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Jean-Jacques Rousseau, explication d'un texte sur les origines de l'inégalité Empty Jean-Jacques Rousseau, explication d'un texte sur les origines de l'inégalité

par Robin Ven 10 Aoû 2012 - 6:34
Jean-Jacques Rousseau, né le 28 juin 1712 à Genève et mort le 2 juillet 1778 à Ermenonville, est un écrivain, philosophe et musicien genevois de langue française.

Désireux de montrer que la société d'Ancien régime où il vit n'a rien d'inévitable ni de naturel, Rousseau utilise le concept "d'état de nature". Cet instrument intellectuel ne cherche pas à décrire une hypothétique situation passée, mais il permet de retracer les raisons qui ont conduit les hommes à s'associer pour produire des institutions, des langues, des coutumes.

"Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu'ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments de musique, en un mot tant qu'ils ne s'appliquèrent qu'à des ouvrages qu'un seul pouvait faire, et qu'à des arts qui n'avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu'ils pouvaient l'être par leur nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d'un commerce (1) indépendant : mais dès l'instant qu'un homme eut besoin du secours d'un autre ; dès qu'on s'aperçut qu'il était utile à un seul d'avoir des provisions pour deux, l'égalité disparut, la propriété s'introduisit, le travail devint nécessaire et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu'il fallut arroser de la sueur des hommes et dans lesquelles on vit bientôt l'esclavage et la misère germer et croître avec les moissons."

Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité des hommes (1755)

(1) : ici, relations entre les hommes

Compréhension :

1) Quelles périodes dans l'Histoire des hommes le texte de Rousseau oppose-t-il ?

2) A quelle condition les hommes auraient-ils pu, d'après Rousseau, rester "libres, sains, bons et heureux" ?

3) Pourquoi les forêts se changèrent-elles en campagnes ? en quoi est-il paradoxal que ces "campagnes riantes" aient dû être "arrosées de la sueur des hommes" ?

4) Par quelles étapes et à cause de quoi passe-t-on de "l'égalité" à "l'esclavage et la misère" ?

Réflexion :

5) L'idée d'un "pur état de nature" est-elle une hypothèse historique ou un mythe ?

6) Pourquoi, avec l'apparition de la propriété, le travail devient-il nécessaire ?

7) L'explication de l'apparition de "l'esclavage et la misère" proposée par Rousseau vous semble-t-elle acceptable ? Peut-on, de la même façon, expliquer "l'esclavage et la misère" de nos jours ?

Proposition de correction :

1) Rousseau oppose deux périodes de l'Histoire : la période antérieure à la division du travail ("dès qu'un homme eut besoin d'un autre") et à l'instauration de la propriété privée et la période qui suit ; dans la période qui précède la division du travail, les hommes vivent "libres, sains, bons et heureux", alors que, par la suite, le travail devient nécessaire et instaure l'inégalité parmi les hommes : il est synonyme de prospérité pour les uns, de misère et de souffrance pour les autres ("on vit bientôt l'esclavage et la misère germer avec les moissons.").

2) Les hommes auraient pu, d'après Rousseau, rester "libres, sains, bons et heureux" à condition de se contenter de l'état dans lequel ils étaient, où chacun se suffisait à lui-même et n'avait pas besoin du concours des autres pour subsister, vivaient au jour le jour et n'éprouvait pas le besoin de "faire des provisions pour deux".

3) "Les forêts se changèrent en campagnes" : la quasi totalité de la terre était occupée par de vastes forêts, comme on le voit encore en Amazonie, mais à partir du moment où les hommes instaurèrent la division du travail, ils se mirent à défricher la forêt pour faire des cultures. Le paradoxe réside dans le fait que la campagne semble plus "riante" que la forêt sauvage où, cependant, les hommes vivaient (toujours selon Rousseau) plus heureux. Selon Rousseau, les campagnes sont devenues "riantes", au prix de la souffrance et de la sueur, de l'esclavage et de la misère.

4) La première étape qui marque le passage de "l'égalité" à "l'esclavage et à la misère" est le passage de l'indépendance à la dépendance ("dès l'instant qu'un homme eut besoin d'un autre"), c'est-à-dire de l'autosuffisance à la division du travail, puis de la mise en commun à la propriété privée ("on s'aperçut qu'il était utile d'avoir des provisions pour deux"), puis de la liberté à l'exploitation de la force de travail ("des campagnes riantes qu'il fallut arroser de la sueur des hommes")

5) L'idée d'un pur état de nature n'est pas une hypothèse historique, mais un mythe. Cet état de nature n'a jamais existé, même (et peut-être surtout) dans les sociétés premières.

Rien chez l'homme n'est purement naturel. Ses sentiments et ses conduites sont inventés, comme les mots ; Il est impossible de séparer chez l'homme les comportements naturels et les comportements culturels, fabriqués. L'homme a le génie de l'équivoque (Maurice Merleau-Ponty), il détourne les conduites vitales de leur sens.

Les cultures premières ne sont pas "plus proches de la nature" que les nôtres ; ces cultures ont des techniques, des œuvres d'art, des croyances religieuses, des mythes, des rituels, des prohibitions ; ceux qui la composent ne se contentent pas d'émettre des sons, ils parlent un langage articulé.

6) Le travail devient nécessaire avec l'apparition de la propriété privée car les "propriétaires" veulent avoir des provisions pour deux et pour ce faire, il faut mettre la terre en valeur, la cultiver, l'ensemencer.

7) Cette explication de la misère et de l'esclavage contient une part de vérité. Si l'on analyse les sociétés humaines qui se sont succédé au cours de l'Histoire, on observe toujours des différences sociales entre les riches et les pauvres, les hommes libres et les esclaves (dans la Grèce antique, à Rome et aux Etats-Unis d'Amérique avant la guerre de Sécession, par exemple) ; J.-J. Rousseau pense sans doute à la société féodale : au Moyen-âge, les serfs (du latin servus = esclave) étaient attachés à la terre qu'ils cultivaient pour le seigneur.

Claude Levi-Strauss oppose les sociétés chaudes aux sociétés froides. Les sociétés froides fonctionnent comme des horloges, elles ont un passé, mais elles n'ont pas vraiment d'Histoire.

Elles sont conformes à ce que Rousseau décrit dans la première partie de ce texte : des hommes, généralement peu nombreux, constitués en tribus, qui ne connaissent pas la propriété privée et où il y a pas de division du travail, sinon entre les hommes et les femmes : les anthropologues parlent se sociétés de "chasseurs-cueilleurs".

La deuxième partie du texte de Rousseau correspond à ce que nous dit Claude Lévi-Strauss des sociétés chaudes (les nôtres), que Claude Lévi-Strauss compare à des machines à vapeur ; ces sociétés connaissent la propriété privée, la division du travail, tous les avantages, mais aussi tous les inconvénients et les désordres du "progrès", que Lévi-Strauss nomme "l'entropie civilisationnelle" : extrême richesse et extrême pauvreté, révolutions, conflits sociaux, terrorisme, gaspillage, désastres écologiques...

Il est certain que le manque de régulation des sociétés chaudes conduit vers l'entropie civilisationnelle et, du moins dans certaines régions du monde à "l'esclavage et à la misère". Claude Lévi-Strauss préconise, au lieu d'un impossible retour en arrière, que la culture (l’État, le Droit, les institutions, l'art, les sciences humaines) serve de régulateur à l'entropie civilisationnelle. Cette idée a été récemment réactualisée par Edgar Morin, mais elle est encore loin de se traduire dans la réalité.
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