- HypermnestreÉrudit
Chers néos,
J'ai un problème de compréhension avec un vers de la Fontaine, le dernier de cet extrait. Il s'agit de la célèbre fable mettant en scène Ulysse et Circé.
Comment l'entendez-vous ?
Merci d'avance !
Les Compagnons d'Ulysse, après dix ans d'alarmes,
Erraient au gré du vent, de leurs sorts incertains.
Ils abordèrent un rivage
Où la fille du dieu du jour,
Circé, tenait alors sa cour.
Elle leur fit prendre un breuvage
Délicieux, mais plein d'un funeste poison.
D'abord ils perdent la raison ;
Quelques moments après, leur corps et leur visage
Prennent l'air et les traits d'animaux différents :
Les voilà devenus ours, lions, éléphants ;
Les uns sous une masse énorme,
Les autres sous une autre forme ;
Il s'en vit de petits : exemplum ut Talpa.
Le seul Ulysse en échappa.
Il sut se défier de la liqueur traîtresse.
Comme il joignait à la sagesse
La mine d'un héros et le doux entretien,
Il fit tant que l'Enchanteresse
Prit un autre poison peu différent du sien.
Une Déesse dit tout ce qu'elle a dans l'âme :
Celle-ci déclara sa flamme.
Ulysse était trop fin pour ne pas profiter
D'une pareille conjoncture.
Il obtint qu'on rendrait à ces Grecs leur figure.
Mais la voudront-ils bien, dit la Nymphe, accepter ?
Allez le proposer de ce pas à la troupe.
Ulysse y court et dit : L'empoisonneuse coupe
A son remède encore ; et je viens vous l'offrir :
Chers amis, voulez-vous hommes redevenir ?
On vous rend déjà la parole."
Le Lion dit, pensant rugir :
Je n'ai pas la tête si folle.
Moi renoncer aux dons que je viens d'acquérir ?
J'ai griffe et dent, et mets en pièces qui m'attaque.
Je suis roi : deviendrai-je un Citadin d'Ithaque ?
Tu me rendras peut-être encor simple Soldat :
Je ne veux point changer d'état.
Ulysse du Lion court à l'Ours : Eh, mon frère,
Comme te voilà fait ! Je t'ai vu si joli !
Ah vraiment nous y voici,
Reprit l'Ours à sa manière.
Comme me voilà fait ! comme doit être un Ours.
Qui t'a dit qu'une forme est plus belle qu'une autre ?
Est-ce à la tienne à juger de la nôtre ?
Je me rapporte aux yeux d'une Ourse mes amours.
Te déplais-je ? va-t’en, suis ta route et me laisse :
Je vis libre, content, sans nul soin qui me presse ;
Et te dis tout net et tout plat :
Je ne veux point changer d'état.
Le Prince grec au Loup va proposer l'affaire ;
Il lui dit, au hasard d'un semblable refus :
Camarade, je suis confus
Qu'une jeune et belle Bergère
Conte aux échos les appétits gloutons
Qui t'ont fait manger ses moutons.
Autrefois on t'eût vu sauver la bergerie :
Tu menais une honnête vie.
Quitte ces bois et redeviens,
Au lieu de Loup, Homme de bien.
En est-il ? dit le Loup : Pour moi, je n'en vois guère.
Tu t'en viens me traiter de bête carnassière :
Toi qui parles, qu'es-tu ? N'auriez-vous pas, sans moi,
Mangé ces animaux que plaint tout le village ?
Si j'étais Homme, par ta foi,
Aimerais-je moins le carnage ?
Pour un mot quelquefois vous vous étranglez tous :
Ne vous êtes-vous pas l'un à l'autre des Loups ?
Tout bien considéré, je te soutiens en somme
Que scélérat pour scélérat,
Il vaut mieux être un Loup qu'un Homme :
Je ne veux point changer d'état.
Ulysse fit à tous une même semonce ;
Chacun d'eux fit même réponse,
Autant le grand que le petit.
La liberté, les lois, suivre leur appétit,
C'était leurs délices suprêmes ;
Tous renonçaient au los des belles actions.
Ils croyaient s'affranchir selon leurs passions,
Ils étaient esclaves d'eux-mêmes.
J'ai un problème de compréhension avec un vers de la Fontaine, le dernier de cet extrait. Il s'agit de la célèbre fable mettant en scène Ulysse et Circé.
