- NLM76Grand Maître
Chers collègues philosophes,
voudriez-vous bien m'aider ? Cela fait au moins douze fois que j'essaie de me lancer dans le livre de Kant. Et je n'y comprends rien. Que devrais-je avoir lu au préalable ? Ou alors, je peux lire directement le bouquin, et poser des questions à des experts comme vous quand je ne comprends pas ?
voudriez-vous bien m'aider ? Cela fait au moins douze fois que j'essaie de me lancer dans le livre de Kant. Et je n'y comprends rien. Que devrais-je avoir lu au préalable ? Ou alors, je peux lire directement le bouquin, et poser des questions à des experts comme vous quand je ne comprends pas ?
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Sites du grip :
- http://instruire.fr
- http://grip-editions.fr
Mon site : www.lettresclassiques.fr
«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- AnaxagoreGuide spirituel
NLM76 a écrit:Chers collègues philosophes,
voudriez-vous bien m'aider ? Cela fait au moins douze fois que j'essaie de me lancer dans le livre de Kant. Et je n'y comprends rien. Que devrais-je avoir lu au préalable ? Ou alors, je peux lire directement le bouquin, et poser des questions à des experts comme vous quand je ne comprends pas ?
Je pense qu'il est bon de se faire une idée des écrits de Hume, en particulier la critique de l'induction.
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"De même que notre esprit devient plus fort grâce à la communication avec les esprits vigoureux et raisonnables, de même on ne peut pas dire combien il s'abâtardit par le commerce continuel et la fréquentation que nous avons des esprits bas et maladifs." Montaigne
"Woland fit un signe de la main, et Jérusalem s'éteignit."
"On déclame contre les passions sans songer que c'est à leur flambeau que la philosophie allume le sien." Sade
- RuthvenGuide spirituel
Ce qui est difficile, chez Kant, c'est l'usage du vocabulaire technique ; pour rentrer dans la CRP, il me semble plus facile de travailler d'abord l'articulation d'ensemble - par une étude de la table des matières et des "entrées de chapitre", pour pouvoir se repérer dans le massif. Il y a aussi un ou deux instruments très utiles, comme R. Verneaux, Le vocabulaire de Kant et L. Guillermit, Leçons sur la Critique de la raison pure de Kant; il me semble très difficile d'y entrer par une première lecture continue sans avoir au préalable balisé le terrain avec un peu de littérature secondaire.
Tu peux, bien sûr, poser des questions sur le forum, même si pour ma part je ne suis pas grand lecteur de Kant.
Tu peux, bien sûr, poser des questions sur le forum, même si pour ma part je ne suis pas grand lecteur de Kant.
- wolmarNiveau 1
Je te conseille l'écoute des cours (très éclairants) de Jean-Michel Muglioni, sur le site en lien. Il y a au moins une quinzaine de cours sur Kant (au-delà de la seule CRP), mais des cours d'introduction aident à mieux comprendre. Tu peux aussi fouiller pour des cours plus spécifiques sur la notion d'expérience par exemple, toujours dans la CRP.
Je mets ci-dessous le lien général qui regroupe l'ensemble de cours (en trois pages), puis deux liens qui pourraient plus spécifiquement t'intéresser :
https://www.univ-conventionnelle.com/kant/?start=20
https://www.univ-conventionnelle.com/kant/Ouvrir-la-Critique-de-la-Raison-pure-30-03-11_a5.html
https://www.univ-conventionnelle.com/kant/Pourquoi-critiquer-la-raison-La-question-des-limites-du-savoir-16-11-11_a12.html
Je mets ci-dessous le lien général qui regroupe l'ensemble de cours (en trois pages), puis deux liens qui pourraient plus spécifiquement t'intéresser :
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https://www.univ-conventionnelle.com/kant/Ouvrir-la-Critique-de-la-Raison-pure-30-03-11_a5.html
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- NLM76Grand Maître
Merci ! Je vais regarder Muglioni. Mais, par exemple, Ruthven, j'ai essayé de lire ce matin la seconde préface. Pour l'instant, pas de vocabulaire technique manifeste, mais des affirmations qui me paraissent gratuites sur ce qui fait une science digne de ce nom, ou des allusions à Aristote et à sa Logique que je ne saisis pas par manque de culture.
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«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- AspasieNiveau 10
Rien n'est jamais gratuit chez Kant ; rien n'est jamais gratuit chez un auteur ceci étant... mais je veux dire que je rejoins Ruthven dans sa réponse : la question du vocabulaire est essentielle, même lorsqu'il n'y paraît pas. J'aurais donc tendance à suggérer la lecture d'un commentateur pour avoir une idée d'ensemble de ce qui va être défendu (histoire d'être certain de ne pas faire de faux sens), puis la lecture du texte pour appréhender progressivement le sens même du texte, et la spécificité du vocabulaire.
Et puis, en effet, je suis aussi certaine qu'il y aura toujours quelqu'un sur le forum pour répondre à une question d'interprétation sur telle ou telle phrase.
Et puis, en effet, je suis aussi certaine qu'il y aura toujours quelqu'un sur le forum pour répondre à une question d'interprétation sur telle ou telle phrase.
- Sylvain de Saint-SylvainGrand sage
J'ai aussi écouté les cours de Muglioni en accompagnement de ma lecture. D'ailleurs j'ai pris des notes, que je partage ici. Toutefois, si Muglioni permet de bien poser les bases et d'inscrire la pensée de Kant en rapport avec celle d'autres philosophes, son cours éclaire surtout le début de l'oeuvre.
Edit : il y a une limite de caractères autorisée. Je mettrai ça en PDF.
