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NLM76
Grand Maître

"Veut-on former des lecteurs ou des lettrés ?" (Thomas B. Reverdy) - Page 2 Empty Re: "Veut-on former des lecteurs ou des lettrés ?" (Thomas B. Reverdy)

par NLM76 Lun 3 Juil 2023 - 7:31
NLM76 a écrit:
Taillevent a écrit:
Au passage, je relève encore une bêtise dans le texte de notre grantoteur : il explique benoîtement que Hugo et Molière se moquaient des figures de rhétorique. Ils pouvaient certes en rire, en particulier de leur abus mais les maîtrisaient si bien qu'ils en usent d'une manière dont M. Reverdy semble ne pas avoir conscience.
Ah. Bah zut alors. C'était à peu près le seul point pour lequel j'étais plutôt d'accord avec lui.
J'y reviens. Je tiens à nouveau que Molière et Hugo n'ont pas appris à écrire en apprenant les figures de rhétorique ; qu'ils ont appris à écrire en lisant, en apprenant par cœur, en copiant, en écrivant, en déclamant. Si ; ils ont appris de la "rhétorique", si tant est que la versification appartient à la rhétorique. Mais là où son discours s'articule de travers, c'est quand il raconte que l'explication linéaire, c'est l'analyse "desséchante" des figures de style.
DesolationRow
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par DesolationRow Lun 3 Juil 2023 - 7:48
La Bécasse a écrit:
On ne travaille pas pour faire plaisir au professeur (c'est son problème, fallait pas choisir ce job...), encore moins certainement que pour faire plaisir aux élèves. A force de vouloir faire ce qui plaît l'école ne plaît plus à personne

Pas du tout d'accord avec ça ! Il y a un programme, des objets d'étude, des attendus. Très bien ! Il y a une volonté de faire découvrir la littérature, son histoire, ses grands auteurs. Personne n'y contredit.
Mais qu'on nous laisse choisir nos classiques ! Qu'on ne nous les impose pas ! Parmi les trois nouveaux auteurs qu'on a chaque année, on peut avoir des réticences, voire des allergies.

Taillevent a écrit:Je parlais de la diversité des textes et des auteurs à l'intérieur du corpus d'un même enseignant pour une même classe. Pour aller vite, je trouve les listes de certains de mes collègues très peu ouvertes à la diversité de la littérature francophone : pour simplifier, disons très parisienne (et très masculine).
Il ne s'agit évidemment pas de "faire plaisir à l'enseignant" (même si j'ai tendance à penser que son goût pour une œuvre peut faciliter la transmission), juste de profiter de la richesse qui existe.

Absolument. J'ai moins de plaisir à enseigner des oeuvres qui me plaisent moins, ou que je connais peu. C'est une question de bon sens.

C'est très bien  d'enseigner les classiques, c'est important, mais l'on peut aussi varier un peu.

2020-2021 Molière, Marivaux, Lagarce
2021-2022 Olympe de Gouges, Rabelais, La Bruyère
2022-2023 Prévost, Balzac, Colette
2023-2024 Rimbaud, Ponge, Dorion !

Exception faite de Dorion et de Lagarce, on a vraiment l'impression que la littérature s'arrête en 1960 ! De là à penser que notre enseignement est un peu poussiéreux (et qu'il sous-tend une certaine idéologie) , il n'y a peut-être qu'un pas.


Si on trouve que Rimbaud, Molière, La Bruyère ou Balzac sont « poussiéreux » il faut faire autre chose qu’enseigner la littérature.
La Bécasse
La Bécasse
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par La Bécasse Lun 3 Juil 2023 - 9:47
Si on trouve que Rimbaud, Molière, La Bruyère ou Balzac sont « poussiéreux » il faut faire autre chose qu’enseigner la littérature.
Elégant comme remarque. Ce n'est absolument pas ce que j'ai écrit. Merci pour le conseil, mais j'adore mon métier, et heureusement beaucoup des auteurs du programme.
J'ai seulement parlé de variété et de liberté pédagogique.

Enfin la rébellion des modernes contre les antiques c’est aussi une bataille du passé,remarquez bien, (et les modernes d’alors n’étaient pas vraiment ceux qui le croyaient). Le manque de recul, c’est quand même le risque de faire travailler un trimestre les élèves sur des œuvres oubliées dans cinq ans. Mais on se sera fait plaisir, c’est sûr.

