- JohnMédiateur
Un collègue enseignant en lycée professionnel depuis plusieurs années vient de me faire parvenir le récit de son expérience au sein de l'Education nationale. En voici quelques extraits : n'hésitez pas à laisser des commentaires.
**********
En 2008-2009, un élève me menaça de mort en plein cours.
J’ai pour convention morale de ne pas permettre à mes classes de prendre le pouvoir et de ne pas travailler. Cela ne plaît pas à certains et c’est plutôt épuisant pour moi.
Sur les conseils de mon syndicat, j’allai porter plainte à la police. Ma proviseure (puisqu’elle veut qu’on écrive ainsi son titre) me convoqua. Son nouvel adjoint était présent et l’adolescent aussi.
Au centre de ce Triangle des Bermudes humain, je dus me justifier et entendre que cela ne se fait pas, pour le bien de l’élève.
Un an ou deux après, la cheftaine d’établissement prit sa retraite. Le dimanche, d’après la rumeur ou une légende urbaine, elle vendait sur le marché, avec son mari, le poisson de celui-ci.
Le leitmotiv : Surtout pas de vague ! : « Cela pouvait se régler en interne. Vous ne pensez pas aux conséquences pour lui ». Ce lui en question devait, il est vrai, passer son BEP ou son Bac, je ne sais plus.
Proviseure et proviseur-adjoint laissèrent, à celui qui avait voulu me voir gisant à ses pieds, un laps de temps de quelques jours pour qu’il me présente, en classe, ses excuses. Sinon…
Il ne s’excusa pas.
Et le « sinon… », tel une belle idée platonicienne, depuis reste suspendu dans le sombre ciel des pieuses et formidables intentions et dans l’enfer clair des grandes manœuvres qui mettent la pression sur le fautif, sur le seul fautif, bien entendu.
J’étais intéressé par les Unités Pédagogiques d’Insertion de l’époque. Elles accueillaient et aidaient les élèves handicapés dans leurs apprentissages. Ma dernière année dans le lycée, je demandai au professeur-référent à y faire du bénévolat. Il n’y vit aucun inconvénient.
Je montai un dossier (signé et commenté par ma direction ; mes inspecteurs aussi, si je ne m’abuse, devaient donner plus tard leur avis) pour proposer ma candidature à la formation me permettant de diriger une UPI.
Le professeur-référent de l’UPI de mon LP écrivit une lettre encourageant mes espoirs. Ma direction signa et commit une lettre que je dus faire changer car elle mettait au jour ma situation médicale et les manquements professionnels qui, de ce fait, aux yeux du chef d’établissement, en découlaient ; je n’obtins pas la formation.
J’appelai, pour renseignement, la HALDE, afin de savoir quoi faire. Les démarches pour me défendre étant trop lourdes et compliquées (rassembler toutes les preuves et les dater avec précision), j’abandonnai et retombai dans le marasme psychologique (euphémisme). Mon docteur le remarqua.
Les vacances d’été arrivèrent ; je partis loin où une idée en moi germa, comme vous le verrez bientôt.
Une autre fois, dans ce même établissement, le proviseur-adjoint seul me convoqua. Il m’avertissait que des élèves avaient remis à sa supérieure une lettre se plaignant de moi (toujours le problème de mes exigences qui avaient pourtant bien baissé, je dois l’avouer, depuis ma titularisation en 2003, question d’étiage flottant au grès de la volonté à produire et fabriquer continuellement en classe, sans doute). Le style était bon.
A force, j’appris que c’était leur professeur principal – que je n’avais jamais vue, d’ailleurs – qui, pour les aider, leur avait dicté et puis corrigé la tournure syntaxique et orthographique de leurs griefs. Elle nia d’abord. Et puis, comme c’était l’amie de la proviseure…
En tous les cas, tout le monde sut, dans le lycée, ce qu’il en était.
Je me désolai de ne pouvoir comptabiliser ce professeur parmi mes connaissances amicales. [...]
Un TZR bouge beaucoup : je passai de la ville d’un chanteur célèbre et mort à celle d’un autre tout aussi mort et tout autant célèbre que lui. [...]
Je récupérai, là-bas, un élève – qui n’était pas un des miens – en sang. Ce n’est pas un euphémisme. Il était en sang. Des « copains » l’avaient battu dans le couloir.
J’avais un élève avec un retard mental. Nous découvrîmes qu’il avait été filmé pendant que lui aussi avait été tapé. Un de ses « copains » cognait, l’autre réalisait la vidéo qu’ils postèrent sur la Toile, comme bien d’autres avant eux.
