont-ils tombés ?")
"Toute une grappe de visages juxtaposés dans des plans différents et qu'on ne voit pas à la fois "... C'est ainsi que Marcel Proust conçoit ce qu'il appelle " le visage humain ". Définition bien étrange. On dirait presque de l'hébreu. On croirait presque entendre " panim ", qui désigne " le visage ", mais qui signifie, littéralement, " faces " - toujours au pluriel.
C'est ce pluriel oublié du visage que Proust semble réveiller, avec cet étonnement qui "vient surtout de ce que l'être nous présente aussi une même face"... Énigmes de panim. Mystères d’À la recherche du temps perdu. Combien de visages par personnage ? Quant à ceux de l'auteur... Figures et gueules, esquisses et masques, voiles et rides, larmes et petites marques habitent le livre. Visions tour à tour effrayantes et merveilleuses : le visage fait résonner l'œuvre de Proust dans toute son étrangeté." (André Benhaïm, Visages de Proust)
Nous avons vu que la technique moderne ne réside pas seulement dans l'agencement des moyens en vue d'une fin (Aristote), mais constitue un mode de pensée. Il n'y a pas d'un côté "l'homme éternel" et de l'autre la technique. La technique modifie profondément non seulement notre rapport au monde, mais aussi notre rapport aux autres et à nous-mêmes et finalement notre "essence". Par exemple, un automobiliste n'est pas un "homme éternel" qui conduit une automobile. Les objets techniques nous modifient. Par ailleurs, comme l'a montré Heidegger, l'homme ne pense pas seulement la nature, mais il se pense lui-même comme un objet manipulable, ressource à exploiter.
Heidegger est davantage préoccupé par la modification du rapport de l'homme (le Dasein) avec la nature et avec "l’Être" que du rapport de l'homme avec ses semblables. La dimension éthico-politique de la question de la technique sera développée par Marcuse et Habermas.
Hans Jonas prend acte du "vide éthique" ou nous a placé la neutralisation du sacré, puis de la nature sous l'angle de la valeur, et enfin de l'homme dont on ne sait plus très bien s'il est un "sujet" ou un "objet technique parmi d'autres" : "Nous frissonnons dans le dénuement d'un nihilisme, dans lequel le plus grand des pouvoirs s'accouple avec le plus grand vide, la plus grande capacité avec le plus petit savoir du à quoi bon..."
Comment peut-on échapper à la servitude de la technique ?
Heidegger propose l'alternative de "l'autre pensée", qui se rapproche du bouddhisme et de la méditation. John Cage propose 1 minute 45 de silence. Il faut voir la personne autrement que comme un objet ; il faut la considérer comme un être moral. Lorsque je vois mon prochain, affirme Emmanuel Lévinas, je ne vois pas un objet, mais le reflet de l'infini dans le fini.
Selon Emmanuel Lévinas, le visage nu et vulnérable du prochain porte le commandement venu d'ailleurs : "Tu ne tueras pas !" ("tu n'as pas le droit de me transformer en objet")
Mais attention ! La technique n'est pas "un tigre de papier", elle nécessite d'être prise au sérieux. Il ne suffit pas de la critiquer ou de rêver d'un âge d'or d'avant la technique car, qu'on le veuille ou non, la technique fait partie de la culture humaine et a défini notre humanité. La technique ne dépend plus tout à fait de nous, mais il dépend de nous de ne pas dépendre totalement d'elle. On peut par exemple essayer d'échapper à la publicité, au marketing, à la propagande qui sont des techniques de manipulation. Il y a en nous une part de liberté, certes réduite, mais réelle.
Nous pouvons aussi nous engager politiquement en faveur du respect de la personne humaine, afin qu'elle ne soit pas considérée comme un moyen, mais comme une fin.