Encore une fois varions un peu, ou en tout cas ayons le choix. Je sais, je sais bien qu'un ministre récent a dit : "«La liberté pédagogique n’a jamais été l’anarchisme».
Un peu d'honnêteté en fait ne ferait pas de mal. Combien d'élèves lisent les 8 oeuvres du programme ? Combien d'élèves apprécient vraiment La Bruyère, Olympe de Gouges, Marivaux, Colette, Prévost etc... ? [Même Molière qui est mon auteur de prédilection et que j'étudierai toute ma vie, fait difficilement rire. (Il faut les emmener au spectacle, les faire monter au plateau, leur expliquer toutes les répliques, et encore ce n'est toujours pas gagné après).  A l'oral du bac cette année, aucun élève que j'ai interrogé sur le Malade n'a prononcé le mot "comique" !
Alors oui, je persiste à croire et à dire qu'il y a un problème dans notre enseignement, que les attentes sont démesurées, et que l'on fait semblant. Ce n'est peut-être pas le corpus le noeud du problème, mais il en fait partie.
Je pense enfin que défendre aveuglément - je ne sais pas comment nommer ça- , la grande littérature, la grandeur du passé, la culture ou que sais-je, c'est refuser d'admettre que certaines oeuvres plus récentes abordent des problématiques plus proches de nos élèves, dans une langue parfois plus simple (et là aussi ce n'est pas toujours le cas).
Je continuerai coûte que coûte à faire lire Rimbaud, Molière, La Fontaine et j'essayerai de faire aimer ces auteurs, et de faire comprendre que leurs écrits parlent encore du monde d'aujourd'hui. Mais la littérature, ce n'est pas que cela.
Une passante
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par Une passante Lun 3 Juil 2023 - 9:54
DesolationRow a écrit:

Si on trouve que Rimbaud, Molière, La Bruyère ou Balzac sont « poussiéreux » il faut faire autre chose qu’enseigner la littérature.

Totalement d'accord !!!

Un grand merci pour ce fil de discussion, beaucoup de mes amis sur les réseaux ont partagé cette tribune avec laquelle je n'étais pas franchement d'accord, ça fait du bien de lire ici que je ne suis pas seule !
NLM76
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par NLM76 Lun 3 Juil 2023 - 9:58
La Bécasse a écrit:Exception faite de Dorion et de Lagarce, on a vraiment l'impression que la littérature s'arrête en 1960 ! De là à penser que notre enseignement est un peu poussiéreux (et qu'il sous-tend une certaine idéologie) , il n'y a peut-être qu'un pas.
Laquelle ?

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Sites du grip :
  • http://instruire.fr
  • http://grip-editions.fr

Mon site : www.lettresclassiques.fr

«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
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par Minerve Lun 3 Juil 2023 - 10:15
NLM76 a écrit:
La Bécasse a écrit:Exception faite de Dorion et de Lagarce, on a vraiment l'impression que la littérature s'arrête en 1960 ! De là à penser que notre enseignement est un peu poussiéreux (et qu'il sous-tend une certaine idéologie) , il n'y a peut-être qu'un pas.
Laquelle ?

Un fond de conservatisme culturel peut-être ? Pardon La Bécasse si je me trompe, je réponds uniquement pour moi (et tente une piste qui me semble aujourd'hui un fourre tout servant de discriminant -négatif- universel ...).

Ceci dit, la liste de l'article fait écho à des temps anciens, remettant à l'honneur l'index ... (aucun jeu de mot dans mon esprit, ni mineur ni majeur).
Taillevent
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par Taillevent Lun 3 Juil 2023 - 10:26
NLM76 a écrit:Je tiens à nouveau que Molière et Hugo n'ont pas appris à écrire en apprenant les figures de rhétorique ; qu'ils ont appris à écrire en lisant, en apprenant par cœur, en copiant, en écrivant, en déclamant. Si ; ils ont appris de la "rhétorique", si tant est que la versification appartient à la rhétorique. Mais là où son discours s'articule de travers, c'est quand il raconte que l'explication linéaire, c'est l'analyse "desséchante" des figures de style.
L'apprentissage des figures de rhétoriques a fait partie de la formation classique des jeunes hommes recevant une éducation formelle jusque tard dans le XIXe siècle. Donc il serait hautement improbable que Molière et Hugo soient passés à côté. Il ne s'agit évidemment pas uniquement d'un apprentissage uniquement théorique : il s'insérait dans des lectures et dans la mise en pratique, qu'elle soit écrite ou orale.
Iphigénie
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par Iphigénie Lun 3 Juil 2023 - 10:29
Heureusement que l’école ne traite pas toute la littérature: ce serait sa mort . "Veut-on former des lecteurs ou des lettrés ?" (Thomas B. Reverdy) - Page 2 3284587592
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par Iphigénie Lun 3 Juil 2023 - 10:30
Taillevent a écrit:
NLM76 a écrit:Je tiens à nouveau que Molière et Hugo n'ont pas appris à écrire en apprenant les figures de rhétorique ; qu'ils ont appris à écrire en lisant, en apprenant par cœur, en copiant, en écrivant, en déclamant. Si ; ils ont appris de la "rhétorique", si tant est que la versification appartient à la rhétorique. Mais là où son discours s'articule de travers, c'est quand il raconte que l'explication linéaire, c'est l'analyse "desséchante" des figures de style.
L'apprentissage des figures de rhétoriques a fait partie de la formation classique des jeunes hommes recevant une éducation formelle jusque tard dans le XIXe siècle. Donc il serait hautement improbable que Molière et Hugo soient passés à côté. Il ne s'agit évidemment pas uniquement d'un apprentissage uniquement théorique : il s'insérait dans des lectures et dans la mise en pratique, qu'elle soit écrite ou orale.
Ils apprenaient aussi en écrivant des dissertations poèmes et thèses en latin: chiche.
Iphigénie
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par Iphigénie Lun 3 Juil 2023 - 10:32
La meilleure explication linéaire est dans les fzmmes savantes, cela dit: quoi qu’on die, on touche à l’essentiel….
Sinon «  conservatisme culturel » ce n’est pas un pléonasme, ça ?
Minerve
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par Minerve Lun 3 Juil 2023 - 10:39
Iphigénie a écrit:La meilleure explication linéaire est dans les fzmmes savantes, cela dit: quoi qu’on die, on touche à l’essentiel….
Sinon «  conservatisme culturel » ce n’est pas un pléonasme, ça ?