Comment l'entendez-vous ?
Merci d'avance !
Les Compagnons d'Ulysse, après dix ans d'alarmes,
Erraient au gré du vent, de leurs sorts incertains.
Ils abordèrent un rivage
Où la fille du dieu du jour,
Circé, tenait alors sa cour.
Elle leur fit prendre un breuvage
Délicieux, mais plein d'un funeste poison.
D'abord ils perdent la raison ;
Quelques moments après, leur corps et leur visage
Prennent l'air et les traits d'animaux différents :
Les voilà devenus ours, lions, éléphants ;
Les uns sous une masse énorme,
Les autres sous une autre forme ;
Il s'en vit de petits : exemplum ut Talpa.
Le seul Ulysse en échappa.
Il sut se défier de la liqueur traîtresse.
Comme il joignait à la sagesse
La mine d'un héros et le doux entretien,
Il fit tant que l'Enchanteresse
Prit un autre poison peu différent du sien.
Une Déesse dit tout ce qu'elle a dans l'âme :
Celle-ci déclara sa flamme.
Ulysse était trop fin pour ne pas profiter
D'une pareille conjoncture.
Il obtint qu'on rendrait à ces Grecs leur figure.
Mais la voudront-ils bien, dit la Nymphe, accepter ?
Allez le proposer de ce pas à la troupe.
Ulysse y court et dit : L'empoisonneuse coupe
A son remède encore ; et je viens vous l'offrir :
Chers amis, voulez-vous hommes redevenir ?
On vous rend déjà la parole."
Le Lion dit, pensant rugir :
Je n'ai pas la tête si folle.
Moi renoncer aux dons que je viens d'acquérir ?
J'ai griffe et dent, et mets en pièces qui m'attaque.
Je suis roi : deviendrai-je un Citadin d'Ithaque ?
Tu me rendras peut-être encor simple Soldat :
Je ne veux point changer d'état.
Ulysse du Lion court à l'Ours : Eh, mon frère,
Comme te voilà fait ! Je t'ai vu si joli !
Ah vraiment nous y voici,
Reprit l'Ours à sa manière.
Comme me voilà fait ! comme doit être un Ours.
Qui t'a dit qu'une forme est plus belle qu'une autre ?
Est-ce à la tienne à juger de la nôtre ?
Je me rapporte aux yeux d'une Ourse mes amours.
Te déplais-je ? va-t’en, suis ta route et me laisse :
Je vis libre, content, sans nul soin qui me presse ;
Et te dis tout net et tout plat :
Je ne veux point changer d'état.
Le Prince grec au Loup va proposer l'affaire ;
Il lui dit, au hasard d'un semblable refus :
Camarade, je suis confus
Qu'une jeune et belle Bergère
Conte aux échos les appétits gloutons
Qui t'ont fait manger ses moutons.
Autrefois on t'eût vu sauver la bergerie :
Tu menais une honnête vie.
Quitte ces bois et redeviens,
Au lieu de Loup, Homme de bien.
En est-il ? dit le Loup : Pour moi, je n'en vois guère.
Tu t'en viens me traiter de bête carnassière :
Toi qui parles, qu'es-tu ? N'auriez-vous pas, sans moi,
Mangé ces animaux que plaint tout le village ?
Si j'étais Homme, par ta foi,
Aimerais-je moins le carnage ?
Pour un mot quelquefois vous vous étranglez tous :
Ne vous êtes-vous pas l'un à l'autre des Loups ?
Tout bien considéré, je te soutiens en somme
Que scélérat pour scélérat,
Il vaut mieux être un Loup qu'un Homme :
Je ne veux point changer d'état.
Ulysse fit à tous une même semonce ;
Chacun d'eux fit même réponse,
Autant le grand que le petit.
La liberté, les lois, suivre leur appétit,
C'était leurs délices suprêmes ;
Tous renonçaient au los des belles actions.
Ils croyaient s'affranchir selon leurs passions,
Ils étaient esclaves d'eux-mêmes.
- PonocratesExpert spécialisé
Je comprends qu'en suivant leurs passions ils sont esclaves d'eux-mêmes. Ils se laissent conduire par leurs pulsions, leur vanité ( liberté, lois appétit). Ils renoncent à ce qui fait leur humanité en préférant obéir à leurs propres penchants.