Oui, vous pouvez préciser qu'il s'agit d'un "impératif catégorique" de la morale de Kant; (Fondements de la Métaphysique des Mœurs)
Nous avons vu que le corps humain pouvait dans un certain sens être considéré comme un objet dans le cas de la dissection. Mais l'homme est aussi doté d'une conscience, voire d'une âme. Il n'est pas seulement un corps et on ne peut donc pas le considérer comme un simple objet. Cependant, bien que le corps soit une production de la nature et la conscience de la culture, certains rêvent de transformer les êtres humains en objets techniques. On peut même dire que ce processus est l'essence même de la technique et son plus grand danger. Il est donc urgent de chercher comment nous pourrions échapper à la servitude de la technique. Deux chemins se sont ouverts devant nous : "l'autre pensée" (l'art et la poésie), la recherche de la sagesse et l'action politique.
La conclusion reprend la thèse et l'antithèse, ainsi que la seconde hypothèse : comment échapper à la domination de la technique ?
Une copie très honorable, malgré l'absence d'une référence attendue à la "bioéthique" face aux avancées de la médecine : thérapie génique, carte du génome, xénogreffes, la perspective de "l'enfant à la carte", le progrès médical gangréné par la logique marchande.
Cf. l'ouvrage d' Axel Kahn Et l'Homme dans tout ça ? (NiL édition, Pocket) et la préface de Lucien Sève, philosophe, membre du Comité consultatif national d'éthique.
Voici le fameux texte de Michel Foucault, à la fin de Les Mots et des Choses :
"Une chose en tout cas est certaine : c'est que l'homme n'est pas le plus vieux problème ni le plus constant qui se soit posé au savoir humain. En prenant une chronologie relativement courte et un découpage géographique restreint - la culture européenne depuis le XVIème siècle - on est à peu près sûr que l'homme y est une invention récente. Ce n'est pas autour de lui et de ses secrets que, longtemps, obscurément le savoir a rôdé. En fait, parmi toutes les mutations qui ont affecté le savoir des choses et de leur ordre, le savoir des identités, des différences, des caractères, des équivalences, des mots, - bref au milieu de tous les épisodes de cette profonde histoire du Même, - un seul, celui qui a commencé il y a un siècle et demi et qui peut-être est en train de se clore, a laissé apparaître la figure de l'homme. Et ce n'était point là libération d'une vieille inquiétude, passage à la conscience lumineuse d'un souci millénaire, accès à l'objectivité de ce qui longtemps était resté pris dans des croyances ou dans des philosophies : c'était l'effet d'un changement dans les dispositions fondamentales du savoir, l'homme est une invention dont l'archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la fin prochaine.
Si ces dispositions venaient à disparaître comme elles sont apparues, si par quelque événement dont nous pouvons tout au plus pressentir la possibilité, mais dont nous ne connaissons pour l'instant encore ni la forme ni la promesse, elles basculaient, comme le fit au tournant du XVIIIème siècle le sol de la pensée classique, - alors on peut bien parier que l'homme s'effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable."
"On oppose généralement les objets naturels aux objets techniques et aux objets d'art. Un objet naturel, comme la pierre, est une production de la nature, il n'a pas été produit par l'homme. Un objet technique (du grec techné) est une production de l'homme ; on distingue par ailleurs l'art de la technique. L'objet technique a une finalité, contrairement à l'objet d'art qui se suffit à lui-même.
Remarque : l'élève part d'une opinion générale, l'opposition traditionnelle entre nature et culture, rappelle l'étymologie grecque du mot technique, ainsi que la distinction tardive (XVIIIème siècle) entre l'art et la technique : l'objet d'art, contrairement à l'objet technique, n'a pas de finalité particulière.
La "technique", selon Aristote, est "une disposition à produire, accompagnée d'une règle vraie." Le corps humain est-il un objet ? Est-il un objet technique comme un autre ? Ces questions qui n'auraient eu aucun sens pour un contemporain d'Aristote, évoquent aujourd'hui, à l'ère de la science et de la technique, des enjeux considérables.
