- RuthvenGuide spirituel
La question est dans le titre. On m'a posé la question à propos de Lucrèce. Y avait-il un accompagnement musical ? En restait-on à la seule scansion ?
- Theriakos96Habitué du forum
Cela dépend, à mon sens, bien que je ne sois pas un spécialiste de la question.
Si nous prenons la poésie grecque, pour faire bref et un peu simple, on sait qu'elle était globalement chantée (poésie lyrique chorale et monodique) et accompagnée par des instruments musicaux. Pour la poésie dramatique, par exemple, on sait que seulement les chœurs, en mètres lyriques et dialecte dorien, étaient chantés, alors que les parties en vers parlés, étaient jouées en respectant seulement la scansion, quoi que cela veuille dire.
En ce qui concerne la poésie latine, la question peut se poser davantage, dans la mesure où elle a une origine quelque peu différente, pour le contexte et les modèles auxquels elle se réfère.
Partons de l'étymologie : carmen est relié à canere et souvent on retrouve les deux mots ensemble (canere carmen comme figura etymologica), il semble donc qu'il y ait un étroit lien entre une activité et l'autre.
Le carmen saeculare d'Horace avait été chanté, on le sait pour sûr grâce à une inscription (Sacrificio perfecto puer. [X]XVII quibus denuntiatum erat patrimi et matrimi et puellae totidem carmen cecinerunt ; eo[de]m modo in Capitolio. Carmen composuit Q. Hor[at]ius Flaccus) qui nous le rapporte. Mais c'est là une information plus unique que rare, nous n'en savons pas autant pour tous les poèmes. Il se peut toutefois que pour certains genres (poésie d'apparat, par exemple) il y eût toujours un accompagnement musical et que les textes fussent tous chantés, mais pour d'autres genres, on en sait bien moins. Chez les comédiens, certains vers, les sénaires par exemple, étaient parlés, d'autres (canticus multis modis) étaient chantés : beaucoup dépend donc du genre auquel appartient le texte poétique.
Est-ce que Lucrèce a été chanté? Virgile?
Je ne crois pas, peut-être l'hexamètre était-il chanté à ses débuts (mais sa préhistoire est tout de même assez obscure, il paraît une invention purement grecque), mais à l'époque tardo-républicaine et augustéenne je ne crois pas qu'on puisse parler d'hexamètre chanté, du moins il n'est pas fait mention dans la uita Vergilii tirée de Suétone d'aucune musique dans la transposition en vers du matériau écrit en prose par l'auteur...mais la question peut sans doute trouver une réponse plus précise (et plus réfléchie) dans plus savant que moi!
Si nous prenons la poésie grecque, pour faire bref et un peu simple, on sait qu'elle était globalement chantée (poésie lyrique chorale et monodique) et accompagnée par des instruments musicaux. Pour la poésie dramatique, par exemple, on sait que seulement les chœurs, en mètres lyriques et dialecte dorien, étaient chantés, alors que les parties en vers parlés, étaient jouées en respectant seulement la scansion, quoi que cela veuille dire.
En ce qui concerne la poésie latine, la question peut se poser davantage, dans la mesure où elle a une origine quelque peu différente, pour le contexte et les modèles auxquels elle se réfère.
Partons de l'étymologie : carmen est relié à canere et souvent on retrouve les deux mots ensemble (canere carmen comme figura etymologica), il semble donc qu'il y ait un étroit lien entre une activité et l'autre.
Le carmen saeculare d'Horace avait été chanté, on le sait pour sûr grâce à une inscription (Sacrificio perfecto puer. [X]XVII quibus denuntiatum erat patrimi et matrimi et puellae totidem carmen cecinerunt ; eo[de]m modo in Capitolio. Carmen composuit Q. Hor[at]ius Flaccus) qui nous le rapporte. Mais c'est là une information plus unique que rare, nous n'en savons pas autant pour tous les poèmes. Il se peut toutefois que pour certains genres (poésie d'apparat, par exemple) il y eût toujours un accompagnement musical et que les textes fussent tous chantés, mais pour d'autres genres, on en sait bien moins. Chez les comédiens, certains vers, les sénaires par exemple, étaient parlés, d'autres (canticus multis modis) étaient chantés : beaucoup dépend donc du genre auquel appartient le texte poétique.
