- RobinFidèle du forum
"A chacun sa vérité", tel est le titre d'une pièce du dramaturge italien Luigi Pirandello. Pour Pirandello, il n'y a pas une vérité, mais des vérités. Mais s'il en est ainsi, si la vérité au singulier est inaccessible ou inexistante, on ne voit pas très bien en quoi ce serait un devoir de la chercher. Avons-nous le devoir de chercher la vérité ?
Le mot "devoir" vient du latin debere du préfixe de et habere, "tenir quelque chose de quelqu'un, lui en être redevable", "être obligé". Le devoir est l'obligation morale considérée en elle-même. La notion de devoir évoque l'idée de contrainte et, par suite, le renoncement à la liberté. Le devoir se distingue de la nécessité qui s'impose à tous et ne laisse aucune alternative (les besoins du corps) ; l'obligation implique la volonté et la liberté de choix. Je dois chercher la vérité implique que je peux choisir de ne pas la chercher. Le devoir tend à se confondre avec l'obligation, bien que toute obligation ne soit pas un devoir moral. Le devoir, selon Kant, n'est que l'intention et la volonté de bien faire, l'exigence purement désintéressée, simplement motivée par le respect de la loi morale.
Chercher, c'est essayer de découvrir par un effort de pensée la solution d'une difficulté, une idée... (chercher la solution d'un problème), examiner, scruter, réfléchir. "Cherchez et vous trouverez." (La Bible). Si on cherche la vérité, c'est qu'on ne la possède pas ou qu'on ne sait pas qu'on la possède.
Nous nous interrogerons dans une première partie sur la notion de vérité, puis nous montrerons que tous les hommes ne cherchent pas la vérité, et enfin que la recherche de la vérité engage la dignité de l'homme et constitue un devoir.
Le projet de recherche de la vérité est constitutif de la réflexion philosophique, et c'est par lui que, dès l'origine, celle-ci s'est définie dans la Grèce antique. Le mot "Philosophie" aurait été crée par Pythagore. Il signifie "amour de la sagesse" (sophia), mais la sophia est en rapport avec "l'aléthéia" : la vérité comme dévoilement de l’Être, du Logos. Pour les Présocratiques, ce n'est pas l'homme qui découvre la vérité, mais la vérité qui se révèle à lui.
La Philosophie de Platon illustre la triple idée autour de laquelle se formule le projet de vérité : la vérité existe et peut se révéler à l'homme ; la vérité ne réside pas dans un savoir étranger que l'on répéterait comme un perroquet ; connaître la vérité (que l'on porte en soi) passe par la "maïeutique" (littéralement accouchement de l'esprit) ; la vérité ne se confond pas avec l'opinion, elle est permanente et universelle. La vérité n'est pas une notion purement "intellectuelle", elle est en relation avec le Bien et avec le Beau. Le but de la vie, pour la plupart des penseurs grecs est le bonheur (eudaïmon) et le bonheur réside dans la pensée vraie, enracinée dans la vie bonne.
"L'allégorie de la caverne", exposée par Platon dans le Livre VII de La République met en scène des hommes enchaînés et immobilisés dans une demeure souterraine qui tournent le dos à l'entrée et ne voient que leurs ombres et celles projetées d'objets au loin derrière eux.
Socrate affirme que ces prisonniers nous ressemblent parce que nous sommes, nous aussi "prisonniers" ; prisonniers du monde sensible : nous prenons ce que nous pouvons voir, entendre, sentir et toucher pour l'unique réalité et parce que nous sommes "enchaînés" à nos corps.
Nous sommes également "prisonniers" de l'opinion (la doxa), des idées toutes faites, des préjugés, de tout ce que nous avons appris sur le monde depuis notre enfance et que nous avons accepté sans examen.
Les prisonniers ne sont ni malheureux, ni révoltés parce qu'ils ne connaissent que le monde dans lequel ils vivent. Il ne leur vient pas à l'esprit qu'il existe un autre monde, plus lumineux, plus vaste, plus beau et plus libre.
