- SoiréeHabitué du forum
@epekeina.tes.ousias : complètement d'accord avec tout ce que tu viens d'écrire.
Cette vision de l'école garderie gratuite au bénéfice du patronat me semble de loin ce qui menace le plus l'école dans la spécificité de ses missions de service public.
Cette vision de l'école garderie gratuite au bénéfice du patronat me semble de loin ce qui menace le plus l'école dans la spécificité de ses missions de service public.
- epekeina.tes.ousiasModérateur
Sur l'autre idéologie, je suis plus circonspect. En un certain sens, il est vrai que les enseignants travaillent au service du public — donc des familles et des élèves, et que, moins ceux-ci sont favorisés, plus leur travail sert leurs intérêts. Mais tout renvoyer à “l'école”, c'est un masque hypocrite derrière lequel on déshabille les autres services publics : assistance sociale, santé, crèches, etc. On enlève tout cela et, la main sur le cœur, on vient dire : “il est bien naturel que les enseignants…” À ceci près que les enseignants le voudraient-ils, ils ne peuvent pas pourvoir à tout ce qui, par ailleurs, a été supprimé ou n'a pas été mis en place.
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- SoiréeHabitué du forum
Ce serait plutôt au patronat de payer pour la "simple garderie" (ou gardiennage) des enfants des travailleurs pauvres qu'il exploite (s'ils sont pauvres alors qu'ils travaillent), si le propos est simplement la disponibilité desdits travailleurs.
- Lisak40Expert spécialisé
Aperçu par hasard a écrit:X.Y.U. a écrit:J'en suis !zigmag17 a écrit:Tous à l'apéro anti K. Bossuet!!
Ce ne serait pas de refus, mais 6 cocktails, 9 bières, 6 flûtes de champagne et un verre de whisky, je ne suis pas sûr de tenir la distance.
Je me joins à vous, tan pis pour la gueule de bois ! Et sinon d'accord avec tout ce qui a été dit au-dessus. Par ailleurs, prof en LP, je peux vous dire que 95% de mes élèves sont en difficulté scolaire, et dans ces 95% qui auraient besoin possiblement de ce temps de travail en plus (pas convaincue du tout par l'idée je le précise), on va dire que 90% ne viendraient pas. Moi cette année j'ai eu des élèves absentéistes après la fin du 1er stage en janvier-février (et qui déjà ne venaient pas beaucoup avant), CQFD...
- lene75Prophète
epekeina.tes.ousias a écrit:Soirée a écrit:C'est aussi un pied dans la porte, comme le SNU volontaire ou le pacte volontaire pour faire entrer de force la contractualisation dans l'EN en dépit des garanties du statut.
Plus qu'un pied, c'est un très gros pied, voire les deux jambes. Quand on dit que cela devra concerner des millions d'élèves, contre actuellement 300 000 (dit le même article), que l'on va investir massivement et qu'il faut pour cela l'appui des parents, on dit qu'il faudra donc mobiliser beaucoup de profs. Même si l'on ne passe qu'à 3 millions, soit dix fois plus, l'article indique qu'il y a actuellement 40 000 profs qui encadrent : il faudrait donc en “mobiliser” 300 à 400 000. Ce qui, sur 880 000, fait beaucoup plus : 35 à 45% contre 4,5% actuellement…
On me dira que ce n'est pas une majorité. Mais l'important n'est pas de tout le monde rentre : c'est que les gosses de pauvres — les enfants dangereux des classes laborieuses elles-mêmes dangereuses — soient dans les écoles, sous contrôle pour éviter d'aller faire des bêtises. Ou encore, et cela ne relève pas nécessairement de la même idéologie ultra réac, pour les enfants des familles qui travaillent (elles!) et qui n'ont pas les moyens de faire prendre en charge leurs enfants, ou qui sont inquiètes de leur avenir : l'école devrait être là systématiquement. Non pas seulement pour instruire et éduquer, mais pour accueillir et prendre soin — ce qui est une extension “familialiste” de ses fonctions. Et que les profs soient, eux aussi, dans les écoles et les établissements, au lieu de se goberger aux frais des véritables “travailleurs” — ou encore, que le profs participent constamment à l'accueil et au soin de l'enfance et de l'adolescence. Deux idéologies (au moins) différentes, mais le résultat est le même.
