- ParatgeNeoprof expérimenté
En Espagne aussi, il y a des critiques sévères du pédagogisme et des réformes absurdes qu’il a créées grâce au PS local.
Ricardo Moreno Castillo est un de ceux qui a le plus défendu l’École devant les attaques.
Il est l’aiteur du Pamphlet antipédogogique, issu de son site et qui était consultable en ligne.
http://www.antipedagogico.com/
http://casitodoestaenloslibros.blogspot.fr/2012/05/panfleto-antipedagogico-de-ricardo.html
Entretien avec Ricardo Moreno Castillo
http://librodenotas.com/entrevistas/9669/entrevista-a-ricardo-moreno-castillo
Ricardo Moreno Castillo a publié le Pamphlet anti-pédagogique initialement sur l’Internet, où il a obtenu une diffusion rapide et de multiples soutiens. Il y dénonçait la situation de l’enseignement provoquée par la LOGSE, une loi qui, à son avis sape le principe le plus fondamental de l’éducation. Chef de département depuis 1975, il a publié de nombreux livres et est professeur à la Faculté de Mathématiques de l’Université complutense de Madrid. Sa détermination à repousser les pédagogues hors de l’enseignement est partagée par des milliers d’enseignants qui doivent quotidiennement appliquer leurs théories invraisemblables à une pratique de plus en plus dure. Aujourd’hui le Pamphlet est publié sur papier, augmenté et amélioré et son auteur conserve un blog de soutien pour le livre.
Marcos Taracido : L’impact sur l’Internet de la première version du Pamphlet a été un succès retentissant et il semble que les ventes de livres font de même... en outre, le consensus parmi les enseignants corrobore qu’ils soutiennent toutes les revendications que vous exposez dans le livre. Cependant, cet apparent consensus écrasant sur les questions d’éducation et sur leurs solutions n’est pas concrétisé dans les réformes pratiques et les politiciens approuvent des réformes qui ne se confrontent pratiquement pas à une seule des revendications, et les peu nombreux qui résistent à son approbation sont distraits par d’autres questions.
Ricardo Moreno Castillo : Oui, c’est incroyable, une si grande surdité à une clameur quasi unanime. Il est difficile de connaître les raisons pour lesquelles il en est ainsi. Même si je pense, que ce serait profitable électoralement pour le Parti socialiste de reconnaître une fois son erreur monumentale et qu’il la rectifie.
MT : Je ne pense pas que ce sera le cas. Les timides réformes ne vont pas dans ce sens, et toutes les déclarations des membres du gouvernement inclinent maintes fois vers les mêmes clichés et excuses. Et dans le domaine pédagogique on lit toujours les mêmes déclarations qu’il y a 15 ans sur l’échec scolaire, qui accusent toujours le manque de savoir-faire motivant des enseignants.
RMC : En effet, le manque de savoir-faire, et que « nous n’avons pas réussi à changer notre mentalité », et que nous avons la nostalgie du passé. Il est plus facile de blâmer l’échec d’une loi à cause de facteurs conjoncturels que la loi elle-même. On impute la responsabilité également à la présence massive d’immigrants, ce qui est une infamie et une erreur. Une infamie parce que le blâme pour la détérioration de l’éducation des migrants est une façon comme une autre de promouvoir le racisme. Et une erreur, car un immigrant a un cerveau de la même qualité que celui d’un autochtone. Si un immigrant veut étudier sérieusement il a besoin d’exactement la même chose qu’un Espagnol qui veut étudier sérieusement : une atmosphère de silence, de la rigueur et de la discipline. Et si un immigrant ne veut pas étudier, si on le met de force dans une salle de classe, son comportement sera exactement le même que celui d’un autochtone qui ne veut pas étudier et qui est mis de force dans une classe : il dérangera, gênera le travail du professeur et ne laissera pas étudier les élèves qui le veulent. Non, ce ne sont pas des facteurs extrinsèques qui ont fait échouer la réforme de l’éducation, c’est que cela a été une bêtise monumentale et en outre ce n’était pas si difficile de prédire ce qu’elle allait être. Le reconnaitront-ils un jour ces hommes politiques qui ont voté pour la réforme ? Je ne sais pas. Pour l’instant, Jordi Pujol l’a fait. Récemment, lors d’une conférence au Colegio de Licenciados, il a reconnu que la LOGSE était une erreur et que l’avoir soutenue était une erreur de sa part. En fait, sur le site du Centre d’Estudis Jordi-Pujol on recommande le Pamphlet antipédagogique. Et celui qui veut discréditer ce soutien en disant que Pujol est un réactionnaire et de droite, qu’il pense que c’était aussi un réactionnaire et de droite quand il a soutenu la LOGSE.
MT : La LOGSE était une réforme socialiste, et depuis lors, toute critique de la loi est directement associée à la droite. La dialectique politique semble s’être répandue dans toute la société, et nous sommes immergés dans ce manichéisme simpliste : avez-vous perdu beaucoup de temps à expliquer que votre critique vient de la gauche?
RMC : C’est vrai, il y a ceux qui me traitent de conservateur ou de nostalgique. Fait intéressant, c’est une attaque très similaire à celle que faisaient les autorités franquistes à ceux qui luttaient contre la dictature : « Vous aspirez à la République, vous êtes nostalgiques de la démocratie. » Mais la vérité c’est que, en général, la gauche a compris tout de suite que cette réforme privilégie ceux qui peuvent se permettre une école d’élite et en revanche pénalise les enfants des classes les moins aisées, car ce qui n’apprennent pas à l’école, ils ne l’apprennent pas ailleurs. Aujourd’hui, c’est déjà difficile d’apprendre, si ce n’est avec un progressiste très désorienté, qu’on traite de fasciste car il exige de la discipline en classe ou car il soutient qu’on doit inculquer l’habitude du travail aux élèves.
MT : Je ne suis pas totalement sûr de ça, il semble que la société évolue vers la mise sur un piédestal de l’enfant dans le pire sens du terme : celui de lui conférer l’irresponsabilité absolue, qquelque chose de totalement contre la société compétitive à laquelle ils vont se confronter quand ils deviendront adultes. Nous voyons très souvent que ce sont les parents qui protègent leurs enfants et qui se protègent avec ce type d’éducation pour se placer contre les professeurs et pour justifier toutes les décisions de leurs enfants. Par exemple, dans le livre vous proposez que le professeur porte plainte dans un commissariat à cause du boycottage et des insultes de ses élèves... J’ai l’impression que c’est chose impossible, non seulement parce que la Justice n’en ferait aucun cas, mais aussi parce que l’environnement éducatif deviendrait irrespirable.
RMC : Vous pouvez avoir raison, mais cette attitude des parents est plus du laisser-aller et de la lassitude qu’un progressisme d’opérette. Vous dites que dénoncer les boycotteurs est impensable. Le tout serait de créer un mouvement important et que les plaintes soient accumulées. Si l’éducation est un droit, sa violation est un crime. Et si elle n’est pas traitée en tant que telle, il n’est pas vrai que l’éducation soit un droit protégé et soutenu par l’État.
MT : Le Pamphlet déclare son intention de convaincre, mais peut-être qu’ici commencent et finissent ses limites : il sera lu par les convaincus, et les quelques-uns qui ne sont pas encore convaincus réfuteront ses arguments. Peut-être que vous allez rater une proposition directe de révolution, une proposition d’action directe qui vise à arrêter et inverser les choses.
RMC : Pour organiser une action directe il faut quelqu’un avec la capacité de leadership, qualité qui me manque. J’ai reçu de nombreux courriels de collègues qui l’ont lu, et ce qu’ils me racontent me fait penser que le pamphlet peut être utile pour deux raisons. Certains disent qu’ils trouvent clairement exprimé ce qu’ils avaient toujours pensé. C’est sa première utilité : fournir des arguments à ceux qui sont déjà convaincus. D’autres disent que désormais ils se sentiraient plus libres de critiquer le système éducatif sans renoncer à leur position de gauche. Curieusement, il y avait ceux qui avaient mauvaise conscience de désapprouver une loi qui avait été présentée comme si progressiste. Et c’est peut-être sa deuxième utilité : rassurer ceux qui, se sentant à gauche, sont en désaccord avec la réforme de l’éducation.
Maintenant les fanatiques de la réforme, ceux qui « croient » en elle (comme si une loi, au lieu d’être un produit humain, était une religion), ceux qui ont un rôle important en contrôlant le jargon pédagogique, ceux-là ne seront jamais convaincus.