Dans un commentaire récent de La République de Platon, Alain Badiou nous propose une transposition du début de l'allégorie de la caverne : «Imaginez une gigantesque salle de cinéma. En avant l’écran, qui monte jusqu’au plafond, mais c’est si haut que tout ça se perd dans l’ombre, barre toute vision d’autre chose que de lui-même. La salle est comble. Les spectateurs sont, depuis qu’ils existent, emprisonnés sur leurs sièges, les yeux fixés sur l’écran, la tête tenue par des écouteurs rigides qui leur couvrent les oreilles…»
L'illusion est le produit de l'imitation, de l'instinct grégaire, de l'éducation, du temps et de l'habitude. Les prisonniers ne renoncent pas facilement (et la plupart, pas du tout) à leurs illusions (les ombres et les échos) ; le prisonnier délivré souffre de regarder les objets (la lumière lui blesse les yeux) et il va jusqu'à regretter son ancienne existence ; lorsqu'il redescend dans la caverne, ses anciens compagnons de captivité se moquent de lui et songent même à le mettre à mort.
La recherche de la vérité n'est pas un simple exercice intellectuel. C'est d'abord un double exercice spirituel qui consiste en la conversion radicale de notre faculté de penser et de notre mode de connaissance.
Cet exercice demande à la fois de se dégager de l'opinion et de rechercher la satisfaction dans l'être plutôt que dans l'avoir. Au terme de cette aventure spirituelle, la vérité ne se reconnaît pas au seul moyen d'un critère, elle se montre dans son évidence. C'est dans cet esprit que Spinoza affirmait « verum index sui », la vérité est à elle même son propre critère.
C'est celui qui a contemplé les réalités d'en-haut, le philosophe, le mystique, l'artiste... qui assimile le monde visible à une prison. Une prison est un endroit obscur où règnent les ombres, un lieu de souffrance et d'expiation. Nous sommes "jetés" ici-bas dit Pascal, nous y faisons l'expérience physique et morale de la "limite"... Dans une lettre à son frère Théo, Vincent Van Gogh dit qu'il se sent dans une "prison étroite, très étroite".
Le philosophe qui a contemplé l'Idée du Vrai et du Bien a pour mission de délivrer les autres hommes parce qu'il en va du salut de la Cité. Il peut le faire, comme Socrate en faisant prendre conscience aux hommes qu'ils sont dans l'illusion, que leur savoir est un faux savoir, en les incitant, à temps et à contre temps, à chercher la vérité et en donnant, jusque dans la mort, le témoignage d'une vie philosophique exemplaire, ou comme Platon, en écrivant l'allégorie de la caverne, en parlant des "choses d'en-haut" et en fondant l'Académie.
"Contemplare atque aliis contemplata tradere" (contempler et transmettre aux autres ce que l'on a contemplé) dira saint Thomas d'Aquin quelques siècles plus tard, à l'instar de Platon : se livrer à la contemplation dans le cloître, mais aussi et surtout, transmettre aux autres dans le siècle ce qui a été contemplé.
Car ceux-là seuls qui se sont approchés du Feu peuvent en attiser la nostalgie.
Le devoir ne se confond pas avec la nécessité. Nous ne sommes pas obligés de chercher la vérité. Nous pouvons même passer notre vie entière à chercher autre chose, y compris le mensonge et l'erreur.
Toutefois, cette "liberté d'indifférence" n'est pas la véritable liberté. La vraie liberté, selon Descartes, consiste à nous déterminer en fonction de valeurs telles que la vérité et le bien.
Si nous avons le devoir de chercher la vérité, ce devoir ne nous est pas imposé de l'extérieur. Il ne peut reposer que sur notre libre consentement. La vérité ne réside pas dans une doctrine ; elle n'est la propriété de personne. Elle n'est pas "à toi" ou "à moi" disait Maurice Merleau-Ponty, mais "entre nous". Dans la théologie patristique héritée de la tradition juive, le texte saint est un "jeu symbolique" il ouvre au sens, car (comme pour Socrate) la clé de l'ouverture est le questionnement. "La gloire de Dieu, c'est de cacher les choses; La gloire des rois, c'est de sonder les choses." (Salomon, Proverbes, 25.1). Nous avons le devoir de chercher la vérité, comme nous avons le devoir de la laisser quand nous pensons l'avoir trouvée, de la trouver pour la chercher encore.
Dans l'Histoire de l'Humanité, nous constatons que les hommes et les femmes qui ont vécu pour la vérité et le bien ont vécu une vie plus humaine ; quand nous pensons à un être humain pleinement réalisé, nous pensons à Socrate, à Epictète ou à Marc-Aurèle ; nous ne pensons pas à Crésus, à Calliclès ou à Néron. Nous pensons à Gandhi, à Abraham Heschel ou à Martin Luther King.