Donc le pied dans la porte, c'est une pointure 45 tendance 51 et plus. Peu importe au fond l'idéologie invoquée : une fois que, en s'appuyant sur les parents, on aura fait “rentrer” une majorité de profs au 20 août (ou au 22, peu importe), qu'aura-t-on installé dans l'opinion publique ?
La limite à ça, c'est que des profs, il n'y en a plus, et que ce n'est pas en annonçant qu'en plus de tout le reste ils vont perdre 10 jours de vacances que ça va aider à en recruter.
Certes à court terme on peut adopter la technique "moins de fonctionnaires" donc moins besoin de recruter, mais jusqu'à combien peut-on tirer le "moins" ?
Le discours des fonctionnaires privilégiés ne tient plus dans le contexte actuel. Dans le même ordre d'idée j'ai entendu à la radio je ne sais quel gros malin qui accusait les médecins de faire des arrêts de complaisance pour garder leur patientèle se faire uppercuter par un médecin qui lui a expliqué que seul un médecin sur 10 était remplacé et que les médecins croulaient sous les patients. À un moment il y a des discours qui se heurtent à la réalité.
- epekeina.tes.ousiasModérateur
Cela me paraît aussi vrai et j'en suis d'accord. Mais je serais étonné qu'il faille interpréter les propos du ministre de l'EN comme l'annonce d'une tout autre politique… De même, je serais étonné s'il s'agissait d'autre chose que de faire des annonces — que ce soit suivi d'effets, lesquels etc. n'étant pas une question à l'ordre du jour.
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- SoiréeHabitué du forum
Un discours idéologique ne se heurte pas à la réalité, il a pour fonction de la façonner.
- Aperçu par hasardNeoprof expérimenté
Soirée a écrit:Un discours idéologique ne se heurte pas à la réalité, il a pour fonction de la façonner.
Ça ressemble à un sujet de disserte. C'est malin, je vais passer 4 heures devant mon ordi à me demander si je suis d'accord.
- epekeina.tes.ousiasModérateur
Aperçu par hasard a écrit:Soirée a écrit:Un discours idéologique ne se heurte pas à la réalité, il a pour fonction de la façonner.
Ça ressemble à un sujet de disserte. C'est malin, je vais passer 4 heures devant mon ordi à me demander si je suis d'accord.
Bah… Le temps qu'on se demande s'il y aura des effets ou pas, ce qu'ils seront ou non etc., la poudre aux yeux se sera renouvelée et un bavardage en aura chassé un autre — pendant que la situation continuera à se dégrader.
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- IphigénieProphète
Sinon ce qui est amusant dans notre temps de grandes statistiques et de grandes comparaisons c’est qu’il ne me semble pas avoir entendu qu’on faisait un parallèle entre la dégradation continue des performances scolaires et la dégradation continue du métier de professeur ( formation rémunérations temps de travail et donc recrutement et nombre de classes à charges et d’élèves) .
Parce que bon, ça donnerait quand même un parallélisme assez accablant.
Parce que bon, ça donnerait quand même un parallélisme assez accablant.
- epekeina.tes.ousiasModérateur
Et c'est bien pourquoi il faut détourner l'attention avec tout ce bavardage. Comme si l'uniforme ou tel autre gadget (plus ou moins rebutant) allait changer quoi que ce soit. Autant prétendre que c'est la couleur des stylos ou celle des murs qu'il faut modifier.
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- mgb35Érudit
Ce constat est fait par l'OCDE qui conseille à la France d'augmenter ses enseignants. Le MEDEF aussi le fait... Et a plusieurs fois sous entendu que c'était un vrai souci (tout comme le manque d'attractivité de la fonction publique).Iphigénie a écrit:Sinon ce qui est amusant dans notre temps de grandes statistiques et de grandes comparaisons c’est qu’il ne me semble pas avoir entendu qu’on faisait un parallèle entre la dégradation continue des performances scolaires et la dégradation continue du métier de professeur ( formation rémunérations temps de travail et donc recrutement et nombre de classes à charges et d’élèves) .