Je crois bien, oui, mais pas pour tout le monde ... Cela ne fonctionne que si l'on reconnaît la culture passée, et pas si on la limite à un présent toujours changeant. La célébrité post-mortem semble ne plus être un parti pris artistique chez de nombreux "auteurs".
gregforever
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par gregforever Lun 3 Juil 2023 - 10:42
Je la ressors régulièrement mais à la question posée en seconde il y a quelques années j'ai eu comme réponse: "des textes d'auteurs morts".
J'ai arrêté de demander. "Veut-on former des lecteurs ou des lettrés ?" (Thomas B. Reverdy) - Page 2 2790680366
gregforever
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Grand sage

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par gregforever Lun 3 Juil 2023 - 10:42
Je la ressors régulièrement mais à la question posée en seconde il y a quelques années "qu'est-ce que la littérature? " j'ai eu comme réponse: "des textes d'auteurs morts".
J'ai arrêté de demander. "Veut-on former des lecteurs ou des lettrés ?" (Thomas B. Reverdy) - Page 2 2790680366
Minerve
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par Minerve Lun 3 Juil 2023 - 10:46
La littérature n'échappe donc pas à la peoplisation ! On considère d'abord les auteurs, et éventuellement on s'intéresse aux textes ... Sainte-Beuve is back !
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par Reine Margot Lun 3 Juil 2023 - 10:57
[quote="La Bécasse"]



Je pense enfin que défendre aveuglément - je ne sais pas comment nommer ça- , la grande littérature, la grandeur du passé, la culture ou que sais-je, c'est refuser d'admettre que certaines oeuvres plus récentes abordent des problématiques plus proches de nos élèves, dans une langue parfois plus simple (et là aussi ce n'est pas toujours le cas).
Je continuerai coûte que coûte à faire lire Rimbaud, Molière, La Fontaine et j'essayerai de faire aimer ces auteurs, et de faire comprendre que leurs écrits parlent encore du monde d'aujourd'hui. Mais la littérature, ce n'est pas que cela.

Mais justement, les oeuvres du passé abordent des problématiques universelles qui sont toujours d'actualité, c'est une erreur de croire qu'un auteur contemporain sera "plus proche" ou mieux compris des élèves (ne serait-ce que parce qu'on manque beaucoup de choses quand on ne comprend pas toutes les références aux fameuses oeuvres du passé que les auteurs contemporains, eux, maîtrisent).
Le problème n'est pas le conservatisme supposé ou le côté "poussiéreux" des oeuvres du passé, mais que beaucoup d'élèves n'ont pas la maîtrise de la langue suffisante (syntaxe, vocabulaire) pour les comprendre, il faut souvent "traduire". La culture scolaire est facile d'accès pour certaines catégories de population (les "héritiers" de Bourdieu) mais étrangère à d'autres. Le défi est de la rendre accessible, mais on a tellement cassé le service public d'éducation que ce n'est pas avec 4h decours par semaine qu'on y arrivera.


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par e-Wanderer Lun 3 Juil 2023 - 11:18
Taillevent a écrit:
NLM76 a écrit:Je tiens à nouveau que Molière et Hugo n'ont pas appris à écrire en apprenant les figures de rhétorique ; qu'ils ont appris à écrire en lisant, en apprenant par cœur, en copiant, en écrivant, en déclamant. Si ; ils ont appris de la "rhétorique", si tant est que la versification appartient à la rhétorique. Mais là où son discours s'articule de travers, c'est quand il raconte que l'explication linéaire, c'est l'analyse "desséchante" des figures de style.
L'apprentissage des figure de rhétoriques a fait partie de la formation classique des jeunes hommes recevant une éducation formelle jusque tard dans le XIXe siècle. Donc il serait hautement improbable que Molière et Hugo soient passés à côté. Il ne s'agit évidemment pas uniquement d'un apprentissage uniquement théorique : il s'insérait dans des lectures et dans la mise en pratique, qu'elle soit écrite ou orale.
Dans les ouvrages de théorie de la rhétorique, il est vrai que les figures ont eu une importance croissante (voir Du Marsais etc.), mais dans les grands manuels d'enseignement utilisés par les jésuites (Colonia, Jouvancy etc), elles occupaient une place assez restreinte. La liste des figures canoniques est surtout très différente de celle que nous utilisons aujourd'hui, fondée sur la relecture faite par Genette du traité de Fontanier (traité théorique lui aussi) ou sur Morier, Molinié etc.
Voir par exemple le sommaire d'un manuel très connu, La rhétorique des demoiselles :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k49071g/f303.item
60 pages sur 300 consacrées aux figures, et essentiellement les grandes figures liée à des problèmes énonciatifs de grande amplitude, à la logique de l'argumentation et à la structuration du discours. L'allitération, la paronomase, l'anacoluthe ou le chiasme, ils s'en fichent complètement.


