- HopeHabitué du forum
Ca fait bientôt 5 ans que je vis en Guadeloupe et que j'entends les gamins se traiter d'Haïtien, que je vois les gens se frotter les mains quand un bateau de réfugiés coule ("ça en fera toujours moins qui viendront nous voler nos emplois"), que j'entends des horreurs sur Haïti en classe : les gens là-bas sont tous des sorciers, ils sont sales, voleurs, menteurs, etc etc.
Là, séisme. Tout le monde met la main au portefeuille. Je suis surprise. Enfin, sur le coup, parce qu'après, j'entends les commentaires : "faut leur donner le plus possible pour qu'ils restent là-bas, sinon ils vont tous venir chez nous".
Journée Haïti au collège la semaine dernière. Les gamins donnent beaucoup. Ben oui, madame, faut qu'ils restent en Haïti, faut leur donner des sous. Ces gens-là, il vaut mieux qu'ils restent là-bas, sinon il va y avoir plein de violence et de meurtres en Guadeloupe.
On a mis des panneaux dans la cour, pour expliquer que c'est une catastrophe naturelle, pas une malédiction. Quand on passe devant pendant la récré, on entend : haha, attend, t'as vu tout ce qui leur arrive ? Ils l'ont mérité, ils sont maudits, c'est leur faute.
Et moi, je me sens bête et inutile, je ne fais pas le poids devant la stupidité des gens qui leur ont inculqué ça.
*blues du mardi soir*
Là, séisme. Tout le monde met la main au portefeuille. Je suis surprise. Enfin, sur le coup, parce qu'après, j'entends les commentaires : "faut leur donner le plus possible pour qu'ils restent là-bas, sinon ils vont tous venir chez nous".
Journée Haïti au collège la semaine dernière. Les gamins donnent beaucoup. Ben oui, madame, faut qu'ils restent en Haïti, faut leur donner des sous. Ces gens-là, il vaut mieux qu'ils restent là-bas, sinon il va y avoir plein de violence et de meurtres en Guadeloupe.
On a mis des panneaux dans la cour, pour expliquer que c'est une catastrophe naturelle, pas une malédiction. Quand on passe devant pendant la récré, on entend : haha, attend, t'as vu tout ce qui leur arrive ? Ils l'ont mérité, ils sont maudits, c'est leur faute.
Et moi, je me sens bête et inutile, je ne fais pas le poids devant la stupidité des gens qui leur ont inculqué ça.
*blues du mardi soir*
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Omnia mutantur nihil interit (Ovide)
- InvitéInvité
C'est drôle c'est pas comme ça en Martinique, je trouve. En revanche, c'est vrai que tout le monde se bouge ici pour donner tout et n'importe quoi !
- FrisouilleEnchanteur
Pas tout à fait d'accord avec toi Aga'...
J'ai entendu des collègues rapporter des commentaires d'élèves ou de parents, de la même teneur que ceux rapportés par Hope : "ces Haïtiens, de toute façon ils n'ont que ce qu'ils méritent..."
Gerbant, ben oui, il n'y a pas d'autres mots.
A l'inverse,j'entends des collègues raconter que nos élèves haïtiens sont excellents, avec une soif de savoir et de s'en sortir incoybale.
Mais la peur de l'autre, la peur de se voir spolié le peu que l'on a par quelqu'un qui en veut plus, ça, avant que ça bouge ici, de l'eau va s'écouler le long des mornes...
J'ai entendu des collègues rapporter des commentaires d'élèves ou de parents, de la même teneur que ceux rapportés par Hope : "ces Haïtiens, de toute façon ils n'ont que ce qu'ils méritent..."
Gerbant, ben oui, il n'y a pas d'autres mots.
A l'inverse,j'entends des collègues raconter que nos élèves haïtiens sont excellents, avec une soif de savoir et de s'en sortir incoybale.
Mais la peur de l'autre, la peur de se voir spolié le peu que l'on a par quelqu'un qui en veut plus, ça, avant que ça bouge ici, de l'eau va s'écouler le long des mornes...