Remarque : l'élève rappelle la définition de la technique selon Aristote (cours) et montre que la question "ne s'est pas posée depuis toujours", qu'elle a une dimension historique, qu'elle est liée à un état de civilisation. Elle souligne l'enjeu du problème : en quoi est-il important de réfléchir sur cette question ? Peut-être aurait elle pu donner un exemple.
Nous examinerons dans un premier temps si le corps humain est un objet, puis s'il est un objet technique, et enfin si l'on échapper à cette pensée calculante (utilitariste) qui caractérise la société actuelle.
L'élève annonce le plan du devoir, la troisième partie du développement ne constituant pas une "synthèse" à proprement parler des deux points de vue précédents, mais une alternative, une "seconde hypothèse". Le mot "utilitariste" entre parenthèses précise l'un des sens possibles d'une expression de Heidegger : "pensée calculante".
Il est important de définir le mot "objet" : l'objet est une chose susceptible d'être perçue ; d'un point de vue philosophique, c'est l'occasion ou la matière d'une pensée, d'une réflexion. Peut-on dire que le corps humain est une chose susceptible d'être perçue ?
Peut-être eût-il fallu parler "d'une des définitions" du mot objet.
Prenons l'exemple du tableau de Rembrandt La Leçon d'anatomie sur lequel on voit la dissection d'un cadavre ; le corps est un objet, c'est pour Descartes "de l'étendue à l'état pur". On peut disséquer un corps, le manipuler, tel un objet. Il n'a plus de conscience, et, pour le croyant, il n'a plus d'âme ; rappelons qu'avant la Renaissance, l’Église interdisait la dissection en pensant que même après la mort, le corps gardait une conscience. Dans ce cas, chez Descartes, le corps séparé de l'âme n'est qu'un objet.
La leçon d'anatomie du Docteur Nicolaes Tulp est le premier portrait de groupe peint par Rembrandt, alors âgé de 26 ans. Le tableau renvoie à tout ce qui agite alors le monde des savants, à une époque où la dissection publique n'est admise qu'à titre exceptionnel : le rapport entre l'âme et le corps, la science et la religion, la connaissance et la foi (Galilée est en procès au même moment en Italie)
La légende veut que Descartes, alors vivant et exilé en Hollande soit représenté sur ce tableau.
L'élève fait appel à ses connaissances en Histoire de l'art et l'exemple est pertinent. Il y a une petite maladresse au sujet de la réticence de l’Église, à cause de la doctrine de l'Incarnation (éminente dignité du corps humain) et de la Résurrection des corps (et non des âmes). Avec la dissection se révèle la dimension de la "profondeur", de l'invisible ; tout doit devenir visible, "théorique" (théorie vient du grec théorein qui signifie voir). Il ne doit plus y avoir de "mystère".
Le corps humain n'est pas seulement un objet, mais aussi une conscience, voire une âme. Jean-Paul Sartre distingue "l'en soi", le "pour soi" et le "pour autrui". Ainsi, je suis un objet pour la conscience d'autrui, mais je refuse ce statut d'objet, la conscience n'étant pas un objet, mais "transcendance pure". Le corps humain est un mélange d'étendue (de matière) et de pensée, il ne peut pas être considéré comme un simple objet, une simple chose uniquement susceptible d'être perçue et pensée.
La référence à Sartre est la bienvenue. J.-P. Sartre ne dit pas seulement que le corps humain, uni à la conscience n'est pas un objet, mais que la conscience refuse d'être un objet sous le regard d'autrui. En tant que conscience, j'excède tous les jugements qu'autrui peut porter sur moi ; la conscience n'est même pas transparente à elle-même parce qu'elle porte, avec la temporalité, la dimension du "possible". Le passage de Descartes à Sartre est un peu abrupt ; l'élève aurait pu souligner davantage le lien entre la pensée de J.-P. Sartre et celle de Descartes : la distinction entre la conscience et le corps chez Sartre et entre l'âme et le corps chez Descartes (le "dualisme").
