- NLM76Grand Maître
Avez-vous remarqué l'abondance des liaisons pas totalement impossibles avec un -s final, souvent au milieu de l'alexandrin dans "Le bateau ivre" ? Qu'en faites-vous ? Les prononcez-vous ? Légèrement ? Les faites-vous sauter allègrement ?
Rimbaud a écrit:Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.
J’étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages
Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais.
Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l’autre hiver, plus sourd que des cerveaux d’enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.
La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots
Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots !
Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sures,
L’eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.
Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d’astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;
Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres.
Fermentent les rousseurs amères de l’amour !
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- zigmag17Guide spirituel
Pour moi, au vers 22 il faut la prononcer (décompte des syllabes: alexandrins: - astreu -zé- lactescent)
Aux vers 7, 11 et 23 je ne les prononcerais pas (il me semble qu'à l'oreille c'est mieux sans liaison; au vers 11 la ponctuation "je courus! " créé un arrêt que je manifesterais aussi par une rupture, un détachement, que peut manifester l'absence de liaison)
J'ajouterais au vers 6: les cotons zanglais"
Aux vers 7, 11 et 23 je ne les prononcerais pas (il me semble qu'à l'oreille c'est mieux sans liaison; au vers 11 la ponctuation "je courus! " créé un arrêt que je manifesterais aussi par une rupture, un détachement, que peut manifester l'absence de liaison)
J'ajouterais au vers 6: les cotons zanglais"
- HannibalHabitué du forum
Je les prononce toutes, oui, (et pourquoi non?) sachant que deux sont indispensables au rythme :
"des fleuves impassibles" et "d'astres et lactescent" (6 syllabes chacun).
Sauf une, comme Zigmag : après "je courus ! ", la pause forte rend assez superflue la liaison avec la suite.
"des fleuves impassibles" et "d'astres et lactescent" (6 syllabes chacun).
Sauf une, comme Zigmag : après "je courus ! ", la pause forte rend assez superflue la liaison avec la suite.
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"Quand la pierre tombe sur l'oeuf, malheur à l'oeuf.
Quand l'oeuf tombe sur la pierre, malheur à l'oeuf." (proverbe)
- IphigénieProphète
Je ne pronocerais pas non plus celle après les haleurs/ont fini d'autant que l'inversion du sujet crée une sorte de pause grammaticale.
- zigmag17Guide spirituel
Aussi parce que "haleurs" se trouve à la césure, ce qui renforce la forme grammaticale (je ne sais pas si je m'exprime correctement) et rend moins logique une liaison?
- HannibalHabitué du forum
Oui mais "ont fini" reste aussi dans la lancée du "quand" initial, du coup j'ai tendance à faire l'enchaînement et la liaison. La "vraie" pause est à l'orée de la principale "les fleuves m'ont laissé descendre", quand la subordonnée est terminée. Et puis, du point de vue du sens, les tapages restent solidaires des haleurs.Iphigénie a écrit:Je ne pronocerais pas non plus celle après les haleurs/ont fini d'autant que l'inversion du sujet crée une sorte de pause grammaticale.
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"Quand la pierre tombe sur l'oeuf, malheur à l'oeuf.
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- NLM76Grand Maître
[corrigé]zigmag17 a écrit:Pour moi, au vers 22 il faut la prononcer (décompte des syllabes: alexandrins: - astreu -zé- lactescent)
Aux vers 7, 11 et 23 je ne les prononcerais pas (il me semble qu'à l'oreille c'est mieux sans liaison; au vers 11 la ponctuation "je courus! " créé un arrêt que je manifesterais aussi par une rupture, un détachement, que peut manifester l'absence de liaison)
J'ajouterais au vers 6: les cotons zanglais"
J'aurais moi-même tendance à les faire pratiquement toutes, mais d'une façon plus ou moins prononcée. Quoi qu'il en soit, on peut concevoir qu'elles ne soient que virtuelles. Ainsi on pourrait avoir "infusé d'astreu ×et lactescents", avec une pause. Mais virtuelles ou pas, elles ont une forme de présence, voire d'omniprésence; j'ai le sentiment que c'est la façon dont ce bateau-là glisse qui suscite ces glissades zen liaisons.