Le corps enseignant apprit la chose ; ils en furent alertés, la chose ne fut plus visible. Le corps visible du délit n’existait plus. Seul l’élève handicapé put dire ce qu’il lui arriva. Celui qui tapa – et qui avait déjà causé moult soucis – fut renvoyé.
En plein burn-out, médicalement et psychologiquement suivi depuis des années (je n’ai pas honte de l’écrire, je sais que mon cas n’est pas unique dans l’Education Nationale), un dossier médical au Rectorat, je décidai de prendre une année de disponibilité. Pour respirer. Mieux : sauver ma peau.
Je partis loin ; j’avais lu Jack London, j’avais lu L’Usage du monde et je lirais bientôt du Louis-Frédéric Rouquette.
Durant cette retraite, cet éloignement, cet appel de la vie pour la vie, je pris quand même le temps de visiter quelques établissements scolaires, m’enquis de leurs efforts et méthodes pour lutter contre l’absentéisme et le décrochage.
Je m’intéressai plus avant sur l’usage intelligent des outils informatiques à l’école. Je découvris que le harcèlement au travail était clairement et sévèrement puni, que le monde professionnel fonctionnait principalement sur les qualités de chacun et ne mettait pas en avant ce qui pourrait apparaître comme des défauts ou des manques. Bien au contraire.
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En 2008-2009, un élève me menaça de mort en plein cours.
J’ai pour convention morale de ne pas permettre à mes classes de prendre le pouvoir et de ne pas travailler. Cela ne plaît pas à certains et c’est plutôt épuisant pour moi.
Sur les conseils de mon syndicat, j’allai porter plainte à la police. Ma proviseure (puisqu’elle veut qu’on écrive ainsi son titre) me convoqua. Son nouvel adjoint était présent et l’adolescent aussi.
Au centre de ce Triangle des Bermudes humain, je dus me justifier et entendre que cela ne se fait pas, pour le bien de l’élève.
Un an ou deux après, la cheftaine d’établissement prit sa retraite. Le dimanche, d’après la rumeur ou une légende urbaine, elle vendait sur le marché, avec son mari, le poisson de celui-ci.
Le leitmotiv : Surtout pas de vague ! : « Cela pouvait se régler en interne. Vous ne pensez pas aux conséquences pour lui ». Ce lui en question devait, il est vrai, passer son BEP ou son Bac, je ne sais plus.
Proviseure et proviseur-adjoint laissèrent, à celui qui avait voulu me voir gisant à ses pieds, un laps de temps de quelques jours pour qu’il me présente, en classe, ses excuses. Sinon…
Il ne s’excusa pas.
Et le « sinon… », tel une belle idée platonicienne, depuis reste suspendu dans le sombre ciel des pieuses et formidables intentions et dans l’enfer clair des grandes manœuvres qui mettent la pression sur le fautif, sur le seul fautif, bien entendu.
J’étais intéressé par les Unités Pédagogiques d’Insertion de l’époque. Elles accueillaient et aidaient les élèves handicapés dans leurs apprentissages. Ma dernière année dans le lycée, je demandai au professeur-référent à y faire du bénévolat. Il n’y vit aucun inconvénient.
Je montai un dossier (signé et commenté par ma direction ; mes inspecteurs aussi, si je ne m’abuse, devaient donner plus tard leur avis) pour proposer ma candidature à la formation me permettant de diriger une UPI.
Le professeur-référent de l’UPI de mon LP écrivit une lettre encourageant mes espoirs. Ma direction signa et commit une lettre que je dus faire changer car elle mettait au jour ma situation médicale et les manquements professionnels qui, de ce fait, aux yeux du chef d’établissement, en découlaient ; je n’obtins pas la formation.
J’appelai, pour renseignement, la HALDE, afin de savoir quoi faire. Les démarches pour me défendre étant trop lourdes et compliquées (rassembler toutes les preuves et les dater avec précision), j’abandonnai et retombai dans le marasme psychologique (euphémisme). Mon docteur le remarqua.
Les vacances d’été arrivèrent ; je partis loin où une idée en moi germa, comme vous le verrez bientôt.
Une autre fois, dans ce même établissement, le proviseur-adjoint seul me convoqua. Il m’avertissait que des élèves avaient remis à sa supérieure une lettre se plaignant de moi (toujours le problème de mes exigences qui avaient pourtant bien baissé, je dois l’avouer, depuis ma titularisation en 2003, question d’étiage flottant au grès de la volonté à produire et fabriquer continuellement en classe, sans doute). Le style était bon.
A force, j’appris que c’était leur professeur principal – que je n’avais jamais vue, d’ailleurs – qui, pour les aider, leur avait dicté et puis corrigé la tournure syntaxique et orthographique de leurs griefs. Elle nia d’abord. Et puis, comme c’était l’amie de la proviseure…
En tous les cas, tout le monde sut, dans le lycée, ce qu’il en était.
Je me désolai de ne pouvoir comptabiliser ce professeur parmi mes connaissances amicales. [...]
Un TZR bouge beaucoup : je passai de la ville d’un chanteur célèbre et mort à celle d’un autre tout aussi mort et tout autant célèbre que lui. [...]
Je récupérai, là-bas, un élève – qui n’était pas un des miens – en sang. Ce n’est pas un euphémisme. Il était en sang. Des « copains » l’avaient battu dans le couloir.
J’avais un élève avec un retard mental. Nous découvrîmes qu’il avait été filmé pendant que lui aussi avait été tapé. Un de ses « copains » cognait, l’autre réalisait la vidéo qu’ils postèrent sur la Toile, comme bien d’autres avant eux.
Le corps enseignant apprit la chose ; ils en furent alertés, la chose ne fut plus visible. Le corps visible du délit n’existait plus. Seul l’élève handicapé put dire ce qu’il lui arriva. Celui qui tapa – et qui avait déjà causé moult soucis – fut renvoyé.
En plein burn-out, médicalement et psychologiquement suivi depuis des années (je n’ai pas honte de l’écrire, je sais que mon cas n’est pas unique dans l’Education Nationale), un dossier médical au Rectorat, je décidai de prendre une année de disponibilité. Pour respirer. Mieux : sauver ma peau.
Je partis loin ; j’avais lu Jack London, j’avais lu L’Usage du monde et je lirais bientôt du Louis-Frédéric Rouquette.
Durant cette retraite, cet éloignement, cet appel de la vie pour la vie, je pris quand même le temps de visiter quelques établissements scolaires, m’enquis de leurs efforts et méthodes pour lutter contre l’absentéisme et le décrochage.
Je m’intéressai plus avant sur l’usage intelligent des outils informatiques à l’école. Je découvris que le harcèlement au travail était clairement et sévèrement puni, que le monde professionnel fonctionnait principalement sur les qualités de chacun et ne mettait pas en avant ce qui pourrait apparaître comme des défauts ou des manques. Bien au contraire.
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"Qui a construit Thèbes aux sept portes ? Dans les livres, on donne les noms des Rois. Les Rois ont-ils traîné les blocs de pierre ? [...] Quand la Muraille de Chine fut terminée, Où allèrent ce soir-là les maçons ?" (Brecht)
"La nostalgie, c'est plus ce que c'était" (Simone Signoret)
- henrietteMédiateur
C'est très triste de lire ce genre de gâchis, malheureusement pas unique.
- roxanneOracle
Alors, je ne sais pas trop comment le dire mais je méfie toujours un peu des gens , qui, où qu'ils aillent arrivent à se mettre tout le monde à dos et à avoir des ennuis..
- Luigi_BGrand Maître
On reproche souvent aux professeurs d'aujourd'hui leur aigreur.
Mais moi je dis que l'aigreur dans l’Éducation nationale est salutaire. L'aigreur appartient à ceux qui vivent encore. Ceux qui ne sont pas aigris, d'une certaine manière, sont déjà morts.
Mais moi je dis que l'aigreur dans l’Éducation nationale est salutaire. L'aigreur appartient à ceux qui vivent encore. Ceux qui ne sont pas aigris, d'une certaine manière, sont déjà morts.
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LVM Dernier billet : "Une École si distante"
- Palombella RossaNeoprof expérimenté
Ce n'est pas de l'aigreur, mais de la colère.
Ce jeune collègue est en colère, simplement -- et à sa place, à son âge... mais c'est la rogne pure simple et violente qui m'animerait !
Je le trouve singulièrement modéré dans son témoignage, ce garçon !!! Il faudrait au moins Léon Bloy pour tonner comme il faut contre cet empilement de déresponsabilisations dont l'Education natle est en train de crever...
Oui, dans ce système éducatif tel qu'on l'a laissé devenir, la seule manière de ne pas se mettre les gens à dos, Roxanne, c'est de boucler sa gueule, de tolérer l'intolérable, et de ne pas faire de vagues.
On laisse donc se perpétuer des situations proprement scandaleuses, où l'on maltraite handicapés et jeunes filles dans la plus totale impunité : indifférence, impéritie, faiblesse, lâcheté, démission, àquoibonnisme, jusqu'au jour où un Juste prend la parole... et c'est lui qui a tort, naturellement ??? !!! :censure: Mais je rêve, là...
