- Philippus magisterNiveau 7
Chers collègues,
Voilà une question sur laquelle je me casse les dents depuis des jours de recherche. Je planche sur un texte de Plutarque que j'ai eu la folie de faire traduire à mes terminales dans les cadre des interrogations scientifiques (j'ai fait un groupement de textes autour des erreurs scientifiques dans l'Antiquité. Il s'agit d'un extrait des Symposiaques, (livre III, question 4) dont je vous affiche le texte et la traduction. Plutarque, non sans malice, se demande si les femmes sont plus chaudes que les hommes et bâtit une théorie sur la question. Les dés sont pipés chez lui, dans la mesure où la nature du livre tourne en dérision le propos et lui permet de s'avancer masqué...
Est-on ici, selon vous, en présence d'une plaisanterie pour amuser la galerie, ou le fait repose-t-il malgré tout sur une réalité historique quelconque? Qui, en somme a déjà entendu parler de pareilles tombes collectives dans lesquelles femmes et hommes auraient pu être enterrés ensemble? Comment comprenez-vous "résineux" et "gras"? Une élève m'a suggéré l'idée de maquillage ou d'onguent. J'ai trouvé l'idée intéressante, mais j'ai dû me limiter à des hypothèses de lecture?
Merci à tous ceux qui ont étudié Plutarque de me faire réponse sur cette question pointue!
XAIPETE!
λέγεται γὰρ ὑπὸ τῶν σκευωρουμένων συντίθεσθαι παρὰ δέκα νεκροὺς ἀνδρῶν ἕνα γυναικὸς καὶ συνεξάπτειν, δᾳδῶδές τι καὶ λιπαρὸν αὐτῶν τῆς σαρκὸς ἐχούσης, ὥσθ´ ὑπέκκαυμα γίνεσθαι τῶν ἄλλων.
"Ensuite, l'usage de ceux qui font brûler les corps dans les funérailles prouve encore que les femmes ont plus de chaleur que les hommes. Ils mettent un corps de femme contre dix corps d'hommes. Leur chair étant plus grasse, et tenant, pour ainsi dire, de la nature des substances résineuses, elle sert d'aliment aux corps des hommes et les fait brûler plus vite."
Voilà une question sur laquelle je me casse les dents depuis des jours de recherche. Je planche sur un texte de Plutarque que j'ai eu la folie de faire traduire à mes terminales dans les cadre des interrogations scientifiques (j'ai fait un groupement de textes autour des erreurs scientifiques dans l'Antiquité. Il s'agit d'un extrait des Symposiaques, (livre III, question 4) dont je vous affiche le texte et la traduction. Plutarque, non sans malice, se demande si les femmes sont plus chaudes que les hommes et bâtit une théorie sur la question. Les dés sont pipés chez lui, dans la mesure où la nature du livre tourne en dérision le propos et lui permet de s'avancer masqué...
Est-on ici, selon vous, en présence d'une plaisanterie pour amuser la galerie, ou le fait repose-t-il malgré tout sur une réalité historique quelconque? Qui, en somme a déjà entendu parler de pareilles tombes collectives dans lesquelles femmes et hommes auraient pu être enterrés ensemble? Comment comprenez-vous "résineux" et "gras"? Une élève m'a suggéré l'idée de maquillage ou d'onguent. J'ai trouvé l'idée intéressante, mais j'ai dû me limiter à des hypothèses de lecture?
Merci à tous ceux qui ont étudié Plutarque de me faire réponse sur cette question pointue!
XAIPETE!
λέγεται γὰρ ὑπὸ τῶν σκευωρουμένων συντίθεσθαι παρὰ δέκα νεκροὺς ἀνδρῶν ἕνα γυναικὸς καὶ συνεξάπτειν, δᾳδῶδές τι καὶ λιπαρὸν αὐτῶν τῆς σαρκὸς ἐχούσης, ὥσθ´ ὑπέκκαυμα γίνεσθαι τῶν ἄλλων.
"Ensuite, l'usage de ceux qui font brûler les corps dans les funérailles prouve encore que les femmes ont plus de chaleur que les hommes. Ils mettent un corps de femme contre dix corps d'hommes. Leur chair étant plus grasse, et tenant, pour ainsi dire, de la nature des substances résineuses, elle sert d'aliment aux corps des hommes et les fait brûler plus vite."
- DeliaEsprit éclairé
On croirait le compte rendu d'un sonderkommando et ça fait froid dans le dos...