Elle est chouette cette fable, très philosophique...Il y a moyen de raccrocher avec La Rochefoucault et ses maximes décrivant la vanité humaine comme moteur de l'homme. Même si c'est différent, La Fontaine dénonce bien la folie des passions, mais en même temps il fait une critique intéressante des valeurs humaines - le point de vue d'Ulysse. Merci Hypermnestre.
Elle est chouette cette fable, très philosophique...Il y a moyen de raccrocher avec La Rochefoucault et ses maximes décrivant la vanité humaine comme moteur de l'homme. Même si c'est différent, La Fontaine dénonce bien la folie des passions, mais en même temps il fait une critique intéressante des valeurs humaines - le point de vue d'Ulysse. Merci Hypermnestre.
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"If you think education is too expensive, try ignorance ! "
"As-tu donc oublié que ton libérateur,
C'est le livre ? "
- HypermnestreÉrudit
Merci à toi !
Ce vers, en fait, me semble contradictoire avec le reste de la fable qui, pour moi, pose la question de la prétendue supériorité de l'homme sur les autres animaux. Les arguments des compagnons ne sont pas injustifiés, du simple ordre du désir ou de la pulsion, mais semblent raisonnables, plein de bon sens (par exemple, la réponse de l'ours ("Qui t'a dit qu'une forme est plus belle qu'une autre ? /Est-ce à la tienne à juger de la nôtre ?") et davantage encore celle du loup ("Pour un mot quelquefois vous vous étranglez tous :/Ne vous êtes-vous pas l'un à l'autre des Loups ?")).
J'ai l'impression d'un manque de cohérence... Je crois que la réponse se trouve dans ton "en même temps" !
Ce vers, en fait, me semble contradictoire avec le reste de la fable qui, pour moi, pose la question de la prétendue supériorité de l'homme sur les autres animaux. Les arguments des compagnons ne sont pas injustifiés, du simple ordre du désir ou de la pulsion, mais semblent raisonnables, plein de bon sens (par exemple, la réponse de l'ours ("Qui t'a dit qu'une forme est plus belle qu'une autre ? /Est-ce à la tienne à juger de la nôtre ?") et davantage encore celle du loup ("Pour un mot quelquefois vous vous étranglez tous :/Ne vous êtes-vous pas l'un à l'autre des Loups ?")).
J'ai l'impression d'un manque de cohérence... Je crois que la réponse se trouve dans ton "en même temps" !
- henrietteMédiateur
J'ai vu rapidement que le texte que tu as mis est coupé : il y manque le préambule et l'adresse finale au Prince de cette fable. Peut-être permettent-ils une mise en perspective ?
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"Il n'y a que ceux qui veulent tromper les peuples et gouverner à leur profit qui peuvent vouloir retenir les hommes dans l'ignorance."
- IphigénieProphète
je comprends, oui, qu’ ils restent les mêmes sous l’une et l’autre forme en fait...Hypermnestre a écrit:Merci à toi !
Ce vers, en fait, me semble contradictoire avec le reste de la fable qui, pour moi, pose la question de la prétendue supériorité de l'homme sur les autres animaux. Les arguments des compagnons ne sont pas injustifiés, du simple ordre du désir ou de la pulsion, mais semblent raisonnables, plein de bon sens (par exemple, la réponse de l'ours ("Qui t'a dit qu'une forme est plus belle qu'une autre ? /Est-ce à la tienne à juger de la nôtre ?") et davantage encore celle du loup ("Pour un mot quelquefois vous vous étranglez tous :/Ne vous êtes-vous pas l'un à l'autre des Loups ?")).
J'ai l'impression d'un manque de cohérence... Je crois que la réponse se trouve dans ton "en même temps" !
« ils croyaient s’affranchir selon leurs passions »: sous la forme animale ils ne sont plus que l’expression même de leurs passions.
- PonocratesExpert spécialisé
Les animaux critiquent le système de valeur d'Ulysse, le "relativisent" - ce qui permet en effet de faire la satire de l'arrogance humaine et des hiérarchies sociales, esthétiques et morales qui ne seraient que des préjugés. Mais ils sont bien eux-mêmes les jouets de leurs passions - leur goût pour la liberté - celle que donnent la supériorité sociale, l'indifférence au goût des autres et le mépris d'un honneur somme toute discutable- qui sont des passions humaines. Il y a donc à la fois une critique de l'individu et une critique de la société qui encourage la folie des hommes - la vanité de la position sociale, de l'apparence physique ou de l'honneur.