Ce corps humain peut être l'occasion d'une pensée ou d'une réflexion, mais on ne peut pas penser le corps humain comme un objet. Est-il un objet technique ?
Le sujet n'était pas "Le corps humain est-il un objet ?", mais "Le corps humain est-il un objet technique parmi d' autres ?" L'élève aurait pu montrer que le sujet contenait une affirmation implicite : le corps humain est un objet technique, la question étant de savoir s'il est un objet technique "parmi d'autres".
Les professeurs qui conçoivent les sujets évitent en général ce genre de "question fermée", mais il est bon d'apprendre aux élèves à les déceler et à les convertir en "questions ouvertes".
L'objet technique est "un objet produit par l'homme selon une règle vraie". Il est défini par sa finalité et il s'oppose à un objet d'art : on ne peut pas comparer une automobile avec une sculpture d'Ernest Bussière.
En effet ! "il se distingue", plutôt qu'il ne "s'oppose".
Le corps n'est pas un objet technique puisqu'il est produit par la nature et il n'a pas de finalité apparente. L'Homme a imaginé des "objets techniques" semblables à lui : les automates, les robots et peut-être certains rêvent-ils de transformer les hommes en robots ("robot" vient de "robotnik" qui signifie travailleur en russe), comme le montre Charlie Chaplin dans Les Temps modernes.
On est ici au cœur du sujet : l'homme transformé en chose, au service de la technique et même partie de la technique ; on pense évidemment au travail à la chaîne, mais aussi à des formes plus sophistiquées de réification (le fait de transformer un être humain en objet). dans la rationalisation des tâches et les calculs de rentabilité.
Dans Les Temps modernes, Chaplin ne se contente pas de montrer ce processus de réification, il le dénonce par le rire dont Rabelais disait qu'il était "le propre de l'homme. Pensez aussi à l’Ève future de Villiers de l'Ile Adam, à Metropolis de Fritz Lang ou à La Bête humaine de Zola où le thème de la "déshumanisation" se traduit par le fait que l'on ne sait plus très bien ce qui distingue l'homme de la machine ou de l'animal.
Pour Heidegger, la technique moderne est bien autre chose qu'un ensemble de règles qui définissent les moyens à employer en vue d'une fin. Elle est un mode de pensée. L'homme ne pense plus qu'à gérer, à calculer, à prévoir ; c'est ce que l'on appelle la "pensée calculante" qui veut dominer la nature et l'asservir aux besoins de l'homme. Elle s'oppose alors à la pensée désintéressée (philosophie, art, poésie).
L'homme ne pense pas seulement la nature, mais il se pense lui-même comme un objet, une "ressource" à exploiter. Pour les nazis, les "sous-hommes" étaient considérés comme de la matière première, par exemple pour fabriquer du savon. Heidegger les compare avec la terre dans l'agriculture intensive. Le danger ne réside donc pas dans un accident technique, mais bien dans l'asservissement de l'homme à la technique.
L'élève anticipe ici sur sa "seconde hypothèse" (comment échapper à la domination de la technique ?) et suggère qu'il faut d'abord comprendre ce qu'elle est (Ti esti ?) ; "l'essence de la technique n'a rien de technique.", dit Heidegger et c'est justement l'une des caractéristiques de la technique que la neutralité sous laquelle elle se présente comme simple adaptation de moyens en vue d'une fin.
Il faut ensuite chercher des solutions individuelles (non techniques) en se tournant vers d'autres manifestations de la culture humaine, telles que l'art, la poésie ou la philosophie, à condition de préciser qu'il s'agit de la philosophie comme "pensée méditante", plutôt que vers la philosophie de Descartes qui n'est pas le remède, mais l'origine du problème en même temps que sa première formulation. Le cogito, la subjectivité humaine devient, à partir de Descartes, dans le destin historial de la métaphysique occidentale la perspective originelle (et non plus Dieu ou la Nature).