- Lire Kant:
- Lire Kant
1. Difficulté et réputation de Kant
Premier point. Lecture qui passe pour difficile. Mauvaise réputation d’intellectuel ascétique. Pas sûr du tout que Kant soit plus difficile à lire que les autres. Descartes va parfois très vite, semble prendre plaisir à piéger son lecteur. Platon, ses dialogues sont écrits de telle façon que jamais il n’expose une doctrine. Difficulté de Kant = parce que c’est un instituteur : il s’explique trop, et il faut avoir patience de comprendre pourquoi il est sans cesse amené à s’expliquer, à nuancer.
Deuxième point : mauvaise réputation de l’homme. Sachez simplement que l’histoire personnelle de Kant se réduit à sa vie de professeur et d’auteur. Descartes avait une rente, et pouvait vivre comme il voulait. Kant a dû gagner sa vie comme précepteur, puis il avait un horaire considérable, 25 heures de cours, et il n’a pu acheter sa maison que vers l’âge de 60 ans — il faisait cours dans sa maison, les universitaires faisaient cours chez eux. Cours de géographie, d’anthropologie, de physique, un peu de tout. Né en 1724, a publié en 1755 Histoire naturelle et générale et théorie du ciel, c’est-à-dire la théorie de Kant-Laplace. Grande cosmologie newtonienne, que Laplace a achevé car c’est lui le calculateur.
Emploi du temps de Kant réglé comme papier à musique : n’avait pas le choix. Critique de la raison pure : a dû bloquer toutes ses vacances d’été. Pendant les vacances d’été. On sait que il avait il s’était déplacé pour L’Émile de Rousseau. La légende d’un homme ascétique et triste est fausse : était enjoué, recherché par la bonne société. Dit qu’un philosophe ne doit jamais manger seul. Quelqu’un qui menait la vie d’un bourgeois du XVIIIe, grand admirateur de Voltaire. Il y a chez lui des pages sévères contre le piétisme, qu’on lui attribue parce que sa mère était piétiste. Sa tombe, à Köningsberg, est la seule partie de l’église qui n’a pas été détruite pendant la dernière guerre. Tout le temps de la période stalinienne sa tombe était fleurie. Donc Kant fut célèbre comme professeur, il avait son lustre, avant d’être célèbre dans le monde entier. Il n’a vraiment été célèbre qu’à partir de 1781, première édition de la Critique de la raison pure. Mais d’abord échec total, son éditeur a failli faire faillite. A partir de 1787, date de la seconde édition, presque l’ouvrage le plus célèbre de la philosophie.
2. Irréductibilité de l’œuvre à l’auteur
Nous n’avons pas à juger un homme mais une œuvre : en quoi ce qu’elle dit est vrai ou faux ? Que nous apprend-elle sur la nature des choses et sur nous-mêmes ?
Dire que c’est une œuvre poétique ou philosophique = qu’elle n’est pas réductible à psychologie de son auteur, pas réductible à ses conditions historiques d’apparition, et présente intérêt universel. Une œuvre est philosophique en tant qu’elle n’est pas seulement l’opinion d’un homme même génial, mais en tant que nous pouvons la comprendre comme étant notre propre pensée. Ça ne veut pas dire qu’on peut ignorer tout de l’époque, ça ne veut pas dire que ce qu’il nous dit ne serait que l’expression d’une époque. C’est en tant que c’est une œuvre universelle que l’œuvre de Kant sera lue par nous.
3. Une philosophie de la liberté
3.1 La notion d’autonomie
Par quel bout la prendre ? Si j’arrivais avec Critique de la raison pure, je serais forcé de vous dire que c’est une critique de la métaphysique, celle de Christian Wolff, qui a mis en système scolaire Leibnitz, celle des écoles à ce moment-là.
Commençons par un rappel. La philosophie de Kant est d’abord une philosophie de la liberté. Se caractérise essentiellement par notion d’autonomie. Que veut dire autonomie ? Αυτοϛ : moi-même, νεμω: loi. L’homme est l’auteur des lois auxquelles il obéit. Par exemple, c’est lui le législateur de la loi qu’est l’honnêteté. Chacun est législateur des lois qu’il s’impose de suivre. Ça veut dire que chacun est libre absolument de ses devoirs, qui s’imposent à lui qu’autant qu’il est capable de dire « je le veux ».
3.2 La liberté est le principe du devoir
Kant, quand élucide notion de devoir ou d’obligation, part de la conscience commune, comme Rousseau. De là, il remonte par une analyse (ανα = en remontant [en avant, en haut]), cette analyse remonte du devoir tel qu’il est présent dans la conscience de chacun, à son principe qu’est la liberté. Ce faisant nous ne faisons pas de la morale, nous réfléchissons sur le fait que les hommes que nous sommes éprouvent en eux conscience d’avoir des devoirs, remonter au principe : la liberté. Pour formuler à partir de là ce que c’est que l’obligation. Kant ne propose pas une morale, sauf peut-être dans Métaphysique des mœurs, et quelques passages, mais une réflexion sur la morale qui propose non pas une nouvelle morale, mais une nouvelle formulation de la morale universelle.
4. Morale et religion
4.1 La subordination de la religion à la morale
Cette formulation a son sens dans l’idée d’autonomie. L’enjeu : l’idée d’autonomie signifie que si Dieu même nous donnait un ordre, nous ne pourrions moralement lui obéir que si nous pensions que nous aurions pu nous le donner à nous-même. Autrement dit, pour ce qui concerne la liberté, je n’ai, même relativement aux lois divines que je ne puis connaître par la seule raison, aucune obligation si ce n’est pour autant que j’ai pu leur donner mon assentiment. Car c’est par la loi de la liberté que ma propre raison que je me forme tout d’abord une notion de la volonté divine. Autrement dit si quelqu’un dit « telle est la volonté divine », d’où que vienne son propos, on ne pourrait savoir ce qu’est la vérité divine que parce qu’en tant qu’être raisonnable on peut savoir ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Cette subordination de la théologie à la morale, de la religion à la morale, est chose considérable. On n’en trouvera conséquences chez Kierkegaard : sacrifice d’Abraham est en fait scandaleux. Croyance en dehors de la raison. Cette subordination signifie que la raison en l’homme est seule juge du bien et du mal. On est bien au centre de la philosophie des Lumières.