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"As-tu donc oublié que ton libérateur,
C'est le livre ? "
- e-WandererGrand sage
J'ai regardé l'édition de Jean-Pierre Collinet (Pléiade), qui fait assaut d'érudition en citant un nombre incalculable d'emprunts (notamment à Plutarque qui est le premier à infléchir cet épisode de l'Odyssée (X, v. 135 sq.), jugé ordinairement assez peu digne de la grandeur épique (et condamné à ce motif par Longin, Du Sublime, I, 14, puis par Boileau dans la Dissertation sur Joconde), vers une leçon philosophique et morale (dans le dialogue "Que les bêtes brutes usent de la raison en forme de devis", Œuvres morales et mêlées, traduit par Amyot). On retrouve ça ensuite un peu partout, chez Lucien, et chez les modernes dans la Circé en 10 dialogues de Giambattista Gelli, Florence, 1549, puis chez Mateo Aleman (Guzman d'Alfarache, II, 3), au théâtre chez l'abbé Boyer puis chez Thomas Corneille et Donneau de Visé etc. La leçon est convergente : il y a condamnation unanime des compagnons d'Ulysse, qui renoncent à la gloire des actions héroïques (le "los des belles actions") pour demeurer en leur état animal. Chez Gelli, l'éléphant, grosse bestiole assez sage, est le seul à accepter de reprendre sa forme humaine. La liste n'est pas exhaustive, évidemment : on pourrait songer par exemple à Boccace dans le De Mulieribus Claris, traduit en français en 1403, ou à Montaigne dans l'Apologie de Raymond Sebond (Les Essais, II, 12, éd. Villey p. 485-86), que je cite en spoiler :
Evidemment, La Fontaine brouille un peu le message avec la reprise de la formule célèbre "L"homme est un loup pour l'homme" (Plaute, Asinaria, II, 4) reprise par Rabelais (Tiers Livre, III), par Hobbes (De Cive, 1642, épître dédicatoire), par Molière (Misanthrope, V, 1), et plus tard encore par Bossuet (Politique tirée des propres paroles de l'Ecriture Sainte, 1709, VIII, art. 4, 2e proposition). Ça donne forcément aux paroles du loup une apparence de sagesse : il me semble que c'est souvent une figure assez ambiguë sous la plume de LF, lourdaud qui devient victime de sa propre ruse dans "Le cheval et le loup" ou victime de sa propre avarice dans "Le loup et le chasseur", figure de la force brutale dans "Le loup et l'agneau", porteur d'une revendication de liberté dans "Le loup et le chien" (mais quand même à moitié mort de faim), loup railleur et philosophe dans "le loup et la cigogne"…
C'est justement parce que le propos du loup est "tenable" que ça donne une profondeur philosophique et morale à la fable. On se poserait moins de questions s'il s'agissait uniquement de pourceaux comme chez Homère. On voit bien avec l'extrait de Montaigne qu'il y a débat…
- Montaigne:
- De façon que la Philosophie, voire la Stoique, ose bien dire que Heraclitus et Pherecides, s’ils eussent peu eschanger leur sagesse avecques la santé et se delivrer par ce marché, l’un de l’hydropisie, l’autre de la maladie pediculaire qui le pressoit, qu’ils eussent bien faict. Par où ils donnent encore plus grand pris à la sagesse, la comparant et contrepoisant à la santé, qu’ils ne font en cette autre proposition qui est aussi des leurs. Ils disent que si Circé eust presenté à Ulysses deux breuvages, l’un pour faire devenir un homme de fol sage, l’autre de sage fol, qu’Ulysses eust deu plustost accepter celuy de la folie, que de consentir que Circé eust changé sa figure humaine en celle d’une beste ; et disent que la sagesse mesme eust parlé à luy en cete maniere : Quitte moy, laisse moy là, plutost que de me loger sous la figure et corps d’un asne. Comment ? cette grande et divine sapience, les Philosophes la quittent donc pour ce voile corporel et terrestre ? Ce n’est donc plus par la raison, par le discours et par l’ame que nous excellons sur les bestes ; c’est par nostre beauté, nostre beau teint et nostre belle disposition de membres, pour laquelle il nous faut mettre nostre intelligence, nostre prudence et tout le reste à l’abandon. Or, j’accepte cette naïfve et franche confession. Certes, ils ont cogneu que ces parties là, dequoy nous faisons tant de feste, ce n’est que vaine fantasie. Quand les bestes auroient donc toute la vertu, la science, la sagesse et suffisance Stoique, [C] ce seroyent tousjours de bestes ; ny [A] ne seroyent pourtant comparables à un homme miserable, meschant et insensé. [C]
