- Docteur OXGrand sage
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Aux Etats-Unis, une école de la tolérance accueille des enfants jusque-là brimés pour leurs préférences sexuelles. Reportage.
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Aux Etats-Unis, une école de la tolérance accueille des enfants jusque-là brimés pour leurs préférences sexuelles. Reportage.
Quand Sandra Griffin, professeur d'informatique, est entrée pour la première fois dans l'école, elle a failli prendre ses jambes à son cou : "J'ai vu des filles habillées comme des garçons, des garçons maquillés, d'autres qui portaient des talons... Je me suis dit : Oh, mon Dieu ! C'est quoi, cette histoire ? Tout cela allait tellement contre mes valeurs", se souvient cette Afro-Américaine pratiquante. C'était il y a trois mois. Aujourd'hui, elle ne veut plus en partir. Elle apprécie "la gentillesse, le respect, l'écoute qui règnent entre les élèves. Ils m'ont ouvert l'esprit et, de mon côté, j'essaie de les aider autant que je peux", dit-elle. Bienvenue à l'Alliance School, le seul établissement public clairement gay friendly des Etats-Unis, et sans doute du monde.
Installée au coeur d'un ghetto noir de Milwaukee (Wisconsin), cette école, qui a bénéficié au départ d'un petit coup de pouce de la Fondation Bill Gates, est un établissement public qui accueille 165 enfants, de 11 ans à 19 ans, venus de quartiers pauvres pour la plupart. Un peu plus de la moitié des élèves se disent gays, bisexuels, transgenres ou "pansexuels", c'est-à-dire qu'ils refusent de se laisser enfermer dans un sexe défini. Les autres sont ou se sentent différents pour une raison ou pour une autre : trop gros, trop petits, trop timides, trop bizarres... Le plus souvent, ce sont les parents, qui ne supportent plus de voir leurs enfants malheureux, qui les ont inscrits ici : "J'aurais voulu qu'une école comme celle-ci existe à mon époque", insiste Samuel, père de deux fillettes de 12 et 13 ans. L'une est petite pour son âge, l'autre est en surpoids. " Elles ne voulaient plus aller à l'école. Maintenant, elles me réveillent pour ne pas être en retard."
Tina Owen, la fondatrice et directrice, accepte tous ces ados, quels que soient leur look, leur identité sexuelle et leur passé. A une seule condition : "Qu'ils soient prêts à respecter les autres" Prévue au départ pour accueillir les enfants à partir de 15 ans, l'école a fini par ouvrir, il y a deux ans à la demande de parents, des classes dès l'équivalent de la sixième. Des gamins de 11 ans ont-ils une conscience si claire de leurs préférences sexuelles ? "Non, assure Tina, et d'ailleurs, on ne leur pose pas la question. Mais s'ils arrivent chez nous, c'est souvent parce qu'ils se sentent mal ailleurs."
"Ici, j'ai trouvé une famille"
Comme Annaisabel (1), 16 ans, une métisse un peu forte, admise il y a trois ans. Dans son ancien établissement, chaque journée de classe était un enfer. Moqueries, humiliations, mise à l'écart... "Je ne savais pas que j'étais lesbienne, dit-elle. Mais je savais que j'étais seule au monde." Annaisabel ne voulait plus aller à l'école, se cachait dans des vêtements trop larges, songeait au suicide. "Ici, j'ai trouvé une famille qui m'a aidée à reprendre ma vie en main", certifie-t-elle, convaincue que "sans l'Alliance, aujourd'hui, [elle] serait sans doute morte". Nombreux sont ceux qui reconnaissent que cette école les a sauvés. Tatiana, joueuse de basket hors pair et très bonne élève, a subi des mois de brimades à cause de son look de garçon manqué. Elle a fini blessée, à l'hôpital. "Tout le monde savait, personne ne m'a protégée", déplore-t-elle.
Tina Owen a créé cette école avec un objectif très simple : "Je voulais un lieu où ces enfants puissent étudier en sécurité" Elle se souvient, quand elle était professeur, d'adolescents discriminés, y compris par des collègues parce qu'ils étaient gays. Elle les a vus quitter l'établissement, se marginaliser. Comme Tony, qui a déserté son lycée pendant deux ans, et envisage aujourd'hui de devenir architecte. Ou Ladaria, 15 ans, qui avait cessé de parler. A l'Alliance School, elle s'est épanouie : "J'ai appris qu'on pouvait faire confiance aux adultes." Tina Owen se rappelle aussi qu'elle avait été réprimandée, enfant, pour avoir évoqué, dans une rédaction, un douloureux secret de famille. C'était " inapproprié ". L'enseignant l'a sommée de ne plus jamais en parler. "Je me suis promis de créer un jour un lieu où les enfants pourraient se confier, et où il y aurait toujours quelqu'un pour les écouter."
Cercles de parole
A l'Alliance School, la plupart des classes commencent par des "cercles de parole". C'est ainsi qu'Otis, 16 ans, a raconté pour la première fois son histoire. Rejeté par sa mère parce qu'il était gay, violé par un beau-père, cet ado de 16 ans qui rêve de devenir styliste, et vit aujourd'hui dans un foyer, s'est senti libéré. "Il y a eu beaucoup d'émotion, de larmes et de soutien ", note-t-il. Lui aussi dit que l'école "a sauvé sa vie, en le remettant sur de bons rails".