4.2 Critique des cléricaux et critique des athées
Kant est mal vu par la théologiens, et de l’autre par certaines formes d’athéisme militant. Théologiens ne supportent pas que jugement d’un homme soit placé au-dessus des paroles sacrées de Dieu ou de ses apôtres ; l’autonomie met fin à l’autorité du clergé. D’où que Kant aimait le combat de Voltaire. Pas lieu de distinguer laïcs et clercs. Ce qui est vrai aussi, c’est qu’il n’y a pas que les religions qui sont cléricales ; si bioéthique était confisquée par quelques spécialistes, ce serait un nouveau cléricalisme.
D’un autre côté, Kant est honni par athées militants qui ne comprennent pas pourquoi il continue de parler de religion, au sens de religion morale naturelle, dont religions historiques seraient pâle reflet. Parce qu’ils veulent réduire religion aux religions historiques. Et donc un certain scientisme réduit son œuvre à défense rétrograde de la foi. Alain Boyer défend ce point de vue : Hors du temps. Un essai sur Kant1. Démolition en bonne et due forme.
5. Une analyse et non « une » morale
Insistons : Kant ne nous dit pas quels sont nos devoirs. L’autonomie signifiant que chacun est son propre législateur, ça veut dire qu’il n’y a pas de tables des lois à laquelle se référer. Pas de sens de chercher un maître de morale. Il n’y a pas de morale de Kant. Y’a une morale de Descartes, une morale épicurienne, une morale stoïcienne… Se ressemblent beaucoup : pas tuer, violer, etc. Quand on dit de quelqu’un qu’il est kantien, c’est une injure à Descartes ou Spinoza, tout aussi honnêtes que lui.
Quelques exemples bizarres. Sur les mœurs sexuelles, il y a des choses qui choquent certains d’entre nous parce que pas conscience de relativité des mœurs. Immoralité dans le fait d’inoculer vaccin de la variole : on n’a pas le droit de se rendre malade soi-même. Première fois que se pose le problème de la médecine moderne. Droit de vote : Kant distingue citoyens passifs et citoyens actifs2, comme Sieyès3, n’en est pas encore à admettre suffrage universel. Passifs : mon coiffeur, parce qu’il n’est pas indépendant, comme les valets. Il va voter comme moi. Si vous voyez la raison, vous comprenez que distinction n’est pas dans ce contexte absurde, pose le problème de la nécessité de rendre les votants indépendants de leurs patrons, si on veut que suffrage universel ait un sens, ce qui n’est pas le cas en 1790. Mais attention à ne pas confondre ce qui est de l’ordre des mœurs et ce qui est de l’ordre de l’analyse.
6. Le problème de l’opposition entre nature et liberté
Pour commencer, formulons un problème qui traverse toute l’œuvre de Kant, le problème de l’opposition de la nature et de la liberté. Ce problème n’est un problème que s’il est posé, formulé. Et pour le poser et le formuler, il faut comprendre d’une part l’affirmation de la liberté, et d’autre part ce qu’on entend par nature.
6.1 Le mécanisme
On peut dire, d’un point de vue historique, que ce problème se pose déjà comme tel avec Descartes, i.e avec l’apparition de la physique moderne : le mécanisme. Dans une machine, les pièces et les machines sur lesquelles réfléchissent hommes du XVIIe siècle (horloge), s’entraînent les unes les autres. Dans une horloge, un ressort ou un poids communique son mouvement à un engrenage. Autre exemple : une fois qu’une boule est partie, elle touche une autre etc. Mécanisme tel que s’enchaînent causes et effets de manière nécessaire. Une fois que la première boule est partie, tout ce qui se produit est déductible. Penser la nature comme mécanisme c’est penser qu’elle est un système où phénomènes s’entre-suivent de manière nécessaire. Cette représentation de la nature, Descartes l’étend à la connaissance des corps vivants en général et d’abord du corps humain, puisque si nous parvenons à le connaître comme on connaît fonctionnement machines, on va pouvoir enfin mettre en œuvre une médecine efficace. Par conséquent l’être humain se trouve inscrit dans le mécanisme. Comment comprendre que nous soyons inscrits comme n’importe quelle partie de la nature dans le mécanisme naturel, et que d’autre part nous prétendions être libre ? Comment accorder les deux ? C’est un problème analogue à celui de l’opposition voire contradiction de nature et liberté, sur lequel Kant n’a jamais cessé de réfléchir.
Cette réflexion, on peut la formuler autrement. D’un côté, je suis physicien. Comme physicien, je sais que tous les mouvements de la nature sont aussi réglés et nécessaires que les mouvements des astres, que tout s’enchaîne selon principe de causalité, il n’y a pas d’effet sans cause, relation cause effet nécessaire. Newtonien. D’autre part, comme homme, et comme tous les hommes, j’ai des devoirs, et je sais que par exemple je n’ai pas à raconter n’importe quoi à mes auditeurs, que j’ai à être honnête dans la conduite de ma vie. En tant que j’ai des devoirs, je sais que je suis libre. Comment accorder les deux ? Voilà le problème.
6.2 Le rapport paradoxal entre devoir et liberté
Pour comprendre qu’il y a problème, il faut admettre qu’il y a liberté. Rapport de l’idée d’obligation ou de devoir et de celle de liberté. Qu’est-ce que ça veut dire que la conscience d’être obligé, quand nous sommes obligé, contient la certitude que nous sommes libres ? J’entends ici l’obligation du devoir en tant que moral(e?) et non juridique. Autrement dit, je ne suppose pas que je risque d’être pris en cas de malhonnêteté, puni ou récompensé, je suppose que personne ne nous voit et que j’ai conscience de devoir être honnête, par exemple rendre la monnaie, quoique j’ai un grand besoin d’argent, et par conséquent j’éprouve cette obligation comme une contrainte. Je dis que celui qui a ainsi conscience de son devoir et qui fait prévaloir dans son jugement le devoir sur son intérêt, celui-là est à ce titre certain de sa liberté. Qu’est-ce que ça veut dire ? J’insiste sur caractère moral et non social de l’obligation. Si on dit que c’est moral parce que social parce que sinon société pas possible, et bien pourquoi devrais-je respecter société, souhaiter qu’elle soit possible ? Elle a pas mal de choses qui la rendent méprisable.