Parce que bon, ça donnerait quand même un parallélisme assez accablant.
- BaldredSage
La tournure que prend ce fil rejoint l'intéressant entretien publié dans Le Monde avec la psychanalyste et philosophe Cynthia Fleury sur le thème de la dignité et de l'indignité. Elle parle de la santé, mais il me semble que c'est bien aussi de cela dont on parle sur Néo. Quelques extraits de l'article :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/08/27/cynthia-fleury-nos-societes-sont-devenues-des-fabriques-systemiques-de-situations-indignes_6186723_3232.html
Elle développe ensuite l'importance de l'éthique du "care", qu'elle dit méprisée en France.
L'EN dans sa manière de traiter aussi bien ses personnels que les élèves parait se soucier de moins en moins de la dignité, elle qui devrait être le premier lieu de sa construction et de sa pratique.
https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/08/27/cynthia-fleury-nos-societes-sont-devenues-des-fabriques-systemiques-de-situations-indignes_6186723_3232.html
La peur de « tomber » un jour dans une situation d’indignité – ou jugée comme telle – est ancienne. Mais une nouvelle angoisse se fait de plus en plus présente dans nos sociétés occidentales, celle d’être obligé de se conduire de façon indigne à l’égard d’autrui, parce que le système ne permet plus de faire autrement
Question: Les institutions garantes des droits et de la dignité des personnes – l’hôpital, la justice, l’école, etc. – sont paradoxalement en première ligne dans ces dénonciations…
Réponse : Ce n’est pas un hasard. Depuis la fin du XXe siècle que l’on détricote consciencieusement le fonctionnement de nos services publics, nos sociétés sont devenues des fabriques systémiques de nouvelles formes de situations indignes. Les soignants, les magistrats, les travailleurs sociaux, les gardiens de prison sont nombreux à dire « ne plus pouvoir faire leur métier dignement ». Alors qu’ils se sont engagés dans ces institutions pour accompagner les individus dans l’épreuve, ils sont conduits, par manque de temps et de moyens, à participer à des situations indignes. Ils témoignent d’une même « souffrance éthique », ce sentiment de participer à un système de dupes où il n’y a d’autres choix que de se sentir mal ou de renoncer à l’empathie.
Plus largement, la montée des inégalités, les crises écologiques et leurs conséquences sur les ressources et les déplacements de populations conduisent à une multiplication et à une banalisation des atteintes à la dignité. Notre époque vit un décalage tragique entre l’affirmation d’une dignité humaine universelle et la réalité des faits qui dément ce discours.
Elle développe ensuite l'importance de l'éthique du "care", qu'elle dit méprisée en France.
La société renonce à l’idéal de la modernité qui, rappelons-le, est fondée sur l’éthique de la dignité des personnes : celle d’Aristote, soucieuse de la singularité du sujet, celle de Kant, qui ne peut considérer l’autre que comme une personne et une fin, celle de Ricœur, qui prend en compte les identités narratives. En lieu et place de cette singularité, notre société se prépare au grand retour de l’éthique utilitariste du tri et de la statistique, où l’on n’a plus les moyens d’accueillir ceux qui n’entrent pas dans les cases. La prise en considération de la valeur irréductible des vies laisse place aux outils de la priorisation.
L'EN dans sa manière de traiter aussi bien ses personnels que les élèves parait se soucier de moins en moins de la dignité, elle qui devrait être le premier lieu de sa construction et de sa pratique.
- BaldredSage
La tournure que prend ce fil rejoint l'intéressant entretien publié dans Le Monde avec la psychanalyste et philosophe Cynthia Fleury sur le thème de la dignité et de l'indignité. Elle parle de la santé, mais il me semble que c'est bien aussi de cela dont on parle sur Néo. Quelques extraits de l'article :
https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/08/27/cynthia-fleury-nos-societes-sont-devenues-des-fabriques-systemiques-de-situations-indignes_6186723_3232.html
Elle développe ensuite l'importance de l'éthique du "care", qu'elle dit méprisée en France.
