- JohnMédiateur
Lu sur Educavox :
Par Pierre Frackowiak dimanche 5 février 2012 -
Les maux des mots. Suite : les fondamentaux
Dans un billet précédent, j’avais évoqué l’histoire des mots et leurs maux à l’Education Nationale. J’en avais choisi trois, trop souvent détournés, usurpés, galvaudés, vidés de leur sens réel : « évaluation », « projet », et ce fameux mot « pilotage » dont je rappelle à quel point il peut être idiot quand les prétendus pilotes n’ont pas de cap explicite, pas de carburant, pas d’outils et même pas la capacité de mettre en relation les résultats avec les pratiques qui les produisent. Beaucoup de lecteurs attentifs avaient à leur tour dénoncé des mots exclusivement utilisés pour sauver des apparences sans révéler la moindre efficacité.
Pour ce second billet sur les mots, je n’en ai choisi qu’un. L’actualité le met en scène dans tous les théâtres d’opérations et de conjugaison. Il fait l’unanimité, il est mis à toutes les sauces. Il est bon à tout faire : clouer le bec des interlocuteurs, sauver les apparences, ignorer les divergences, revendiquer la possession de la vérité, fusionner le passé et le futur, rendre plausibles des idioties… C’est un mot magique, c’est le mot « fondamentaux ». Quand on a dit « les fondamentaux », on a tout dit. Et comme souvent, quand on prétend avoir tout dit, on n’a rien dit.
De quoi s’agit-il ?
On ne se pose pas la question. C’est évidemment « lire, écrire, compter ». L’école y a ajouté « parler » en 1974, grâce à la recherche et à la rénovation pédagogique, il est vrai que jusqu’alors, on apprenait plutôt à se taire. Cette révolution n’a toujours pas été intégrée aux représentations populaires. « Lire, écrire, compter », d’accord ! Mais « parler » ? Ce n’est pas sérieux. Tous les ministres de droite, de gauche et d’ailleurs connaissent parfaitement les trois fondamentaux et ils savent que s’ils réussissent à les dire devant des caméras, ils ont toutes les chances d’être approuvés. Spécialistes et praticiens y ajoutent volontiers des sous-fondamentaux, comme la grammaire, par exemple, dont chacun sait qu’elle est indispensable pour écrire et même pour parler.
Il est évident que l’on ne saurait lire ou parler sans avoir appris au préalable, les lettres et les sons, les définitions et les règles. On retrouve au passage cette idée bien ancrée dans les esprits, fondamentale sans doute, que pour apprendre, il faut commencer par le simple, la lettre, les syllabes et les non-mots, le point, la droite, les nombres de 0 à 9 en commençant par 1… et que l’on abordera le complexe plus tard. Autrement dit, il faut apprendre à être bête avant d’apprendre à être intelligent, et les enfants sont trop bêtes encore pour entrer dans le complexe, un texte ou une boîte à chaussures. Un texte a beaucoup trop de vrais mots pour leur être présenté et une boîte à chaussures comprend trop de droites, de points, d’angles pour être donnée aux enfants sans les mettre en danger d’apprentissage précoce. Il faut que l’adulte savant dissèque l’objet pour permettre aux enfants d’apprendre des choses simples en les rendant tellement compliquées qu’elles ont perdu tout leur sens.
Les fondamentaux sont au cœur de ces tensions. Ils sont donc incontournables, ils s’imposent avec un bon sens qui interdit le débat. C’est tellement évident.
Pourtant, si l’on ose gratter un peu le vernis, si l’on observe un peu les enfants qui tentent d’apprendre, si l’on analyse honnêtement les difficultés de ceux qui sont en difficulté, on découvre que les fondamentaux ne sont peut-être pas ceux que l’on croit.
L’oubli systématique de « parler » dans la courte liste des fondamentaux est très significatif. Ajouter un quatrième mot n’est pourtant pas une tâche énorme. Se libérer des concepts et des certitudes du passé est moins aisé et franchir un pas vers la réalité devient une épreuve. En fait, si « écrire » signifie historiquement la copie, la dictée, l’exercice, la reproduction de modèles, les stéréotypes de rédaction classique, et l’orthographe, et la grammaire, et la conjugaison, « parler » est une toute autre affaire. Même si chez les décideurs, parler pour ne rien dire est un art, quand il s’agit de parler, il faut penser. « Penser » est encore moins dans les fondamentaux que « parler », et pour « penser », il faut « exister », c’est-à-dire ne pas être un vase qu’on remplit ou un être que l’on dresse à coups de mécanismes.
