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L’école, savoir, croire et la laïcité Empty L’école, savoir, croire et la laïcité

par Maieu Sam 3 Mar 2012 - 9:48

Le mot « laïcité » suscite toujours des débats polémiques. On a encore pu le constater récemment, après la proposition de François Hollande d’inscrire la loi de 1905 dans la Constitution.
Est-ce à cause d’un manque de clarté des définitions ou, plutôt, parce que l’objet de la discussion n’est pas exactement celui dont on croit parler ?

Les définitions
1° L’école est essentiellement le lieu du savoir. Du savoir collectif. Sa pierre de touche est l’exclusion du croire. Je ne peux pas dire (sauf si je suis le Dom Juan de Molière) « Je crois que deux et deux font (sont) quatre » : je le sais ou je ne le sais pas. Les parents sont prévenus : dès qu’il pousse la porte de l’école, leur enfant entre dans ce monde du savoir et ceux qu’il rencontre sont des « professeurs », qui « déclarent hautement, publiquement, ouvertement » ce savoir qu’ils ont pour mission de transmettre. Il peut être défini comme l’identification d’une connaissance reconnue par la collectivité à un moment donné. Le corollaire est qu’il contient sa propre mise en cause permanente. Savoir, c’est aussi remettre en cause le savoir. La mission du professeur est donc aussi de nature épistémologique. J’apprends un savoir, j’apprends à apprendre, j’apprends à examiner ce qui est appris.
2° Croire ressortit à l’individu. Je crois ou je ne crois pas, quel qu’en soit l’objet et le rapport d’obligation que la collectivité établit avec lui – système théocratique, par exemple. Je peux me réunir avec ceux qui partagent la même croyance, donc donner une dimension sociale à ma croyance qui devient un phénomène religieux, mais, à la différence du savoir, elle ne peut pas recouvrir la collectivité dans son ensemble.
Il n’y a donc pas de rapport possible entre savoir et croire ; ce ne peut jamais être l’un et l’autre, mais l’un ou l’autre. Dans le système républicain laïc, les professeurs sont sélectionnés sur des critères (de savoir) totalement étrangers à toute croyance et on ne demande pas à un enfant ce qu’il croit avant son inscription.
3° La laïcité donne à tous l’accès au savoir et cet accès est un droit. C’est en quoi elle est un choix (politique, philosophique) qui détermine cette démocratisation. Elle est à l’école ce que liberté, égalité, fraternité sont à la république. Ce droit a pour corollaire le devoir de laisser à la porte de l’école le discours individuel de la croyance. Pas plus que le professeur, l’élève ne peut dire pas en classe que l’homme est une création divine ou que la terre est au centre de l’univers.