L'EN dans sa manière de traiter aussi bien ses personnels que les élèves parait se soucier de moins en moins de la dignité, elle qui devrait être le premier lieu de sa construction et de sa pratique.
https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/08/27/cynthia-fleury-nos-societes-sont-devenues-des-fabriques-systemiques-de-situations-indignes_6186723_3232.html
La peur de « tomber » un jour dans une situation d’indignité – ou jugée comme telle – est ancienne. Mais une nouvelle angoisse se fait de plus en plus présente dans nos sociétés occidentales, celle d’être obligé de se conduire de façon indigne à l’égard d’autrui, parce que le système ne permet plus de faire autrement
Question: Les institutions garantes des droits et de la dignité des personnes – l’hôpital, la justice, l’école, etc. – sont paradoxalement en première ligne dans ces dénonciations…
Réponse : Ce n’est pas un hasard. Depuis la fin du XXe siècle que l’on détricote consciencieusement le fonctionnement de nos services publics, nos sociétés sont devenues des fabriques systémiques de nouvelles formes de situations indignes. Les soignants, les magistrats, les travailleurs sociaux, les gardiens de prison sont nombreux à dire « ne plus pouvoir faire leur métier dignement ». Alors qu’ils se sont engagés dans ces institutions pour accompagner les individus dans l’épreuve, ils sont conduits, par manque de temps et de moyens, à participer à des situations indignes. Ils témoignent d’une même « souffrance éthique », ce sentiment de participer à un système de dupes où il n’y a d’autres choix que de se sentir mal ou de renoncer à l’empathie.
Plus largement, la montée des inégalités, les crises écologiques et leurs conséquences sur les ressources et les déplacements de populations conduisent à une multiplication et à une banalisation des atteintes à la dignité. Notre époque vit un décalage tragique entre l’affirmation d’une dignité humaine universelle et la réalité des faits qui dément ce discours.
Elle développe ensuite l'importance de l'éthique du "care", qu'elle dit méprisée en France.
La société renonce à l’idéal de la modernité qui, rappelons-le, est fondée sur l’éthique de la dignité des personnes : celle d’Aristote, soucieuse de la singularité du sujet, celle de Kant, qui ne peut considérer l’autre que comme une personne et une fin, celle de Ricœur, qui prend en compte les identités narratives. En lieu et place de cette singularité, notre société se prépare au grand retour de l’éthique utilitariste du tri et de la statistique, où l’on n’a plus les moyens d’accueillir ceux qui n’entrent pas dans les cases. La prise en considération de la valeur irréductible des vies laisse place aux outils de la priorisation.
L'EN dans sa manière de traiter aussi bien ses personnels que les élèves parait se soucier de moins en moins de la dignité, elle qui devrait être le premier lieu de sa construction et de sa pratique.
- epekeina.tes.ousiasModérateur
J'étais justement en train de le lire… Mais le tout au nom du “soin”, de la bienveillance etc. Elle n'a pas tort, mais le problème est aussi l'extension d'une forme d'aveuglement et de cynisme volontaires qui substitue des discours à la réalité.
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- BaldredSage
epekeina.tes.ousias a écrit:J'étais justement en train de le lire… Mais le tout au nom du “soin”, de la bienveillance etc. Elle n'a pas tort, mais le problème est aussi l'extension d'une forme d'aveuglement et de cynisme volontaires qui substitue des discours à la réalité.
Oui, on pourrait dire qu'on est dans " l'anti" performatif : dire c'est défaire.
- epekeina.tes.ousiasModérateur
Baldred a écrit:epekeina.tes.ousias a écrit:J'étais justement en train de le lire… Mais le tout au nom du “soin”, de la bienveillance etc. Elle n'a pas tort, mais le problème est aussi l'extension d'une forme d'aveuglement et de cynisme volontaires qui substitue des discours à la réalité.