Pauline Kergomard disait il y a plus d’un siècle : « Pour que l’enfant parle, il faut qu’il pense, et pour qu’il pense, il faut qu’il vive. ». « Parler, penser, vivre », nouveaux fondamentaux ? Mais vous n’y pensez pas ! Les élèves n’ont pas les bases ! La pensée, l’intelligence, c’est pour plus tard ! Quand ils maîtriseront les fondamentaux. C’est-à-dire, pour une partie d’entre eux, jamais. Pas de problème, on dira alors qu’ils n’ont pas travaillé, que leurs parents n’ont pas assumé leur responsabilité, ou que c’est la fatalité.
L’une des causes fondamentales des distinctions qui s’accroissent dans le système éducatif est que l’on oublie, que l’on ignore même, la terrible inégalité entre des enfants qui parlent, lisent, voient lire et écrire depuis leurs premiers mois d’existence, à qui l’on parle un langage complexe, qui communiquent, qui sont placés fréquemment dans des situations-problèmes, et ceux que l’on considère, en toute bonne foi, « trop petits pour ». Les uns sont quasiment formatés pour ingurgiter, dans un ennui profond ou dans la joie de faire plaisir à l’adulte, ces fameux fondamentaux, les autres subissent un renfort massif d’explication magistrale, d’exercices et de devoirs, de stigmatisation par les évaluations, l’aide individualisée et les stages de remise à niveau qui sont une belle escroquerie dans le contexte actuel, et qui les font passer rapidement du statut de victimes à celui de coupables.
Il est vrai que les rédacteurs des programmes et les décideurs avaient appris à exister et à penser bien avant que l’on ne leur inculque les fondamentaux et les prérequis à l’école. Ils pensent donc, généralement, qu’il n’y pas de raison que ce qui a réussi pour eux avant-hier ne réussisse pas pour les autres aujourd’hui et demain.
Je propose donc que l’école s’intéresse à l’intelligence, que les fondamentaux soient « apprendre à être, apprendre à penser, apprendre à faire, apprendre à vivre ensemble », détournant légèrement les quatre piliers de Jacques Delors. Oui, je sais, ce sont des finalités. Mais comme on oublie toujours les finalités au profit de programmes scolaires sclérosés, pourquoi n’en ferait-on pas des fondamentaux ?
Mais vous n’êtes pas obligé d’être d’accord !
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- InstructeurpublicFidèle du forum
Il manquerait plus que ça qu'on soit obligé d'être d'accord !
- CelebornEsprit sacré
Il va falloir se taper ce genre de délires pendant encore combien de temps… ? C'est n'importe quoi, du début à la fin.
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- doublecasquetteEnchanteur
Pauline Kergomard disait il y a plus d’un siècle : « Pour que l’enfant parle, il faut qu’il pense, et pour qu’il pense, il faut qu’il vive. ».
Voir citer Pauline Kergomard par ceux-là même qui l'ont virée comme une malpropre des écoles maternelles, c'est quand même plutôt fort de bouchon, comme disait ma grand-mère ! :colere:
La vie des moins de sept ans (à l'époque, la maternelle durait jusqu'à sept ans), selon Pauline Kergomard, ce n'était ni les grands projets, ni la file numérique, ni le calendrier et la date, ni les études d'albums et les "cafés philo", Monsieur Frackowiak !
Il suffit d'aller la lire pour le constater :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k55803592.r=.langFR
(D'ailleurs, si un candidat à la présidentielle passe par ici, qu'il le fasse lire à son responsable Éducation, et il aura tout bon dans son projet de remise au goût du jour de l'instruction à l'école tout en restant dans le plus grand respect des rythmes et des capacités de l'Enfance...)
- AbraxasDoyen
Malheureux Fracko ! Quand je pesne que j'ai débattu un jour avec cette endive cuite...
"PArler", certes - mais parler quelle langue ?