Est-ce que Lucrèce a été chanté? Virgile?
Je ne crois pas, peut-être l'hexamètre était-il chanté à ses débuts (mais sa préhistoire est tout de même assez obscure, il paraît une invention purement grecque), mais à l'époque tardo-républicaine et augustéenne je ne crois pas qu'on puisse parler d'hexamètre chanté, du moins il n'est pas fait mention dans la uita Vergilii tirée de Suétone d'aucune musique dans la transposition en vers du matériau écrit en prose par l'auteur...mais la question peut sans doute trouver une réponse plus précise (et plus réfléchie) dans plus savant que moi!
_________________
Dicebat Bernardus Carnotensis nos esse quasi nanos, gigantium humeris insidentes, ut possimus plura eis et remotiora videre, non utique proprii visus acumine, aut eminentia corporis, sed quia in altum subvenimur et extollimur magnitudine gigantea.
– Jean de Salisbury, Metalogicon, III, 4
- ipomeeGuide spirituel
Merci, Thériakos, je découvre pas mal de choses.
- SphinxProphète
Pour autant que je sache (mais je ne suis pas spécialiste) ça dépend un peu de la circonstance : représentation publique dans le cadre d'un concours de poésie, où j'imagine qu'il pouvait y avoir des instruments, ou bien lecture privée - par laquelle j'entends plutôt la pratique de la recitatio, c'est-à-dire qu'un poète désireux de publier son ouvrage terminé réunit ses amis chez lui ou chez un riche mécène et lit ses vers, avec scansion sans doute, mais je ne crois pas qu'il soit jamais fait mention d'accompagnement musical. Deux sources utiles : Ancient Literacies, the culture of reading in Greece and Rome, edited by William A. Johnson and Holt N. Parker, Oxford, 2009, et Ancient Literacy, William Harris, Harvard University Press, 1989.
_________________
An education was a bit like a communicable sexual disease. It made you unsuitable for a lot of jobs and then you had the urge to pass it on. - Terry Pratchett, Hogfather
"- Alors, Obélix, l'Helvétie c'est comment ? - Plat."
- NLM76Grand Maître
Le problème, qu'évoque Theriakos en passant, c'est la zone intermédiaire entre "chanter" et "parler". Pour la poésie dite parlée, tu peux penser aux récitatifs d'opéra, au rap, au slam. Tu peux aussi écouter la façon dont Sarah Bernhardt déclamait Phèdre. A mon avis, la question, c'est plutôt de savoir où on est entre le parlé et le chanté. Et ce d'autant plus qu'il y a une mélodie impliquée par la langue, surtout dans le cadre de la poésie.
On débat encore pour savoir si le latin d'époque républicaine avait un accent mélodique ou d'intensité. Mais la poésie composée par les bilingues amoureux du grec que sont les poètes latins étaient sans doute dite en bonne partie "à la grecque", avec une ligne mélodique imposée par la langue, et un rythme organisé par la métrique.
On débat encore pour savoir si le latin d'époque républicaine avait un accent mélodique ou d'intensité. Mais la poésie composée par les bilingues amoureux du grec que sont les poètes latins étaient sans doute dite en bonne partie "à la grecque", avec une ligne mélodique imposée par la langue, et un rythme organisé par la métrique.
_________________
Sites du grip :
- http://instruire.fr
- http://grip-editions.fr
Mon site : www.lettresclassiques.fr
«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- Theriakos96Habitué du forum
Merci pour les références précises, je n’avais rien sous la main hier !Sphinx a écrit:Pour autant que je sache (mais je ne suis pas spécialiste) ça dépend un peu de la circonstance : représentation publique dans le cadre d'un concours de poésie, où j'imagine qu'il pouvait y avoir des instruments, ou bien lecture privée - par laquelle j'entends plutôt la pratique de la recitatio, c'est-à-dire qu'un poète désireux de publier son ouvrage terminé réunit ses amis chez lui ou chez un riche mécène et lit ses vers, avec scansion sans doute, mais je ne crois pas qu'il soit jamais fait mention d'accompagnement musical. Deux sources utiles : Ancient Literacies, the culture of reading in Greece and Rome, edited by William A. Johnson and Holt N. Parker, Oxford, 2009, et Ancient Literacy, William Harris, Harvard University Press, 1989.
