[Le Monde] Les universitaires croulent sous les heures complémentaires

Le quota d’heures d’enseignement prévu par son statut ? Cela fait dix ans que Mathilde Larrère, maîtresse de conférences en histoire à l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée, ne l’a pas vu respecté. Chaque année désormais, les heures complémentaires qu’elle doit abattre l’amènent bien loin des 192 heures de cours qu’elle est supposée réaliser (correspondant aux heures face aux étudiants, sans compter la préparation, les copies, les surveillances d’examen…) : jamais moins de 230 heures, jusqu’à 270 les pires années.
« Bien obligée », dit-elle : faute de titulaires suffisamment nombreux, si elle et ses collègues ne les accomplissaient pas, il n’y aurait tout simplement pas d’enseignants devant les étudiants. « Les postes ont été gelés, les vacataires sont plus difficiles à trouver en fac de banlieue et les congés maternité ou maladie ne sont plus remplacés, alors les formations tournent aux heures complémentaires », raconte la maîtresse de conférences.

https://www.lemonde.fr/campus/article/2024/10/23/on-a-atteint-un-point-quasi-ingerable-les-universitaires-croulent-sous-les-heures-complementaires_6358441_4401467.html?lmd_medium=al&lmd_campaign=envoye-par-appli&lmd_creation=android&lmd_source=default

C'est réaliste, je trouve. D'ailleurs, dans ma fac, ça y est, le CA a décidé de “déplafonner” les heures comp'. Avant, on ne pouvait faire que 50% du service dû en plus (=96) — maintenant, victoire, on a “droit” jusqu'à “fois 2”… Et effectivement, cela fait 10 bonnes années qu'il est devenu quasi impossible d'y couper. Alors que c'est payé au lance pierre, avec un délai absurde et que ça prend du temps pour rien.

Et je connais des collègues (du PRCE au PU) qui font des heures gratuitement parce qu'ils dépassent: sinon la formation dont ils sont responsables ne peut tout simplement pas fonctionner.

Il y a eu une époque où je l'aurais fait, ça où renvoyer les heures comp' d'une année sur le service de l'année suivante (partiellement, pour “étaler” les paiements — ce qu'on est incité à faire et que certains font pour ne pas passer le cap des 5000€ et être imposables, ce qui est encore une autre histoire). Mais aujourd'hui, pas question, il ne faut pas pousser, c'est carrément suicidaire.

epekeina.tes.ousias a écrit:C'est réaliste, je trouve. D'ailleurs, dans ma fac, ça y est, le CA a décidé de “déplafonner” les heures comp'. Avant, on ne pouvait faire que 50% du service dû en plus (=96) — maintenant, victoire, on a “droit” jusqu'à “fois 2”… Et effectivement, cela fait 10 bonnes années qu'il est devenu quasi impossible d'y couper. Alors que c'est payé au lance pierre, avec un délai absurde et que ça prend du temps pour rien.

Plus précisément,
Cours magistral (hCM) : 65,22€ brut / hCM ;
Travaux dirigés (hTD) : 43,50€ brut / hTD ;
Travaux pratiques (hTP) : 28,98€ brut / hTP.

Pour ma part, j'ai décidé de ne plus travailler pour un SMIC horaire, je fais mon service de PRAG et basta. Et ma fac a désormais du mal à retenir ou recruter des vacataires du secondaire ou qui ont une activité principale dans le privé.

Les HSE étant mieux payées, ça n’a rien d’étonnant.

epekeina.tes.ousias a écrit:C'est réaliste, je trouve. D'ailleurs, dans ma fac, ça y est, le CA a décidé de “déplafonner” les heures comp'. Avant, on ne pouvait faire que 50% du service dû en plus (=96) — maintenant, victoire, on a “droit” jusqu'à “fois 2”… Et effectivement, cela fait 10 bonnes années qu'il est devenu quasi impossible d'y couper. Alors que c'est payé au lance pierre, avec un délai absurde et que ça prend du temps pour rien.

Ah oui, nous on doit demander une dérogation uniquement si notre prévisionnel dépasse les 192h complémentaires.
L'an dernier, comme j'ai "remplacé" certains cours d'une collègue en congé recherche puis pris au pied levé des heures d'une collègue en congé maladie, j'ai fait 187h complémentaires (un peu plus d'une centaine d'enseignement, le reste était de l'administratif, du suivi de dossiers etc.) alors que je n'arrêtais pas de clamer que je refusais de dépasser 230h en tout...