Posez la question à Richard Descoings : en supprimant l'épreuve écrite de culture-G et en la remplaçant par un oral, il a rendu clair à tous (à tous les élèves - mais pas à Fracko) que c'était une prime aux "bien-nés" et autres héritiers, ceux qui ont tété le langage avec le sein de leur mère cultivée, et que pour les autres, il va falloir mettre les bouchées doubles question aprentissage des savoirs - en admettant qu'ils y parviennent.
Parler, pauvre cloche, c'est parler la langue de l'adversaire - pas celle de la cour de récréation.
"PArler", certes - mais parler quelle langue ?
Posez la question à Richard Descoings : en supprimant l'épreuve écrite de culture-G et en la remplaçant par un oral, il a rendu clair à tous (à tous les élèves - mais pas à Fracko) que c'était une prime aux "bien-nés" et autres héritiers, ceux qui ont tété le langage avec le sein de leur mère cultivée, et que pour les autres, il va falloir mettre les bouchées doubles question aprentissage des savoirs - en admettant qu'ils y parviennent.
Parler, pauvre cloche, c'est parler la langue de l'adversaire - pas celle de la cour de récréation.
- User5899Demi-dieu
D'accord. Au-revoir, Monsieur FrackowiakJohn a écrit:Lu sur Educavox :
Par Pierre Frackowiak dimanche 5 février 2012 -
[...]
Je propose donc que l’école s’intéresse à l’intelligence, que les fondamentaux soient « apprendre à être, apprendre à penser, apprendre à faire, apprendre à vivre ensemble »,
- doublecasquetteEnchanteur
Comme le disait aussi Pauline Kergomard, fondatrice de l'école maternelle française :
Mettre à égalité tous les élèves avant l'entrée en Cours Préparatoire (Grande Section, ce serait mieux, afin de permettre à certains de faire le cursus "GS/CP/CE1" en deux ans pour que certains autres puissent bénéficier de quatre ans), c'est arrêter de transformer les classes de PS et MS en propédeutique du CE1 et de l'Université réunis et donner aux élèves des programmes et des enseignants qui savent que, chez des tout-petits, l'apprentissage intelligent de la langue passe par une vie riche et féconde, basée sur la motricité, l'éducation sensorielle, le jeu, l'observation et l'art du conte et des histoires.
Abraxas a écrit:Parler, pauvre cloche, c'est parler la langue de l'adversaire - pas celle de la cour de récréation.
Mettre à égalité tous les élèves avant l'entrée en Cours Préparatoire (Grande Section, ce serait mieux, afin de permettre à certains de faire le cursus "GS/CP/CE1" en deux ans pour que certains autres puissent bénéficier de quatre ans), c'est arrêter de transformer les classes de PS et MS en propédeutique du CE1 et de l'Université réunis et donner aux élèves des programmes et des enseignants qui savent que, chez des tout-petits, l'apprentissage intelligent de la langue passe par une vie riche et féconde, basée sur la motricité, l'éducation sensorielle, le jeu, l'observation et l'art du conte et des histoires.
- User5899Demi-dieu
En voilà un beau sujet de culture générale pour Sciences-Po Ou pour le concours de recrutement de CdE !!Abraxas a écrit:Malheureux Fracko ! Quand je pesne que j'ai débattu un jour avec cette endive cuite...
"PArler", certes - mais parler quelle langue ?
Posez la question à Richard Descoings : en supprimant l'épreuve écrite de culture-G et en la remplaçant par un oral, il a rendu clair à tous (à tous les élèves - mais pas à Fracko) que c'était une prime aux "bien-nés" et autres héritiers, ceux qui ont tété le langage avec le sein de leur mère cultivée, et que pour les autres, il va falloir mettre les bouchées doubles question aprentissage des savoirs - en admettant qu'ils y parviennent.
Parler, pauvre cloche, c'est parler la langue de l'adversaire - pas celle de la cour de récréation.
- AbraxasDoyen
A votre disposition. Je suis une mine de beaux sujets et d'idées reçues.
- MareuilNeoprof expérimenté
Abraxas a écrit:Malheureux Fracko ! Quand je pesne que j'ai débattu un jour avec cette endive cuite...
"PArler", certes - mais parler quelle langue ?