Donc je prends pour exemple honnêteté élémentaire indépendante de toute nécessité vitale et sociale. J’affirme qu’un tel devoir contient certitude de liberté. Car si je dis, c’est parce que j’ai telle éducation que je pense qu’il faut être honnête, si je rends ça relatif à condition naturelle d’existence, manière dont j’ai vécu jusqu’ici, appétits en moi, alors je saurais que ce que je prends pour obligation est relatif, sans valeur absolue. Dans cette hypothèse, le devoir, même si l’habitude l’a ancré en moi, perd sa valeur d’obligation absolue. Si au contraire c’est un devoir c’est une obligation absolue. Si c’est le cas, c’est que j’ai quelque chose d’indépendant des conditions historiques, sociales, physiologiques d’existence. C’est ainsi que Kant prouve liberté par simple analyse de la notion d’obligation.
Ça veut dire que si mes devoirs étaient simples produits de contraintes psychologiques, ce ne serait pas de vrais devoirs. Avec idiosyncrasie différente j’aurais d’autres devoirs. Si véritables obligations, alors je suis libre.
Je reformule : chacun comprend que s’il pouvait soutenir qu’il n’est pas libre, il ne pourrait pas se juger lui-même, qu’aucun jugement moral n’aurait de sens, et de la même façon ça n’aurait aucun sens de se demander si tel ou tel homme se comporte de manière juste ou injuste ; nous ne pouvons prononcer ce genre de jugements de manière sensée que si nous présupposons que nous sommes libres. La certitude que l’homme est libre est lié en lui à sa certitude morale.
6.3 Pas de preuves de l’existence des devoirs réels
Parenthèse : Kant ne prouve pas qu’il y a des devoirs réels. Mais on admet qu’on en a avec conscience. Nous partons de quelque chose qui n’est pas une thèse philosophique, prouvée par le philosophe. Donc Kant ne fonde pas la morale, si ça veut dire qu’on a raison. Il admet qu’il vaut mieux être honnête que malhonnête, il parlait souvent avec son valet, le testait pour voir s’il disait vérité. Y’a un présupposé qui n’est pas philosophique, au contraire la philosophie ici ne fait que réfléchir sur quelque chose que tout le monde admet.
Ce que j’admets en tant qu’homme, je le dis en tant que savant pour qui les phénomènes s’enchaînent selon principe de causalité.
6. 4 La liberté n’est pas l’indéterminisme
J’ai pris la précaution de montrer qu’il y a liaison intime entre moralité et liberté. Je vais vite sur mécanisme ou nécessité naturelle, qu’il faudra élucider avec Critique de la raison pure. C’est ce qu’on appelle parfois déterminisme, que Kant n’appelle jamais ainsi, parce qu’il ne veut pas qu’on s’imagine que la liberté est l’indéterminisme. Car précisément le libre, c’est celui qui est parfaitement déterminé dans ce qu’il a à faire, et dont la raison détermine de part en part les décisions.
Et donc, la physique et la morale, la nature et la liberté, comment les concilier ? Il y a une contradiction que je découvre en moi-même, car je suis le même qui a conscience de devoir être honnête et qui comprend la nécessité physique. Je compte sur cette nécessité dans la moindre des mes actions, je suis certain qu’il y a des lois de la nature qui ne changent pas, et c’est moi aussi qui ait conscience de devoir faire ce que je fais. Comment accorder les deux ?
Autre exemple : je rentre chez moi, un ouragan a détruit la maison, c’est naturel. Mais dévastée par des voleurs, c’est pas la même chose. Dans le premier cas, je ne traîne pas l’ouragan au tribunal. Dans l’autre cas, je me révolte contre un acte que j’impute à quelqu’un que je suppose libre. Dans un cas donc, une succession de causes et d’effets, dans l’autre une action qui suppose liberté. Comment comprendre que nous soyons à la fois êtres de la nature, dont le corps peut être entièrement étudié comme n’importe quel phénomène naturel, dont on peut même rendre compte des faits et gestes comme on fait d’un pantin, et que de l’autre, notre certitude morale nous assure de notre liberté.
7. L’homme est une fin en soi
Avant de poursuivre, quand vous considérez une institution comme les comités d’éthique, vous avez là une institution où par exemple on prépare législations qui limitent expérimentation scientifique sur corps humain. Interdiction en France vente d’organes. Ça veut dire que par principes moraux on limite investigation scientifique. Comment comprendre cela ? Certains diront que c’est reste de préjugés religieux, superstitions. Certains soutiennent que c’est préjugé que d’accorder supériorité de l’homme sur l’animal. Pourquoi refuser vente d’organes ? C’est parce qu’on considère que le corps humain en tant qu’humain n’est pas seulement partie de la nature, mais présence de liberté dans le monde, i.e qui décide de son destin. Ne saurait être esclave ou marchandise. Formulation kantienne est que l’homme en tant que libre est une fin en soi.
Un moyen permet d’obtenir une fin. Une fin en soi, c’est une fin qui à son tour ne peut être réduite au rang de moyen. Un esclave est réduit au rang de moyen. La liberté signifie que en nous-mêmes, en autrui, on ne saurait être réduit au rang de moyen. Jamais seulement comme un moyen, et toujours en même temps comme une fin. Là je suis votre moyen d’instruction. Femme de ménage c’est un moyen. Si on ne pouvait jamais utiliser un homme comme un moyen, aucune vie sociale ne serait possible. Mais toujours en même temps comme une fin ; je ne dois pas réduire femme de ménage à sa fonction, mais continuer de respecter en elle la femme.