La problématique
Le dernier objet du savoir
Si savoir et croire sont antinomiques, il est intéressant de noter que, dans le langage courant, quotidien, croire est fréquemment substitué à savoir et à penser, de même qu’opinion et idée sont souvent prises l’une pour l’autre. Cette confusion, apparemment anodine, est le signe d’un conflit sous-jacent qui peut expliquer la virulence du débat que j’évoquais. Ce conflit porte essentiellement sur une question, la seule qui soit a priori exclue du champ du savoir, donc de l’école, et qui reste incluse, pour le moment, dans celui du croire. L’exclusion est implicite et le problème n’est jamais abordé ainsi dans les débats sur la laïcité et l’école.
Cette seule question exclue du champ du savoir de l’école est celle de la mort et de la conscience très tôt manifestée que nous en avons. Rappel d’une évidence, qui n’est pas inutile, compte tenu de la difficulté à aborder ce réel irrémédiablement têtu : la mort et sa conscience sont communes à tous les êtres humains sans exception, quelles que soient leur situation géographique, sociale, leur ethnie, la couleur de leur peau etc. Il n’y en existe pas d’autres qui constituent un réel qui puisse lui être comparé. Elle est la question première et dernière, elle est au centre de la création artistique, de la littérature, de la philosophie, bref, de la vie.
Elle est à l’origine de nos peurs, de nos angoisses qui expliquent le besoin de croire et sa pérennité… si elles ne sont pas à l’origine du verbe lui-même. La mort, notre mort, est si effrayante qu’il est nécessaire de la contourner par des croyances organisées en religions dont l’objet est de fournir un discours d’immortalité, sous des formes diverses : si je crois que je ne meurs pas quand je meurs, ou pas vraiment tout à fait, j’ai moins peur, et si j’ai moins peur, je vis plus sereinement. Ce que l’histoire de l’humanité contredit absolument. Le fanatisme et l’intégrisme – caractéristiques de toutes les religions – sont là pour nous rappeler que croire n’est qu’un leurre qui peut se révéler dangereux pour nous-mêmes et les autres.
Le contenu
Un ministre de l’Education Nationale proposant que la mort soit reconnue comme partie intégrante du champ du savoir – autrement dit, qu’elle soit enseignée, au même titre que tout le reste – soulèverait contre lui un tollé d’une ampleur inimaginable : on l’accuserait d’être indécent, dangereux, irréaliste, chimérique…
Il ferait valoir que la mort est une donnée objective, matérielle, observable et analysable, comme tout le reste, qu’elle est un réel dont l’ignorance contribue à empoisonner la vie… Il n’en provoquerait pas moins des haussements d’épaules. Parler de la mort en cours de littérature, de philosophie, de biologie, oui, bon, cela se pratique tous les jours, mais enseigner la mort ! N’importe quoi !
Il se trouverait quand même quelqu’un pour lui demander ce qu’il entend par enseigner la mort. Quel contenu ?
Enseigner la mort, ce n’est pas enseigner ce qui est dit au sujet de la mort, c’est enseigner la mort telle qu’elle est. Mais quel est le contenu du telle quelle est. En d’autres termes, est-il possible de définir la mort telle qu’elle est, faire de la mort un objet de savoir, donc enseignable ? Que dire de plus que : la mort est l’arrêt du cœur, ou, plus précisément encore, un électroencéphalogramme plat ?
Posons la question à l’envers : pourquoi ne pourrions-nous pas définir la mort telle qu’elle est et en faire un objet d’enseignement ?
Pour y répondre, il suffit de considérer les domaines de la connaissance qui sont passés du champ du croire à celui du savoir : la rotondité de la terre, sa place dans l’univers, les phénomènes météorologiques, le fonctionnement organique de notre corps, etc.
Pour chacun de ces objets, le discours premier a été : il n’est pas possible de savoir. Et pourquoi ? Pour des motifs qu’on peut résumer par : les desseins de(s) dieu(x) sont impénétrables et la connaissance est interdite à l’homme, et si savoir est impossible, c’est parce que nous ne voyons que l’apparence, la surface des objets, que le réel est derrière, inaccessible pour les pauvres humains que nous sommes.
Mais pourquoi ces motifs invoqués ? Pourquoi ces interdits ?
L’hypothèse est qu’ils sont, les uns et les autres, des interdits intermédiaires, des chiens de garde dont la fonction est précisément d’interdire le transfert de la question ultime du champ du croire dans celui du savoir. Nos peurs nous jettent dans les jambes (individuelles et collectives) des obstacles pour nous ralentir, nous empêcher de parvenir à aborder cette question ultime.
Nos peurs excellent à brouiller notre vue, notre intelligence, à intervertir les causes et les conséquences, à faire prendre les unes pour les autres. Elles nous persuadent par exemple que si nous avons peur de la mort, c’est parce qu’elle est effrayante.
Et si nous renversions le rapport ?
Essayons : ce n’est pas parce que la mort est effrayante qu’elle me fait peur, mais c’est parce que j’ai peur qu’elle devient effrayante.
Mais si la mort n’est pas effrayante en soi, d’où vient la peur que j’ai d’elle ?
La pente naturelle de notre esprit nous conduit dans un premier temps à refuser le savoir (cf. « Je préfère ne pas savoir »). Savoir est en effet ambivalent : j’ai envie de savoir, oui, et en même temps j’en ai peur, et j’en ai peur parce que le premier discours qu’il me soit donné d’entendre est biologique et il me parle de la mort : les transformations et la mort cellulaires sont constitutives de la vie dans sa genèse même et ces processus chimiques permanents qui vont en s’intensifiant me parlent forcément, et dès la première seconde de mon existence. Discours perturbant parce que les processus de transformations s’accompagnent de souffrances, comme on le constate pour la naissance. Ce discours conditionne forcément la genèse de ma pensée et c’est là, peut-être, tout au début, dès la conception même que se mettent en place les mécanismes qui engendreront les peurs, si je laisse résonner ce discours sans réagir. A contrario, « Si la perception (aisthèsis) n’existe plus (…) quel merveilleux avantage ce doit être de mourir. » dit Socrate quand il explique à ceux des juges qui ne l’ont pas condamné qu’il est vain d’avoir peur de la mort. (Apologie de Socrate 40-d)
Le processus
Enseigner la mort serait donc du même ordre qu’enseigner la naissance. Un simple événement biologique.
La difficulté concerne la conscience. Comment accepter de ne plus être ? Comment enseigner « ne plus être » ?
Est-ce que le professeur de biologie qui enseigne le processus de procréation pose la question de la conscience avant la procréation ? Dans le champ du savoir, la question n’existe pas.
Pourquoi existerait-elle quand il s’agit de la mort ? Qu’est-ce qui peut la poser sinon la peur ? L’endormissement naturel, l’anesthésie ne suscitent pas cette peur parce qu’il y a le réveil escompté. Mais, au fond, nous n’en savons rien. (cf. Socrate à nouveau)
Le pari est le suivant, parce qu’il ne peut s’agir que d’un pari : si la mort telle qu’elle est – une transformation – devient objet d’enseignement, la peur associée disparaîtra.
Le pari commence lentement à être gagné.
L’euthanasie est en voie d’être reconnue comme un droit dans un avenir assez proche. L’opinion, dominante jusqu’ici, selon laquelle l’individu ne peut disposer de sa propre vie au motif qu’elle appartiendrait à un dieu s’estompe. Les peurs associées aussi. Les opposants n’ont plus à faire valoir que l’argument des dérives possibles. Il tombera comme est tombé celui de la prétendue valeur dissuasive de la peine de mort. Le renforcement du champ du savoir est proportionnel à l’affaiblissement de celui du croire et les combats menés par les jeteurs d’obstacles sont désormais d’arrière-garde.
Cette désacralisation de la mort pour l’individu est à rapprocher de la désacralisation du système communiste pour la collectivité : deux affaiblissements de la transcendance qui ont pour effet la mise en cause, mais d’une autre nature, du système capitaliste, donc du rapport entre être et avoir. Tant qu’existait la possibilité d’un autre système, une alternative possible, il demeurait la référence de sauvegarde et les dommages qu’il créait n’étaient perçus que comme relatifs. Ils prennent maintenant une dimension absolue et peuvent conduire à la résignation, au désespoir … ou, au contraire, a ce que j’appelle la révolution ultime qui verra peut-être le jour à la fin du troisième millénaire.