MT : En tout cas il y a quelque chose de très difficile à comprendre dans tout cela, et c’est quelque chose qui a une incidence, c’est le manque réel d’opposition à la loi et à ses amendements. On peut comprendre que le holding pédagogique soutienne dans un premier temps le gouvernement, mais avec l’immense majorité du monde scolaire contre ainsi qu’une bonne partie de la population, après l’échec évident de ses propositions, comment est-il possible qu’ils aient encore le pouvoir de promouvoir cette réforme absurde ?
RMC : Cette question est liée à la première que je pose, et c’est effectivement quelque chose que nous avons tous soulevé. Est-ce une question de stupidité ou de mauvaise foi ? En fait, beaucoup de ceux qui extérieurement défendent du bout des lèvres la réforme, envoient ensuite leurs enfants dans des écoles religieuses. Voulait-on vraiment, avec la fameuse réforme, promouvoir l’enseignement privé ?
MT : Vous avez été enseignant avant et après la LOGSE, pourriez-vous faire un portrait comparatif des uns et des autres élèves ?
RMC : Le premier enseignement était loin d’être parfait, et dans ses dernières années il a été envahi par la secte pédagogique. Mais il y a des différences manifestes. Pour commencer, un enfant qui avait l’EGB (Educación General Básica) à quatorze ans en savait plus que celui qui termine aujourd’hui l’ESO (Educación Secundaria Obligatoria) à seize ans. Dans la première année du bachillerato actuel (16 à 18 ans) (qui correspond à la troisième année dans l’ancien bachillerato) il faut enseigner des choses qu’un élève de quatorze ans savait auparavant. Dans les facultés de physique et de mathématiques de nombreuses universités espagnoles ont mis en place une prétendue « année zéro » au cours de laquelle on explique des choses très élémentaires mais qui sont nécessaires pour permettre de commencer des études avec un bagage minimal. Avant la réforme cette année n’était pas nécessaire. Après la réforme elle était indispensable. Et les grossièretés qu’un élève peut lâcher en toute impunité en classe aujourd’hui on ne les entendait pas de la part des élèves de l’ancien système.
MT : Il semble que vos imputez à l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans la plus grande partie de la responsabilité de l’échec et le faible niveau des « élèves LOGSE ».
RMC : Oui, en grande partie. Mettre un garçon de plus de douze ans (quand il est complètement ingérable) dans un endroit où il ne veut pas être, est complètement inutile, car il n’y a aucune puissance humaine qui le fasse étudier s’il persiste à ne pas le faire. Et il est impossible de le discipliner parce que l’expulsion pour lui, c’est une récompense, pas une punition. Et ce qui est pire, il s’ennuiera, il se comportera mal et il s’ensuivra que les autres ne pourront pas apprendre dans ces conditions. Le professeur doit interrompre son explication quatre ou cinq fois par minute pour exiger le silence et doit aussi parler fort pour se faire entendre par-dessus le bruit des perturbateurs. Il est très difficile de suivre une explication entrecoupée, donnée en criant et avec un bruit de fond constant. Donc, il est très courant qu’un élève qui a de l’intérêt pour l’étude de jeter l’éponge. L’intérêt pour l’étude, à douze, treize ou quatorze ans, est toujours une vertu très fragile et il est très facile pour cette raison que cette vertu disparaisse lorsque l’environnement de la classe est si peu propice à la maintenir. Avoir enfermé dans des salles de classe celui qui ne veut pas y être, appauvrit de telle façon le climat scolaire que cela met en danger l’avenir de ceux qui veulent étudier. Quand j’affirme que dès l’âge de douze ans on doit donner la liberté de rester à l’école ou d’apprendre un métier, quelqu’un me dit toujours qu’il est trop tôt pour un élève de décider de son avenir. Certes, il s’agit d’une décision difficile, et qu’un enfant de douze ans ne doit pas prendre de lui-même, il doit être informé par les parents et les professeurs. Mais si vous insistez pour ne pas étudier et qu’on vous oblige à le faire, pour qu’il ne puisse pas se prononcer sur son avenir, tout ce que vous obtenez met en danger l’avenir de ses camarades. En ne le laissant pas décider de son avenir, on le laisse décider de l’avenir des autres. La décision de savoir si un enfant doit ou ne doit pas être obligé d’étudier est fausse : il est impossible, à partir de douze ans, d’obliger quiconque à étudier. Ensuite, le véritable choix est tout à fait différent. Si un élève veut quitter l’école pour apprendre un métier, est-ce qu’on va respecter son souhait, ou va-t-on le garder enfermé pendant quatre ans à s’ennuyer, sans étudier, et en dérangeant les autres ? Et quand enfin il peut quitter l’école et qu’il veut travailler, il sera de la main-d’œuvre non qualifiée, de la chair à main-d’œuvre pas chère pour des employeurs sans scrupules. Si on l’avait laissé apprendre un métier, comme c’était son souhait, il serait plus capable de travailler, au cours de sa formation il aurait été plus heureux, ensuite ses parents aussi, et les élèves qui à cause de lui (et à cause d’autres comme lui) échouaient, auraient fini leurs études avec bonheur.
MT : Qu’en est-il des programmes ? De nombreuses voix appellent à réduire les matières, à se concentrer principalement sur la langue, les mathématiques, les sciences et à mettre de côté beaucoup de matières. Par exemple, dans le domaine de la langue et de la littérature cela a été de passer de 8 heures par semaine à l’école secondaire (divisées en deux matières différentes) à 3 sans réduire le contenu.
RMC : Je pense qu’il y a trop de matières. On doit en avoir moins et qu’elles soient plus rigoureuses et exigeantes. Ce qui a été fait avec la langue et la littérature à l’école secondaire est quelque chose qui fait en appeler à la justice divine. Mais le pire, c’est ceci : nous devons enseigner en deux ans ce que précédemment on enseignait en quatre, et à des élèves moins bien préparés. Je n’exagère pas. Un élève sort maintenant à seize ans, en sachant moins qu’un élève qui avant quittait l’EGB à quatorze ans. Et cela, bien sûr, n’a pas été pris en compte par ceux qui ont élaboré des plans d’études secondaires, parce que ce serait reconnaître l’erreur. Par conséquent, en première année (âge correspondant à la troisième de la vieille école) le professeur de mathématiques doit enseigner des choses comme le calcul avec des nombres décimaux et de la géométrie la plus élémentaire pour permettre aux élèves de suivre le cours. Et le professeur de physique doit faire revoir le système métrique. Choses qui, soit dit en passant, nous n’avons aucune obligation de faire. Si un élève qui a obtenu le diplôme de l’ESO se trouve ne pas avoir le niveau minimum, alors qu’il assigne en justice les créateurs de la réforme, mais l’enseignant qui le reçoit au lycée ne pourrait en être tenu pour responsable. Cependant, nous sommes responsables, mais pour des raisons éthiques, parce que l’élève est une victime du système et non pas un coupable, mais pas parce que nous sommes tenus de le faire professionnellement. Et il est très important de préciser, parce que je l’ai vu écrit dans certains blogs, que si la réforme ne produit pas les résultats escomptés, c’est par la faute d’enseignants comme l’auteur du Pamphlet antipédagogique. Non, si les résultats de la réforme ne sont aussi pas désastreux qu’ils pourraient l’être, c’est parce que la plupart des enseignants nous travaillons au-delà de nos obligations.
MT : Et nous entrevoyons une solution à cela ? Il semble qu’aucun des agents impliqués ne soit pour faire quoi que ce soit.
RMC : Pas à court terme, mais on commence à voir quelques signes encourageants. Beaucoup qui ont soutenu la réforme reconnaissent en privé la bourde monumentale, et quelques-uns (j’ai cité un couple de noms) le reconnaissent en public. Critiquer la réforme de l’éducation était presque un sujet tabou, aujourd’hui c’est fini. On reconnaît également, de plus en plus ouvertement, que le discours des pédagogues est un discours vide, c’est du jargon, c’est du charlatanisme, et que ceux qui manient ce jargon sont ceux qui sont chargés de l’enseignement public. Celui qui n’a plus peur de parler clairement et sans complexes des problèmes, et d’en désigner les coupables, ne les résout pas, mais c’est un premier pas dans la bonne direction.
MT : Qu’en est-il des enseignants ? Il y a sans doute de nombreuses questions entourant la préparation des enseignants : leur préparation, le mode d’accès au fonctionnariat ou le problème de la formation continue, avec cette méthode absurde de valoriser les stages où on n’apprend rien.