A partir du moment où l’homme ne peut être considéré seulement comme un moyen mais toujours comme une fin, il devient impossible de le traiter comme une autre partie de la nature, c’est à dire de le traiter comme un pur objet. Si lorsque j’expérimente un médicament, ce qui se fait tous les jours, parce que je présume qu’il peut contribuer à santé des patients, là il est pas seulement un moyen, il vit sa propre santé. Dans cette mesure, certaines expérimentations sont possibles. Par là même je limite, et c’est ce que signifie notion de dignité de personne humaine, le pouvoir que je suis en droit d’avoir sur les autres humains, par là-même j’impose limite à investigation scientifique. Certains soutiennent que c’est aussi absurde que interdiction dissection, et qui faisaient que grands chirurgiens allaient s’entraîner sur champs de bataille. J’insiste : est-ce que oui ou non limiter l’investigation de la rationalité scientifique au nom d’un principe d’ordre moral, est un reste de préjugé, ou au contraire cette exigence est-elle fondée, rationnelle, sans contradiction avec rationalité scientifique ? Nous verrons que dans Critique de la faculté de juger, Kant dit qui si on pouvait montrer que c’est contraire à rationalité, ça voudrait dire que devoir n’est qu’une illusion ; et donc il est alors important de comprendre que l’affirmation de la liberté ne la contredit pas, la rationalité scientifique. Ce que nous pensons de nous-mêmes en tant qu’hommes n’est pas discrédité du fait que se développe une science qui nécessairement ne trouve jamais autre chose que des parties et des particules qui s’entre-suivent, neurones, mais jamais de la liberté. En ce sens nous sommes tous des post-kantiens : nous sommes tous dans cette situation où si nous voulons faire prévaloir ce que notre jugement d’homme nous dit être le meilleur, il faut que nous sachions pourquoi faire prévaloir ce sens commun sur rationalité scientifique elle-même. C’est tout le problème aussi de l’expertise. Savoir si il y a justice ou injustice ne relève pas d’une expertise scientifique.
8. La conséquence comme caractéristique de la philosophie
Je voudrais que nous en profitions pour comprendre qu’à partir de là ce qui caractérise la philosophie, c’est la conséquence. Terme qui peut désigner soit une proposition qui est la conséquence d’une autre, c’est l’usage le plus courant. Soit la conséquence, l’esprit de suite, avoir l’esprit de suite ou même de vivre avec conséquence, c’est-à-dire être fidèle à décision qu’on a prise et en admettre la conséquence. La conséquence philosophique, c’est la volonté d’être en accord avec soi-même. Non pas simplement en un sens moral, cela est vrai de tout temps. La conséquence qui caractérise la philosophie, c’est la volonté d’être en accord avec soi-même dans toutes ses pensées. Chacun d’entre nous vit selon son exigence d’homme libre. Comment pouvons-nous accorder en nous-mêmes ce que nous savons être de l’ordre du devoir, de l’ordre de l’esthétique, de l’ordre de la vérité mathématique ? Comment accorder ces pensées qui n’ont rien à voir ? La conséquence philosophique, c’est être capable d’avoir une synoptique (Platon) sur toutes ses pensées de façon à être sûr qu’il n’y ait pas contradiction, même s’il se trouve en effet qu’il y a beaucoup de choses indifférentes (stoïciens), comme question de savoir si je prends du vin ou de la bière. Toute la difficulté de la lecture de Kant, c’est qu’il revient sans cesse sur cette question de l’accord de la pensée avec elle-même, d’où l’écriture de ces trois critiques : Critique de la raison pure (théorique), Critique de la raison pratique, Critique du jugement. Le terme de jugement en français désigne à la fois l’acte de juger et la faculté de juger. Ces trois ouvrages reviennent chaque fois sur le problème de l’unité de la nature et de la liberté, et sur les différentes formes que peut prendre cette antinomie, cette contradiction apparente.
9. L’esthétique de Kant. Expérience de l’accord de la nature et de la liberté.
Et je peux même déjà vous dire pourquoi dans la troisième critique il sera par exemple question du beau : pas parce que Kant voudrait faire de l’esthétique, pas d’esthétique kantienne.
Esthétique : c’est du grec. Le terme est emprunté par Kant au manuel de son temps, de Baumgarten. L’esthétique, c’est l’étude de la sensibilité. Terme d’école, scolastique du XVIIIe siècle. Savoir ce qu’est une sensation, ce qu’est la perception, c’est faire de l’esthétique. A partir de là, dans la mesure où la beauté est sentie, on a parlé du beau comme quelque chose d’esthétique, de senti. Le terme désigne à ce moment-là l’étude du sentiment que nous éprouvons quand nous disons « c’est beau ». Petit à petit a fini par désigner conception de la beauté que peut avoir tel artiste. Lorsque Kant parle du jugement esthétique, il entend par jugement esthétique le jugement par lequel nous disons « c’est beau », et qui est inséparable d’une impression, d’un sentiment. Pourquoi il réfléchit sur le beau ? Parce qu’on va trouver dans ce sentiment précisément une sorte d’expérience de l’accord de la nature et de la liberté. Autrement dit, c’est pas par intérêt particulier pour le beau, mais parce que beauté montre qu’il y a là un accord possible de la nature et de la liberté. C’est dans cette perspective qu’il faut lire Critique du jugement. C’est parce que réflexion sur le beau permet à l’homme de comprendre accord de deux exigences opposées.
Opposition nature et liberté : opposition de l’homme comme raison, en tant qu’il a une exigence morale, et l’homme comme être vivant, et qui donc recherche le bien-être. Ce que Kant appelle bonheur, c’est la satisfaction des appétits, désirs, exigibles par êtres vivants sensibles. Quand ces deux exigences entrent en accord, c’est précisément entre la sensibilité et raison, qu’il puisse y avoir un accord, c’est ce que la réflexion sur beauté permet de comprendre.