Je ne suis pas tous les jours haureuse d'avoir 58 ans, mais quand je vois ce que devient notre Ecole, je me dis qu'il est temps pour moi de me retirer dans un mas avec de la littérature, de la philosophie, l’homme que j'aime s'il veut encore de moi... à supposer que je ne sois pas morte de rage avant, bien sûr
Ce jeune collègue est en colère, simplement -- et à sa place, à son âge... mais c'est la rogne pure simple et violente qui m'animerait !
Je le trouve singulièrement modéré dans son témoignage, ce garçon !!! Il faudrait au moins Léon Bloy pour tonner comme il faut contre cet empilement de déresponsabilisations dont l'Education natle est en train de crever...
Oui, dans ce système éducatif tel qu'on l'a laissé devenir, la seule manière de ne pas se mettre les gens à dos, Roxanne, c'est de boucler sa gueule, de tolérer l'intolérable, et de ne pas faire de vagues.
On laisse donc se perpétuer des situations proprement scandaleuses, où l'on maltraite handicapés et jeunes filles dans la plus totale impunité : indifférence, impéritie, faiblesse, lâcheté, démission, àquoibonnisme, jusqu'au jour où un Juste prend la parole... et c'est lui qui a tort, naturellement ??? !!! :censure: Mais je rêve, là...
Je ne suis pas tous les jours haureuse d'avoir 58 ans, mais quand je vois ce que devient notre Ecole, je me dis qu'il est temps pour moi de me retirer dans un mas avec de la littérature, de la philosophie, l’homme que j'aime s'il veut encore de moi... à supposer que je ne sois pas morte de rage avant, bien sûr
- AbraxasDoyen
roxanne a écrit:Alors, je ne sais pas trop comment le dire mais je méfie toujours un peu des gens , qui, où qu'ils aillent arrivent à se mettre tout le monde à dos et à avoir des ennuis..
Certes… Mais en l'occurrence, je peux témoigner, comme John, comme Palombella (nous le connaissons tous les trois personnellement) que c'est un cri de désespoir — le dernier avant le tout dernier, si je puis m'exprimer ainsi.
Et encore, le témoignage est nécessairement tronqué, parce qu'il met en cause des personnes bien réelles. Vous connaîtriez l'ensemble, vous seriez atterrée.
D'ailleurs, je suis atterré. D'autant qu'une partie des faits s'est déroulée dans mon ancien lycée.
- UlrichNiveau 6
C'est l'Âge des ténèbres de Denys Arcand...
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Le prof et la menace de mort par raymondthedog[/dailymotion]
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- Thalia de GMédiateur
J'avoue avoir été moi aussi méfiante face à un cas aussi dramatique.
Mais puisque vous nous dites qu'il s'agit d'une terrible réalité, je suis atterrée et attristée.
Moi aussi, je vois surtout du désespoir.
J'espère qu'il va pouvoir se reconstruire.
Mais puisque vous nous dites qu'il s'agit d'une terrible réalité, je suis atterrée et attristée.
Moi aussi, je vois surtout du désespoir.
J'espère qu'il va pouvoir se reconstruire.
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Le printemps a le parfum poignant de la nostalgie, et l'été un goût de cendres.
Soleil noir de mes mélancolies.
- Reine MargotDemi-dieu
moi je me dis "punaise, 'jai bien fait de me tirer"... le jour où il n'y aura plus de candidats ou simplement de gens qui voudront faire ce boulot,(et dans certains pays, notamment les USA c'est le cas pour certaines villes), on se demandera pourquoi...
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Quand tout va mal, quand il n'y a plus aucun espoir, il nous reste Michel Sardou
La famille Bélier
- roxanneOracle
d'accord.C'est bien triste et pour lui et pour ce qu'est en train de devenir l'éducation nationale.Ce n'est plus la fabrique des crétins mais celles des voyous..Abraxas a écrit:roxanne a écrit:Alors, je ne sais pas trop comment le dire mais je méfie toujours un peu des gens , qui, où qu'ils aillent arrivent à se mettre tout le monde à dos et à avoir des ennuis..
Certes… Mais en l'occurrence, je peux témoigner, comme John, comme Palombella (nous le connaissons tous les trois personnellement) que c'est un cri de désespoir — le dernier avant le tout dernier, si je puis m'exprimer ainsi.
Et encore, le témoignage est nécessairement tronqué, parce qu'il met en cause des personnes bien réelles. Vous connaîtriez l'ensemble, vous seriez atterrée.
D'ailleurs, je suis atterré. D'autant qu'une partie des faits s'est déroulée dans mon ancien lycée.
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