Dernière édition par e-Wanderer le Lun 3 Juil 2023 - 11:31, édité 3 fois

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par Iphigénie Lun 3 Juil 2023 - 11:25
e-Wanderer a écrit:
Taillevent a écrit:
NLM76 a écrit:Je tiens à nouveau que Molière et Hugo n'ont pas appris à écrire en apprenant les figures de rhétorique ; qu'ils ont appris à écrire en lisant, en apprenant par cœur, en copiant, en écrivant, en déclamant. Si ; ils ont appris de la "rhétorique", si tant est que la versification appartient à la rhétorique. Mais là où son discours s'articule de travers, c'est quand il raconte que l'explication linéaire, c'est l'analyse "desséchante" des figures de style.
L'apprentissage des figure de rhétoriques a fait partie de la formation classique des jeunes hommes recevant une éducation formelle jusque tard dans le XIXe siècle. Donc il serait hautement improbable que Molière et Hugo soient passés à côté. Il ne s'agit évidemment pas uniquement d'un apprentissage uniquement théorique : il s'insérait dans des lectures et dans la mise en pratique, qu'elle soit écrite ou orale.
Dans les ouvrages de théorie de la rhétorique, il est vrai que les figures ont eu une importance croissante (voir Du Marsais etc.), mais dans les grands manuels d'enseignement utilisés par les jésuites (Colonia, Jouvancy etc), elles occupaient une place assez restreinte. La liste des figures canoniques est surtout très différente de celle que nous utilisons aujourd'hui, fondée sur la relecture faire par Genette du traité de Fontanier (traité théorique lui aussi).
Voir par exemple le sommaire d'un manuel très connu, La rhétorique des demoiselles :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k49071g/f303.item
60 pages sur 300 consacrées aux figures, et essentiellement les grandes figures liée à des problèmes énonciatifs de grande amplitude et à la structuration du discours.
Voilà qui est très intéressant, même en matière de figures de style : merci! Smile
Taillevent
Taillevent
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par Taillevent Lun 3 Juil 2023 - 11:33
e-Wanderer a écrit:
Taillevent a écrit:
NLM76 a écrit:Je tiens à nouveau que Molière et Hugo n'ont pas appris à écrire en apprenant les figures de rhétorique ; qu'ils ont appris à écrire en lisant, en apprenant par cœur, en copiant, en écrivant, en déclamant. Si ; ils ont appris de la "rhétorique", si tant est que la versification appartient à la rhétorique. Mais là où son discours s'articule de travers, c'est quand il raconte que l'explication linéaire, c'est l'analyse "desséchante" des figures de style.
L'apprentissage des figure de rhétoriques a fait partie de la formation classique des jeunes hommes recevant une éducation formelle jusque tard dans le XIXe siècle. Donc il serait hautement improbable que Molière et Hugo soient passés à côté. Il ne s'agit évidemment pas uniquement d'un apprentissage uniquement théorique : il s'insérait dans des lectures et dans la mise en pratique, qu'elle soit écrite ou orale.
Dans les ouvrages de théorie de la rhétorique, il est vrai que les figures ont eu une importance croissante (voir Du Marsais etc.), mais dans les grands manuels d'enseignement utilisés par les jésuites (Colonia, Jouvancy etc), elles occupaient une place assez restreinte. La liste des figures canoniques est surtout très différente de celle que nous utilisons aujourd'hui, fondée sur la relecture faite par Genette du traité de Fontanier (traité théorique lui aussi) ou sur Morier, Molinié etc.
Voir par exemple le sommaire d'un manuel très connu, La rhétorique des demoiselles :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k49071g/f303.item
60 pages sur 300 consacrées aux figures, et essentiellement les grandes figures liée à des problèmes énonciatifs de grande amplitude, à la logique de l'argumentation et à la structuration du discours. L'allitération, la paronomase, l'anacoluthe ou le chiasme, ils s'en fichent complètement.
Merci pour cette référence, c'est très intéressant !
Chacun jugera mais 20% du manuel, je ne trouve pas ça négligeable. J'observe également que plusieurs des "figures" mentionnées recoupent les progymnasmata antiques qui se pratiquaient encore.
Ascagne
Ascagne
Grand sage