10. La lecture de Kant doit être systématique
Et donc principale difficulté de lecture de Kant, c’est que cette lecture doit être systématique, c’est à dire qu’on ne comprend que quand on est arrivé au bout. Il faut commencer par aller au bout, et à la deuxième lecture ça devient compréhensible. Il va falloir être très attentif à tenir tout ensemble, c’est ça qui est dur, et donc y’a des moments dans la lecture où il faut avoir patience de suivre sans bien comprendre où on va, en suivant au sens où parfois quand on est dans montagne on suit guide sans comprendre et au bout on comprend. Y’a des moments où c’est pénible de lire Kant, y’a des pages où on s’arrache les cheveux. Mais les détours qu’il fait c’est par scrupule philosophique. Et d’autres où ça y’est on a compris. Pas plus difficile que les autres. Avec Descartes ça va tellement vite qu’on croit qu’on comprend alors que non4, alors qu’avec Kant on fait du pas à pas.
Edit : il y a une limite de caractères autorisée. Je mettrai ça en PDF.
- MeerschNiveau 6
Je pense que le meilleur conseil est le suivant : abandonne totalement l'idée de lire la Critique de la raison pure, à moins d'être prêt à te lancer dans une étude acharnée sur des mois, voire des années. C'est un texte d'une difficulté extrême que la plupart des professionnels de la philosophie eux-mêmes n'ont compris que dans les grandes lignes, ou par bribes, à travers le commentarisme ou à travers des cours sur le sujet.
Il y a des auteurs comme Locke ou Descartes que même un "profane" peut comprendre assez intégralement par une lecture sérieuse et attentive ; il y a des auteurs comme Kant que même un professionnel de la philosophie peine énormément à comprendre intégralement, malgré tous les efforts du monde.
Les prérequis directs en matière de culture philosophique sont Hume, Leibniz et Locke. Mais même une très bonne connaissance de ces trois auteurs ne garantit absolument pas une bonne compréhension de la CRP.
Ce qui à la rigueur est accessible dans la CRP, ce sont les préfaces, l'Introduction et l'Esthétique transcendantale (qui néanmoins demeure difficile). Mais le reste (exception faite de certains courts passages compréhensibles par eux-mêmes) est extrêmement difficile.
Bref, à moins d'avoir une très très bonne raison de vouloir aborder la CRP de façon approfondie et dans le texte même, mieux vaut en acquérir une connaissance globale à travers les commentaires et les cours. La lecture de l'oeuvre elle-même sera une perte de temps. Et je pense qu'il serait dommage de perdre tant de temps à une étude si stérile alors qu'on peut étudier des dizaines d'autres auteurs dans le texte selon un bien meilleur rapport effort/acquisition de connaissances.
Il y a des auteurs comme Locke ou Descartes que même un "profane" peut comprendre assez intégralement par une lecture sérieuse et attentive ; il y a des auteurs comme Kant que même un professionnel de la philosophie peine énormément à comprendre intégralement, malgré tous les efforts du monde.
Les prérequis directs en matière de culture philosophique sont Hume, Leibniz et Locke. Mais même une très bonne connaissance de ces trois auteurs ne garantit absolument pas une bonne compréhension de la CRP.
Ce qui à la rigueur est accessible dans la CRP, ce sont les préfaces, l'Introduction et l'Esthétique transcendantale (qui néanmoins demeure difficile). Mais le reste (exception faite de certains courts passages compréhensibles par eux-mêmes) est extrêmement difficile.
Bref, à moins d'avoir une très très bonne raison de vouloir aborder la CRP de façon approfondie et dans le texte même, mieux vaut en acquérir une connaissance globale à travers les commentaires et les cours. La lecture de l'oeuvre elle-même sera une perte de temps. Et je pense qu'il serait dommage de perdre tant de temps à une étude si stérile alors qu'on peut étudier des dizaines d'autres auteurs dans le texte selon un bien meilleur rapport effort/acquisition de connaissances.
- AnaxagoreGuide spirituel
Je ne suis pas vraiment d'accord mais comme je ne suis pas professeur de philosophie, je me tais.
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"De même que notre esprit devient plus fort grâce à la communication avec les esprits vigoureux et raisonnables, de même on ne peut pas dire combien il s'abâtardit par le commerce continuel et la fréquentation que nous avons des esprits bas et maladifs." Montaigne
"Woland fit un signe de la main, et Jérusalem s'éteignit."
"On déclame contre les passions sans songer que c'est à leur flambeau que la philosophie allume le sien." Sade
- MeerschNiveau 6
Il n'est dit nulle part que les non-professeurs de philosophie n'ont pas le droit de s'exprimer . Expose librement ton désaccord.
- AnaxagoreGuide spirituel
Je prends toujours un grand plaisir à lire Kant. C'est exposé méthodiquement et avec clarté mais parfois l'objet de la réflexion est complexe c'est certain.
Le vocabulaire est à étudier certainement pour ne pas se fourvoyer mais je ne vois rien de rédhibitoire.
Je n'ai pas fini d'étudier la CRP mais je ne fais pas que cela.
Pour l'instant c'est sur la question de la fabrication des concepts a priori que je reste sur ma faim. On en demande toujours plus à Kant justement car tout est bien clair et donc on arrive à cerner les questions et les objections que nous aurions, lecteurs du XXIÈME. Et précisément je pense que Husserl plus tard met le doigt sur ce point à sa manière et l'étudie.
(Rq Il me semble qu'il y a beaucoup de choses dans l'oeuvre de Husserl qui éclairent des philosophes antérieurs comme Platon et qui permettent de les relire avec un nouvel angle de vue.)