Evidemment, La Fontaine brouille un peu le message avec la reprise de la formule célèbre "L"homme est un loup pour l'homme" (Plaute, Asinaria, II, 4) reprise par Rabelais (Tiers Livre, III), par Hobbes (De Cive, 1642, épître dédicatoire), par Molière (Misanthrope, V, 1), et plus tard encore par Bossuet (Politique tirée des propres paroles de l'Ecriture Sainte, 1709, VIII, art. 4, 2e proposition). Ça donne forcément aux paroles du loup une apparence de sagesse : il me semble que c'est souvent une figure assez ambiguë sous la plume de LF, lourdaud qui devient victime de sa propre ruse dans "Le cheval et le loup" ou victime de sa propre avarice dans "Le loup et le chasseur", figure de la force brutale dans "Le loup et l'agneau", porteur d'une revendication de liberté dans "Le loup et le chien" (mais quand même à moitié mort de faim), loup railleur et philosophe dans "le loup et la cigogne"…
C'est justement parce que le propos du loup est "tenable" que ça donne une profondeur philosophique et morale à la fable. On se poserait moins de questions s'il s'agissait uniquement de pourceaux comme chez Homère. On voit bien avec l'extrait de Montaigne qu'il y a débat…
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« Profitons du temps qui nous reste avant la définitive invasion de la grande muflerie du Nouveau Monde » (Huysmans)
- trompettemarineMonarque
Je fais cette fable en HLP avec le thème des animaux en la comparant avec Gelli (dont je n'ai malheureusement qu'un résumé).
Je pense que la piste des passions est à suivre, surtout comme elles sont conçues au XVIIe siècle. On peut l'interprêter comme une défaite de l'homme face aux passions et en même temps comme une mise en garde au Prince qui doit comprendre quels seront ses sujets.
La disparition de l'éléphant est extraordinaire. Qui est le philosophe ?
Je parle de mémoire mais il me semble que la fable est destinée à éduquer le jeune prince. Je vais regarder dans mes livres.
PS : elle est très agréable à lire voix haute.
La symbolique des animaux est si complexe au Moyen-âge, qu'en reste-t-il au XVIIe ? Chez Gelli, c'est un peu plus simple, chaque animal est en correspondance avec le métier qu'il faisait (le pêcheur est une huître). J'avoue que je ne sais pas pourquoi le philosophe est transformé en éléphant.
La Fontaine ne fait pas état de l'état antérieur. On dirait qu'il se promène presque mélancoliquement à travers ses fables passées dans cet apologie destiné à l'instruction.
Je pense que la piste des passions est à suivre, surtout comme elles sont conçues au XVIIe siècle. On peut l'interprêter comme une défaite de l'homme face aux passions et en même temps comme une mise en garde au Prince qui doit comprendre quels seront ses sujets.
La disparition de l'éléphant est extraordinaire. Qui est le philosophe ?
Je parle de mémoire mais il me semble que la fable est destinée à éduquer le jeune prince. Je vais regarder dans mes livres.
PS : elle est très agréable à lire voix haute.
La symbolique des animaux est si complexe au Moyen-âge, qu'en reste-t-il au XVIIe ? Chez Gelli, c'est un peu plus simple, chaque animal est en correspondance avec le métier qu'il faisait (le pêcheur est une huître). J'avoue que je ne sais pas pourquoi le philosophe est transformé en éléphant.
La Fontaine ne fait pas état de l'état antérieur. On dirait qu'il se promène presque mélancoliquement à travers ses fables passées dans cet apologie destiné à l'instruction.