RMC : À mon avis, la formation des professeurs de mathématiques incombe exclusivement à la faculté de mathématiques, ainsi que la littérature relève uniquement de la philologie. La faculté des sciences de l’éducation ne doit rien à voir là-dedans. Les stages de CAP (certificat d’aptitude pédagogique) je les supprimerais d’un trait de plume, personne n’est meilleur ni pire enseignant s’il ne les a pas faits. L’accès à l’enseignement doit être fait par voie de concours ouvert, et contrairement à ce qui est dit, préparer les concours de professeur est une expérience fabuleuse. Vous devez revenir sur les livres et les notes que vous avez utilisés lors de la formation, avec une vue plus critique, et vous débrouillez par vous-mêmes pour apprendre des choses que personne vous a enseigné. Pour autant que mon expérience ait une valeur, j’ai terminé mon diplôme en 1973 et gagné la chaire en 1975 ans, et je peux vous assurer que dans ces deux années, j’ai appris plus que dans les cinq précédentes. Je ne vais pas vous dire que j’ai appris beaucoup de choses, parce que j’en connais peu, mais beaucoup du peu que je sais je le dois à ces deux années d’études. Et si après avoir réussi le concours, un enseignant a besoin d’une orientation pour continuer à apprendre, il doit aller à l’université, il peut faire une thèse, il peut s’inscrire à des cours qui pourraient faire à l’époque, vous pouvez faire un autre diplôme, vous pouvez faire beaucoup de choses, mais aucun cours n’est absolument inutile. La vérité est qu’on supprimerait également les CEP (Centro del profesorado), et on ferait que la formation au professorat (non universitaire) dépendrait également de l’université. Et celui qui ne veut pas continuer à apprendre, puisqu’il ne le veut pas, il aura d’autres intérêt, mais on ne le forcera pas faire des stages qui ne lui apprendront pas beaucoup plus.
Quant à être un bon enseignant, ce n’est pas quelque chose qui peut être enseigné. Par ailleurs, cela dépend largement de la mémoire. Oui, cela semble incroyable, mais c’est ça. Chaque fois que j’ai eu un professeur incompétent (et j’en ai eu assez) j’ai admiré sa mémoire défaillante : comment quelqu’un peut-il oublier si vite les choses qui l’ont dérangé chez ses mauvais enseignants ? Ou bien est-ce que ce monsieur n’a jamais été étudiant ? Les enseignants tombent dans les erreurs qu’ils critiquaient très probablement chez leurs mauvais enseignants. Pourquoi les erreurs se reproduisent-elles si facilement ? En raison de la mauvaise mémoire. À une occasion, à mi-année, j’ai eu à prendre en charge à la Faculté de mathématiques les cours de méthodologie, à cause de la mort soudaine du professeur Miguel de Guzmán (dont tous ceux qui aiment les mathématiques se rappellent l’enseignement avec respect). Les critiques que j’ai entendues de ces étudiants sur la manière d’expliquer de beaucoup de professeurs étaient identiques à celles que j’avais faites il y a trente ans. Alors j’ai proposé l’exercice suivant : prenez un morceau de papier et divisez-le en trois colonnes. Une fois que vous faites un effort de mémoire et commencez à vous rappeler tous les enseignants que vous avez eus. Les meilleurs vous allez les mettre dans la colonne de gauche, les très mauvais, dans celle de droite, et ceux moitié-moitié, au centre. Lorsque la mémoire ne donne plus rien, commencez à réfléchir et demandez-vous quelles sont les qualités qui ont fait les bons et les défauts qui ont fait que les mauvais étaient mauvais. Quelles sont les choses qui devraient s’améliorer, ou quelles limitations devraient dépasser ceux de la colonne du milieu ? En outre, si deux élèves ont été camarades depuis l’école et, avec quelques différences, ont eu les mêmes professeurs, ils peuvent faire ça ensemble, et c’est beaucoup plus instructif. Cet exercice, celui d’expliciter ce qui fait qu’un professeur est bon, est plus instructif que les stages, dans lesquels la plupart du temps, l’on a une honte pour autrui devant les cours de celui qui les donne. Un bon enseignant est celui qui s’efforce d’être meilleur que les bons enseignants qu’il a eus, et si ce n’est pas possible, d’au moins les imiter. Les bons professeurs sont ceux qui font que dans la génération suivante il y ait de bons professeurs, pas les pédagogues, ni les experts ni les conseillers.
Ricardo Moreno Castillo est un de ceux qui a le plus défendu l’École devant les attaques.
Il est l’aiteur du Pamphlet antipédogogique, issu de son site et qui était consultable en ligne.
http://www.antipedagogico.com/
http://casitodoestaenloslibros.blogspot.fr/2012/05/panfleto-antipedagogico-de-ricardo.html
Entretien avec Ricardo Moreno Castillo
http://librodenotas.com/entrevistas/9669/entrevista-a-ricardo-moreno-castillo
Ricardo Moreno Castillo a publié le Pamphlet anti-pédagogique initialement sur l’Internet, où il a obtenu une diffusion rapide et de multiples soutiens. Il y dénonçait la situation de l’enseignement provoquée par la LOGSE, une loi qui, à son avis sape le principe le plus fondamental de l’éducation. Chef de département depuis 1975, il a publié de nombreux livres et est professeur à la Faculté de Mathématiques de l’Université complutense de Madrid. Sa détermination à repousser les pédagogues hors de l’enseignement est partagée par des milliers d’enseignants qui doivent quotidiennement appliquer leurs théories invraisemblables à une pratique de plus en plus dure. Aujourd’hui le Pamphlet est publié sur papier, augmenté et amélioré et son auteur conserve un blog de soutien pour le livre.
Marcos Taracido : L’impact sur l’Internet de la première version du Pamphlet a été un succès retentissant et il semble que les ventes de livres font de même... en outre, le consensus parmi les enseignants corrobore qu’ils soutiennent toutes les revendications que vous exposez dans le livre. Cependant, cet apparent consensus écrasant sur les questions d’éducation et sur leurs solutions n’est pas concrétisé dans les réformes pratiques et les politiciens approuvent des réformes qui ne se confrontent pratiquement pas à une seule des revendications, et les peu nombreux qui résistent à son approbation sont distraits par d’autres questions.
Ricardo Moreno Castillo : Oui, c’est incroyable, une si grande surdité à une clameur quasi unanime. Il est difficile de connaître les raisons pour lesquelles il en est ainsi. Même si je pense, que ce serait profitable électoralement pour le Parti socialiste de reconnaître une fois son erreur monumentale et qu’il la rectifie.
MT : Je ne pense pas que ce sera le cas. Les timides réformes ne vont pas dans ce sens, et toutes les déclarations des membres du gouvernement inclinent maintes fois vers les mêmes clichés et excuses. Et dans le domaine pédagogique on lit toujours les mêmes déclarations qu’il y a 15 ans sur l’échec scolaire, qui accusent toujours le manque de savoir-faire motivant des enseignants.
RMC : En effet, le manque de savoir-faire, et que « nous n’avons pas réussi à changer notre mentalité », et que nous avons la nostalgie du passé. Il est plus facile de blâmer l’échec d’une loi à cause de facteurs conjoncturels que la loi elle-même. On impute la responsabilité également à la présence massive d’immigrants, ce qui est une infamie et une erreur. Une infamie parce que le blâme pour la détérioration de l’éducation des migrants est une façon comme une autre de promouvoir le racisme. Et une erreur, car un immigrant a un cerveau de la même qualité que celui d’un autochtone. Si un immigrant veut étudier sérieusement il a besoin d’exactement la même chose qu’un Espagnol qui veut étudier sérieusement : une atmosphère de silence, de la rigueur et de la discipline. Et si un immigrant ne veut pas étudier, si on le met de force dans une salle de classe, son comportement sera exactement le même que celui d’un autochtone qui ne veut pas étudier et qui est mis de force dans une classe : il dérangera, gênera le travail du professeur et ne laissera pas étudier les élèves qui le veulent. Non, ce ne sont pas des facteurs extrinsèques qui ont fait échouer la réforme de l’éducation, c’est que cela a été une bêtise monumentale et en outre ce n’était pas si difficile de prédire ce qu’elle allait être. Le reconnaitront-ils un jour ces hommes politiques qui ont voté pour la réforme ? Je ne sais pas. Pour l’instant, Jordi Pujol l’a fait. Récemment, lors d’une conférence au Colegio de Licenciados, il a reconnu que la LOGSE était une erreur et que l’avoir soutenue était une erreur de sa part. En fait, sur le site du Centre d’Estudis Jordi-Pujol on recommande le Pamphlet antipédagogique. Et celui qui veut discréditer ce soutien en disant que Pujol est un réactionnaire et de droite, qu’il pense que c’était aussi un réactionnaire et de droite quand il a soutenu la LOGSE.