Le vocabulaire est à étudier certainement pour ne pas se fourvoyer mais je ne vois rien de rédhibitoire.
Je n'ai pas fini d'étudier la CRP mais je ne fais pas que cela.
Pour l'instant c'est sur la question de la fabrication des concepts a priori que je reste sur ma faim. On en demande toujours plus à Kant justement car tout est bien clair et donc on arrive à cerner les questions et les objections que nous aurions, lecteurs du XXIÈME. Et précisément je pense que Husserl plus tard met le doigt sur ce point à sa manière et l'étudie.
(Rq Il me semble qu'il y a beaucoup de choses dans l'oeuvre de Husserl qui éclairent des philosophes antérieurs comme Platon et qui permettent de les relire avec un nouvel angle de vue.)
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"De même que notre esprit devient plus fort grâce à la communication avec les esprits vigoureux et raisonnables, de même on ne peut pas dire combien il s'abâtardit par le commerce continuel et la fréquentation que nous avons des esprits bas et maladifs." Montaigne
"Woland fit un signe de la main, et Jérusalem s'éteignit."
"On déclame contre les passions sans songer que c'est à leur flambeau que la philosophie allume le sien." Sade
- AnaxagoreGuide spirituel
Autre chose, anecdotique, vu le costard que Kant taille à Voltaire dans l'abrégé de philosophie chez Vrin...je ne pense pas que Kant aimait particulièrement l'homme qu'était Voltaire. Mais évidemment je peux me tromper.
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"De même que notre esprit devient plus fort grâce à la communication avec les esprits vigoureux et raisonnables, de même on ne peut pas dire combien il s'abâtardit par le commerce continuel et la fréquentation que nous avons des esprits bas et maladifs." Montaigne
"Woland fit un signe de la main, et Jérusalem s'éteignit."
"On déclame contre les passions sans songer que c'est à leur flambeau que la philosophie allume le sien." Sade
- marxNiveau 6
Pour mieux comprendre cette Critique il n'est pas inintéressant de voir comment elle a été comprise par les successeurs de Kant, en particulier Hegel, Schopenhauer (pour la question des idées transcendantales) et Nietzsche à propos du prolongement moral... il y a une excellente satire chez Schopenhauer (dans le Monde) de la table des catégories de l'entendement et de tout le bazar... on est face à un maniaque du classement, de l'ordre, ce qui a ses bons côtés (la cohérence et la clarté logique) comme ses mauvais côtés (les subdivisions invraisemblables, les chicanes sur les processus de la connaissance etc.)
Franchement j'ai lu ce bouquin en entier, je l'ai étudié en prépa pendant un an, avec un grand spécialiste, et je n'ai retenu que le troisième conflit des idées transcendantales, l'astucieuse invention des conditions à priori de l'experience et la distinction entre jugement a priori et à postériori qui détermine les limites de la connaissance et permet de faire échec au scepticisme de Hume. Il me semble inutile de tout se farcir, juste des textes choisis, à examiner pour leur caractère polémique en prenant connaissance des extraits de Hume et Locke dont ils sont éventuellement la tentative de réfutation, sachant que le bonhomme évoluait dans son milieu intellectuel prussien et se réfère d'abord aux professeurs de langue allemande de son temps. Lire Wolff, par exemple et compagnie.
On est quand même dans la mystique psychotique luthérienne, avec des symptômes maniaques, tout ça pour sauver dieu, la liberté et la raison ce qui n'est pas rien.
Franchement j'ai lu ce bouquin en entier, je l'ai étudié en prépa pendant un an, avec un grand spécialiste, et je n'ai retenu que le troisième conflit des idées transcendantales, l'astucieuse invention des conditions à priori de l'experience et la distinction entre jugement a priori et à postériori qui détermine les limites de la connaissance et permet de faire échec au scepticisme de Hume. Il me semble inutile de tout se farcir, juste des textes choisis, à examiner pour leur caractère polémique en prenant connaissance des extraits de Hume et Locke dont ils sont éventuellement la tentative de réfutation, sachant que le bonhomme évoluait dans son milieu intellectuel prussien et se réfère d'abord aux professeurs de langue allemande de son temps. Lire Wolff, par exemple et compagnie.
On est quand même dans la mystique psychotique luthérienne, avec des symptômes maniaques, tout ça pour sauver dieu, la liberté et la raison ce qui n'est pas rien.
- Sylvain de Saint-SylvainGrand sage
En gros tu nous dis que tout lire ne sert à rien parce que ta lecture est la bonne Fort heureusement on peut y lire autre chose que le symptôme d'une mystique psychotique je ne sais quoi.
Je dirais plutôt qu'il faut aborder ce vaste ouvrage, dont on sait bien qu'on ne fera probablement jamais le tour, avec un projet assez précis, à moins d'être sûr de ne pas se décourager. Dans quels débats souhaite-t-on s'engager, quelles questions nous intéressent en particulier : la liberté, Dieu, la morale... ; ou encore, quelle relation entre Kant et un autre penseur souhaite-t-on approfondir. En somme je recommanderais de s'y plonger avec quelques repères de ce genre, pour prévenir le découragement ou l'oubli de tout ce qu'on aura compris (ce qui m'est arrivé avec Spinoza).
Je dirais plutôt qu'il faut aborder ce vaste ouvrage, dont on sait bien qu'on ne fera probablement jamais le tour, avec un projet assez précis, à moins d'être sûr de ne pas se décourager. Dans quels débats souhaite-t-on s'engager, quelles questions nous intéressent en particulier : la liberté, Dieu, la morale... ; ou encore, quelle relation entre Kant et un autre penseur souhaite-t-on approfondir. En somme je recommanderais de s'y plonger avec quelques repères de ce genre, pour prévenir le découragement ou l'oubli de tout ce qu'on aura compris (ce qui m'est arrivé avec Spinoza).
- marxNiveau 6
Pas du tout, je ne prétends pas avoir tout compris à ce machin ! Au contraire !
Il vaut mieux effectivement y chercher quelque chose plutôt que de s'attendre à y trouver quelque chose qu'on ne cherchait pas...
Il y a quand même pas mal de finasseries bizarres, si on veut faire usage de sa raison critique on peut s'entraîner directement sur le bouquin il est fait pour ça...
Il vaut mieux effectivement y chercher quelque chose plutôt que de s'attendre à y trouver quelque chose qu'on ne cherchait pas...
Il y a quand même pas mal de finasseries bizarres, si on veut faire usage de sa raison critique on peut s'entraîner directement sur le bouquin il est fait pour ça...
- NLM76Grand Maître
Bon alors, ce qui me semble gratuit : "Quand il lui faut souvent faire marche arrière et emprunter une autre voie... une telle étude n'a pas emprunté la voie sûre d'une science, mais correspond à un simple tâtonnement."[B, VII, AK, III, 7] C'est une affirmation qui, a priori, ne me convainc pas. Pourquoi une science aurait-elle une voie sûre ? Pourquoi un tâtonnement ne serait pas une science ?
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Sites du grip :
- http://instruire.fr
- http://grip-editions.fr
Mon site : www.lettresclassiques.fr
«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- AnaxagoreGuide spirituel
Un des défauts de Kant est qu'il n'a pas lu Popper, par exemple. Et il n'a pas connu la relativité générale non plus ou la physique quantique.
Sans blaguer, je pense que dans ton passage, on peut comprendre qu'il souligne que faire une théorie scientifique par nature n'est pas faire de l'emprisme. Ce que l'on annonce est annoncé comme vrai dans le cadre d'une théorie établie formellement et corroborée par des expériences reproductibles.
Sans blaguer, je pense que dans ton passage, on peut comprendre qu'il souligne que faire une théorie scientifique par nature n'est pas faire de l'emprisme. Ce que l'on annonce est annoncé comme vrai dans le cadre d'une théorie établie formellement et corroborée par des expériences reproductibles.
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"De même que notre esprit devient plus fort grâce à la communication avec les esprits vigoureux et raisonnables, de même on ne peut pas dire combien il s'abâtardit par le commerce continuel et la fréquentation que nous avons des esprits bas et maladifs." Montaigne
"Woland fit un signe de la main, et Jérusalem s'éteignit."
"On déclame contre les passions sans songer que c'est à leur flambeau que la philosophie allume le sien." Sade
- EuthyphronNiveau 6
Tout le livre va montrer la différence entre une science et un savoir empirique, patience! C'est ce que l'on appelle "révolution copernicienne", car Kant pour l'illustrer se réfère à Copernic. Cela m'amène à donner un conseil pour lire la CRP : ne pas oublier de lire la préface à la deuxième édition.
Mais on peut répondre brièvement à ta question : tâtonner ne peut aboutir à une vérité nécessaire (c'est-à-dire qui ne peuvent pas ne pas être). On ne quitte pas, en tâtonnant, le domaine des simples conjectures. Il y a science là où il y a la possibilité d'établir des vérités nécessaires.
C'est du moins ce que dit Kant en le développant sur six cents pages.
Mais on peut répondre brièvement à ta question : tâtonner ne peut aboutir à une vérité nécessaire (c'est-à-dire qui ne peuvent pas ne pas être). On ne quitte pas, en tâtonnant, le domaine des simples conjectures. Il y a science là où il y a la possibilité d'établir des vérités nécessaires.
C'est du moins ce que dit Kant en le développant sur six cents pages.
- MeerschNiveau 6
Anaxagore a écrit:Je prends toujours un grand plaisir à lire Kant. C'est exposé méthodiquement et avec clarté mais parfois l'objet de la réflexion est complexe c'est certain.
Le vocabulaire est à étudier certainement pour ne pas se fourvoyer mais je ne vois rien de rédhibitoire.
Honnêtement, je pense que c'est escamoter quelque chose que de ne pas souligner l'extrême complexité de la Critique de la raison pure par rapport à la quasi totalité des textes philosophiques classiques de l'Antiquité jusqu'au XIXe siècle (si on met de côté, disons, le Parménide et quelques textes de Leibniz). Je doute que tu puisses trouver beaucoup de textes qui, de ce point de vue, rivalisent avec le Schématisme des concepts purs de l'entendement ou la Déduction transcendantale.
Je veux bien croire que tu lises certains passages de la CRP avec profit. Mais la CRP est mille fois plus difficile à saisir, dans son intégralité et sa cohérence, que les Méditations métaphysiques, la République ou (presque) n'importe quel autre classique.
Euthyphron a écrit:Tout le livre va montrer la différence entre une science et un savoir empirique, patience! C'est ce que l'on appelle "révolution copernicienne", car Kant pour l'illustrer se réfère à Copernic.
La "révolution copernicienne" appliquée au domaine de la théorie de la connaissance consiste à considérer que ce n'est pas le sujet connaissant qui s'adapte à l'objet, mais que c'est au contraire l'objet qui s'adapte au sujet connaissant (dans le sens où il ne peut nous apparaître qu'en se soumettant aux formes de notre faculté de connaître).
Euthyphron a écrit:Mais on peut répondre brièvement à ta question : tâtonner ne peut aboutir à une vérité nécessaire (c'est-à-dire qui ne peuvent pas ne pas être). On ne quitte pas, en tâtonnant, le domaine des simples conjectures. Il y a science là où il y a la possibilité d'établir des vérités nécessaires.
C'est du moins ce que dit Kant en le développant sur six cents pages.
C'est faux, ça. Si tel était le cas, Kant ne considérerait comme scientifiques que les sciences a priori, c'est-à-dire contenant uniquement des jugements analytiques et/ou des jugements synthétiques a priori. Mais Kant considère bien comme scientifiques certaines sciences empiriques, comme la physique empirique par exemple, qui consiste en jugements synthétiques a posteriori.
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