L'allusion au nazisme (avec lequel s'est compromis Heidegger lui-même pour prendre ensuite ses distances avec ce mouvement) est hélas en rapport avec le sujet et montre la logique de la "pensée calculante" qui commence à transformer les hommes en "travailleurs", puis en objets purs et simples. Le danger réside dans un accident de la technique (mais l'explosion d'une bombe atomique peut-elle être considérée comme un simple "accident" ?), mais de façon dérivée : la pensée philosophique ne doit pas se contenter de décrire le monde, mais de chercher les causes premières, de passer de l'ontique (les choses, les événements), qui est le domaine des médias et du journalisme à l'ontologique (l'essence).
Au fond, notre époque est dans cette vision de l'homme ; Foucault écrit : "la pensée de l'homme s'efface, c'est une construction artificielle." Peut-on échapper à la pensée calculante ?
Le texte de Foucault sur la "disparition de l'homme" en tant qu'objet du savoir (les sciences de l'Homme) se trouve à la fin de Les Mots et les Choses. La perspective de Michel Foucault est différente de celle de Heidegger ; pour Heidegger l'homme (le "Dasein") n'existe vraiment que dans la mesure où il cesse de se préoccuper exclusivement de l'étant, pour "se tenir dans la clairière de l'Etre".
Pour Foucault, l'homme n'a pas toujours été un "objet de savoir" et il cessera peut-être un jour de l'être . Par ailleurs pour les structuralistes, le "sujet" est une construction artificielle. Nous sommes la résultante de déterminismes socio-culturels liés aux dispositions fondamentales du savoir. Ce n'est pas le sujet qui parle, mais les structures qui parlent en nous. Pour J.-P. Sartre, il faut bien qu'il y ait un sujet historien, sociologue, épistémologue pour mettre à jour les structures. Le texte de Foucault est ambigu : on ne sait pas très bien si Foucault parle de la disparition de l'homme en tant qu'objet d'étude (l'anthropologie), de la remise en cause de la notion de sujet par le structuralisme, ou de quelque chose de plus profond (et de plus inquiétant) qui se manifeste dans le structuralisme, dans la notion d'inconscient freudien, dans la théorie de l'évolution et aujourd'hui dans certaines approches "scientifiques" qui "réduisent l'humain au biologique, lui-même rabattu sur le génétiquement programmé ou supposé tel." (Lucien Sève)
A la toute dernière ligne de Les Mots et les Choses, Foucault parle de la disparition d'un "visage sur le sable" : "Si les dispositions fondamentales du savoir venaient à disparaître comme elles sont apparues, si par quelque événement dont nous pouvons tout au plus pressentir la possibilité, mais dont nous ne connaissons pour l'instant encore ni la forme, ni la promesse, elle basculaient, comme le fit au tournant du XVIIIème siècle, le sol de la pensée classique, - alors on peut bien parier que l'homme s'effacerait, comme à la limite de la mer un visage sur le sable." La métaphore n'est pas neutre. Le "sable" est l'image même de la désagrégation. et le visage (panim en hébreu, et toujours au pluriel : les faces) est ce qu'il y a, en l'homme de plus humain.
Note : Panim signifie en hébreu les visages. l’hébreu ne connaît pas la forme au singulier de ce mot car il pense qu’il existe en permanence plusieurs visages d'une même entité, homme ou concept.
Panim signifie aussi en hébreu "les intérieurs", mais il est traduit par l’intérieur. Voir Genèse - Chap 4, versets 5 et 6 : " - Et à Caïn et à son offrande il ne se montra pas favorable (disponible) ; et Caïn s’enflamma (de colère) et ses visages tombèrent. "Et D... dit à Caïn "pourquoi es-tu enflammé (en colère) et pourquoi tes visages sont-ils tombés ?"
