- RellNiveau 6
Bonjour,
Je m'interroge quant aux valeurs des verbes au présent de l'indicatif dans cet extrait d'un texte d'Annie Ernaux. Pour information, c'est un journal :
"A la caisse, où il y a pas mal d’attente, une cliente avec un panier à roulettes m’offre sa place. Comme je décline vigoureusement – ai-je l’air si fatiguée ? si vieille ? -, elle me sourit en disant qu’elle me connaît comme écrivain. Nous échangeons des propos sur le magasin, sur les enfants qui y sont nombreux le mercredi. En déposant mes articles sur le tapis, je pense avec un peu de malaise qu’elle va regarder ce que j’ai acheté. Chaque produit prend soudain un sens très lourd, révèle mon mode de vie. Une bouteille de champagne, deux bouteilles de vin, du lait frais et de l’emmenthal bio, du pain de mie sans croûte, des yaourts Sveltesse, des croquettes pour chats stérilisés, de la confiture anglaise au gingembre. A mon tour jesuis observée, je suis objet. "
Sachant que c'est un journal, elle raconte un événement passé. Pour autant, je ne pense pas que l'on puisse parler de présent de narration ... Le passage entre tirets relate un questionnement intérieur et relèverait donc plutôt du présent d'actualité. Pour la dernière phrase, est-ce du présent de description ?
Je n'ai jamais de problème avec les valeurs des temps, mais je ne sais pas pourquoi, ce présent-là m'interroge ...
Certains n'en feront qu'une bouchée, je le sais et les remercie pour l'attention qu'ils porteront à ma demande.
Je m'interroge quant aux valeurs des verbes au présent de l'indicatif dans cet extrait d'un texte d'Annie Ernaux. Pour information, c'est un journal :
"A la caisse, où il y a pas mal d’attente, une cliente avec un panier à roulettes m’offre sa place. Comme je décline vigoureusement – ai-je l’air si fatiguée ? si vieille ? -, elle me sourit en disant qu’elle me connaît comme écrivain. Nous échangeons des propos sur le magasin, sur les enfants qui y sont nombreux le mercredi. En déposant mes articles sur le tapis, je pense avec un peu de malaise qu’elle va regarder ce que j’ai acheté. Chaque produit prend soudain un sens très lourd, révèle mon mode de vie. Une bouteille de champagne, deux bouteilles de vin, du lait frais et de l’emmenthal bio, du pain de mie sans croûte, des yaourts Sveltesse, des croquettes pour chats stérilisés, de la confiture anglaise au gingembre. A mon tour je
Sachant que c'est un journal, elle raconte un événement passé. Pour autant, je ne pense pas que l'on puisse parler de présent de narration ... Le passage entre tirets relate un questionnement intérieur et relèverait donc plutôt du présent d'actualité. Pour la dernière phrase, est-ce du présent de description ?
Je n'ai jamais de problème avec les valeurs des temps, mais je ne sais pas pourquoi, ce présent-là m'interroge ...
Certains n'en feront qu'une bouchée, je le sais et les remercie pour l'attention qu'ils porteront à ma demande.
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Classes 2020-2021 : deux classes de 1ère générale + HLP 1ère
"Le temps était encore ténébreux et sentant l'infélicité et calamité des Goths, qui avaient mis à destruction toute bonne littérature ; mais, par la bonté divine, la lumière et dignité a esté de mon âge rendue ès lettres [...] Maintenant toutes disciplines sont restituées, les langues instaurées, grecque, sans laquelle c'est honte que une personne se die savant, Hébraïque, Chaldaïque, Latine "[...]
François Rabelais, Les Horribles et Épouvantables Faits et Prouesses du très renommé Pantagruel, chap. 8, 1532.
- nitescenceÉrudit
Pour moi c'est bien du présent de narration : il s'agit d'actions ou d'interrogations dans le passé décrites au présent. Er il me semble que le présent de description n'existe pas (à ma connaissance).
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Mordre. Mordre d'abord. Mordre ensuite. Mordre en souriant et sourire en mordant. (avec l'aimable autorisation de Cripure, notre dieu à tous)
- RellNiveau 6
Ce qui me dérange avec le présent de narration, c'est que tout le journal est au présent. L'effet de surgissement, de mise en relief, que provoque le présent quand il intervient dans un texte majoritairement aux temps du passé ne se produit pas ici.