- PonocratesExpert spécialisé
@e-wanderer
Il n'y a pas que le discours du loup qui soit "logique". Je vais peut-être trop loin, peut-être n'est-ce pas pertinent, mais dans la remarque de l'ours, "Comme me voilà fait ! comme doit être un Ours.
Qui t'a dit qu'une forme est plus belle qu'une autre ?
Est-ce à la tienne à juger de la nôtre ?" J'entends comme un écho de la lettre de Spinoza à Boxel de 1674 - dont Montesquieu reprendra une partie dans Les Lettres Persanes
Tu me rendras peut-être encor simple Soldat :
Je ne veux point changer d'état." Sa logique se comprend dans la société inégalitaire et hiérarchisée du 17e siècle.
Et l'ambiguïté du texte est d'autant plus grande que lion, ours et loup sont précisément les héros des fables de La Fontaine. Il y a un jeu de miroirs que personnellement je trouve ici fascinant: les fables nous présentent habituellement des animaux censés nous éclairer sur les travers humains, des animaux humanisés - vision anthropomorphique, etc- , mais ici les humains deviennent "réellement" eux-mêmes ces animaux et font la leçon directement à l'Homme - et en même temps sont également eux-mêmes l'objet de la satire...
Il n'y a pas que le discours du loup qui soit "logique". Je vais peut-être trop loin, peut-être n'est-ce pas pertinent, mais dans la remarque de l'ours, "Comme me voilà fait ! comme doit être un Ours.
Qui t'a dit qu'une forme est plus belle qu'une autre ?
Est-ce à la tienne à juger de la nôtre ?" J'entends comme un écho de la lettre de Spinoza à Boxel de 1674 - dont Montesquieu reprendra une partie dans Les Lettres Persanes
- Spoiler:
- Car, si le triangle avait la faculté de parler, j’estime qu’il dirait de même : « Dieu est éminemment triangulaire » ; et le cercle dirait également, par une raison éminente, que la nature divine est circulaire ; et, ainsi, chaque chose affirmerait de Dieu ses attributs propres, et se rendrait semblable à lui, et toute autre façon d’être lui paraîtrait laide."
Tu me rendras peut-être encor simple Soldat :
Je ne veux point changer d'état." Sa logique se comprend dans la société inégalitaire et hiérarchisée du 17e siècle.
Et l'ambiguïté du texte est d'autant plus grande que lion, ours et loup sont précisément les héros des fables de La Fontaine. Il y a un jeu de miroirs que personnellement je trouve ici fascinant: les fables nous présentent habituellement des animaux censés nous éclairer sur les travers humains, des animaux humanisés - vision anthropomorphique, etc- , mais ici les humains deviennent "réellement" eux-mêmes ces animaux et font la leçon directement à l'Homme - et en même temps sont également eux-mêmes l'objet de la satire...
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- e-WandererGrand sage
Oui, je suis assez d'accord sur cette lecture d'ensemble. Les notes de Collinet, pour le discours de l'ours, font référence à deux passages de la IVe partie de L'Astrée qui vont dans le même sens : "la beauté n'est rien qu'une opinion de celui qui la juge telle" (livre 2) et "Je n'appelle pas beauté sinon ce qui plaît" (livre 11). Avec sans doute, comme souvent dans L'Astrée, un intertexte philosophique à rechercher, il faudrait regarder ce que dit Maxime Gaume (Les inspirations et les sources de l'œuvre d'Honoré d'Urfé), et déjà quel personnage tient ce discours. Mais intuitivement, ça me paraît assez peu conforme aux théories néo-platoniciennes habituelles, qui font plutôt du beau une forme de transcendance qui dépasse la diversité du sensible pour accéder à la sphère plus haute des Idées. Ça ressemble davantage à un propos qui va être réfuté, mais je ne veux pas m'avancer, j'essaierai de mener l'enquête quand j'aurai 5 minutes. Collinet cite aussi le Discours sur les passions de l'amour de Pascal, ce qui me semble plus proche et plus pertinent : "Pour la beauté, chacun a sa règle souveraine et indépendante de celle des autres."
À ceci près que l'idée de la relativité de la beauté est moquée ailleurs par LF (notamment dans "L'aigle et le hibou"), et que l'ours est assez systématiquement une brutasse épaisse ("L'ours et l'amateur des jardins", "L'ours et les deux compagnons etc." etc.). Je dirais, pour nous accorder, que les discours tenus ont tous une apparence de raison et font tous écho à des débats bien attestés, et s'ordonnent dans cette fable selon un principe de gradualité qui va vers le discours le plus long, le plus construit et le plus solidement étayé.