Oui, on pourrait dire qu'on est dans " l'anti" performatif : dire c'est défaire.
Je pense que tu as raison : c'est un discours qui déréalise le réel et qui cause un sentiment d'impossibilité ou de désorientation chez leurs destinataires. Et ce qui se perd, avec cette réalité, ce sont les individualités (il y a déjà des pages sur cela dans Les irremplaçables, qui date de quelques années, vers 2016 chez Gallimard). La conséquence majeure, c'est que dans tous les métiers où il est question (où il n'est question que) des rapports entre des individus (santé, éducation, justice, etc., l'ensemble des actions, des comportements et des choix deviennent obscurs, voire impossibles parce que, plus on agit, plus l'essentiel se perd et qu'il n'est guère possible de renoncer à agir (belle injonction paradoxale).
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- BaldredSage
Oui, c'est bien pire que la bonne vieille langue de bois. C'est l'effet secondaire de la post vérité, ce n'es pas juste de la com, c'est de la destruction. L'angle de la dignité, ou plutôt de l'indignité à laquelle elle nous mène, y compris comme acteurs, est peut-être une manière de mieux le comprendre.
- epekeina.tes.ousiasModérateur
Baldred a écrit:Oui, c'est bien pire que la bonne vieille langue de bois. C'est l'effet secondaire de la post vérité, ce n'es pas juste de la com, c'est de la destruction. L'angle de la dignité, ou plutôt de l'indignité à laquelle elle nous mène, y compris comme acteurs, est peut-être une manière de mieux le comprendre.
Là-dessus, je suis plus réservé. Je trouve que la notion de “post vérité” a bon dos — car enfin, on appelait cela jadis de la propagande.
Ce qui change peut-être, c'est pour le dire très approximativement l'inversion des moyens et des fins. Actuellement, les “fins” sont probablement de gérer un budget sur les grands chiffres et à enveloppe constante (ou en régression). Parmi les moyens, il y a les discours, les “éléments de langage”, qui peuvent parfaitement comporter des formules avec lesquelles on ne peut qu'être d'accord (par ex. la “réussite de tous” : qui prétendrait qu'il faut travailler à faire échouer le grand nombre ?). Mais bien évidemment, ce n'est qu'un simple bavardage, que l'on sert à certain moment et pour éviter toute discussion, et plus spécialement toute forme de prise en compte de la réalité.
C'est en somme de la pseudo politique — ce qui ne veut pas dire que cela n'a aucun effet catastrophique. Mais la particularité de ce discours par rapport à ce que l'on appelait jadis “idéologie”, c'est qu'il ne se présente plus comme une “science”, un discours rationnel et argumenté, mais bien plutôt comme un ensemble d'énoncés qui, étant détachés de tout contact avec la réalité, n'est pas réfutable au sens strict. Mettons que l'on dise que cette “politique” fait la preuve de son échec depuis quelques dizaines d'années, la réponse sera “raison de plus pour travailler autrement” : mais jamais cet autrement ne sera précisément défini, et encore moins mesuré dans son efficacité (sauf une efficacité de pure façade : par ex., comme il y a énormément d'étudiants inscrits en fac, ça prouve que ça marche).
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- BaldredSage
Tu as raison, cela fait longtemps qu'idéologie et propagande travaillent à produire des récits du réel. Néanmoins la "post vérité" de type trumpienne mais qu'on pouvait également repérer chez Sarko, me paraît ajouter une nuance. Il ne s'agit plus de construire une vérité plus conforme mais de la dévaluer en lui opposant une pseudo description objective, témoin notre Kévin Bossuet cité par Libé :
Dans la "post vérité" l'important est de dire la chose, peu importe si elle est stupide et qu'il serait facile de démontrer sa fausseté. Si ce n'est pas nouveau, la manière me parait nouvelle.«Moi, j’enseigne en Seine-Saint-Denis, je n’aime pas le terme de grand remplacement […] Mais c’est quand même la réalité ! Prenez un bus en Seine-Saint-Denis, il y a une diversité qui est très importante, y’a pas un mot de français dans le bus !»