Je parle de présent de description dans les phrases du type : "Dans la journée, les caisses traditionnelles sont deux fois moins nombreuses que celles-ci à fonctionner." (extrait du même texte) ou "Jean mesure 1m80 et pèse 71kg".
Je parle de présent de description dans les phrases du type : "Dans la journée, les caisses traditionnelles sont deux fois moins nombreuses que celles-ci à fonctionner." (extrait du même texte) ou "Jean mesure 1m80 et pèse 71kg".
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Classes 2020-2021 : deux classes de 1ère générale + HLP 1ère
"Le temps était encore ténébreux et sentant l'infélicité et calamité des Goths, qui avaient mis à destruction toute bonne littérature ; mais, par la bonté divine, la lumière et dignité a esté de mon âge rendue ès lettres [...] Maintenant toutes disciplines sont restituées, les langues instaurées, grecque, sans laquelle c'est honte que une personne se die savant, Hébraïque, Chaldaïque, Latine "[...]
François Rabelais, Les Horribles et Épouvantables Faits et Prouesses du très renommé Pantagruel, chap. 8, 1532.
- nitescenceÉrudit
Je comprends bien qu'il n'y a pas l'effet de décalage mais ça n'empêche pas que ce soit du présent de narration quand même.
Quant aux caisses, ppur moi, c'est du présent gnomique ou de vérité générale si tu préfères
Quant aux caisses, ppur moi, c'est du présent gnomique ou de vérité générale si tu préfères
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Mordre. Mordre d'abord. Mordre ensuite. Mordre en souriant et sourire en mordant. (avec l'aimable autorisation de Cripure, notre dieu à tous)
- RellNiveau 6
D'accord, merci. On est quand même d'accord pour considérer que dans "ai-je l'air si vieille ?", la valeur est le présent d'actualité (ou d'énonciation) ?
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Classes 2020-2021 : deux classes de 1ère générale + HLP 1ère
"Le temps était encore ténébreux et sentant l'infélicité et calamité des Goths, qui avaient mis à destruction toute bonne littérature ; mais, par la bonté divine, la lumière et dignité a esté de mon âge rendue ès lettres [...] Maintenant toutes disciplines sont restituées, les langues instaurées, grecque, sans laquelle c'est honte que une personne se die savant, Hébraïque, Chaldaïque, Latine "[...]
François Rabelais, Les Horribles et Épouvantables Faits et Prouesses du très renommé Pantagruel, chap. 8, 1532.
- SphinxProphète
Comme Nitescence, présent de narration pour tout l'extrait. Elle se demande peut-être aussi dans le temps d'énonciation si elle a l'air si vieille, mais ce n'est pas le cas dans l'extrait que tu cites, c'est une question qu'elle se pose au moment où la cliente veut lui céder sa place.
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An education was a bit like a communicable sexual disease. It made you unsuitable for a lot of jobs and then you had the urge to pass it on. - Terry Pratchett, Hogfather
"- Alors, Obélix, l'Helvétie c'est comment ? - Plat."
- IphigénieProphète
C'est tout l'interêt du présent de narration, non? abolir la distance, le temps retrouvé, revécu, re-scruté au ralenti ou au microscope par l'écriture du journal...
En annexe, et sans doute hors sujet, (auquel cas pardon):
fait-on toujours travailler abondamment les élèves sur les valeurs temporelles?
Je me souviens qu'en primaire, mon fils avait eu une "fiche" sur l'imparfait, qu'ils apprenaient à peine à conjuguer, avec en vrac toutes les valeurs aspectuelles, que pour ma part je n'ai jamais travaillées en tant que telles avant la fac... Je me demande si ça a une grande utilité, en réalité, et si l'intuition et le raisonnement ponctuel ne suffisent pas, pour un élève, une fois qu'on maîtrise la conjugaison...
En annexe, et sans doute hors sujet, (auquel cas pardon):
fait-on toujours travailler abondamment les élèves sur les valeurs temporelles?
Je me souviens qu'en primaire, mon fils avait eu une "fiche" sur l'imparfait, qu'ils apprenaient à peine à conjuguer, avec en vrac toutes les valeurs aspectuelles, que pour ma part je n'ai jamais travaillées en tant que telles avant la fac... Je me demande si ça a une grande utilité, en réalité, et si l'intuition et le raisonnement ponctuel ne suffisent pas, pour un élève, une fois qu'on maîtrise la conjugaison...