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par Ascagne Lun 3 Juil 2023 - 11:38
Ah, tiens, pour ma part, je trouve que certains collègues ont tendance à trop glisser vers le contemporain, en seconde par exemple. J'en ai déjà parlé sur l'autre fil, je suis dubitatif face à une trop grande orientation vers des œuvres intégrales (les demandes du programme sont excessives) : l'approche anthologique permet de mieux faire passer l'histoire littéraire et l'histoire des arts et propose des variations. Je note aussi que nous avons un système qui choisit, au lycée, de traiter le français en deux ans avant de passer à la philosophie, alors qu'il pourrait être intéressant de faire porter en fin de terminale une épreuve de présentation approfondie d'une lecture cursive ambitieuse (je n'ai pas fait passer le grand oral, mais ça a l'air moins intéressant que ce que je viens d'écrire  "Veut-on former des lecteurs ou des lettrés ?" (Thomas B. Reverdy) - Page 2 2790680366 ), au lieu de surcharger la première.
Nous sommes là pour faire passer une culture scolaire qui constitue un fondement pour la culture générale de chaque élève. Concernant le "plaisir de la lecture", je trouve qu'il y a de plus en plus de monde qui confond ça avec le "plaisir de lire des œuvres narratives engageantes", ce qui constitue un problème - à plus forte raison dans un contexte artistique où la littérature a tendance tout de même à décrocher face à d'autres arts et où on progresse vers une perception à l'américaine du divertissement.
Et puis, nous sommes en démocratie, vous savez : un système scolaire qui finirait par se dire que tout au plus le futur citoyen doit être capable juste de lire un tract de campagne électorale, plutôt qu'être capable d'entrer au moins dans une synthèse de rapport parlementaire sur une question grave - ou encore qu'écouter tel polémiste sur une chaîne respectant à peine les contraintes posées par le CSA ou l'Arcom suffit, plutôt qu'être capable de lire au moins un court essai... ça me fait cauchemarder.
e-Wanderer
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Grand sage

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par e-Wanderer Lun 3 Juil 2023 - 11:43
Taillevent a écrit:
Chacun jugera mais 20% du manuel, je ne trouve pas ça négligeable. J'observe également que plusieurs des "figures" mentionnées recoupent les progymnasmata antiques qui se pratiquaient encore.
Ce n'est pas négligeable, mais ce n'est pas l'essentiel. On voit aussi comment sont abordées les figures : le point de vue n'est pas techniciste, ni même très précis dans la description. L'accent est mis sur l'effet produit ou recherché.
Et tu as tout à fait raison d'insister sur les progymnasmata : c'est bien pourquoi il est important d'avoir une approche pratique et pas seulement théorique de la rhétorique. Quand on prend les exemples d'un manuel de l'époque et qu'on essaie de repérer les différentes étapes canoniques d'une narration (au sens rhétorique du terme, pas au sens actuel)ou d'une chrie, on est complètement perdu car c'est un savoir qu'on a arrêté de transmettre.

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par Taillevent Lun 3 Juil 2023 - 11:58
e-Wanderer a écrit:
Taillevent a écrit:
Chacun jugera mais 20% du manuel, je ne trouve pas ça négligeable. J'observe également que plusieurs des "figures" mentionnées recoupent les progymnasmata antiques qui se pratiquaient encore.
Ce n'est pas négligeable, mais ce n'est pas l'essentiel. On voit aussi comment sont abordées les figures : le point de vue n'est pas techniciste, ni même très précis dans la description. L'accent est mis sur l'effet produit ou recherché.
Et tu as tout à fait raison d'insister sur les progymnasmata : c'est bien pourquoi il est important d'avoir une approche pratique et pas seulement théorique de la rhétorique. Quand on prend les exemples d'un manuel de l'époque et qu'on essaie de repérer les différentes étapes canoniques d'une narration (au sens rhétorique du terme, pas au sens actuel)ou d'une chrie, on est complètement perdu car c'est un savoir qu'on a arrêté de transmettre.
Je n'ai pas dit que c'était l'essentiel. Ma remarque s'adressait au propos de Reverdy qui prétendait que des grands auteurs du passé n'auraient pas été intéressé par ces formules et également à nuancer un message précédent expliquant que la formation des auteurs aujourd'hui classiques n'aurait pas inclus ces formules.
Sur ce dernier point, je te rejoins largement, pour aujourd'hui comme pour des époques plus anciennes : il ne s'agit pas d'une apprentissage passif mais bien d'une pratique intégrée à l'enseignement (et qu'on retrouve souvent dans l'écriture des grands auteurs).
Clecle78
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Bon génie

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par Clecle78 Lun 3 Juil 2023 - 12:15
Ascagne a écrit:Ah, tiens, pour ma part, je trouve que certains collègues ont tendance à trop glisser vers le contemporain, en seconde par exemple. J'en ai déjà parlé sur l'autre fil, je suis dubitatif face à une trop grande orientation vers des œuvres intégrales (les demandes du programme sont excessives) : l'approche anthologique permet de mieux faire passer l'histoire littéraire et l'histoire des arts et propose des variations. Je note aussi que nous avons un système qui choisit, au lycée, de traiter le français en deux ans avant de passer à la philosophie, alors qu'il pourrait être intéressant de faire porter en fin de terminale une épreuve de présentation approfondie d'une lecture cursive ambitieuse (je n'ai pas fait passer le grand oral, mais ça a l'air moins intéressant que ce que je viens d'écrire  "Veut-on former des lecteurs ou des lettrés ?" (Thomas B. Reverdy) - Page 2 2790680366 ), au lieu de surcharger la première.
Nous sommes là pour faire passer une culture scolaire qui constitue un fondement pour la culture générale de chaque élève. Concernant le "plaisir de la lecture", je trouve qu'il y a de plus en plus de monde qui confond ça avec le "plaisir de lire des œuvres narratives engageantes", ce qui constitue un problème - à plus forte raison dans un contexte artistique où la littérature a tendance tout de même à décrocher face à d'autres arts et où on progresse vers une perception à l'américaine du divertissement.
Et puis, nous sommes en démocratie, vous savez : un système scolaire qui finirait par se dire que tout au plus le futur citoyen doit être capable juste de lire un tract de campagne électorale, plutôt qu'être capable d'entrer au moins dans une synthèse de rapport parlementaire sur une question grave - ou encore qu'écouter tel polémiste sur une chaîne respectant à peine les contraintes posées par le CSA ou l'Arcom suffit, plutôt qu'être capable de lire au moins un court essai... ça me fait cauchemarder.
Alors là, je suis tout à fait d'accord ! Tu as parfaitement exprimé ma pensée sur tous les points et notamment sur l'intérêt de l'anthologie dont j'ai eu la chance de bénéficier au lycée. Même si on étudiait quelques oeuvres intégrales on ne faisait pas moins d'une quarantaine de textes ( j'ai retrouvé ma liste de bac avec 45 textes en première A1 latin grec en 1980).
uneodyssée
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par uneodyssée Lun 3 Juil 2023 - 12:37
Et nous rejoignons donc en partie le propos de ce monsieur : pour enseigner la littérature, il faut faire écrire. Y compris en latin et en grec (vous aurez reconnu la fervente animatrice d’ateliers d’écriture !). Et faire écrire ne se fait pas sans lecture, évidemment.