- epekeina.tes.ousiasModérateur
Baldred a écrit:Tu as raison, cela fait longtemps qu'idéologie et propagande travaillent à produire des récits du réel. Néanmoins la "post vérité" de type trumpienne mais qu'on pouvait également repérer chez Sarko, me paraît ajouter une nuance. Il ne s'agit plus de construire une vérité plus conforme mais de la dévaluer en lui opposant une pseudo description objective, témoin notre Kévin Bossuet cité par Libé :
Dans la "post vérité" l'important est de dire la chose, peu importe si elle est stupide et qu'il serait facile de démontrer sa fausseté. Si ce n'est pas nouveau, la manière me parait nouvelle.«Moi, j’enseigne en Seine-Saint-Denis, je n’aime pas le terme de grand remplacement […] Mais c’est quand même la réalité ! Prenez un bus en Seine-Saint-Denis, il y a une diversité qui est très importante, y’a pas un mot de français dans le bus !»
Mais ce qui le permet, c'est l'amplification du mode de diffusion. Les moyens de contrôler la pertinence d'un propos sont toujours là : ils sont seulement noyés dans un flux immaîtrisable de “données” et dans un bruit dans lequel ils ne peuvent se faire entendre. Mais dire n'importe quoi avec aplomb en accusant tout contradicteur de faire partie du problème, cela n'a rien de neuf. Ce qui est “neuf”, ce sont les technologies et leur expansion politique : plus seulement les journaux, plus seulement la radio, même plus seulement la télévision — mais “internet” comme prétendue source de “savoirs” et d'“informations”, une sorte de “réservoir” inerte et sans orientation (ce qui est éminemment faux).
Dans le propos que tu cites, on voit que le niveau est, pour le dire charitablement, pitoyable : je prends le bus, je vois bien que, croyez-moi… Qui dirait le contraire serait probablement accusé de ne pas prendre le bus, ou pas le bon. C'est une pure impression transformée en arme destinée à faire taire tout interlocuteur, dont le niveau de rationalité est particulièrement bas. Mais dans la mesure où en réalité, il n'y a strictement aucun interlocuteur, juste un type qui vient proférer des énormités dans un “média” qui ne sert qu'à diffuser exclusivement ces énormités (entre deux messages publicitaires, lesquels finissent par paraître presque intelligents par comparaison), et dans la mesure où ce type de “médias” est en nombre tellement élevé qu'il n'y a quasiment rien d'autre, ce type de discours, en somme, occupe entièrement le terrain. On pourrait appeler cela de l'“hyper-propagande”, en raison des moyens démesurés dont ce type de militance dispose et le moyen est neuf. Mais dans sa structure, le procédé est formellement celui de la propagande idéologique telle qu'on la connaît depuis un ou deux siècles. Cela donne le moyen à n'importe quel propagandiste ou démagogue de déclamer en public en touchant énormément de gens, ce qui était moins accessible avant.
L'autre chose que je trouve critiquable dans l'expression “post vérité”, c'est que le mot “vérité” y figure. Alors qu'il ne s'agit, en réalité, au mieux que de mensonge et très souvent de quelque chose de bien plus primitif qu'un mensonge : dire n'importe quoi, l'essentiel étant dans le but recherché par qui emploie ce moyen, à savoir faire taire tout le monde. Même la simple présence du mot “vérité”, “post” ou pas “post” (au mieux on dit, c'est “après” sans dire ce que c'est, ce qui est une forme de paresse), pour qualifier cela me paraît de l'ordre du contresens radical. Employer une nouvelle expression(dénuée de clarté évidente), cela revient à mettre de côté un discours plus clair, en faisant croire que c'est tellement nouveau qu'on n'avait jamais vu cela : de là une sorte de sentiment d'impuissance généralisé et que l'on ne pouvait rien y faire (alors qu'en réalité, si c'était la première fois que des individus recherchant le pouvoir se mettaient à raconter n'importe quoi, ce serait plutôt une bonne nouvelle : mais c'est faux). Mais en réalité, des démagogues et des “tribuns” qui viennent proclamer force sottises et inepties, cela n'a rien de neuf : ce qui est neuf, c'est techniquement l'amplification de leur diffusion.