MT : La LOGSE était une réforme socialiste, et depuis lors, toute critique de la loi est directement associée à la droite. La dialectique politique semble s’être répandue dans toute la société, et nous sommes immergés dans ce manichéisme simpliste : avez-vous perdu beaucoup de temps à expliquer que votre critique vient de la gauche?
RMC : C’est vrai, il y a ceux qui me traitent de conservateur ou de nostalgique. Fait intéressant, c’est une attaque très similaire à celle que faisaient les autorités franquistes à ceux qui luttaient contre la dictature : « Vous aspirez à la République, vous êtes nostalgiques de la démocratie. » Mais la vérité c’est que, en général, la gauche a compris tout de suite que cette réforme privilégie ceux qui peuvent se permettre une école d’élite et en revanche pénalise les enfants des classes les moins aisées, car ce qui n’apprennent pas à l’école, ils ne l’apprennent pas ailleurs. Aujourd’hui, c’est déjà difficile d’apprendre, si ce n’est avec un progressiste très désorienté, qu’on traite de fasciste car il exige de la discipline en classe ou car il soutient qu’on doit inculquer l’habitude du travail aux élèves.
MT : Je ne suis pas totalement sûr de ça, il semble que la société évolue vers la mise sur un piédestal de l’enfant dans le pire sens du terme : celui de lui conférer l’irresponsabilité absolue, qquelque chose de totalement contre la société compétitive à laquelle ils vont se confronter quand ils deviendront adultes. Nous voyons très souvent que ce sont les parents qui protègent leurs enfants et qui se protègent avec ce type d’éducation pour se placer contre les professeurs et pour justifier toutes les décisions de leurs enfants. Par exemple, dans le livre vous proposez que le professeur porte plainte dans un commissariat à cause du boycottage et des insultes de ses élèves... J’ai l’impression que c’est chose impossible, non seulement parce que la Justice n’en ferait aucun cas, mais aussi parce que l’environnement éducatif deviendrait irrespirable.
RMC : Vous pouvez avoir raison, mais cette attitude des parents est plus du laisser-aller et de la lassitude qu’un progressisme d’opérette. Vous dites que dénoncer les boycotteurs est impensable. Le tout serait de créer un mouvement important et que les plaintes soient accumulées. Si l’éducation est un droit, sa violation est un crime. Et si elle n’est pas traitée en tant que telle, il n’est pas vrai que l’éducation soit un droit protégé et soutenu par l’État.
MT : Le Pamphlet déclare son intention de convaincre, mais peut-être qu’ici commencent et finissent ses limites : il sera lu par les convaincus, et les quelques-uns qui ne sont pas encore convaincus réfuteront ses arguments. Peut-être que vous allez rater une proposition directe de révolution, une proposition d’action directe qui vise à arrêter et inverser les choses.
RMC : Pour organiser une action directe il faut quelqu’un avec la capacité de leadership, qualité qui me manque. J’ai reçu de nombreux courriels de collègues qui l’ont lu, et ce qu’ils me racontent me fait penser que le pamphlet peut être utile pour deux raisons. Certains disent qu’ils trouvent clairement exprimé ce qu’ils avaient toujours pensé. C’est sa première utilité : fournir des arguments à ceux qui sont déjà convaincus. D’autres disent que désormais ils se sentiraient plus libres de critiquer le système éducatif sans renoncer à leur position de gauche. Curieusement, il y avait ceux qui avaient mauvaise conscience de désapprouver une loi qui avait été présentée comme si progressiste. Et c’est peut-être sa deuxième utilité : rassurer ceux qui, se sentant à gauche, sont en désaccord avec la réforme de l’éducation.
Maintenant les fanatiques de la réforme, ceux qui « croient » en elle (comme si une loi, au lieu d’être un produit humain, était une religion), ceux qui ont un rôle important en contrôlant le jargon pédagogique, ceux-là ne seront jamais convaincus.
MT : En tout cas il y a quelque chose de très difficile à comprendre dans tout cela, et c’est quelque chose qui a une incidence, c’est le manque réel d’opposition à la loi et à ses amendements. On peut comprendre que le holding pédagogique soutienne dans un premier temps le gouvernement, mais avec l’immense majorité du monde scolaire contre ainsi qu’une bonne partie de la population, après l’échec évident de ses propositions, comment est-il possible qu’ils aient encore le pouvoir de promouvoir cette réforme absurde ?
RMC : Cette question est liée à la première que je pose, et c’est effectivement quelque chose que nous avons tous soulevé. Est-ce une question de stupidité ou de mauvaise foi ? En fait, beaucoup de ceux qui extérieurement défendent du bout des lèvres la réforme, envoient ensuite leurs enfants dans des écoles religieuses. Voulait-on vraiment, avec la fameuse réforme, promouvoir l’enseignement privé ?
MT : Vous avez été enseignant avant et après la LOGSE, pourriez-vous faire un portrait comparatif des uns et des autres élèves ?
RMC : Le premier enseignement était loin d’être parfait, et dans ses dernières années il a été envahi par la secte pédagogique. Mais il y a des différences manifestes. Pour commencer, un enfant qui avait l’EGB (Educación General Básica) à quatorze ans en savait plus que celui qui termine aujourd’hui l’ESO (Educación Secundaria Obligatoria) à seize ans. Dans la première année du bachillerato actuel (16 à 18 ans) (qui correspond à la troisième année dans l’ancien bachillerato) il faut enseigner des choses qu’un élève de quatorze ans savait auparavant. Dans les facultés de physique et de mathématiques de nombreuses universités espagnoles ont mis en place une prétendue « année zéro » au cours de laquelle on explique des choses très élémentaires mais qui sont nécessaires pour permettre de commencer des études avec un bagage minimal. Avant la réforme cette année n’était pas nécessaire. Après la réforme elle était indispensable. Et les grossièretés qu’un élève peut lâcher en toute impunité en classe aujourd’hui on ne les entendait pas de la part des élèves de l’ancien système.
MT : Il semble que vos imputez à l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans la plus grande partie de la responsabilité de l’échec et le faible niveau des « élèves LOGSE ».
RMC : Oui, en grande partie. Mettre un garçon de plus de douze ans (quand il est complètement ingérable) dans un endroit où il ne veut pas être, est complètement inutile, car il n’y a aucune puissance humaine qui le fasse étudier s’il persiste à ne pas le faire. Et il est impossible de le discipliner parce que l’expulsion pour lui, c’est une récompense, pas une punition. Et ce qui est pire, il s’ennuiera, il se comportera mal et il s’ensuivra que les autres ne pourront pas apprendre dans ces conditions. Le professeur doit interrompre son explication quatre ou cinq fois par minute pour exiger le silence et doit aussi parler fort pour se faire entendre par-dessus le bruit des perturbateurs. Il est très difficile de suivre une explication entrecoupée, donnée en criant et avec un bruit de fond constant. Donc, il est très courant qu’un élève qui a de l’intérêt pour l’étude de jeter l’éponge. L’intérêt pour l’étude, à douze, treize ou quatorze ans, est toujours une vertu très fragile et il est très facile pour cette raison que cette vertu disparaisse lorsque l’environnement de la classe est si peu propice à la maintenir. Avoir enfermé dans des salles de classe celui qui ne veut pas y être, appauvrit de telle façon le climat scolaire que cela met en danger l’avenir de ceux qui veulent étudier. Quand j’affirme que dès l’âge de douze ans on doit donner la liberté de rester à l’école ou d’apprendre un métier, quelqu’un me dit toujours qu’il est trop tôt pour un élève de décider de son avenir. Certes, il s’agit d’une décision difficile, et qu’un enfant de douze ans ne doit pas prendre de lui-même, il doit être informé par les parents et les professeurs. Mais si vous insistez pour ne pas étudier et qu’on vous oblige à le faire, pour qu’il ne puisse pas se prononcer sur son avenir, tout ce que vous obtenez met en danger l’avenir de ses camarades. En ne le laissant pas décider de son avenir, on le laisse décider de l’avenir des autres. La décision de savoir si un enfant doit ou ne doit pas être obligé d’étudier est fausse : il est impossible, à partir de douze ans, d’obliger quiconque à étudier. Ensuite, le véritable choix est tout à fait différent. Si un élève veut quitter l’école pour apprendre un métier, est-ce qu’on va respecter son souhait, ou va-t-on le garder enfermé pendant quatre ans à s’ennuyer, sans étudier, et en dérangeant les autres ? Et quand enfin il peut quitter l’école et qu’il veut travailler, il sera de la main-d’œuvre non qualifiée, de la chair à main-d’œuvre pas chère pour des employeurs sans scrupules. Si on l’avait laissé apprendre un métier, comme c’était son souhait, il serait plus capable de travailler, au cours de sa formation il aurait été plus heureux, ensuite ses parents aussi, et les élèves qui à cause de lui (et à cause d’autres comme lui) échouaient, auraient fini leurs études avec bonheur.