J'ai même très envie de dire "délires / zet rythmes lents..."
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- zigmag17Guide spirituel
"Les azurs verts -zou" (v.23) pour moi c'est trop de z.
Mais j'entends bien que le glissement puisse se faire tout au long du poème avec ce doux son, certes!
Mais j'entends bien que le glissement puisse se faire tout au long du poème avec ce doux son, certes!
- HannibalHabitué du forum
Oui - mais pourquoi vouloir alors introduire un hiatus "d'astreu/ et lactescent" au lieu de faire la liaison ??NLM76 a écrit:j'ai le sentiment que c'est la façon dont ce bateau-là glisse qui suscite ces glissades zen liaisons.
Pareil - mais je ne suis pas sûr que cela convienne car le "e" final de "délires" doit rester muet. En toute rigueur, pour faire la liaison il faudrait dire "délireuzé rythmes lents" mais cela ajouterait une 13° syllabe, ce qui ferait tout de même un peu trop tanguer l'esquif.J'ai même très envie de dire "délires / zet rythmes lents..."
Pas impossible en revanche que la tentation soit là pour accompagner l'idée d'un "rythme lent".
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- NLM76Grand Maître
Non, non; je ne veux pas introduire d'hiatus. Je dis qu'on pourrait le concevoir... et même le réaliser ici, si l'on choisissait en particulier de marquer une bonne pause. Je suis liaisonniste, mais j'essaie de ne pas être dogmatique.Hannibal a écrit:Oui - mais pourquoi vouloir alors introduire un hiatus "d'astreu/ et lactescent" au lieu de faire la liaison ??NLM76 a écrit:j'ai le sentiment que c'est la façon dont ce bateau-là glisse qui suscite ces glissades zen liaisons.
Pareil - mais je ne suis pas sûr que cela convienne car le "e" final de "délires" doit rester muet. En toute rigueur, pour faire la liaison il faudrait dire "délireuzé rythmes lents" mais cela ajouterait une 13° syllabe, ce qui ferait tout de même un peu trop tanguer l'esquif.J'ai même très envie de dire "délires / zet rythmes lents..."
Pas impossible en revanche que la tentation soit là pour accompagner l'idée d'un "rythme lent".
En revanche, pour le "e" final de vers qui devrait rester muet, je ne suis pas du tout d'accord. Le "e" final de vers ne "compte" pas; cela ne veut pas du tout dire qu'il ne se prononce pas. Le principe de l'alternance rime féminine/ rime masculine en poésie classique, c'est justement de créer un léger swing. Je n'ai pas les références précises, mais il me semble qu'on a des mises en musique de poèmes de Ronsard qui montrent cela nettement, avec une note sur la treizième féminine.
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- HannibalHabitué du forum
NLM76 a écrit:
En revanche, pour le "e" final de vers qui devrait rester muet, je ne suis pas du tout d'accord. Le "e" final de vers ne "compte" pas; cela ne veut pas du tout dire qu'il ne se prononce pas. Le principe de l'alternance rime féminine/ rime masculine en poésie classique, c'est justement de créer un léger swing. Je n'ai pas les références précises, mais il me semble qu'on a des mises en musique de poèmes de Ronsard qui montrent cela nettement, avec une note sur la treizième féminine.
Disons que la condition pour prononcer le S "astres" resterait d'avoir prononcé le E comme non muet, ce qui va plus loin qu'une légère inflexion swinguée.
Je me demande si la versification classique n'évitait pas ce genre de liaison entre deux vers. A vérifier.