Dans le texte biblique, D... est parfois appelé Panim, car D... se manifeste par un, voire plusieurs de ses attributs qui composent les figures de son infinitude. (on retrouve cette idée chez Spinoza : Dieu possède une infinité d'attributs inaccessibles à l'entendement humain qui ne peut en connaître que deux : la pensée et l'étendue)
La notion de visages au pluriel est contenue dans la formation de l’homme par D... : Il forma (avec deux lettres Yod) que l’homme réunit en lui, deux principes duels, "le spirituel et le temporel", l’homme et la femme, le monde d’en-haut et le monde d’en-bas (Rachi)....l’humain et le bestial...la nature et la culture...
Il semblerait donc que le visage (panim) renvoie, dans la judaïsme, à l'humanitas de l'homme comme intériorité, à la pensée, à la liberté, à la Loi, à la transcendance, à la relation libre avec le "tout autre", à la dialectique du fini et de l'infini. Ce n'est donc pas un hasard si Emmanuel Lévinas décide de reprendre la question de l'éthique à partir du visage (De Dieu qui vient à l'idée) ; la rupture du lien avec la transcendance et/ou avec l'intériorité (la conscience) entraîne ipso facto la disparition des visages ("ses visages tombèrent."... "Pourquoi tes visages sont-ils tombés ?")
"Toute une grappe de visages juxtaposés dans des plans différents et qu'on ne voit pas à la fois "... C'est ainsi que Marcel Proust conçoit ce qu'il appelle " le visage humain ". Définition bien étrange. On dirait presque de l'hébreu. On croirait presque entendre " panim ", qui désigne " le visage ", mais qui signifie, littéralement, " faces " - toujours au pluriel.
C'est ce pluriel oublié du visage que Proust semble réveiller, avec cet étonnement qui "vient surtout de ce que l'être nous présente aussi une même face"... Énigmes de panim. Mystères d’À la recherche du temps perdu. Combien de visages par personnage ? Quant à ceux de l'auteur... Figures et gueules, esquisses et masques, voiles et rides, larmes et petites marques habitent le livre. Visions tour à tour effrayantes et merveilleuses : le visage fait résonner l'œuvre de Proust dans toute son étrangeté." (André Benhaïm, Visages de Proust)
Nous avons vu que la technique moderne ne réside pas seulement dans l'agencement des moyens en vue d'une fin (Aristote), mais constitue un mode de pensée. Il n'y a pas d'un côté "l'homme éternel" et de l'autre la technique. La technique modifie profondément non seulement notre rapport au monde, mais aussi notre rapport aux autres et à nous-mêmes et finalement notre "essence". Par exemple, un automobiliste n'est pas un "homme éternel" qui conduit une automobile. Les objets techniques nous modifient. Par ailleurs, comme l'a montré Heidegger, l'homme ne pense pas seulement la nature, mais il se pense lui-même comme un objet manipulable, ressource à exploiter.
Heidegger est davantage préoccupé par la modification du rapport de l'homme (le Dasein) avec la nature et avec "l’Être" que du rapport de l'homme avec ses semblables. La dimension éthico-politique de la question de la technique sera développée par Marcuse et Habermas.
Hans Jonas prend acte du "vide éthique" ou nous a placé la neutralisation du sacré, puis de la nature sous l'angle de la valeur, et enfin de l'homme dont on ne sait plus très bien s'il est un "sujet" ou un "objet technique parmi d'autres" : "Nous frissonnons dans le dénuement d'un nihilisme, dans lequel le plus grand des pouvoirs s'accouple avec le plus grand vide, la plus grande capacité avec le plus petit savoir du à quoi bon..."
Comment peut-on échapper à la servitude de la technique ?
Heidegger propose l'alternative de "l'autre pensée", qui se rapproche du bouddhisme et de la méditation. John Cage propose 1 minute 45 de silence. Il faut voir la personne autrement que comme un objet ; il faut la considérer comme un être moral. Lorsque je vois mon prochain, affirme Emmanuel Lévinas, je ne vois pas un objet, mais le reflet de l'infini dans le fini.