Posez la question à Richard Descoings : en supprimant l'épreuve écrite de culture-G et en la remplaçant par un oral, il a rendu clair à tous (à tous les élèves - mais pas à Fracko) que c'était une prime aux "bien-nés" et autres héritiers, ceux qui ont tété le langage avec le sein de leur mère cultivée, et que pour les autres, il va falloir mettre les bouchées doubles question aprentissage des savoirs - en admettant qu'ils y parviennent.
Parler, pauvre cloche, c'est parler la langue de l'adversaire - pas celle de la cour de récréation.
Je crois que tu te trompes et que Descoings est clairvoyant ; ce dont le système a aujourd'hui besoin, quitte à ce qu'ils a parlent la langue de la cour de récréation, voire bien pire la langue des bas-fonds, c'est d'affidés sans scrupules et tout à fait dévoués. Des kapos, à qui, n'en ait crainte, on apprendra à nouer leur cravate et à ne pas roter à table et même, pourquoi pas ?, à citer Corneille à la télé.
Je ne sais pas pourquoi des gens comme toi vous faites des illusions sur les "élites" passées, formées à la culture générale etc. Faut-il vous rappeler que le capitalisme est un brigandage et , par nature, se fout de la culture générale ? Ça fait une belle jambe aux appelés d'Algérie de savoir que Mollet, ce type au crâne et au nom d'oeuf, était agrégé d'anglais. Et à nous de savoir que Strauss-Kahn est sorti de Sciences-po.
Tu veux quoi avec ta culture-gé ? Des poètes pour enchanter par leurs odes les régiments de smicards et de chômeurs ? Descoings va au plus court : intelligent, il prend dans la classe dominée les futurs contremaîtres. C'est un homme de bien, qui se sert au passage ; c'est dans le deal.
- SchéhérazadeNiveau 10
Mareuil a écrit:Abraxas a écrit:Malheureux Fracko ! Quand je pesne que j'ai débattu un jour avec cette endive cuite...
"PArler", certes - mais parler quelle langue ?
Posez la question à Richard Descoings : en supprimant l'épreuve écrite de culture-G et en la remplaçant par un oral, il a rendu clair à tous (à tous les élèves - mais pas à Fracko) que c'était une prime aux "bien-nés" et autres héritiers, ceux qui ont tété le langage avec le sein de leur mère cultivée, et que pour les autres, il va falloir mettre les bouchées doubles question aprentissage des savoirs - en admettant qu'ils y parviennent.
Parler, pauvre cloche, c'est parler la langue de l'adversaire - pas celle de la cour de récréation.
Je crois que tu te trompes et que Descoings est clairvoyant ; ce dont le système a aujourd'hui besoin, quitte à ce qu'ils a parlent la langue de la cour de récréation, voire bien pire la langue des bas-fonds, c'est d'affidés sans scrupules et tout à fait dévoués. Des kapos, à qui, n'en ait crainte, on apprendra à nouer leur cravate et à ne pas roter à table et même, pourquoi pas ?, à citer Corneille à la télé.
Je ne sais pas pourquoi des gens comme toi vous faites des illusions sur les "élites" passées, formées à la culture générale etc. Faut-il vous rappeler que le capitalisme est un brigandage et , par nature, se fout de la culture générale ? Ça fait une belle jambe aux appelés d'Algérie de savoir que Mollet, ce type au crâne et au nom d'oeuf, était agrégé d'anglais. Et à nous de savoir que Strauss-Kahn est sorti de Sciences-po.
Tu veux quoi avec ta culture-gé ? Des poètes pour enchanter par leurs odes les régiments de smicards et de chômeurs ? Descoings va au plus court : intelligent, il prend dans la classe dominée les futurs contremaîtres. C'est un homme de bien, qui se sert au passage ; c'est dans le deal.
Entièrement d'accord.
En attendant, ce texte est une raison supplémentaire de ne pas voter pour Hollande, vu l'influence de Fracko au PS.
- User5899Demi-dieu
Bah non Vous ne l'avez pas mal pris, au moins ? Ce n'était pas moqueur du tout.Abraxas a écrit:A votre disposition. Je suis une mine de beaux sujets et d'idées reçues.
- AbraxasDoyen
Cripure a écrit:Bah non Vous ne l'avez pas mal pris, au moins ? Ce n'était pas moqueur du tout.Abraxas a écrit:A votre disposition. Je suis une mine de beaux sujets et d'idées reçues.
Ce n'est rien - parano un jour, parano toujours.
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