Nous conviendrons peut-être qu’il est stérile de dire : tout ce qui est vieux est poussiéreux, et tout aussi stérile de dire : seul ce qui est ancien est valable. Pour moi il y a tout autant de nécessité à transmettre le meilleur de la littérature du passé, qu’à montrer que la littérature est aussi une pratique vivante, avec des auteurs et autrices qui se posent des questions d’écriture. On forme des lecteurs (et surtout des lectrices, en fait, statistiquement) en faisant lire de tout, à nous de doser ce tout au mieux… et en espérant que les graines germent un jour.

Mon expérience me laisse penser que bizarrement, les élèves comprennent mieux cela en discutant avec quelqu’un, dans le cadre d’une rencontre, qu’en lisant le Journal des faux-monnayeurs (éprouvants souvenirs de TL où clairement le roman ne parlait à personne et donc, en plus, se taper le Journal, non merci disaient-ils), et qu’il est bien plus facile ensuite de leur faire admettre que c’est somme toute la même chose, et que Molière Voltaire Baudelaire se posaient aussi très certainement des questions d’écriture qui ont façonné les œuvres que nous lisons.

NLM, je suis persuadée que l’explication telle que tu la pratiques, et telle que beaucoup d’entre vous la pratiquez, n’est pas desséchante, mais il faut bien reconnaître qu’il y a (eu) une dérive techniciste telle que la maîtrise des figures de style et de leurs noms savants est passée devant le sens du texte – au moins aux yeux d’une partie des élèves que nous interrogeons. Et que là, collectivement, on a manqué quelque chose.

Je suis d’accord aussi avec Ascagne sur les larges extraits, qui peuvent largement suffire Wink. Assortis peut-être d’un livre bien bien long mais accessible et bien accompagné pour se prouver aussi qu’on peut lire un gros livre… et peut-être même l’apprécier Smile.

(pourquoi je n’arrive pas à afficher la page sur Gallica ?)
Solovieï
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par Solovieï Lun 3 Juil 2023 - 12:58
Si je suis d'accord avec certains points de l'article, d'autres m'interpellent.
D'abord, il me semble que l'auteur de l'article, à l'illustre patronyme, généralise un peu, ce qui est souvent le défaut de ce genre d'articles. Comment formuler des vérités générales sur l'enseignement de la littérature ? Cela n'a pas de sens. Les professeurs de lettres sont très loin d'être formatés (pour cela, il faudrait déjà avoir été formés à l'enseignement, et en France, ce n'est pas vraiment le cas). Il suffit de la moindre formation, du moindre moment d'échange de pratiques pour se rendre compte que chacun explore ses méthodes, a sa façon d'entrer dans les textes, les œuvres, etc. Ainsi, tout propos général doit être nuancé.

L'auteur s'offusque du programme d'œuvre en Première, alors que je le trouve moi plutôt équilibré, dans l'ensemble et après 4 ans. À la limite, on peut lui reprocher de limiter la liberté pédagogique, mais c'est un débat que T. Reverdy n'ouvre pas vraiment.

"annôner la succession des mouvements littéraires", "les figures de style", etc. Cette représentation de notre enseignement est fondée sur une dérive qui, si elle existe bel et bien (j'y suis confronté presque tous les jours dans mes fonctions), n'en reste pas moins une dérive, qui n'est pas le fait de tous les professeurs et correspond encore moins à une obligation ou une préconisation des programmes. Encore une fois, biais de généralisation. Dans la théorie comme dans la pratique, rien n'oblige le professeur a enseigner la littérature ainsi. Partir en croisade contre la dérive techniciste, certes oui, mais il faut le faire en connaissance de cause et avec les bonnes armes. Au demeurant, pas sûr qu'un article y contribue : c'est sur le terrain, en formation, en tutorat, que les choses se passent.