Selon Emmanuel Lévinas, le visage nu et vulnérable du prochain porte le commandement venu d'ailleurs : "Tu ne tueras pas !" ("tu n'as pas le droit de me transformer en objet")
Mais attention ! La technique n'est pas "un tigre de papier", elle nécessite d'être prise au sérieux. Il ne suffit pas de la critiquer ou de rêver d'un âge d'or d'avant la technique car, qu'on le veuille ou non, la technique fait partie de la culture humaine et a défini notre humanité. La technique ne dépend plus tout à fait de nous, mais il dépend de nous de ne pas dépendre totalement d'elle. On peut par exemple essayer d'échapper à la publicité, au marketing, à la propagande qui sont des techniques de manipulation. Il y a en nous une part de liberté, certes réduite, mais réelle.
Nous pouvons aussi nous engager politiquement en faveur du respect de la personne humaine, afin qu'elle ne soit pas considérée comme un moyen, mais comme une fin.
Oui, vous pouvez préciser qu'il s'agit d'un "impératif catégorique" de la morale de Kant; (Fondements de la Métaphysique des Mœurs)
Nous avons vu que le corps humain pouvait dans un certain sens être considéré comme un objet dans le cas de la dissection. Mais l'homme est aussi doté d'une conscience, voire d'une âme. Il n'est pas seulement un corps et on ne peut donc pas le considérer comme un simple objet. Cependant, bien que le corps soit une production de la nature et la conscience de la culture, certains rêvent de transformer les êtres humains en objets techniques. On peut même dire que ce processus est l'essence même de la technique et son plus grand danger. Il est donc urgent de chercher comment nous pourrions échapper à la servitude de la technique. Deux chemins se sont ouverts devant nous : "l'autre pensée" (l'art et la poésie), la recherche de la sagesse et l'action politique.
La conclusion reprend la thèse et l'antithèse, ainsi que la seconde hypothèse : comment échapper à la domination de la technique ?
Une copie très honorable, malgré l'absence d'une référence attendue à la "bioéthique" face aux avancées de la médecine : thérapie génique, carte du génome, xénogreffes, la perspective de "l'enfant à la carte", le progrès médical gangréné par la logique marchande.
Cf. l'ouvrage d' Axel Kahn Et l'Homme dans tout ça ? (NiL édition, Pocket) et la préface de Lucien Sève, philosophe, membre du Comité consultatif national d'éthique.
Voici le fameux texte de Michel Foucault, à la fin de Les Mots et des Choses :
"Une chose en tout cas est certaine : c'est que l'homme n'est pas le plus vieux problème ni le plus constant qui se soit posé au savoir humain. En prenant une chronologie relativement courte et un découpage géographique restreint - la culture européenne depuis le XVIème siècle - on est à peu près sûr que l'homme y est une invention récente. Ce n'est pas autour de lui et de ses secrets que, longtemps, obscurément le savoir a rôdé. En fait, parmi toutes les mutations qui ont affecté le savoir des choses et de leur ordre, le savoir des identités, des différences, des caractères, des équivalences, des mots, - bref au milieu de tous les épisodes de cette profonde histoire du Même, - un seul, celui qui a commencé il y a un siècle et demi et qui peut-être est en train de se clore, a laissé apparaître la figure de l'homme. Et ce n'était point là libération d'une vieille inquiétude, passage à la conscience lumineuse d'un souci millénaire, accès à l'objectivité de ce qui longtemps était resté pris dans des croyances ou dans des philosophies : c'était l'effet d'un changement dans les dispositions fondamentales du savoir, l'homme est une invention dont l'archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la fin prochaine.
Si ces dispositions venaient à disparaître comme elles sont apparues, si par quelque événement dont nous pouvons tout au plus pressentir la possibilité, mais dont nous ne connaissons pour l'instant encore ni la forme ni la promesse, elles basculaient, comme le fit au tournant du XVIIIème siècle le sol de la pensée classique, - alors on peut bien parier que l'homme s'effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable."
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