Spoiler:

Cette année, je devrais être plus raisonnable (mais j'ai déjà au moins 50h d'administratif) puisque je refuse de renouveler l'expérience, ce qui conduit à des absurdités: alors que je préside le jury de L1, je n'ai par exemple plus de cours de licence à partir de janvier, et il me restera des bouts de cours de M2, et de concours (quelque chose comme 30h de cours en tout et pour tout, soit quatre fois moins que ce que j'aurai fait entre début septembre et début décembre). Qui sait, peut-être que je pourrai aller aux deux colloques auxquels je souhaite aller.

Les collègues qui font des heures gratuitement, j'en connais aussi...

Edit: Et d'ailleurs, on nous a très sérieusement expliqué que les disciplines dans lesquelles les collègues faisaient en moyenne entre 60 et 100HC n'étaient pas considérées comme des disciplines "sinistrées", donc pas prioritaires pour des recrutements.

Oui, mais ça, ils le disent dans toutes les facs : ce doit être l'un des génies de la conf' des présidents d'U. qui leur a soufflé l'argument : “y a pire”… Comme si ça changeait quoi que ce soit.

Ça, et l'idée que le plus gros de la hausse démographique est passé, que le nombre d'étudiants va continuer de diminuer alors pourquoi recruter ? Il suffit d'attendre quelques années, et hop. Les problèmes engendrés par les années en question, on les ignore et puis voilà, magie.

Et moi on m'a déjà annoncé que même ma thèse terminée, il n'y aura pas de poste pour moi. Alors même que ma directrice de recherche prendra sa retraite...

Les enseignants titulaires qui compensent les défaillances des universités, plutôt le sous-financement chronique (postes "gelés", rémunération indigne pour des bac+5 - 8 voire au-delà), tout en se sentant exploités et malmenés. Syndrome de Stockholm ?

Ergo a écrit:Ça, et l'idée que le plus gros de la hausse démographique est passé, que le nombre d'étudiants va continuer de diminuer alors pourquoi recruter ? Il suffit d'attendre quelques années, et hop. Les problèmes engendrés par les années en question, on les ignore et puis voilà, magie.

Mais tout à fait : si on attend assez longtemps, on sera tous en retraite, ou parti voir ailleurs si j'y suis. Ça fait 15 ans qu'ils nous bassinent avec ce genre de fadaises — parfois les mêmes que ceux qui militaient ouvertement pour la LRU et qui, maintenant, pleurnichent que l'État est méchant mais que ça va passer. C'est parfois franchement grotesque.

stench a écrit:Et moi on m'a déjà annoncé que même ma thèse terminée, il n'y aura pas de poste pour moi. Alors même que ma directrice de recherche prendra sa retraite...

Soit un poste de PU (si possible HC et même CE) : on gèle son poste pendant 3 ans, en gardant le support et le budget — cela fait (au choix) un équivalent budgétaire pour 3 PRAG / 6 vacataires au moins pendant ces 3 ans. Calcul simple et éclairant…

epekeina.tes.ousias a écrit:

Ergo a écrit:Ça, et l'idée que le plus gros de la hausse démographique est passé, que le nombre d'étudiants va continuer de diminuer alors pourquoi recruter ? Il suffit d'attendre quelques années, et hop. Les problèmes engendrés par les années en question, on les ignore et puis voilà, magie.

Mais tout à fait : si on attend assez longtemps, on sera tous en retraite, ou parti voir ailleurs si j'y suis. Ça fait 15 ans qu'ils nous bassinent avec ce genre de fadaises — parfois les mêmes que ceux qui militaient ouvertement pour la LRU et qui, maintenant, pleurnichent que l'État est méchant mais que ça va passer. C'est parfois franchement grotesque.

Et d'ailleurs si on attend l'apocalypse - qui ne saurait tarder avec un peu de chance - on verra qu'il n'y aura plus besoin d'enseignants nulle part et que tous les problèmes qui nous tourmentent aujourd'hui n'en sont pas, avec un peu de recul.

Aperçu par hasard a écrit:Et d'ailleurs si on attend l'apocalypse - qui ne saurait tarder avec un peu de chance - on verra qu'il n'y aura plus besoin d'enseignants nulle part et que tous les problèmes qui nous tourmentent aujourd'hui n'en sont pas, avec un peu de recul.