MT : Qu’en est-il des programmes ? De nombreuses voix appellent à réduire les matières, à se concentrer principalement sur la langue, les mathématiques, les sciences et à mettre de côté beaucoup de matières. Par exemple, dans le domaine de la langue et de la littérature cela a été de passer de 8 heures par semaine à l’école secondaire (divisées en deux matières différentes) à 3 sans réduire le contenu.
RMC : Je pense qu’il y a trop de matières. On doit en avoir moins et qu’elles soient plus rigoureuses et exigeantes. Ce qui a été fait avec la langue et la littérature à l’école secondaire est quelque chose qui fait en appeler à la justice divine. Mais le pire, c’est ceci : nous devons enseigner en deux ans ce que précédemment on enseignait en quatre, et à des élèves moins bien préparés. Je n’exagère pas. Un élève sort maintenant à seize ans, en sachant moins qu’un élève qui avant quittait l’EGB à quatorze ans. Et cela, bien sûr, n’a pas été pris en compte par ceux qui ont élaboré des plans d’études secondaires, parce que ce serait reconnaître l’erreur. Par conséquent, en première année (âge correspondant à la troisième de la vieille école) le professeur de mathématiques doit enseigner des choses comme le calcul avec des nombres décimaux et de la géométrie la plus élémentaire pour permettre aux élèves de suivre le cours. Et le professeur de physique doit faire revoir le système métrique. Choses qui, soit dit en passant, nous n’avons aucune obligation de faire. Si un élève qui a obtenu le diplôme de l’ESO se trouve ne pas avoir le niveau minimum, alors qu’il assigne en justice les créateurs de la réforme, mais l’enseignant qui le reçoit au lycée ne pourrait en être tenu pour responsable. Cependant, nous sommes responsables, mais pour des raisons éthiques, parce que l’élève est une victime du système et non pas un coupable, mais pas parce que nous sommes tenus de le faire professionnellement. Et il est très important de préciser, parce que je l’ai vu écrit dans certains blogs, que si la réforme ne produit pas les résultats escomptés, c’est par la faute d’enseignants comme l’auteur du Pamphlet antipédagogique. Non, si les résultats de la réforme ne sont aussi pas désastreux qu’ils pourraient l’être, c’est parce que la plupart des enseignants nous travaillons au-delà de nos obligations.
MT : Et nous entrevoyons une solution à cela ? Il semble qu’aucun des agents impliqués ne soit pour faire quoi que ce soit.
RMC : Pas à court terme, mais on commence à voir quelques signes encourageants. Beaucoup qui ont soutenu la réforme reconnaissent en privé la bourde monumentale, et quelques-uns (j’ai cité un couple de noms) le reconnaissent en public. Critiquer la réforme de l’éducation était presque un sujet tabou, aujourd’hui c’est fini. On reconnaît également, de plus en plus ouvertement, que le discours des pédagogues est un discours vide, c’est du jargon, c’est du charlatanisme, et que ceux qui manient ce jargon sont ceux qui sont chargés de l’enseignement public. Celui qui n’a plus peur de parler clairement et sans complexes des problèmes, et d’en désigner les coupables, ne les résout pas, mais c’est un premier pas dans la bonne direction.
MT : Qu’en est-il des enseignants ? Il y a sans doute de nombreuses questions entourant la préparation des enseignants : leur préparation, le mode d’accès au fonctionnariat ou le problème de la formation continue, avec cette méthode absurde de valoriser les stages où on n’apprend rien.
RMC : À mon avis, la formation des professeurs de mathématiques incombe exclusivement à la faculté de mathématiques, ainsi que la littérature relève uniquement de la philologie. La faculté des sciences de l’éducation ne doit rien à voir là-dedans. Les stages de CAP (certificat d’aptitude pédagogique) je les supprimerais d’un trait de plume, personne n’est meilleur ni pire enseignant s’il ne les a pas faits. L’accès à l’enseignement doit être fait par voie de concours ouvert, et contrairement à ce qui est dit, préparer les concours de professeur est une expérience fabuleuse. Vous devez revenir sur les livres et les notes que vous avez utilisés lors de la formation, avec une vue plus critique, et vous débrouillez par vous-mêmes pour apprendre des choses que personne vous a enseigné. Pour autant que mon expérience ait une valeur, j’ai terminé mon diplôme en 1973 et gagné la chaire en 1975 ans, et je peux vous assurer que dans ces deux années, j’ai appris plus que dans les cinq précédentes. Je ne vais pas vous dire que j’ai appris beaucoup de choses, parce que j’en connais peu, mais beaucoup du peu que je sais je le dois à ces deux années d’études. Et si après avoir réussi le concours, un enseignant a besoin d’une orientation pour continuer à apprendre, il doit aller à l’université, il peut faire une thèse, il peut s’inscrire à des cours qui pourraient faire à l’époque, vous pouvez faire un autre diplôme, vous pouvez faire beaucoup de choses, mais aucun cours n’est absolument inutile. La vérité est qu’on supprimerait également les CEP (Centro del profesorado), et on ferait que la formation au professorat (non universitaire) dépendrait également de l’université. Et celui qui ne veut pas continuer à apprendre, puisqu’il ne le veut pas, il aura d’autres intérêt, mais on ne le forcera pas faire des stages qui ne lui apprendront pas beaucoup plus.
Quant à être un bon enseignant, ce n’est pas quelque chose qui peut être enseigné. Par ailleurs, cela dépend largement de la mémoire. Oui, cela semble incroyable, mais c’est ça. Chaque fois que j’ai eu un professeur incompétent (et j’en ai eu assez) j’ai admiré sa mémoire défaillante : comment quelqu’un peut-il oublier si vite les choses qui l’ont dérangé chez ses mauvais enseignants ? Ou bien est-ce que ce monsieur n’a jamais été étudiant ? Les enseignants tombent dans les erreurs qu’ils critiquaient très probablement chez leurs mauvais enseignants. Pourquoi les erreurs se reproduisent-elles si facilement ? En raison de la mauvaise mémoire. À une occasion, à mi-année, j’ai eu à prendre en charge à la Faculté de mathématiques les cours de méthodologie, à cause de la mort soudaine du professeur Miguel de Guzmán (dont tous ceux qui aiment les mathématiques se rappellent l’enseignement avec respect). Les critiques que j’ai entendues de ces étudiants sur la manière d’expliquer de beaucoup de professeurs étaient identiques à celles que j’avais faites il y a trente ans. Alors j’ai proposé l’exercice suivant : prenez un morceau de papier et divisez-le en trois colonnes. Une fois que vous faites un effort de mémoire et commencez à vous rappeler tous les enseignants que vous avez eus. Les meilleurs vous allez les mettre dans la colonne de gauche, les très mauvais, dans celle de droite, et ceux moitié-moitié, au centre. Lorsque la mémoire ne donne plus rien, commencez à réfléchir et demandez-vous quelles sont les qualités qui ont fait les bons et les défauts qui ont fait que les mauvais étaient mauvais. Quelles sont les choses qui devraient s’améliorer, ou quelles limitations devraient dépasser ceux de la colonne du milieu ? En outre, si deux élèves ont été camarades depuis l’école et, avec quelques différences, ont eu les mêmes professeurs, ils peuvent faire ça ensemble, et c’est beaucoup plus instructif. Cet exercice, celui d’expliciter ce qui fait qu’un professeur est bon, est plus instructif que les stages, dans lesquels la plupart du temps, l’on a une honte pour autrui devant les cours de celui qui les donne. Un bon enseignant est celui qui s’efforce d’être meilleur que les bons enseignants qu’il a eus, et si ce n’est pas possible, d’au moins les imiter. Les bons professeurs sont ceux qui font que dans la génération suivante il y ait de bons professeurs, pas les pédagogues, ni les experts ni les conseillers.
- ParatgeNeoprof expérimenté
Deux ajouts, des textes qui ont été déjà mentionnés sur Neoprofs, mais qui sont dans la même critique des réformes espagnoles :
« Permettez-moi de vous tutoyer, imbéciles » par Arturo Pérez-Reverte
http://www.perezreverte.com/articulo/patentes-corso/178/permitidme-tutearos-imbeciles/
Bande de Rapetou, les uns et les autres.