Victor Hugo, se moquant des figures de rhétorique ? Alors là, je me gausse, comme la courbe ! Sur quelle source ou aveu cette affirmation se fonde-t-elle ? Et quand bien même trouverions-nous une phrase (probablement sortie de tout contexte) évoquant le sujet, comment distinguer ce qui relève de la provocation ou de la confidence, chez ces deux caractères que sont Molière ou Hugo ?
Sous ces formulations provoquantes, dont l'article est émaillé, j'y vois moi le procédé connu consistant à créer du sensationnel, de la provocation à peu de frais, pour susciter l'indignation du lecteur, bien content de s'en tenir à ces simplismes plutôt que d'avoir à creuser le sujet.

La conception de la littérature défendue dans l'article est qu'elle devrait avoir à dire quelque chose du monde d'aujourd'hui. Autrement dit, toute littérature devrait être d'actualité, d'une manière ou d'une autre. La littérature n'a-t-elle rien à dire du passé ? de l'avenir ? de l'intemporel et de l'universel ?

Il me semble aussi qu'il se méprend sur l'objectif de l'enseignement littéraire au lycée (qu'il limite d'ailleurs au Français en 2nde et 1ère, ce qui pose déjà question à propos de sa connaisssance réelle du contexte). Notre objectif est-il de former des lecteurs ? Il me semble peu probable que ce soit l'objectif de l'État qui nous emploie, sous pression du lobby des libraires... Pour ma part, l'objectif est de contribuer à former des gens qui pensent, réfléchissent, analysent. Dans le second degré au moins, il s'agit de faire en sorte que les élèves, futurs adultes, soient capables de comprendre le raisonnement d'autrui, de s'exprimer clairement (y compris dans le champ de l'abstrait, des idées, de la pensée conceptuelle) et de construire (à l'écrit comme à l'oral) un raisonnement structuré, argumenté et cohérent. Objectif fort pragmatique j'en conviens, mais c'est ainsi que je conçois mon travail, dans le second degré.
Grand lecteur moi-même, et depuis le plus jeune âge, ce n'est certes pas l'école qui m'a incité à la lecture. Je serais bien curieux de lire des témoignages ou, mieux encore, des statistiques, révélant que certains sont vraiment devenus "lecteurs" grâce à l'école...

Cette façon de justifier la critique par le simple fait que les auteurs sont "anciens" (donc dépassés, réactionnaires, déconnectés de la réalité, etc.) relève au mieux de la démogogie et du sensationnalisme, au pire de l'ignorance. La leçon de Montaigne sur l'altérité, hors de propos ? La Boétie et la servitude, dépassé ? Rabelais en croisade contre le faux savoir, le latin de cuisine et le name-dropping, daté ? De la part d'un agrégé, cela surprend.

Je suis le premier à défendre la littérature contemporaine, à la promouvoir dans le cadre des enseignements au lycée. Pour ce faire, je n'ai nul besoin de dénigrer les anciens ou les "classiques". Est-il si difficile de construire un équilibre, de doser ? On reconnaît là une autre dérive coutumière de la communication actuelle : la polarisation du discours et des idées. Tout ou rien, pour ou contre, pas de demi-mesure, pas de voie du milieu. C'est la mort de la pensée !
Il est vrai que de nombreux professeurs se réfugient par facilité (habitude, ressources pédagogiques disponibles, etc.) dans les "classiques". Ce n'est pas une généralité non plus et ce n'est absolument pas imposé par les programmes, comme le laisse savamment entendre M. Reverdy à ses lecteurs. Les programmes nous invitent même explicitement à la littérature étrangère, antique, etc., autrement dit à varier le paysage littéraire que nous offrons aux élèves.
Il faut tout de même admettre que les auteurs du passé ont au moins le mérite d'avoir résisté au temps, "ce grand sculpteur" (Yourcenar). Qui peut assurer que dans 50 ans (ou même 30...), on lira En attendant Bojangles ?

Il met en avant les 3 Nobel français encore vivants. Fort bien. D'abord, si on moque souvent la nécessité de mourir pour qu'un auteur devienne connu, je demande moi en quoi le fait d'être vivant est un gage de qualité. Ensuite, cet exemple est particulièrement maladroit, car ces 3 auteurs (Modiano, Le Clézio, Ernaux) sont très souvent mobilisés par les professeurs de lycée ! Encore une fois, la méconnaissance du terrain par l'auteur, au moins hors les murs de son petit établissement, surprend.

M. Reverdy semble encore penser que le choix des auteurs et des titres détermine l'efficacité et le succès de l'enseignement des lettres. Cela est, paradoxalement, assez réactionnaire comme représentation.

Tout n'est pas à jeter. Il a raison d'articuler lecture et écriture, ce dont on tend à s'éloigner actuellement. Je suis d'accord avec lui quant à la nécessité d'injecter un peu de contemporain dans les choix de certains professeurs, ne serait-ce que pour rappeler aux élèves que la littérature n'est pas une relique, mais continue de se faire, au jour le jour.