Toutes les histoires de ces enfants ne sont pas forcément aussi sombres que celle d'Otis. "C'est la première fois que je n'ai pas besoin de me protéger des autres", glisse de Gee-Gee, frêle adolescente sans famille. Robbie, arrivé à l'Alliance à 13 ans, n'a jamais été harcelé. Sa personnalité, son humour et sa carrure l'ont protégé. Mais ses six frères et soeurs ne lui parlent plus depuis qu'ils savent qu'il est transgenre. "Ici, je me sens chez moi", explique ce grand Black qui est un peu l'âme de l'école. Chris, lui, a attendu d'y être pour faire son coming out. "On apprend à être nous-mêmes et à en être fers." A 14 ans, Michael et Joseph, jumeaux, ont enchaîné les écoles sans succès. L'un se dit bi, l'autre non, qu'importe ! "Qu'on soit blanc ou noir, gothique ou punk, gay ou straight, on forme une équipe", observe Michael, crête colorée et yeux maquillés noir charbon. "On a trouvé notre place", ajoute son frère.
Critiques au nom de la morale
Tina Owen sait que cette "école pour gays ", comme on l'appelle abusivement, et qui est plutôt l'école de la tolérance, inspirée de "Libres Enfants de Summerhill", cette expérience libertaire en vogue dans les années 1970, suscite bien des controverses. Parmi les opposants, certains protestent, au nom de la morale ou de raisons fiscales, contre cette utilisation de l'agent public qu'ils jugent abusive. D'autres s'interrogent. Plutôt que d'isoler ces enfants, ne vaudrait-il pas mieux enseigner le respect de l'autre dans les lycées ? A Chicago, un projet similaire s'est heurté à de nombreuses résistances de la part des autorités religieuses, mais aussi d'une partie de la communauté gay. Celle-ci a considéré que la création de ce type d'établissement légitimait l'homophobie qui règne dans les écoles publiques. Tina Owen connaît tous ces arguments. "Certains pensent que s'ils sont parvenus à surmonter une situation difficile, d'autres le peuvent aussi. L'adversité est peut-être formatrice. Mais toutes les études prouvent le contraire : un environnement sûr permet aux élèves de mieux réussir."
Harcèlement préoccupant dans les lycées publics
Or la place des adolescents gays dans les lycées publics est préoccupante. Neuf d'entre eux sur dix qui se définissent comme LGTB (2) disent avoir été harcelés, d'après une enquête menée aux Etats-Unis en 2009. L'an passé, près d'une dizaine de jeunes gays se sont suicidés. Même s'il n'y a pas une aggravation du phénomène, "les réseaux sociaux l'ont rendu plus violent et plus rapide", constate Tina Owen. Depuis quelques années, les brimades sont devenues un véritable enjeu de société qui mobilise de nombreuses personnalités, de Lady Gaga à Barack Obama.
L'Alliance School apporte à ce problème une réponse radicale au nom d'un principe de base : "Un enfant qui est accepté et reconnu pour ce qu'il est sera un adulte plus fort", insiste Mari Scicero, l'assistante sociale de l'école. Pourtant, la directrice le reconnaît, tout n'est pas rose à l'Alliance. Malgré la bonne ambiance, l'atmosphère très libertaire et l'émotion palpable dans l'école, la cohabitation n'est pas toujours simple. James, 15 ans, est convaincu qu'il y subsiste un fond d'homophobie : "Il y a trop d'enfants pour qui c'est juste l'école de la dernière chance. Ils n'ont rien à y faire. " Michael, qui veut devenir militaire, dit, lui, qu'il " déteste cette école" qui donne selon lui " une mauvaise image des Noirs". Tina Owen sourit : "Quand ce garçon est arrivé, c'était une boule de nerfs. On ne pouvait rien lui dire, les portes claquaient. Ca reste un écorché vif mais il a fait d'énormes progrès. Aujourd'hui, il aide beaucoup les autres. Il lui reste sans doute encore à s'accepter."
Axée sur le développement personnel
Toutefois, cette école, où les enfants sont extrêmement libres, n'est pas faite pour n'importe quel élève et enseignant. Grâce à son statut de charter school, qui autorise une certaine flexibilité, elle peut recruter son équipe, à condition que ses résultats soient meilleurs que ceux des écoles publiques du quartier. Bon an mal an, la mission est remplie. "Le niveau ne cesse de s'améliorer", observe Mari Scicero. On est moins dans la performance scolaire que dans le développement de la personnalité.
Depuis l'ouverture, les effectifs ne cessent de grimper. Chaque jour, de nouvelles demandes d'inscription affluent. Il y a quinze jours, alors que le conseil scolaire du district décidait la fermeture de plusieurs petites écoles faute de budget, l'Alliance a décroché le renouvellement de son agrément pour les trois prochaines années. Elle vient d'obtenir un prix accordé à l'unanimité par les églises de Milwaukee, toutes religions confondues, au nom de la tolérance. Tina Owen rayonne : "Rien ne pouvait me rendre plus fière."
De notre correspondante à Chicago
(Article publié dans "le Nouvel Observateur" du 5 janvier 2012)
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