Recueil de proverbes puristes analphabètes de droite.
Démagogues illettrés de gauche.
Président de ce Gouvernement.
Ex-président de l’autre. Chef de l’opposition pathétique. Secrétaires généraux des partis nationaux ou des partis régionaux. Ministres et ex-ministres – ici je préciserai hommes et femmes ministres – de l’Éducation et de la Culture. Conseillers divers. Etc.
Je ne veux pas que finisse le mois sans te mettre plus bas que terre – le tutoiement est délibéré. Et je veux vous mettre plus bas que terre tous autant que vous êtes qui avez eu dans vos mains infâmes l’enseignement public dans les vingt ou trente dernières années. Tous autant que vous êtes avez rendu possible que cet auto-satisfait pays de merde est encore plus un pays de merde.
Je parle de vous, abrutis irresponsables, qui avez extirpé des salles de classe le latin, le grec, l’Histoire, la Littérature, la Géographie, l’analyse intelligente, la capacité de lire et donc de comprendre le monde, sciences incluses.
Vous qui, par incompétence et sans vergogne, êtes coupables que l’Espagne figure parmi les pays les plus incultes d’Europe, nos jeunes manquent de compréhension de la lecture, les écoles privées s’éloignent chaque fois plus des écoles publiques dans la qualité de l’enseignement et les élèves sont en dessous de la moyenne dans toutes les matières évaluées.
Mais la pire chose ce n’est pas ça. Ce qui me fait bouillir c’est votre impunité arrogante, votre absence d’autocritique et votre entêtement de ploucs.
Ici, comme d’habitude, personne n’assume sa faute en rien. Il y a moins d’un mois, à la publication des données désolantes du rapport PISA, il a manqué du temps aux sainte-nitouche de Pepe Aznar pour faire reposer la faute sur la Loi Organique Générale du Système Éducatif des socialistes Maravall et Solana (1990) – qui, c’est certain, devraient être pendus après un procès de Nuremberg culturel – en passant sous silence que pendant deux législatures, c’est-à-dire huit ans de gouvernement consécutifs, l’ami Aznar et ses partisans avaient littéralement touché le pompon dans la question de l’Éducation, détruisant l’enseignement public au profit du privé et permettant en échange de compromis électoraux, que chaque cacique de village fasse ses affaires dans chacun des dix-sept autres systèmes éducatifs distincts, étrangers les uns aux autres, avec des effets dévastateurs au Pays basque et en Catalogne.
Et quant au PS qui maintenant nous conduit vers l’Arcadie heureuse, voici les réactions officielles, avec une conseillère à l’Éducation de la Junte d’Andalousie, par exemple, qui après vingt ans de gouvernement ininterrompu dans son fief, où la culture broute le sous-développement, a l’audace de faire porter le chapeau au « retard historique ».
Ou une ministre de l’Éducation, Mme Cabrera, capable d’affirmer, impavide, que les données sont hors de contexte, que les élèves espagnols réussissent à merveille, que « le système éducatif espagnol le fait non seulement bien, mais le fait très bien » et que celui-ci n’a pas échoué parce que « il est capable de répondre aux défis auxquels fait face la société », parmi ceux-ci il y a celui « des jeunes qui ont leur propre langage : le chat et le SMS ». Ça c’est avoir des couilles.
Mais la meilleure c’est la tienne, président, rappelle-moi de te la commenter la prochaine fois que tu vas prendre une photo à l’Académie royale espagnole. Éblouissant, je le jure : « ce qui détermine le plus l’éducation de chaque génération est l’éducation de ses parents », bien que ça non plus ce n’était mal : « nous avons eu beaucoup de générations en Espagne avec un bas rendement éducatif, fruit du pays que nous avons ».
Autrement dit, espèce de lumière : qu’après deux mille ans d’Hispanie gréco-romaine, de Quintilien à Miguel Delibes en passant par Cervantes, Quevedo, Galdós, Clarín ou Machado, les gens bien, les gens cultivés, instruits, ceux qui sortiront finalement l’Espagne du trou, arriveront ces prochaines années, enfin, grâce aux futurs parents heureusement formés par tes ministres et ministresses, tes lois organiques de l’éducation supérieure, tes éducations à la citoyenneté, tes sexe et genre, tes pédagogues baratineurs, ton manque d’autorité dans les salles de classe, ton égalitarisme scolaire dans la médiocrité et ton manque d’encouragement à l’effort, tes universitaires apathiques et tes élèves ayant raté quatre matières qui ont quand même le bac et en avant.
Parce que la faute de ce qui maintenant est sujet à rigolade, la cause d’autant de bêtise, de manque de coordination, de confusion et d’agraphie, ne vient pas des politiciens culturellement plats. Niet.
Ce bas rendement éducatif nous vient d’Ortega y Gasset, de Unamuno, de Cajal, de Menéndez Pidal, de Manuel Seco, de Julián Marías ou de Gregorio Salvador, ou des gens qui ont étudié sous le régime franquiste : Juan Marsé, Muñoz Molina, Carmen Iglesias, José Manuel Sánchez Ron, Ignacio Bosque, Margarita Salas, Luis Mateo Díez, Álvaro Pombo, Francisco Rico et quelques autres illettrés, parents ou pas, parmi lesquels je suis inclus sur le plan des générations.
Quelle peur vous me faites certains, bon Dieu. Sérieusement. Combien est plus dangereux un imbécile qu’un méchant. »
« Permettez-moi de vous tutoyer, imbéciles » par Arturo Pérez-Reverte
http://www.perezreverte.com/articulo/patentes-corso/178/permitidme-tutearos-imbeciles/
Bande de Rapetou, les uns et les autres.
Recueil de proverbes puristes analphabètes de droite.
Démagogues illettrés de gauche.
Président de ce Gouvernement.
Ex-président de l’autre. Chef de l’opposition pathétique. Secrétaires généraux des partis nationaux ou des partis régionaux. Ministres et ex-ministres – ici je préciserai hommes et femmes ministres – de l’Éducation et de la Culture. Conseillers divers. Etc.
Je ne veux pas que finisse le mois sans te mettre plus bas que terre – le tutoiement est délibéré. Et je veux vous mettre plus bas que terre tous autant que vous êtes qui avez eu dans vos mains infâmes l’enseignement public dans les vingt ou trente dernières années. Tous autant que vous êtes avez rendu possible que cet auto-satisfait pays de merde est encore plus un pays de merde.
Je parle de vous, abrutis irresponsables, qui avez extirpé des salles de classe le latin, le grec, l’Histoire, la Littérature, la Géographie, l’analyse intelligente, la capacité de lire et donc de comprendre le monde, sciences incluses.
Vous qui, par incompétence et sans vergogne, êtes coupables que l’Espagne figure parmi les pays les plus incultes d’Europe, nos jeunes manquent de compréhension de la lecture, les écoles privées s’éloignent chaque fois plus des écoles publiques dans la qualité de l’enseignement et les élèves sont en dessous de la moyenne dans toutes les matières évaluées.
Mais la pire chose ce n’est pas ça. Ce qui me fait bouillir c’est votre impunité arrogante, votre absence d’autocritique et votre entêtement de ploucs.
Ici, comme d’habitude, personne n’assume sa faute en rien. Il y a moins d’un mois, à la publication des données désolantes du rapport PISA, il a manqué du temps aux sainte-nitouche de Pepe Aznar pour faire reposer la faute sur la Loi Organique Générale du Système Éducatif des socialistes Maravall et Solana (1990) – qui, c’est certain, devraient être pendus après un procès de Nuremberg culturel – en passant sous silence que pendant deux législatures, c’est-à-dire huit ans de gouvernement consécutifs, l’ami Aznar et ses partisans avaient littéralement touché le pompon dans la question de l’Éducation, détruisant l’enseignement public au profit du privé et permettant en échange de compromis électoraux, que chaque cacique de village fasse ses affaires dans chacun des dix-sept autres systèmes éducatifs distincts, étrangers les uns aux autres, avec des effets dévastateurs au Pays basque et en Catalogne.
Et quant au PS qui maintenant nous conduit vers l’Arcadie heureuse, voici les réactions officielles, avec une conseillère à l’Éducation de la Junte d’Andalousie, par exemple, qui après vingt ans de gouvernement ininterrompu dans son fief, où la culture broute le sous-développement, a l’audace de faire porter le chapeau au « retard historique ».