- IphigénieProphète
- RuthvenGuide spirituel
Merci pour vos réponses et pour les suggestions de lecture !
En creusant la biblio., je suis tombé sur le chap. V de la thèse de Maxime Pierre ( https://www.lesbelleslettres.com/livre/210-carmen ) où il montre qu'il y a un changement de perspective sur le carmen entre Ennius et Lucrèce - déprécié chez le premier, utilisé chez le second. Mais ce n'est pas pour autant que la performance vocale est présente ; M. Pierre montre que Lucrèce ne se désigne que comme scripteur.
"Est-ce à dire qu'une performance vocale des carmina soit exclue ? Si l'on est peu informé sur les éventuelles performances du De rerum natura, des scholies aux Bucoliques de Virgile nous apprennent que Catulle "chantait d'une voix douce" (dulci uoce cantabat). Toutefois, lorsque Cicéron nomme la nouvelle génération de poète "chanteurs d'Euphorion" (cantores Euphorionis), la dénomination de cantor est alors fortement dépréciative : elle renvoie à une performance d'histrions. Ainsi on peut expliquer que Lucrèce et Catulle ne se nomment jamais par le terme cantor mais par le terme poeta qui valorise au contraire une compétence d'écriture." (p. 246)
Dans une recension du livre de M. Pierre, je viens de trouver : Lowrie, Writing,Performance and Authority in Augustan Rome, Oxford, 2009.
En creusant la biblio., je suis tombé sur le chap. V de la thèse de Maxime Pierre ( https://www.lesbelleslettres.com/livre/210-carmen ) où il montre qu'il y a un changement de perspective sur le carmen entre Ennius et Lucrèce - déprécié chez le premier, utilisé chez le second. Mais ce n'est pas pour autant que la performance vocale est présente ; M. Pierre montre que Lucrèce ne se désigne que comme scripteur.
"Est-ce à dire qu'une performance vocale des carmina soit exclue ? Si l'on est peu informé sur les éventuelles performances du De rerum natura, des scholies aux Bucoliques de Virgile nous apprennent que Catulle "chantait d'une voix douce" (dulci uoce cantabat). Toutefois, lorsque Cicéron nomme la nouvelle génération de poète "chanteurs d'Euphorion" (cantores Euphorionis), la dénomination de cantor est alors fortement dépréciative : elle renvoie à une performance d'histrions. Ainsi on peut expliquer que Lucrèce et Catulle ne se nomment jamais par le terme cantor mais par le terme poeta qui valorise au contraire une compétence d'écriture." (p. 246)
Dans une recension du livre de M. Pierre, je viens de trouver : Lowrie, Writing,Performance and Authority in Augustan Rome, Oxford, 2009.
- NLM76Grand Maître
As-tu pu mettre la main dessus ?Ruthven a écrit:Dans une recension du livre de M. Pierre, je viens de trouver : Lowrie, Writing,Performance and Authority in Augustan Rome, Oxford, 2009.
_________________
Sites du grip :
- http://instruire.fr
- http://grip-editions.fr
Mon site : www.lettresclassiques.fr
«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- RuthvenGuide spirituel
Oui ... mais je ne me souviens plus du tout du contenu.
- e-WandererGrand sage
Un peu de publicité :
https://journals.openedition.org/rhetorique/1333
https://journals.openedition.org/rhetorique/1333
_________________
« Profitons du temps qui nous reste avant la définitive invasion de la grande muflerie du Nouveau Monde » (Huysmans)
- Questions poésie latine pour une inspection
- La Bibliothèque de la Pléiade publie une Anthologie bilingue de la poésie latine
- Une autre réforme était-elle possible ?
- Suicide d'une collégienne : les parents dénoncent le harcèlement dont elle était victime.
- [Rythmes] Rouen : "On a l’impression que la réforme n’était pas prête, et qu’elle est faite dans la précipitation".
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum