Montaigne ne savait pas compter ?

Voilà ce que je viens de lire sur dans le cours d'un prof trouvé sur Internet.
Cet enseignant explique que les humanités sont d'abord des études littéraires et que ce fait explique peut-être un manque de netteté dans les relations entre le développement des sciences et l'humanisme. Il ajoute qu'on a pu dire que les découvertes scientifiques de l'époque se sont faites en dehors des humanistes. Et Il termine en disant que les progrès de l'algèbre, de l'anatomie et de l'astronomie semblent être ignorés de la plupart d'entre eux. C'est là qu'il prend l'exemple de Montaigne qui ne savait pas compter...
Cela m'étonne. Est-ce vrai? Voulait-il dire "en chiffres arabes"?

Pas étonnant, déjà qu'il savait pas écrire correctement

Bon je sens que je ne t'aide pas là

Ben ça, va falloir me le prouver...
Comme par hasard, je ne retrouve pas mon exemplaire des Essais, mais ça m'aurait frappé, quand même...surtout qu'il est presque impossible de ne pas savoir compter. Montaigne, en plus de sa petite enfance hors-norme, a été scolarisé, a voyagé, a été maire de Bordeaux...Bref, je ne vois pas ce que veut dire ce gars-là...

Humf... moi aussi ça me parait très très suspect, surtout que les humanistes ne se définissent pas comme des littéraires, plutôt comme des spécialistes de plusieurs domaines, non ? à l'image de Rabelais

Oui, j'ai aussi bossé sur montaigne à l'agreg en 2003 et d'une part il sait écrire (en langue de son époque) et d'autre part, ne pas savoir compter me parait curieux pour qqn qui a été maire de Bordeaux et qui, comme le souligne lilith, était d'une époque où les savants avaient des connaissances encyclopédiques...

Moi aussi ça me paraît plus que bizarre, l'humaniste aime embrasser une multitude de connaissances.

Il me semble ridicule ce prof...

tu aurais la référence où trouver l'article ?

Euh, je blaguais quand je disais qu'il ne savait pas écrire .Tout le monde a compris quand même?

bah voui, t'inquiète!

Il sait compter jusqu'à trois au moins! (puisqu'il a écrit trois tomes!)
:boulet:

Il ne sait pas compter, peut-être (mais bon...). Mais quand on a écrit un essai à la structur aussi compliquée, aussi fine, aussi puissante que "Des coches", on vaut bien autant qu'un mathématicien.

http://erra.perso.neuf.fr/ranguin/MALLET/Humanisme.htm
Voilà d'où ce propos est tiré... Ce monsieur indique son adresse mail sur le cours. Je crois que je vais carrément lui poser la question.

C'est dans la partie II (Humanisme) au début du paragraphe 3 (l'Humanisme et les sciences).

C'est vrai, Montaigne ne savait pas compter : il n'y a qu'à voir le nombre de citations référencées dont il a parsemé ses Essais. Quelqu'un a dû faire le boulot à sa place, c'est pas possible!

Ça doit être ça!
J'ai survolé hier soir la partie consacrée à son éducation, je n'ai rien trouvé qui puisse être interprété ainsi. Va falloir m'expliquer...

J'ai lu une critique de Butor sur Montaigne. Il montre notamment l'importance des chiffres dans son oeuvre et déduit toute une structure, assez pertinente, mais un peu approximative (genre le compte n'es tpas toujours bon, à une unité près)... alors pour forcer sa trouvaille, le père Butor rajoute des +1 un peu partout.

C'est assez marrant. Pertinent en plus.
Mais c'est un vague souvenir, je ne saurais vous en dire plus.

Je viens d'appeler Montaigne pour avoir son opinion. C'est tout de même lui le premier concerné.

Il n'a pas été facile à joindre, car la mairie de Bordeaux prétend qu'il est actuellement très occupé, mais j'ai fini par trouver sa ligne directe. Il y avait un peu de friture sur la ligne, comme s'il me répondait de très très loin, mais voici ce qu'il m'a dit :

"Tu sçays, Jehan, que je ne vis jamais pere, pour bossé ou teigneux que fust son fils, qui laissast de l'advoüer : non pourtant, s'il n'est du tout enyvré de cet affection, qu'il ne s'apperçoive de sa defaillance : mais tant y a qu'il est sien. Aussi moy, je voy mieux que tout autre, que ce ne sont icy que resveries d'homme, qui n'a gousté des sciences que la crouste premiere en son enfance, et n'en a retenu qu'un general et informe visage : un peu de chaque chose, et rien du tout, à la Françoise. Car en somme, je sçay qu'il y a une Medecine, une Jurisprudence, quatre parties en la Mathematique, et grossierement ce à quoy elles visent. Et à l'adventure encore sçay-je la pretention des sciences en general, au service de nostre vie : mais d'y enfonçer plus avant, de m'estre rongé les ongles à l'estude d'Aristote monarque de la doctrine moderne, ou opiniatré apres quelque science, je ne l'ay jamais faict : ny n'est art dequoy je peusse peindre seulement les premiers lineaments. Et n'est enfant des classes moyennes, qui ne se puisse dire plus sçavant que moy : qui n'ay seulement pas dequoy l'examiner sur sa premiere leçon. Et si l'on m'y force, je suis contraint assez ineptement, d'en tirer quelque matiere de propos universel, sur quoy j'examine son jugement naturel. leçon, qui leur est autant incognue, comme à moy la leur."

Mais je crois aussi que Montaigne est un incorrigible modeste.

Tout à fait d'accord sur sa modestie et celle des humanistes (de l'époque ) en général, John! Quand je vois la somme de savoirs qu'ils maîtrisaient, j'ai vraiment la sensation d'être un Béotien à côté d'eux...

"à la Françoise"...

Soldat Fran a écrit:"à la Françoise"...

Pourquoi? C'est ton prénom?

John a écrit:

"Tu sçays, Jehan, que je ne vis jamais pere, pour bossé ou teigneux que fust son fils, qui laissast de l'advoüer : non pourtant, s'il n'est du tout enyvré de cet affection, qu'il ne s'apperçoive de sa defaillance : mais tant y a qu'il est sien. Aussi moy, je voy mieux que tout autre, que ce ne sont icy que resveries d'homme, qui n'a gousté des sciences que la crouste premiere en son enfance, et n'en a retenu qu'un general et informe visage : un peu de chaque chose, et rien du tout, à la Françoise. Car en somme, je sçay qu'il y a une Medecine, une Jurisprudence, quatre parties en la Mathematique, et grossierement ce à quoy elles visent. Et à l'adventure encore sçay-je la pretention des sciences en general, au service de nostre vie : mais d'y enfonçer plus avant, de m'estre rongé les ongles à l'estude d'Aristote monarque de la doctrine moderne, ou opiniatré apres quelque science, je ne l'ay jamais faict : ny n'est art dequoy je peusse peindre seulement les premiers lineaments. Et n'est enfant des classes moyennes, qui ne se puisse dire plus sçavant que moy : qui n'ay seulement pas dequoy l'examiner sur sa premiere leçon. Et si l'on m'y force, je suis contraint assez ineptement, d'en tirer quelque matiere de propos universel, sur quoy j'examine son jugement naturel. leçon, qui leur est autant incognue, comme à moy la leur."

Voilà, c'est le seul passage que j'avais vu dans mon survol rapide, mais il ne m'avait pas paru suffisamment précis...

"De l'institution des enfants", non? Ou bien "Du pédantisme"? (Il n'y a pas de message caché dans ce post, je me pose vraiment la question.)

Essais I, 26.
De l'institution des enfants.