Si nous avons le devoir de chercher la vérité (et non simplement le savoir), c'est parce que nous avons le devoir de devenir des hommes "véritables" et si nous avons ce devoir, c'est que son humanité n'est pas donnée à l'homme, mais doit être conquise. "Et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et dans un corps." (Arthur Rimbaud, dernière phrase d'Une saison en enfer)
Le mot "devoir" vient du latin debere du préfixe de et habere, "tenir quelque chose de quelqu'un, lui en être redevable", "être obligé". Le devoir est l'obligation morale considérée en elle-même. La notion de devoir évoque l'idée de contrainte et, par suite, le renoncement à la liberté. Le devoir se distingue de la nécessité qui s'impose à tous et ne laisse aucune alternative (les besoins du corps) ; l'obligation implique la volonté et la liberté de choix. Je dois chercher la vérité implique que je peux choisir de ne pas la chercher. Le devoir tend à se confondre avec l'obligation, bien que toute obligation ne soit pas un devoir moral. Le devoir, selon Kant, n'est que l'intention et la volonté de bien faire, l'exigence purement désintéressée, simplement motivée par le respect de la loi morale.
Chercher, c'est essayer de découvrir par un effort de pensée la solution d'une difficulté, une idée... (chercher la solution d'un problème), examiner, scruter, réfléchir. "Cherchez et vous trouverez." (La Bible). Si on cherche la vérité, c'est qu'on ne la possède pas ou qu'on ne sait pas qu'on la possède.
Nous nous interrogerons dans une première partie sur la notion de vérité, puis nous montrerons que tous les hommes ne cherchent pas la vérité, et enfin que la recherche de la vérité engage la dignité de l'homme et constitue un devoir.
Le projet de recherche de la vérité est constitutif de la réflexion philosophique, et c'est par lui que, dès l'origine, celle-ci s'est définie dans la Grèce antique. Le mot "Philosophie" aurait été crée par Pythagore. Il signifie "amour de la sagesse" (sophia), mais la sophia est en rapport avec "l'aléthéia" : la vérité comme dévoilement de l’Être, du Logos. Pour les Présocratiques, ce n'est pas l'homme qui découvre la vérité, mais la vérité qui se révèle à lui.
La Philosophie de Platon illustre la triple idée autour de laquelle se formule le projet de vérité : la vérité existe et peut se révéler à l'homme ; la vérité ne réside pas dans un savoir étranger que l'on répéterait comme un perroquet ; connaître la vérité (que l'on porte en soi) passe par la "maïeutique" (littéralement accouchement de l'esprit) ; la vérité ne se confond pas avec l'opinion, elle est permanente et universelle. La vérité n'est pas une notion purement "intellectuelle", elle est en relation avec le Bien et avec le Beau. Le but de la vie, pour la plupart des penseurs grecs est le bonheur (eudaïmon) et le bonheur réside dans la pensée vraie, enracinée dans la vie bonne.
"L'allégorie de la caverne", exposée par Platon dans le Livre VII de La République met en scène des hommes enchaînés et immobilisés dans une demeure souterraine qui tournent le dos à l'entrée et ne voient que leurs ombres et celles projetées d'objets au loin derrière eux.
Socrate affirme que ces prisonniers nous ressemblent parce que nous sommes, nous aussi "prisonniers" ; prisonniers du monde sensible : nous prenons ce que nous pouvons voir, entendre, sentir et toucher pour l'unique réalité et parce que nous sommes "enchaînés" à nos corps.
Nous sommes également "prisonniers" de l'opinion (la doxa), des idées toutes faites, des préjugés, de tout ce que nous avons appris sur le monde depuis notre enfance et que nous avons accepté sans examen.
Les prisonniers ne sont ni malheureux, ni révoltés parce qu'ils ne connaissent que le monde dans lequel ils vivent. Il ne leur vient pas à l'esprit qu'il existe un autre monde, plus lumineux, plus vaste, plus beau et plus libre.
Dans un commentaire récent de La République de Platon, Alain Badiou nous propose une transposition du début de l'allégorie de la caverne : «Imaginez une gigantesque salle de cinéma. En avant l’écran, qui monte jusqu’au plafond, mais c’est si haut que tout ça se perd dans l’ombre, barre toute vision d’autre chose que de lui-même. La salle est comble. Les spectateurs sont, depuis qu’ils existent, emprisonnés sur leurs sièges, les yeux fixés sur l’écran, la tête tenue par des écouteurs rigides qui leur couvrent les oreilles…»
L'illusion est le produit de l'imitation, de l'instinct grégaire, de l'éducation, du temps et de l'habitude. Les prisonniers ne renoncent pas facilement (et la plupart, pas du tout) à leurs illusions (les ombres et les échos) ; le prisonnier délivré souffre de regarder les objets (la lumière lui blesse les yeux) et il va jusqu'à regretter son ancienne existence ; lorsqu'il redescend dans la caverne, ses anciens compagnons de captivité se moquent de lui et songent même à le mettre à mort.