Ou une ministre de l’Éducation, Mme Cabrera, capable d’affirmer, impavide, que les données sont hors de contexte, que les élèves espagnols réussissent à merveille, que « le système éducatif espagnol le fait non seulement bien, mais le fait très bien » et que celui-ci n’a pas échoué parce que « il est capable de répondre aux défis auxquels fait face la société », parmi ceux-ci il y a celui « des jeunes qui ont leur propre langage : le chat et le SMS ». Ça c’est avoir des couilles.
Mais la meilleure c’est la tienne, président, rappelle-moi de te la commenter la prochaine fois que tu vas prendre une photo à l’Académie royale espagnole. Éblouissant, je le jure : « ce qui détermine le plus l’éducation de chaque génération est l’éducation de ses parents », bien que ça non plus ce n’était mal : « nous avons eu beaucoup de générations en Espagne avec un bas rendement éducatif, fruit du pays que nous avons ».
Autrement dit, espèce de lumière : qu’après deux mille ans d’Hispanie gréco-romaine, de Quintilien à Miguel Delibes en passant par Cervantes, Quevedo, Galdós, Clarín ou Machado, les gens bien, les gens cultivés, instruits, ceux qui sortiront finalement l’Espagne du trou, arriveront ces prochaines années, enfin, grâce aux futurs parents heureusement formés par tes ministres et ministresses, tes lois organiques de l’éducation supérieure, tes éducations à la citoyenneté, tes sexe et genre, tes pédagogues baratineurs, ton manque d’autorité dans les salles de classe, ton égalitarisme scolaire dans la médiocrité et ton manque d’encouragement à l’effort, tes universitaires apathiques et tes élèves ayant raté quatre matières qui ont quand même le bac et en avant.
Parce que la faute de ce qui maintenant est sujet à rigolade, la cause d’autant de bêtise, de manque de coordination, de confusion et d’agraphie, ne vient pas des politiciens culturellement plats. Niet.
Ce bas rendement éducatif nous vient d’Ortega y Gasset, de Unamuno, de Cajal, de Menéndez Pidal, de Manuel Seco, de Julián Marías ou de Gregorio Salvador, ou des gens qui ont étudié sous le régime franquiste : Juan Marsé, Muñoz Molina, Carmen Iglesias, José Manuel Sánchez Ron, Ignacio Bosque, Margarita Salas, Luis Mateo Díez, Álvaro Pombo, Francisco Rico et quelques autres illettrés, parents ou pas, parmi lesquels je suis inclus sur le plan des générations.
Quelle peur vous me faites certains, bon Dieu. Sérieusement. Combien est plus dangereux un imbécile qu’un méchant. »
- ParatgeNeoprof expérimenté
« Une question de classe par ANTONIO MUÑOZ MOLINA.
http://www.revistamercurio.es/index.php/revistas-mercurio-2010/mercurio-125/549-08una-cuestion-de-clase
« Les pédagogues espagnols ont dépouillé plusieurs générations des outils intellectuels pour comprendre le monde »
Les membres de la bien nommée secte pédagogique, bien intégrés dans le système politique espagnol, ont ruiné, en plus de l’école, la partie de la langue qui a trait à l’éducation. Comme c’est le propre des fraudeurs des pseudosciences, ils ont développé un jargon opaque qui cache son vide parfait derrière un simulacre de spécialisation technique. Pour débattre de l’éducation, pour discuter de l’enseignement et de l’apprentissage, avec un peu de rationalité et de profit, la première chose qui est nécessaire est une opération radicale de nettoyage : refuser d’utiliser tout mot ou expression qui ont été inventés ou manipulés par eux ; appeler un chat un chat, éviter les sigles et acronymes parce qu’autrement la langue sera prisonnière du brouillard mental dans lequel l’ont plongée les soi-disant pédagogues ou experts en pédagogie, dont le plus grand succès au cours des trente dernières années a été de dépouiller plusieurs générations des outils intellectuels pour comprendre rationnellement le monde et pour exercer avec souveraineté et responsabilité la citoyenneté. Les politiciens et les pédagogues ont atteint des postes - dans certains cas très élevés - non seulement en dépit de leur profonde ignorance, mais précisément grâce à elle. Il est compréhensible qu’aussi bien les uns et les autres se méfient comme de la peste des personnes ayant une connaissance réelle et qui à tout moment peuvent les démasquer. À cette fin, rien ne leur convient davantage que d’étendre à la société ordinaire l’état de pénurie mentale dans lequel ils vivent. Au pays des aveugles, le borgne est roi. Moins il y aura de personnes pouvant souligner les absurdités que déclament le pédagogue ou le politique, moins de danger il y aura pour que leur manque de formation, leur frivolité ou leur stupidité soient révélés en pleine lumière.
Un des domaines les plus fertiles de la tromperie politique est la manipulation de l’Histoire. Et ce n’est pas une coïncidence si l’Histoire a été une des disciplines, avec la géographie, qui ont fait le plus pour éliminer les pédagogues, avec l’argument étonnant que ce ne sont pas des connaissances qui peuvent être acquises par l’expérience directe. Toutes les castes politiques des autonomies régionales espagnoles, sans exception, ont eu recours à la falsification de l’Histoire au profit de leurs objectifs particuliers d’hégémonie ou de légitimation. En Catalogne les livres parlent volontiers d’une « couronne catalano-aragonaise » qui n’a jamais existé. Dans les îles Canaries, un nationalisme très virulent et très rarement étudié, a répandu deux légendes fondatrices qui n’ont même pas de cohérence entre elles : les cruels envahisseurs péninsulaires exterminèrent sans pitié les Guanches ; les Canariens actuels sont les descendants des Guanches. Le mensonge renforcé par l’ignorance collective peut avoir des conséquences grotesques, mais aussi des conséquences tragiques, ou grotesques et tragiques en même temps : derrière ces tueurs de vingt ans, qui ont heureusement peu d’occasions de tuer au pays Basque, mais qui ont répandu tellement de sang et tellement de douleur, il y a toujours un récit mythologique non atténué par aucune conscience rationnelle ni démenti par la solidité de l’information historique. Et en Andalousie, une société clientéliste et massivement dépouillée d’initiative civique et de dynamisme économique, s’est assoupie dans la complaisance pour une histoire narcissique et imaginaire du passé : terre où vécurent ensemble « les trois cultures » dans une sorte de parc à thème né de l’imagination de quelque conseiller du président Rodríguez Zapatero ou de la ministre Bibiana Aído, passé malléable comme de la pâte à modeler, désossé de toute inconvenance historique, passé multiculturel, divers, non sexiste, vernaculaire.
Sans éducation publique, une société est sans défense contre les charlatans. Certains raconteront (parfois sur les chaînes de radio ou de télévision financées avec l’argent de tous) que le sort du peuple est écrit dans les étoiles et que la date de naissance détermine les inclinations et la caractère ; d’autres, que le monde a été créé par Dieu en six jours, ou que ceux qui ne partagent pas notre foi ne méritent pas de vivre, ou que la source de tous nos malheurs vient du sournois gouvernement central ou de la population de la province d’à côté ; d’autres, que nous avons la chance d’appartenir à un peuple élu, qui depuis des centaines ou des milliers d’années se maintient identique à lui-même malgré les complots incessants de nos ennemis.
Mais peut-être les plus insidieux de charlatans sont ceux qui veulent nous convaincre que nous sommes ce qu’il semble que nous sommes par la naissance et que, sans avoir besoin de rien faire, sans s’efforcer à quoi que ce soit, tout en déployant nos caprices ou nos inclinations, nous pouvons « nous réaliser ». Le charlatan plus dangereux, à cette époque, est celui qui vous dit, comme le prétendent presque toutes les publicités, que « vous » êtes le centre du monde, qu’il vous suffit de demander à cette bouche pour obtenir ce que vous désirez, que ce qui n’est pas divertissant n’est pas intéressant, que vous êtes – autre mot à la mode – « spécial ». À ce stade, à la bande des politiciens et des pédagogues se joint une troisième catégorie d’escrocs : les publicitaires, les soi-disant « créatifs ». J’aime regarder les annonces publicitaires et ces dernières années s’est imposée leur mode de flatter un « vous » qui apparemment exerce sa joviale souveraineté sans faire plus d’efforts que d’ouvrir un certain compte bancaire, que d’acheter certains types de mobiles, que de faire du tourisme dans une région autonome particulière, etc. « Vous êtes le héros », « Bienvenue à vous dans l’univers », « L’Andalousie vous aime », « Madrid est folle de vous ».
La culture du narcissisme illusoire correspond à la parfaite insignifiance politique et plus grande sera l’ignorance, plus réduits seront les outils d’émancipation.