À ceci près que l'idée de la relativité de la beauté est moquée ailleurs par LF (notamment dans "L'aigle et le hibou"), et que l'ours est assez systématiquement une brutasse épaisse ("L'ours et l'amateur des jardins", "L'ours et les deux compagnons etc." etc.). Je dirais, pour nous accorder, que les discours tenus ont tous une apparence de raison et font tous écho à des débats bien attestés, et s'ordonnent dans cette fable selon un principe de gradualité qui va vers le discours le plus long, le plus construit et le plus solidement étayé.
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- PonocratesExpert spécialisé
Merci pour la référence de Pascal qui est en effet plus probable. Et encore une fois merci à Hypermnestre pour ce texte.
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- e-WandererGrand sage
Peut-être une réponse chez Pline, qui est davantage lu au XVIIe siècle que les auteurs médiévaux :trompettemarine a écrit:Je fais cette fable en HLP avec le thème des animaux en la comparant avec Gelli (dont je n'ai malheureusement qu'un résumé).
Je pense que la piste des passions est à suivre, surtout comme elles sont conçues au XVIIe siècle. On peut l'interprêter comme une défaite de l'homme face aux passions et en même temps comme une mise en garde au Prince qui doit comprendre quels seront ses sujets.
La disparition de l'éléphant est extraordinaire. Qui est le philosophe ?
Je parle de mémoire mais il me semble que la fable est destinée à éduquer le jeune prince. Je vais regarder dans mes livres.
PS : elle est très agréable à lire voix haute.
La symbolique des animaux est si complexe au Moyen-âge, qu'en reste-t-il au XVIIe ? Chez Gelli, c'est un peu plus simple, chaque animal est en correspondance avec le métier qu'il faisait (le pêcheur est une huître). J'avoue que je ne sais pas pourquoi le philosophe est transformé en éléphant.
La Fontaine ne fait pas état de l'état antérieur. On dirait qu'il se promène presque mélancoliquement à travers ses fables passées dans cet apologie destiné à l'instruction.
"Passons aux autres animaux, et parlons d'abord des animaux terrestres. L'éléphant est le plus grand, et celui dont l'intelligence se rapproche le plus de celle de l'homme; car il comprend le langage du lieu où il habite; il obéit aux commandements; il se souvient de ce qu'on lui a enseigné à faire; il éprouve la passion de l'amour et de la gloire; il possède, à un degré rare même chez l'homme, l'honnêteté, la prudence, la justice; il a aussi un sentiment religieux pour les astres, et il honore le soleil et la lune." (début du livre VIII, traduction Littré).
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« Profitons du temps qui nous reste avant la définitive invasion de la grande muflerie du Nouveau Monde » (Huysmans)
- trompettemarineMonarque
Merci beaucoup pour la référence ! Un mystère éclairci.
Je dois préparer des cours en distanciel pour une partie de mes élèves et je vais me pencher sur cette fable. J'avoue honteusement que je ne l'ai découverte (et beaucoup aimée) que l'année dernière (Il serait peut-être temps que je me mette à lire les Fables dans leur intégralité ).
Je dois préparer des cours en distanciel pour une partie de mes élèves et je vais me pencher sur cette fable. J'avoue honteusement que je ne l'ai découverte (et beaucoup aimée) que l'année dernière (Il serait peut-être temps que je me mette à lire les Fables dans leur intégralité ).
- IphigénieProphète
S'il faut ajouter une référence pour le sens de cette fable, peut-être manque-t-il la référence au Discours à Madame de la Sablière où La Fontaine donne sa vision de la différence entre homme et animal?
http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/discsab.htm
http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/discsab.htm
- NLM76Grand Maître
Je pense aussi qu'il est difficile de ne pas rapprocher cette fable de "La Besace" (livre I), à cause de l'ours, de l'éléphant ("tout sage qu'il était...), de l'homme ("Mais parmi les plus fous notre espèce excella"), voire des "Animaux malades de la peste", du fait que le discours du Loup "quelque peu clerc" vient lui aussi couronner les discours des animaux.
