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John
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Médiateur

[Le Monde] Vive la philo en seconde !  Empty [Le Monde] Vive la philo en seconde !

par John Jeu 16 Déc 2010 - 18:51
Point de vue
Vive la philo en 2de !

LEMONDE | 16.12.10 | 14h36 • Mis à jour le 16.12.10 | 18h34

Il est des arguments en faveur de l'enseignement de la philosophie qui vont exactement à l'encontre de la cause que l'on veut servir. Tel est le cas avec la tribune de Guillaume Pigeard de Gurbert (Le Monde du 26 novembre).

Selon son auteur, il faudrait, pour établir les conditions de l'enseignement de la philosophie, partir d'une définition de la philosophie elle-même. Cette première erreur commise, M. Pigeard de Gurbert énonce sa définition : il s'agirait dans la philosophie de "la prise en compte de la pensée de l'impensable". Bien que l'on assure que cette caractérisation "se retrouve à chaque fois chez les grands philosophes", j'avoue ne pas réussir à la retrouver, par exemple, chez Aristote, Thomas d'Aquin, Descartes, Spinoza, Leibniz, Locke, Hume, Kant, Hegel.

De cette pseudo-définition peu intelligible, qui reste sa découverte personnelle, M. Pigeard de Gurbert tire la conclusion qu'il serait trop tôt pour faire de la philosophie en 2de : les élèves n'auraient pas la maturité requise pour enfin affronter "la tragédie de l'impensable".

Le plus grave dans l'affaire est qu'un tel argument, qui entretient l'illusion d'une altérité radicale que l'enseignement de la philosophie devrait à sa position de surplomb, donne une image plutôt répulsive ; il accrédite les préjugés tenaces qui, ici ou là, entretiennent la méfiance à l'égard d'un enseignement qui mérite de meilleurs défenseurs.

Le groupe d'experts dont j'ai eu à présider les travaux d'où sont issus les programmes actuellement enseignés dans les classes, avait pour mandat de rester dans le cadre d'un enseignement limité à la seule année de terminale. Nous étions pourtant très nombreux au sein de ce groupe à penser que les choses iraient beaucoup mieux pour cet enseignement s'il était étalé progressivement sur plusieurs années. Je reste convaincu que le bon moment pour commencer se situe en classe de 2de, avec une continuité de l'enseignement sur trois ans.

Qu'attend-on en effet de l'enseignement de la philosophie ? Non pas qu'il véhicule une définition préalable de la philosophie, quand bien même d'ailleurs elle trouverait une attestation de légitimité réelle chez tel ou tel grand philosophe. A défaut, un consensus assez large peut être réalisé sur les objectifs de cet enseignement : amener chaque élève à l'exercice réfléchi du jugement, et lui permettre d'acquérir une culture philosophique initiale.

Les moyens en sont de maîtriser des concepts éprouvés dans l'analyse de notions communes fondamentales (vérité, liberté, justice, etc.), de formuler un problème impliqué dans l'application de ces notions, de mener la discussion ordonnée des problèmes en reconnaissant les présupposés et les conséquences de leurs solutions possibles, le tout en s'instruisant, au travers d'oeuvres ou de textes des grands philosophes, de la façon dont une telle pensée a pu être portée à son plus haut degré de responsabilité.

Les exigences associées à ce travail ne relèvent pas d'une capacité intellectuelle hors de portée d'un élève de 2de, pourvu qu'il soit convenablement accueilli par un choix judicieux des thèmes à étudier et des exercices qui les accompagnent.

Commencer l'étude de la philosophie en 2de et la poursuivre pendant trois années comporterait, pour tous les élèves et donc au-delà d'une expérimentation limitée, toutes sortes d'avantages.

Tout d'abord, celui d'introduire une progressivité dans l'agencement du programme. La règle du jeu a maintenu le temps court d'une seule année, là où un étalement dans une plus longue durée permettrait l'acquisition d'une familiarité avec la discipline enseignée, donnant à l'élève beaucoup plus d'assurance dans son apprentissage et les moyens de consolider ses résultats.

Ensuite, les élèves trouveraient l'occasion, dans la plupart des cas, d'avoir affaire à plusieurs professeurs différents, dont chacun aurait sa propre façon de faire. On en finirait ainsi avec la représentation plus ou moins fantasmée d'un intercesseur unique entre l'élève et la philosophie, et l'on réduirait les risques de déception liés à cette unicité.

Pour ne rien dire de l'université, et à s'en tenir aux formations où les étudiants ne se spécialisent pas complètement, un élève qui poursuit sa scolarité en classe préparatoire aux grandes écoles peut rencontrer deux ou trois professeurs de philosophie différents. Qui niera que ce soit une occasion d'enrichissement intellectuel ?

Enfin, un des motifs de la difficulté que beaucoup d'élèves rencontrent lorsqu'ils abordent, trop tard, l'enseignement de la philosophie, est qu'il se trouve alors exclusivement corrélé à la préparation d'une épreuve du baccalauréat. A tort ou à raison - sans doute à tort, mais le fait est là - il en résulte une appréhension, entretenue par des rumeurs sur la valeur de la notation en philosophie, qui obère de difficultés superflues le travail des élèves et des professeurs ; elles seraient fortement amoindries s'il en allait ici de la philosophie comme du reste.

Assurément, cette conception banale, et délibérément telle, de l'enseignement de la philosophie ne promet pas aux élèves d'"entrer en philosophie", comme on entre dans le temple des mystères initiatiques. Il leur suffirait d'entrer en classe sans la crainte (ou l'espoir, ce qui ne vaudrait pas mieux) d'avoir à y subir une "épreuve".

En bref, il s'agit simplement de faire de la philosophie qu'on enseigne une discipline scolaire comme les autres. Qu'on ne dise pas que l'on nie par là ce qui différencie la philosophie des autres matières, pas plus que l'on n'a à effacer les différences qui existent tout aussi bien entre les mathématiques et l'histoire, l'anglais et la physique-chimie.

Il ne s'agit de rien d'autre que de rendre définitive l'inscription nécessaire de la philosophie comme une composante indissociable de notre enseignement des lycées.

Michel Fichant, professeur émérite à l'université Paris-Sorbonne . Il est également ex-président (2001-2005) du Groupe d'experts pour les programmes scolaires de philosophie.

Article paru dans l'édition du 17.12.10

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par nuages Ven 17 Déc 2010 - 1:49
Je ne suis pas professeur de philosophie donc pas très compétente pour émettre un avis, mais je constate qu'en terminale L l'énorme coefficient 7 de l'épreuve de philosophie compte considérablement dans la réussite du bac , pour une matière à laquelle les élèves n'ont que quelques mois pour s'initier. Je trouve donc qu'il serait judicieux que les élèves en fassent l'apprentissage dès la seconde, Michel Fichant me paraît avancer de bons arguments dans cet article
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