La recherche de la vérité n'est pas un simple exercice intellectuel. C'est d'abord un double exercice spirituel qui consiste en la conversion radicale de notre faculté de penser et de notre mode de connaissance.
Cet exercice demande à la fois de se dégager de l'opinion et de rechercher la satisfaction dans l'être plutôt que dans l'avoir. Au terme de cette aventure spirituelle, la vérité ne se reconnaît pas au seul moyen d'un critère, elle se montre dans son évidence. C'est dans cet esprit que Spinoza affirmait « verum index sui », la vérité est à elle même son propre critère.
C'est celui qui a contemplé les réalités d'en-haut, le philosophe, le mystique, l'artiste... qui assimile le monde visible à une prison. Une prison est un endroit obscur où règnent les ombres, un lieu de souffrance et d'expiation. Nous sommes "jetés" ici-bas dit Pascal, nous y faisons l'expérience physique et morale de la "limite"... Dans une lettre à son frère Théo, Vincent Van Gogh dit qu'il se sent dans une "prison étroite, très étroite".
Le philosophe qui a contemplé l'Idée du Vrai et du Bien a pour mission de délivrer les autres hommes parce qu'il en va du salut de la Cité. Il peut le faire, comme Socrate en faisant prendre conscience aux hommes qu'ils sont dans l'illusion, que leur savoir est un faux savoir, en les incitant, à temps et à contre temps, à chercher la vérité et en donnant, jusque dans la mort, le témoignage d'une vie philosophique exemplaire, ou comme Platon, en écrivant l'allégorie de la caverne, en parlant des "choses d'en-haut" et en fondant l'Académie.
"Contemplare atque aliis contemplata tradere" (contempler et transmettre aux autres ce que l'on a contemplé) dira saint Thomas d'Aquin quelques siècles plus tard, à l'instar de Platon : se livrer à la contemplation dans le cloître, mais aussi et surtout, transmettre aux autres dans le siècle ce qui a été contemplé.
Car ceux-là seuls qui se sont approchés du Feu peuvent en attiser la nostalgie.
Le devoir ne se confond pas avec la nécessité. Nous ne sommes pas obligés de chercher la vérité. Nous pouvons même passer notre vie entière à chercher autre chose, y compris le mensonge et l'erreur.
Toutefois, cette "liberté d'indifférence" n'est pas la véritable liberté. La vraie liberté, selon Descartes, consiste à nous déterminer en fonction de valeurs telles que la vérité et le bien.
Si nous avons le devoir de chercher la vérité, ce devoir ne nous est pas imposé de l'extérieur. Il ne peut reposer que sur notre libre consentement. La vérité ne réside pas dans une doctrine ; elle n'est la propriété de personne. Elle n'est pas "à toi" ou "à moi" disait Maurice Merleau-Ponty, mais "entre nous". Dans la théologie patristique héritée de la tradition juive, le texte saint est un "jeu symbolique" il ouvre au sens, car (comme pour Socrate) la clé de l'ouverture est le questionnement. "La gloire de Dieu, c'est de cacher les choses; La gloire des rois, c'est de sonder les choses." (Salomon, Proverbes, 25.1). Nous avons le devoir de chercher la vérité, comme nous avons le devoir de la laisser quand nous pensons l'avoir trouvée, de la trouver pour la chercher encore.
Dans l'Histoire de l'Humanité, nous constatons que les hommes et les femmes qui ont vécu pour la vérité et le bien ont vécu une vie plus humaine ; quand nous pensons à un être humain pleinement réalisé, nous pensons à Socrate, à Epictète ou à Marc-Aurèle ; nous ne pensons pas à Crésus, à Calliclès ou à Néron. Nous pensons à Gandhi, à Abraham Heschel ou à Martin Luther King.
Si nous avons le devoir de chercher la vérité (et non simplement le savoir), c'est parce que nous avons le devoir de devenir des hommes "véritables" et si nous avons ce devoir, c'est que son humanité n'est pas donnée à l'homme, mais doit être conquise. "Et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et dans un corps." (Arthur Rimbaud, dernière phrase d'Une saison en enfer)
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