Au fond, ce que je n'apprécie pas, c'est la posture et le style de cet article. Il est de bon ton aujourd'hui que les stars du showbiz admirent et défendent les voyous, se gargarisent de leurs contacts dans le "milieu". Le même phénomène est à l'œuvre dans l'éducation : il est de bon ton de passer pour le rebelle de service, s'insurgeant contre les "classiques", dénonçant le règne des idoles et de leurs disciples aliénés. Vitupérer sur la scène publique en s'aidant de formules généralisantes, de simplismes, pour attirer le chaland (ce dernier étant souvent bien content de régler ses comptes avec le souvenir qu'il a gardé de l'école...), tout cela, c'est de la poudre aux yeux et, ce qui m'inquiète plus, de l'ignorance, ignorance du contenu réel des grands textes du passé.
La dynamique est toujours la même : le passé, c'est nul. Le maintenant (surtout le maintenant, tout, tout de suite), c'est mieux. On rit souvent des réactionnaires, dont je suis avec fierté, et pas seulement en littérature, on devrait rire aussi de la puérilité des prosélytes du présentisme.
La Bécasse
La Bécasse
Niveau 3

"Veut-on former des lecteurs ou des lettrés ?" (Thomas B. Reverdy) - Page 2 Empty Re: "Veut-on former des lecteurs ou des lettrés ?" (Thomas B. Reverdy)

par La Bécasse Lun 3 Juil 2023 - 13:13
Nous conviendrons peut-être qu’il est stérile de dire : tout ce qui est vieux est poussiéreux, et tout aussi stérile de dire : seul ce qui est ancien est valable. Pour moi il y a tout autant de nécessité à transmettre le meilleur de la littérature du passé, qu’à montrer que la littérature est aussi une pratique vivante, avec des auteurs et autrices qui se posent des questions d’écriture. On forme des lecteurs (et surtout des lectrices, en fait, statistiquement) en faisant lire de tout, à nous de doser ce tout au mieux… et en espérant que les graines germent un jour.

Ces propos sont d'une grande sagesse ! Merci !
Je ne sais pas pourquoi mais cette polémique m'a fait songer aux mots de Rimbaud sur Musset (on n'est pas à un paradoxe près) : "ô ‘’Rolla’’, ô‘ ’Namouna’’, ô ‘’la Coupe’’ ! Tout est français, c'est-à-dire haïssable au suprême degré ; français, pas
parisien ! Encore une œuvre de cet odieux génie qui a inspiré Rabelais, Voltaire, Jean La Fontaine".
Enfin, je reviens une dernière fois sur le mot "poussiéreux" que j'ai peut-être employé un peu vite. Il était attribut du sujet "enseignement" dans ma phrase. Il ne renvoyait pas aux auteurs. Par ailleurs, j'ai écrit "un peu poussiéreux".
Voilà un des sens de ce mot proposé par  CNRTL :
"2. [En parlant d'un inanimé abstr.: d'une institution, d'une activité, d'un mode d'expression ou de pensée, etc.]
a) Qui est figé; qui évoque la monotonie, le vieillissement."
Et bien malheureusement, pour beaucoup d'élèves cela revient un peu à ça, notre enseignement. Quoi qu'on die, même si ce mot est joliment dit....
Bref...
Je regrette simplement que les oeuvres soient de moins en moins comprises par les élèves. Evidemment, c'est une question de moyen et la réduction des heures ne commence pas en première. Je reste néanmoins persuadé que ce choix imposé est une brimade, une brimade idéologique, une brimade de plus qui suggère le laxisme des professeurs, le manque d'exigences, d'ambition intellectuelle, le supposé danger de faire étudier des auteurs marginaux etc...
Mais j'ai peut-être "des visions derrière la gaze des rideaux."
Iphigénie
Iphigénie
Prophète

"Veut-on former des lecteurs ou des lettrés ?" (Thomas B. Reverdy) - Page 2 Empty Re: "Veut-on former des lecteurs ou des lettrés ?" (Thomas B. Reverdy)

par Iphigénie Lun 3 Juil 2023 - 13:25
Peut-être que l'intention était juste de rendre un peu d'uniformité, non pas morne mais nécessaire à une éducation commune, et qu'on avait très largement perdue à force de"moi, je personnellement pense, aime, choisis ma liberté pédagogique".... Le résultat est mauvais, on peut tous s'accorder au moins sur le constat: car comme toujours on va d'un extrême à l'autre ou plutôt d'une arrière-pensée à une autre...
On peut s'accorder aussi sur le ridicule du titre: veut-on former des lecteurs ou des lettrés: pour l'instant le plus sûr du système, c'est dans la formation de l'illettrisme.
Toute cette discussion n'a pas grand sens comme cela a été justement dit, dans la mesure où le problème de nos premières est encore au stade 1, à savoir dans la capacité de lire et écrire à vitesse raisonnable...Avant d'avoir des lecteurs et des lettrés, on a une marge suffisante pour ne  pas trop pointer la faute à Voltaire ou Rousseau...
ps: si le mot poussiéreux évoque le vieillissement, je te fais remarquer que le vieillissement concerne aussi les contemporains, parfois ce sont même ceux qui vieillissent le plus vite: de "mon temps", être résolument pour la litérature vivante signifiait préférer faire lire Barjavel (ou Elise et la vraie vie, Joffo -Patrick Cauvin...) au collège et Patrick Grainville (Laîné...) au lycée plutôt que Hugo ou Maupassant: du coup je me demande ce qui est le plus poussiéreux aujourd'hui.
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