- HopeHabitué du forum
Je ne suis pas surprise que les choses soient moins marquées en Martinique - c'est un peu plus loin, un peu plus urbain. Mais ici, oui, c'est gerbant. Il faut être honnête - et ce n'est pas la tv nationale qui en parlera : les Guadeloupéens détestent en général les Haïtiens. Ici, ils travaillent sans papiers, dans les champs de canne, au bord de la route... Quand nous accueillons des gamins d'Haïti (environ une vingtaine pour 1400 élèves chez moi), ils font profil bas. De temps en temps, on a une sale histoire, un gamin qui se fait racketter ou taper parce qu'on sait qu'il est Haïtien. Le mot lui-même est une des insultes les plus courantes en Guadeloupe.
J'essaie désespérément de ne pas trop m'impliquer psychologiquement dans mon boulot - après tout, ce n'est pas censé être un sacerdoce - mais je suis hors de moi à chaque réflexion xénophobe entendue en classe.
J'essaie désespérément de ne pas trop m'impliquer psychologiquement dans mon boulot - après tout, ce n'est pas censé être un sacerdoce - mais je suis hors de moi à chaque réflexion xénophobe entendue en classe.
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Omnia mutantur nihil interit (Ovide)
- sandGuide spirituel
Ce que vous décrivez fait froid dans le dos.
- kimyGrand sage
Exactement Sans, comment peut-on agir ainsi ??
Pfff, je ne comprendrais jamais ... et c'est valable pour toutes les formes de racisme.
Pfff, je ne comprendrais jamais ... et c'est valable pour toutes les formes de racisme.
- miss teriousDoyen
+ 1sand a écrit:Ce que vous décrivez fait froid dans le dos.
Je ne trouve pas de mots à ajouter. Te dire de prendre du recul ? bof. Je sais combien c'est difficile. Alors : + 1.
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"Ni ange, ni démon, juste sans nom." (Barbey d'AUREVILLY, in. Une histoire sans nom)
"Bien des choses ne sont impossibles que parce qu'on s'est accoutumé à les regarder comme telles." DUCLOS
- liliepingouinÉrudit
J'ignorais totalement cet état de fait...
Il nous en reste du chemin à parcourir...
- MSFidèle du forum
Je suis en métropole et la gestionnaire du collège tient à peu près le même discours : le séisme est une bonne chose , ça évite la surpopulation de la planète.
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Pas de deuxième année d'IUFM!
- carlottaHabitué du forum
Ce doit être dur d'entendre des horreurs pareilles...et de ne pas s'énerver.
- CarabasVénérable
Entendu un "z'avaient qu'à construire plus solide" en métropole.MS a écrit:Je suis en métropole et la gestionnaire du collège tient à peu près le même discours : le séisme est une bonne chose , ça évite la surpopulation de la planète.
- AbraxasDoyen
Suis allé deux fois en Martinique et en Guadeloupe.
Ai entendu, dans la bouche de profs antillais, exactement le même discours — avec en sus, si je puis dire, visitez-éclair des bidonvilles de réfugiés haïtiens, tous des voleurs et des putes…
Je crois que l'une des raisons de cette détestation et de ce mépris, c'est que les Haïtiens sont plus noirs que les Antillais — et qu'il y a une hiérarchie à ce niveau.
Comme je trouvais une collègue antillaise fichtrement jolie, le copain (métis) qui m'accompagnait m'a lancé : "Tu rigoles, tu ne vois pas à quel point elle est négresse ?"
Lui-même sortait avec une métro blanche, ça le posait.
C'est aussi cela la réalité. Si vous n'étiez pas au courant, désolé, ce n'est pas exactement le monde des bisounours.
Et il n'y a pas qu'aux Antilles.
Lorsque le juge (black american, comme on dit) Clarence Thomas a été désigné à la cour suprême, on a sorti une aventure qu'il aurait eue avec sa secrétaire. Et l'un des arguments de ceux qui n'y croyaient pas, c'était : "Impossible, elle est plus foncée que lui."
Ai entendu, dans la bouche de profs antillais, exactement le même discours — avec en sus, si je puis dire, visitez-éclair des bidonvilles de réfugiés haïtiens, tous des voleurs et des putes…
Je crois que l'une des raisons de cette détestation et de ce mépris, c'est que les Haïtiens sont plus noirs que les Antillais — et qu'il y a une hiérarchie à ce niveau.
Comme je trouvais une collègue antillaise fichtrement jolie, le copain (métis) qui m'accompagnait m'a lancé : "Tu rigoles, tu ne vois pas à quel point elle est négresse ?"
Lui-même sortait avec une métro blanche, ça le posait.
C'est aussi cela la réalité. Si vous n'étiez pas au courant, désolé, ce n'est pas exactement le monde des bisounours.
Et il n'y a pas qu'aux Antilles.
Lorsque le juge (black american, comme on dit) Clarence Thomas a été désigné à la cour suprême, on a sorti une aventure qu'il aurait eue avec sa secrétaire. Et l'un des arguments de ceux qui n'y croyaient pas, c'était : "Impossible, elle est plus foncée que lui."
- HopeHabitué du forum
Tout à fait d'accord avec vous, Abraxas - et c'est du vécu au quotidien. Ici, l'homme ou la femme idéal(e) est noir clair, très clair, on appelle ça "chabin" ou "chabine" ("doré"). Le fantasme de la blanche (gentille, douce) ou du blanc (gentil, attentif) est très présent. Je suis souvent plus foncée que mes élèves chabins, toute métro que je sois (ben oui, nous on se met au soleil, on aime s'assombrir). Les nuances de coloris font partie du vocabulaire de base créolo-français en Guadeloupe : on dit nègre sans que ce soit une insulte, on parle de batâ-zindien (beaucoup de gens ici sont croisés africain - indien), de mulâtre, de capresse, etc... j'avoue que je m'y repère mal.
Quand je lis France-Antilles (un must, allez voir les unes sur le site - la meilleure à mon goût restant "femme blanche cherche étalon", il y a un ou deux ans), tous les blancs "expatriés" ici sont soit en vacances longue durée, soit en quête de quelqu'un (surtout les blanches). Résultat, mes élèves m'ont longtemps demandé quand je rentrais "chez moi", et me demandent toujours si je les comprends en créole (oui - sans le parler bien, à force, je comprends tout). Ca va mieux depuis qu'ils m'ont vue enceinte ici, et avec bébé. Enfin bref...
L'image de la Guadeloupe véhiculée par les médias métropolitains est loin de la réalité - tout simplement parce qu'on ne connait à peu près rien des Antilles sans y avoir mis les pieds. Entre la carte postale et le tableau pessimiste des grèves incessantes, il n'y a pas place à l'antenne pour le réel d'"ici-là" - "ici-même". Une société en perdition, avec des choses très chouettes complètement noyées dans un océan de bêtises.
Moi, je construis ici : ma maison, ma famille. Je n'ai pas l'intention de "revenir" un jour en France. Partir ailleurs, puis revenir ici, oui. Et je mesure l'ampleur des choses à faire pour sauver ces "territoires français d'Amérique". Et ça me rend toute songeuse, toute anxieuse, parce que je ne vois pas comment je peux, petite prof devant la marée de choses à changer pour faire de cette île un endroit vraiment vivable, faire quelque chose.
Alors en attendant, je peste toute seule devant les idées reçues et le racisme ordinaire, je reprend mes gamins en classe (pour les entendre en rire après), j'imagine une Guadeloupe qui fonctionne, et j'essaie d'ignorer tout le bazar qui fait que ça ne relève que du fantasme. Je me dis que je finirai par en avoir assez marre pour me mettre en dispo et essayer de faire quelque chose, une école, une assoc, je ne sais pas.
Quoi qu'il en soit, j'aime (encore) vivre ici, et le drame permanent d'Haïti me bouleverse.
Quand je lis France-Antilles (un must, allez voir les unes sur le site - la meilleure à mon goût restant "femme blanche cherche étalon", il y a un ou deux ans), tous les blancs "expatriés" ici sont soit en vacances longue durée, soit en quête de quelqu'un (surtout les blanches). Résultat, mes élèves m'ont longtemps demandé quand je rentrais "chez moi", et me demandent toujours si je les comprends en créole (oui - sans le parler bien, à force, je comprends tout). Ca va mieux depuis qu'ils m'ont vue enceinte ici, et avec bébé. Enfin bref...
L'image de la Guadeloupe véhiculée par les médias métropolitains est loin de la réalité - tout simplement parce qu'on ne connait à peu près rien des Antilles sans y avoir mis les pieds. Entre la carte postale et le tableau pessimiste des grèves incessantes, il n'y a pas place à l'antenne pour le réel d'"ici-là" - "ici-même". Une société en perdition, avec des choses très chouettes complètement noyées dans un océan de bêtises.
Moi, je construis ici : ma maison, ma famille. Je n'ai pas l'intention de "revenir" un jour en France. Partir ailleurs, puis revenir ici, oui. Et je mesure l'ampleur des choses à faire pour sauver ces "territoires français d'Amérique". Et ça me rend toute songeuse, toute anxieuse, parce que je ne vois pas comment je peux, petite prof devant la marée de choses à changer pour faire de cette île un endroit vraiment vivable, faire quelque chose.
Alors en attendant, je peste toute seule devant les idées reçues et le racisme ordinaire, je reprend mes gamins en classe (pour les entendre en rire après), j'imagine une Guadeloupe qui fonctionne, et j'essaie d'ignorer tout le bazar qui fait que ça ne relève que du fantasme. Je me dis que je finirai par en avoir assez marre pour me mettre en dispo et essayer de faire quelque chose, une école, une assoc, je ne sais pas.
Quoi qu'il en soit, j'aime (encore) vivre ici, et le drame permanent d'Haïti me bouleverse.
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Omnia mutantur nihil interit (Ovide)
- queenHabitué du forum
Abraxas a écrit:Suis allé deux fois en Martinique et en Guadeloupe.
Ai entendu, dans la bouche de profs antillais, exactement le même discours — avec en sus, si je puis dire, visitez-éclair des bidonvilles de réfugiés haïtiens, tous des voleurs et des putes…
Je crois que l'une des raisons de cette détestation et de ce mépris, c'est que les Haïtiens sont plus noirs que les Antillais — et qu'il y a une hiérarchie à ce niveau.
Comme je trouvais une collègue antillaise fichtrement jolie, le copain (métis) qui m'accompagnait m'a lancé : "Tu rigoles, tu ne vois pas à quel point elle est négresse ?"
Lui-même sortait avec une métro blanche, ça le posait.
C'est aussi cela la réalité. Si vous n'étiez pas au courant, désolé, ce n'est pas exactement le monde des bisounours.
Et il n'y a pas qu'aux Antilles.
Lorsque le juge (black american, comme on dit) Clarence Thomas a été désigné à la cour suprême, on a sorti une aventure qu'il aurait eue avec sa secrétaire. Et l'un des arguments de ceux qui n'y croyaient pas, c'était : "Impossible, elle est plus foncée que lui."
Eh oui, c est aussi ça les antilles!
C est gerbant en effet de voir que même entre noirs, il n y a pas de soutien!
L anecdote me fait "sourire" car j entends régulièrement quand j annonce que je suis antillaise:"Ah bon, j aurai jamais cru, t es drôlement noire quand même" J avoue que cette volonté de faire la différence entre un métis, un mulâtre, un chabin, un bleu marine, et de décréter que plus on est clair, plus on est beau ça me . Enfin, j en ai pris l habitude...
- CarabasVénérable
Alors que les blancs risquent un cancer de la peau à force de se faire bronzer... Tout ça m'a toujours paru bien ridicule...
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