- DeliaEsprit éclairé
Prendre une page de l'Or et demander aux élèves de mettre tous les verbes à un temps du passé. Je l'ai fait en Quatrième, au sicle dernier..;.
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Un vieillard qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle.
Amadou Hampaté Ba
- SphinxProphète
Iphigénie a écrit:C'est tout l'interêt du présent de narration, non? abolir la distance, le temps retrouvé, revécu, re-scruté au ralenti ou au microscope par l'écriture du journal...
En annexe, et sans doute hors sujet, (auquel cas pardon):
fait-on toujours travailler abondamment les élèves sur les valeurs temporelles?
Je me souviens qu'en primaire, mon fils avait eu une "fiche" sur l'imparfait, qu'ils apprenaient à peine à conjuguer, avec en vrac toutes les valeurs aspectuelles, que pour ma part je n'ai jamais travaillées en tant que telles avant la fac... Je me demande si ça a une grande utilité, en réalité, et si l'intuition et le raisonnement ponctuel ne suffisent pas, pour un élève, une fois qu'on maîtrise la conjugaison...
Oui ça se fait toujours ; en tout cas ça tombe trèèès régulièrement au brevet donc je le fais au moins en troisième. Je ne trouve pas qu'il soit utile de rentrer dans des subtilités très poussées, mais voir au moins
- présent de narration, d'énonciation, de vérité générale
- imparfait de description, d'habitude/répétition, d'action non achevée
- et le conditionnel comme futur dans le passé
me semble quand même utile pour comprendre les textes.
(Je suis d'accord, encore faudrait-il d'abord savoir reconnaître un imparfait d'un conditionnel. Mais si j'attends que certains sachent conjuguer l'imparfait avant de passer à la suite, je ne fais plus rien :|)
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- IphigénieProphète
D’accord! Merci pour la mise à jour de mes infos!
- NLM76Grand Maître
Je suis d'accord avec Rell. À la lecture de l'extrait proposé, on a le sentiment qu'elle se pose la question non au moment de l'événement, mais au moment de l'écriture. De même elle ne s'analyse comme objet qu'au moment où elle revit l'événement : il ne s'agit pas de discours indirect libre, mais de retour au présent de l'énonciation.
Mais je n'ai pas lu le bouquin en entier, et ne saurais me montrer affirmatif.
Mais je n'ai pas lu le bouquin en entier, et ne saurais me montrer affirmatif.
_________________
Sites du grip :
- http://instruire.fr
- http://grip-editions.fr
Mon site : www.lettresclassiques.fr
«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- IphigénieProphète
pourtant c'est ce qui justifie le "vigoureusement", au moment de l'événement où elle "décline" la place .NLM76 a écrit:Je suis d'accord avec Rell. À la lecture de l'extrait proposé, on a le sentiment qu'elle se pose la question non au moment de l'événement, mais au moment de l'écriture. De même elle ne s'analyse comme objet qu'au moment où elle revit l'événement : il ne s'agit pas de discours indirect libre, mais de retour au présent de l'énonciation.
Mais je n'ai pas lu le bouquin en entier, et ne saurais me montrer affirmatif.
Quant au reste, on se demande pourquoi elle se remémorerait un fait aussi anodin, s'il ne s'était justement accompagné de cette prise de conscience de devenir un "objet" dans cette circonstance.
Mais je n'ai pas lu le livre non plus, et ne sais s'il s'agit d'un vrai journal ou d'un roman écrit à la façon d'un journal.
- NLM76Grand Maître
Oui c'est vrai pour "vigoureusement". Donc présent de narration pour le passage entre tirets, avec une sorte de discours indirect libre. C'est plus discutable pour la fin.
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- RellNiveau 6
Merci beaucoup pour vos remarques. Il s'agissait d'une lecture analytique réalisée lors d'une séance d'inspection en 1ère. L'inspectrice était d'accord sur les différentes interprétations, mais les élèves y ont tout de suite vu du présent de narration pour les raisons évoquées plus haut. J'ai émis quelques réserves en ne fermant aucune porte.
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