Conclusion
Placer la mort dans le champ du savoir, c’est décider que la question sera posée dans le champ du collectif, celui de l’école, qui exclut le croire, et non plus seulement dans le champ de l’individuel.
J’ai le droit de dire « je crois que la terre ne tourne pas autour du soleil » mais je ne convaincrai pas grand monde que c’est vrai. C’était l’inverse il y a quelques siècles.
L’affirmation « je crois que la mort n’est pas la fin de la vie » pose un problème plus complexe, en dehors du fait qu’elle peut signifier pour celui qui la prononce « je crois que ma mort n’est pas la fin de ma vie », ce qui n’appelle aucun commentaire, chacun ayant le droit de croire ce qu’il veut.
Comment rendre ce « je crois » aussi obsolète que « je crois que la terre est plate et immobile » ?
Si, dans cette phrase « je crois que la mort n’est pas la fin de la vie », mort signifie principalement mort de ma conscience et si vie est réduit à cette conscience, on est toujours dans le champ du croire.
En revanche, si vie désigne la vie générale, celle de l’univers, du Tout, je crois devient inadéquat : la mort d’un individu, homme, animal ou plante, n’est pas synonyme de la fin de la vie en général. La désagrégation du corps n’est pas non plus fin de vie. « Vivant, je vis en masse, mort, je vis en molécules »(Diderot).
Dans ce cas, je crois doit être remplacé par je sais. Et si, pour cet objet, je sais s’impose, il rendra obsolète je crois.
En avançant sur le chemin de l’euthanasie, nous n’avons pas encore franchi le seuil de l’école, nous sommes près de l’entrée, attendant l’ouverture des portes et l’arrivée des professeurs, en train de survoler les premières lignes du premier chapitre de la première leçon sur la mort, telle qu’elle est : un épiphénomène dans l’éternité de la vie.


Swoop
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Niveau 5

L’école, savoir, croire et la laïcité Empty Re: L’école, savoir, croire et la laïcité

par Swoop Jeu 5 Avr 2012 - 18:18
3° La laïcité donne à tous l’accès au savoir et cet accès est un droit. C’est en quoi elle est un choix (politique, philosophique) qui détermine cette démocratisation. Elle est à l’école ce que liberté, égalité, fraternité sont à la république.

Cela va meme plus loin que ca.
La laicite est fondu dans la devise republicaine Liberte, Egalite, Fraternite.
La Liberte, c'est l'emancipation philosophique, c'est la liberte de penser en dehors de tout dogmatisme, c'est ce qui permet a l'individu de se liberer de ses chaines culturelles, religieuses, pour decouvrir ce qu'il pense vraiment.
L'Egalite, c'est la garantie que chaque individu sera traite de la meme facon, quelles que soient ses positions philosophiques, Politiques, ou Religieuses. C'est l'emancipation Politique (en revenant a la vraie definition de Politique, qui est de reflechir a la vie dans la Cite), la liberte de defendre ce qui nous semble bon de defendre, sans risquer quelques represailles que ce soit.
Mais tout ca ne peut se faire que si l'on peut vivre ces libertes philosophiques et politiques, et pour cela, il faut d'abord s'emanciper economiquement. C'est a dire, il ne faut pas que l'argent frainent l'emancipation philosophique et culturelle.
Pour cela, il faut vivre en Fraternite, c'est a dire accepter que des plus riches aident des moins riches, et qu'un partage des richesses permettent a chacun cet acces a la culture qui l'emancipera philosophiquement et politiquement.
La Fraternite, c'est la solidarite face a quelque chose qui nous depasse.

La Laicite, c'est tout cela reuni. C'est l'emancipation, par l'education, en dehors de tout dogme, qui garantie que par une solidarite depassant tous les clivages culturels ou religieux, chacun sera identique dans ses chance de s'emanciper philosophiquement.

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