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Quand l'oeuf tombe sur la pierre, malheur à l'oeuf." (proverbe)
- NLM76Grand Maître
Voilà. J'ai envie de faire la liaison; et quelque chose dans l'usage m'en retient. Tension intéressante.Hannibal a écrit:NLM76 a écrit:
En revanche, pour le "e" final de vers qui devrait rester muet, je ne suis pas du tout d'accord. Le "e" final de vers ne "compte" pas; cela ne veut pas du tout dire qu'il ne se prononce pas. Le principe de l'alternance rime féminine/ rime masculine en poésie classique, c'est justement de créer un léger swing. Je n'ai pas les références précises, mais il me semble qu'on a des mises en musique de poèmes de Ronsard qui montrent cela nettement, avec une note sur la treizième féminine.
Disons que la condition pour prononcer le S "astres" resterait d'avoir prononcé le E comme non muet, ce qui va plus loin qu'une légère inflexion swinguée.
Je me demande si la versification classique n'évitait pas ce genre de liaison entre deux vers. A vérifier.
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- *Ombre*Grand sage
J'ai appris que les liaisons se faisaient à l'intérieur d'un groupe syntaxique (ou entre le verbe et le pronom qui précède). Est-ce trop grossier ?
Je ferais ici la liaison entre fleuves et impassibles, rouleurs et éternels, rousseurs et amères ; faire les autres liaisons me paraîtrait une sur-correction bizarre, sauf pour le vert 22 où, malgré la ponctuation, elle semble nécessaire pour éviter l'hiatus.
Je ferais ici la liaison entre fleuves et impassibles, rouleurs et éternels, rousseurs et amères ; faire les autres liaisons me paraîtrait une sur-correction bizarre, sauf pour le vert 22 où, malgré la ponctuation, elle semble nécessaire pour éviter l'hiatus.
- HannibalHabitué du forum
En poésie, j'ai sans doute tendance à une certaine surcorrection, après tout la langue poétique est peut-être plus rigoureuse et travaillée qu'aucune autre.
A l'oral, les liaisons permettent aussi de marquer des pluriels qui autrement ne seraient pas sensibles : "et des taches de vins bleus et des vomissures me lava", - je ne sais pas si cela les rend vraiment obligatoires pour autant.
A l'oral, les liaisons permettent aussi de marquer des pluriels qui autrement ne seraient pas sensibles : "et des taches de vins bleus et des vomissures me lava", - je ne sais pas si cela les rend vraiment obligatoires pour autant.
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"Quand la pierre tombe sur l'oeuf, malheur à l'oeuf.
Quand l'oeuf tombe sur la pierre, malheur à l'oeuf." (proverbe)
- *Ombre*Grand sage
Oui, il est certain qu'on marque davantage les liaisons en poésie, à la fois pour la versification et la musicalité. Mais là, ça me paraît plus artificiel qu'autre chose.
- NLM76Grand Maître
Moui. Le fait que ce fût artificiel aurait bien de la peine à me gêner. Le vers, par nature est artificiel. J'ai appris ce poème en disant "Des tâches de vins bleus zet des vomissures", et cette bizarrerie, Dieu sait pourquoi, me fait un bien fou.
Peut-être est-ce lié à l'enjambement à la césure ; le zigzag entre le sens et le dérèglement du sens par la forme zigzagante, accroché quand même à l'alexandrin... plaisant parce qu'il est glissant y est sans doute pour beaucoup. J'ai l'impression d'être sur une piste de bobsleigh, complètement tenu par l'alexandrin-piste enroulante, et complètement virevoltant.
Peut-être est-ce lié à l'enjambement à la césure ; le zigzag entre le sens et le dérèglement du sens par la forme zigzagante, accroché quand même à l'alexandrin... plaisant parce qu'il est glissant y est sans doute pour beaucoup. J'ai l'impression d'être sur une piste de bobsleigh, complètement tenu par l'alexandrin-piste enroulante, et complètement virevoltant.
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