Jenny a écrit:

Aperçu par hasard a écrit:Et d'ailleurs si on attend l'apocalypse - qui ne saurait tarder avec un peu de chance - on verra qu'il n'y aura plus besoin d'enseignants nulle part et que tous les problèmes qui nous tourmentent aujourd'hui n'en sont pas, avec un peu de recul.

Avec l'âge, il suffit même souvent de quelques petits problèmes de santé pour que l'on arrête de s'en faire, donc tous les espoirs sont permis.

stench a écrit:Et moi on m'a déjà annoncé que même ma thèse terminée, il n'y aura pas de poste pour moi. Alors même que ma directrice de recherche prendra sa retraite...

En même temps une thèse n'a jamais garantie un poste. De plus pour certaines matières il est interdit d'être recruté dans le laboratoire où l'on a effectué sa thèse. De plus si une professeur des universités prend sa retraite quand tout va bien c'est un professeur qui est recruté pas un Mcf.
Aprioris sans plus d'informations ce n'est donc pas choquant.

M.@ a écrit:

stench a écrit:Et moi on m'a déjà annoncé que même ma thèse terminée, il n'y aura pas de poste pour moi. Alors même que ma directrice de recherche prendra sa retraite...

En même temps une thèse n'a jamais garantie un poste. De plus pour certaines matières il est interdit d'être recruté dans le laboratoire où l'on a effectué sa thèse. De plus si une professeur des universités prend sa retraite quand tout va bien c'est un professeur qui est recruté pas un Mcf.
Aprioris sans plus d'informations ce n'est donc pas choquant.

D'expérience, et assez tristement, c'est souvent lorsqu'un PU part à la retraite que sa matière est rabotée, et que toute la masse salariale qu'il dégage file vers une autre composante/équipe de recherche qui aura eu les dents plus longues.

stench a écrit:Et moi on m'a déjà annoncé que même ma thèse terminée, il n'y aura pas de poste pour moi. Alors même que ma directrice de recherche prendra sa retraite...

Alors en même temps tu m’aurais dit que ta fac prévoyait de te recruter sur le poste de ta DR, je t’avoue que j’aurais trouvé ça quelque peu louche

Comme une impression de déjà vu : ces problèmes étaient déjà en germe il y a 15 ans. 15 ans, oh wait, fin de thèse (mais c'est personnel), Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur, ah oui, LRU, autonomie des universités, l'Amérique académique à portée de main, Harvard sur la Seine. What could have gone wrong ?

Voilà, ce qui a gone wrong, c'est exactement ce qu'on avait prédit à l'époque. Rappelons qu'aucun gouvernement dit de gauche n'a eu l'énergie de revenir sur cette cochonnerie de LRU.

Oui, mais maintenant, il y a le serment doctoral et ça, ça change tout ! (merci qui ? merci Pierre Ouzoulias !).
Même l'accès aux archives publiques plus ou moins contemporaines est devenu plus restreint qu'en 2008.

Même sans revenir sur la LRU (les rectorats n'ont plus les compétences pour reprendre les RH des établissements) et de nombreuses gouvernances universitaires poussent à plus d'autonomie, le problème de fond est que "l'argent va à l'argent" avec des SCSP figées au moment des passages RCE (leur augmentation en € ne compensant que partiellement l'inflation, le GVT, les mesures RH "fonctionnaires"...). Or toutes les universités ne peuvent pas se développer uniquement sur leurs contrats ou leur réussite aux divers AAP... En Ile de France, il y a une concurrence impitoyable entre les universités pour l'attribution de financements (PIA, AAP...).

Sujet annexe: certains ici ont lu le rapport "La place des composantes dans l'université?" de l'IGESR (sep 24)?

Oui je l'ai lu (le rapport).
Et évidemment que certaines universités sont des machines de guerre pour récupérer les sous. C'est pareil pour la recherche, où on est assez en retard par rapport à certains autres pays européens, dans lesquelles des universités ont des services de soutien à la recherche qui pondent les projets ERC tout ficelés en anglais à partir de grilles renseignées par les collègues dans leur langue.

RogerMartin a écrit:Voilà, ce qui a gone wrong, c'est exactement ce qu'on avait prédit à l'époque. Rappelons qu'aucun gouvernement dit de gauche n'a eu l'énergie de revenir sur cette cochonnerie de LRU.

Ce n'était pas une uniformisation de la loi pour se conformer à l'UE cette réforme de l'université ?

À ce point là, non : c'était aussi — et en réalité surtout — destiné à réaliser des “économies d'échelle” (disait un certain P. Hetzel à une certaine époque).