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- Vieux_MongolFidèle du forum
Baldred, je ne sais pas si c'est aussi nouveau que ça. On prend un concept éminemment discutable et pour le "prouver" on s'appuie sur une situation particulière que chacun peut vivre dans certains lieux. Et donc le "bon sens" issu de l'expérience immédiate et personnelle vaut vérité générale. Le fait qu'un collègue d'histoire-géographie puisse tomber là-dedans relève de la crapulerie et le fait que ce genre de crapulerie soit bien dans l'époque ne l'absout pas.
- epekeina.tes.ousiasModérateur
Oui. En revanche, les médias lui permettent de toucher une large audience.
Mais même dans le cas des déclarations des ministres : elles sont rarement citées in extenso, rarement confrontées avec des faits et encore plus rarement confrontées quelques semaines/mois/années après avec leurs prétendus effets. Ce type de “médiatisation” participe de la déréalisation générale des discours (ce qui fait aussi qu'il n'est même plus nécessaire ni utile de mentir).
Mais même dans le cas des déclarations des ministres : elles sont rarement citées in extenso, rarement confrontées avec des faits et encore plus rarement confrontées quelques semaines/mois/années après avec leurs prétendus effets. Ce type de “médiatisation” participe de la déréalisation générale des discours (ce qui fait aussi qu'il n'est même plus nécessaire ni utile de mentir).
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- Aperçu par hasardNeoprof expérimenté
epekeina.tes.ousias a écrit:Oui. En revanche, les médias lui permettent de toucher une large audience.
Mais même dans le cas des déclarations des ministres : elles sont rarement citées in extenso, rarement confrontées avec des faits et encore plus rarement confrontées quelques semaines/mois/années après avec leurs prétendus effets. Ce type de “médiatisation” participe de la déréalisation générale des discours (ce qui fait aussi qu'il n'est même plus nécessaire ni utile de mentir).
Question peut-être naïve (je ne suis pas philosophe ni historien), mais est-ce que ce n'est pas aussi une question de vitesse de diffusion et de renouvellement/recouvrement des informations? J'ai l'impression que le problème ne vient pas seulement du fait que les moyens techniques actuels permettent de diffuser massivement une contre vérité, mais aussi de ce qu'en imposant un rythme effréné de production de l'information, ils ne laissent pas le temps du recul, de la maturation. Ils favorisent une logique du renouvellement constant du stimulus dans laquelle la perte des repères et l'inconséquence deviennent presque un mode de fonctionnement "normal".
- epekeina.tes.ousiasModérateur
Aperçu par hasard a écrit:Question peut-être naïve (je ne suis pas philosophe ni historien), mais est-ce que ce n'est pas aussi une question de vitesse de diffusion et de renouvellement/recouvrement des informations? J'ai l'impression que le problème ne vient pas seulement du fait que les moyens techniques actuels permettent de diffuser massivement une contre vérité, mais aussi de ce qu'en imposant un rythme effréné de production de l'information, ils ne laissent pas le temps du recul, de la maturation. Ils favorisent une logique du renouvellement constant du stimulus dans laquelle la perte des repères et l'inconséquence deviennent presque un mode de fonctionnement "normal".
Oui. C'est aussi pourquoi je préfère parler de “médiatisation” : un emploi de techniques couplé avec une économie de la diffusion. La multiplication des déclarations, la multiplication de sa diffusion et la multiplication des tuyaux où elles circulent, c'est une sorte de flux sans limite et en modification constante. Là-dedans, il n'est plus question de faits, ni de quoi que ce soit d'autre que de “discours”. On peut malgré tout “s'y retrouver”, si on le veut, mais le problème, c'est justement de parvenir à le vouloir.
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