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Sites du grip :
- http://instruire.fr
- http://grip-editions.fr
Mon site : www.lettresclassiques.fr
«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- e-WandererGrand sage
Oui, le rapprochement est particulièrement juste !
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« Profitons du temps qui nous reste avant la définitive invasion de la grande muflerie du Nouveau Monde » (Huysmans)
- HypermnestreÉrudit
Un grand merci à tous pour les explications et les références ! La discussion est allée bien au-delà de mes attentes !
- TivinouDoyen
Merci à toi. J’ai adoré lire ce fil.Hypermnestre a écrit:Un grand merci à tous pour les explications et les références ! La discussion est allée bien au-delà de mes attentes !
- HannibalHabitué du forum
Sinon pour la fin de la fable, je tombe sur ce passage de Wikipédia (article Circé)
"Le rituel que Circé applique aux compagnons d'Ulysse rappelle à bien des égards celui que pratiquaient chez les Tyrrhéniens les prêtresses de Féronie. (...) Les prêtresses s'y livraient à un rituel d'affranchissement des esclaves dont nous connaissons certains détails. On faisait asseoir l'esclave sur une pierre, dans le temple ; on lui couvrait la tête du bonnet de laine appelé pileus en latin, et l'on prononçait la formule : « Bene meriti servi sedeant, surgant liberi », Qu'ils s'assoient en esclaves méritants et se lèvent en hommes libres".
Le refrain "je ne veux point changer d'état" marque une limite voire un échec de cet affranchissement, car le poison renverse les valeurs : le rabaissement en animal devient promotion (le lion se voit en roi), la raison est vue comme une folie ("je n'ai pas la tête si folle"), la servitude est vécue comme une liberté, etc. D'où le thème de la folie ("ils perdent la raison") et le rapprochement entre le poison et l'amour, qui ont tous deux pour effet de fausser le jugement, en le plaçant sous l'empire du désir. D'ailleurs le breuvage est "délicieux", quoique empoisonné.
Il y a un renversement presque carnavalesque des valeurs, chez ces gens qui ne subissent plus leur avilissement mais le chérissent.
La place du dialogue aura montré que le difficile n'est pas de leur rendre figure humaine (le remède existe)- mais de rectifier leur jugement ("la voudront-il bien accepter?"). Ulysse est assez fin pour échapper au piège de Circé, et pour tirer parti de la séduction qu'il exerce, mais échoue pourtant à ramener à la raison les esprits abêtis.
"Le rituel que Circé applique aux compagnons d'Ulysse rappelle à bien des égards celui que pratiquaient chez les Tyrrhéniens les prêtresses de Féronie. (...) Les prêtresses s'y livraient à un rituel d'affranchissement des esclaves dont nous connaissons certains détails. On faisait asseoir l'esclave sur une pierre, dans le temple ; on lui couvrait la tête du bonnet de laine appelé pileus en latin, et l'on prononçait la formule : « Bene meriti servi sedeant, surgant liberi », Qu'ils s'assoient en esclaves méritants et se lèvent en hommes libres".
Le refrain "je ne veux point changer d'état" marque une limite voire un échec de cet affranchissement, car le poison renverse les valeurs : le rabaissement en animal devient promotion (le lion se voit en roi), la raison est vue comme une folie ("je n'ai pas la tête si folle"), la servitude est vécue comme une liberté, etc. D'où le thème de la folie ("ils perdent la raison") et le rapprochement entre le poison et l'amour, qui ont tous deux pour effet de fausser le jugement, en le plaçant sous l'empire du désir. D'ailleurs le breuvage est "délicieux", quoique empoisonné.
Il y a un renversement presque carnavalesque des valeurs, chez ces gens qui ne subissent plus leur avilissement mais le chérissent.
La place du dialogue aura montré que le difficile n'est pas de leur rendre figure humaine (le remède existe)- mais de rectifier leur jugement ("la voudront-il bien accepter?"). Ulysse est assez fin pour échapper au piège de Circé, et pour tirer parti de la séduction qu'il exerce, mais échoue pourtant à ramener à la raison les esprits abêtis.
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"Quand la pierre tombe sur l'oeuf, malheur à l'oeuf.
Quand l'oeuf tombe sur la pierre, malheur à l'oeuf." (proverbe)
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