Car ici, comme dans tout, se trouve sous-jacente une question de classe : les pauvres, les immigrants, les défavorisés, sont ceux qui ont le plus besoin de l’école pour avancer socialement, pour découvrir et développer leurs propres capacités, pour trouver une place équitable dans le monde. Les privilégiés s’occupent déjà de donner à leurs enfants les avantages éducatifs et les réseaux qui leur permettront de trouver leur place. Ce que je pardonne le moins aux politiciens et aux pédagogues espagnols, c’est que, au nom d’un égalitarisme démagogique, ils ont renforcé outrageusement l’inégalité. »
http://www.revistamercurio.es/index.php/revistas-mercurio-2010/mercurio-125/549-08una-cuestion-de-clase
« Les pédagogues espagnols ont dépouillé plusieurs générations des outils intellectuels pour comprendre le monde »
Les membres de la bien nommée secte pédagogique, bien intégrés dans le système politique espagnol, ont ruiné, en plus de l’école, la partie de la langue qui a trait à l’éducation. Comme c’est le propre des fraudeurs des pseudosciences, ils ont développé un jargon opaque qui cache son vide parfait derrière un simulacre de spécialisation technique. Pour débattre de l’éducation, pour discuter de l’enseignement et de l’apprentissage, avec un peu de rationalité et de profit, la première chose qui est nécessaire est une opération radicale de nettoyage : refuser d’utiliser tout mot ou expression qui ont été inventés ou manipulés par eux ; appeler un chat un chat, éviter les sigles et acronymes parce qu’autrement la langue sera prisonnière du brouillard mental dans lequel l’ont plongée les soi-disant pédagogues ou experts en pédagogie, dont le plus grand succès au cours des trente dernières années a été de dépouiller plusieurs générations des outils intellectuels pour comprendre rationnellement le monde et pour exercer avec souveraineté et responsabilité la citoyenneté. Les politiciens et les pédagogues ont atteint des postes - dans certains cas très élevés - non seulement en dépit de leur profonde ignorance, mais précisément grâce à elle. Il est compréhensible qu’aussi bien les uns et les autres se méfient comme de la peste des personnes ayant une connaissance réelle et qui à tout moment peuvent les démasquer. À cette fin, rien ne leur convient davantage que d’étendre à la société ordinaire l’état de pénurie mentale dans lequel ils vivent. Au pays des aveugles, le borgne est roi. Moins il y aura de personnes pouvant souligner les absurdités que déclament le pédagogue ou le politique, moins de danger il y aura pour que leur manque de formation, leur frivolité ou leur stupidité soient révélés en pleine lumière.
Un des domaines les plus fertiles de la tromperie politique est la manipulation de l’Histoire. Et ce n’est pas une coïncidence si l’Histoire a été une des disciplines, avec la géographie, qui ont fait le plus pour éliminer les pédagogues, avec l’argument étonnant que ce ne sont pas des connaissances qui peuvent être acquises par l’expérience directe. Toutes les castes politiques des autonomies régionales espagnoles, sans exception, ont eu recours à la falsification de l’Histoire au profit de leurs objectifs particuliers d’hégémonie ou de légitimation. En Catalogne les livres parlent volontiers d’une « couronne catalano-aragonaise » qui n’a jamais existé. Dans les îles Canaries, un nationalisme très virulent et très rarement étudié, a répandu deux légendes fondatrices qui n’ont même pas de cohérence entre elles : les cruels envahisseurs péninsulaires exterminèrent sans pitié les Guanches ; les Canariens actuels sont les descendants des Guanches. Le mensonge renforcé par l’ignorance collective peut avoir des conséquences grotesques, mais aussi des conséquences tragiques, ou grotesques et tragiques en même temps : derrière ces tueurs de vingt ans, qui ont heureusement peu d’occasions de tuer au pays Basque, mais qui ont répandu tellement de sang et tellement de douleur, il y a toujours un récit mythologique non atténué par aucune conscience rationnelle ni démenti par la solidité de l’information historique. Et en Andalousie, une société clientéliste et massivement dépouillée d’initiative civique et de dynamisme économique, s’est assoupie dans la complaisance pour une histoire narcissique et imaginaire du passé : terre où vécurent ensemble « les trois cultures » dans une sorte de parc à thème né de l’imagination de quelque conseiller du président Rodríguez Zapatero ou de la ministre Bibiana Aído, passé malléable comme de la pâte à modeler, désossé de toute inconvenance historique, passé multiculturel, divers, non sexiste, vernaculaire.
Sans éducation publique, une société est sans défense contre les charlatans. Certains raconteront (parfois sur les chaînes de radio ou de télévision financées avec l’argent de tous) que le sort du peuple est écrit dans les étoiles et que la date de naissance détermine les inclinations et la caractère ; d’autres, que le monde a été créé par Dieu en six jours, ou que ceux qui ne partagent pas notre foi ne méritent pas de vivre, ou que la source de tous nos malheurs vient du sournois gouvernement central ou de la population de la province d’à côté ; d’autres, que nous avons la chance d’appartenir à un peuple élu, qui depuis des centaines ou des milliers d’années se maintient identique à lui-même malgré les complots incessants de nos ennemis.
Mais peut-être les plus insidieux de charlatans sont ceux qui veulent nous convaincre que nous sommes ce qu’il semble que nous sommes par la naissance et que, sans avoir besoin de rien faire, sans s’efforcer à quoi que ce soit, tout en déployant nos caprices ou nos inclinations, nous pouvons « nous réaliser ». Le charlatan plus dangereux, à cette époque, est celui qui vous dit, comme le prétendent presque toutes les publicités, que « vous » êtes le centre du monde, qu’il vous suffit de demander à cette bouche pour obtenir ce que vous désirez, que ce qui n’est pas divertissant n’est pas intéressant, que vous êtes – autre mot à la mode – « spécial ». À ce stade, à la bande des politiciens et des pédagogues se joint une troisième catégorie d’escrocs : les publicitaires, les soi-disant « créatifs ». J’aime regarder les annonces publicitaires et ces dernières années s’est imposée leur mode de flatter un « vous » qui apparemment exerce sa joviale souveraineté sans faire plus d’efforts que d’ouvrir un certain compte bancaire, que d’acheter certains types de mobiles, que de faire du tourisme dans une région autonome particulière, etc. « Vous êtes le héros », « Bienvenue à vous dans l’univers », « L’Andalousie vous aime », « Madrid est folle de vous ».
La culture du narcissisme illusoire correspond à la parfaite insignifiance politique et plus grande sera l’ignorance, plus réduits seront les outils d’émancipation.
Car ici, comme dans tout, se trouve sous-jacente une question de classe : les pauvres, les immigrants, les défavorisés, sont ceux qui ont le plus besoin de l’école pour avancer socialement, pour découvrir et développer leurs propres capacités, pour trouver une place équitable dans le monde. Les privilégiés s’occupent déjà de donner à leurs enfants les avantages éducatifs et les réseaux qui leur permettront de trouver leur place. Ce que je pardonne le moins aux politiciens et aux pédagogues espagnols, c’est que, au nom d’un égalitarisme démagogique, ils ont renforcé outrageusement l’inégalité. »
- ZenxyaGrand sage
Merci pour ces textes. C'est étonnant , il suffirait de très peu de modifications : acronymes, noms des villes, personnages historiques et politiciens pour l'appliquer directement à la France. (Peut-être pas pour les régions autonomes)
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Zenxya a écrit:Merci pour ces textes. C'est étonnant , il suffirait de très peu de modifications : acronymes, noms des villes, personnages historiques et politiciens pour l'appliquer directement à la France. (Peut-être pas pour les régions autonomes)
En effet, j'aurais peut-être dû publier tout ça sous forme de faux articles français, sous des faux noms et on se croirait dans notre beau pays.
On pourrait dire à Peillon (et à ses conseillers illuminés) exactement les mêmes choses : :lol:
« Les gens bien, les gens cultivés, instruits, ceux qui sortiront finalement la France du trou, arriveront ces prochaines années, enfin, grâce aux futurs parents heureusement formés par tes ministres et ministresses, tes lois organiques de l’éducation supérieure, tes éducations à la citoyenneté, [tes cours de morale], tes sexe et genre, tes pédagogues baratineurs, ton manque d’autorité dans les salles de classe, ton égalitarisme scolaire dans la médiocrité et ton manque d’encouragement à l’effort, tes universitaires apathiques et tes élèves ayant raté quatre matières qui ont quand même le bac et en avant ! »
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