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Un vieillard qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle.
Amadou Hampaté Ba
- Philippus magisterNiveau 7
C'est une hypothèse à laquelle je n'avais pas pensé. ça donne au texte une certaine modernité, en effet... merci Delia!
- tschaiNiveau 7
Bonsoir, après avoir consulté un ami professeur de fac, voici l'extrait de sa réponse qui vous fournira les meilleurs éclaircissements, j'espère! "...Dans certaines circonstances il y a bien des crémations collectives . Pas pour des funérailles privées : les familles n’aimeraient pas qu’on ne leur rende pas précisément le corps du défunt. Mais après les batailles : grand bûcher collectif. Quand c’est fini, on recouvre de terre et cela fait un beau tumulus qu’on appelle un polyandreion. Il y en quelques uns de célèbres : à Marathon, à Chéronée …".
- IphigénieProphète
Je me demande surtout si un extrait des Propos de table de Plutarque est bien l'image de la science grecque (d'ailleurs quid de scientifique là?) la plus urgente à montrer aux élèves, cela dit...Et en quoi cela constitue une Histoire des sciences raisonnée et raisonnable...Un peu comme si plus tard on donnait les Brèves de comptoir dans le cadre de la science au XXIe ...
C'est là que je me dis que l'idée de programmes restrictifs n'est pas si sotte...
Pour ce qui est des sépultures communes ça a bien dû exister dans l'antiquité comme à d'autres époques pour les guerres ou aussi pour les pauvres: même les esclaves, il fallait bien les enterrer/incinérer je suppose...
Plutarque se réfère sans doute à un savoir empirique des fossoyeurs comme on le voit par la suite du texte, ce n’est pas un état des lieux scientifique. Il y avait forcément des situations de bûchers communs : pauvres ou esclaves ou épidémies ou guerres les occasions ne manquaient pas jadis comme plus tard.
C'est là que je me dis que l'idée de programmes restrictifs n'est pas si sotte...
Pour ce qui est des sépultures communes ça a bien dû exister dans l'antiquité comme à d'autres époques pour les guerres ou aussi pour les pauvres: même les esclaves, il fallait bien les enterrer/incinérer je suppose...
Plutarque se réfère sans doute à un savoir empirique des fossoyeurs comme on le voit par la suite du texte, ce n’est pas un état des lieux scientifique. Il y avait forcément des situations de bûchers communs : pauvres ou esclaves ou épidémies ou guerres les occasions ne manquaient pas jadis comme plus tard.
- KilmenyEmpereur
tschai a écrit:Bonsoir, après avoir consulté un ami professeur de fac, voici l'extrait de sa réponse qui vous fournira les meilleurs éclaircissements, j'espère! "...Dans certaines circonstances il y a bien des crémations collectives . Pas pour des funérailles privées : les familles n’aimeraient pas qu’on ne leur rende pas précisément le corps du défunt. Mais après les batailles : grand bûcher collectif. Quand c’est fini, on recouvre de terre et cela fait un beau tumulus qu’on appelle un polyandreion. Il y en quelques uns de célèbres : à Marathon, à Chéronée …".
Certes et le tumulus de Marathon est impressionnant, mais je vois mal des femmes dans un polyandreion, à une pour dix en contexte militaire.
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Un petit clic pour les animaux : http://www.clicanimaux.com/catalog/accueil.php?sites_id=1
- Philippus magisterNiveau 7
Merci pour ces informations; elles sont éclairantes. Cordialement
- tschaiNiveau 7
Mon camarade de Khâgne devenu prof de fac sursaute un peu à cette comparaison avec les Brèves de comptoir, voici un extrait de sa réponse:Iphigénie a écrit:Je me demande surtout si un extrait des Propos de table de Plutarque est bien l'image de la science grecque (d'ailleurs quid de scientifique là?) la plus urgente à montrer aux élèves, cela dit...Et en quoi cela constitue une Histoire des sciences raisonnée et raisonnable...Un peu comme si plus tard on donnait les Brèves de comptoir dans le cadre de la science au XXIe ...
"je frissonne un peu en entendant la comparaison entre les Propos de table de Plutarque et les brèves de comptoir
Pauvre Plutarque : ses propos de table volent très haut cependant. C’est de la philosophie comme on en fait entre gens triés sur le volet. Il faut trouver un sujet de discussion, souvent ce que les Grecs appellent un problème physique (donc de « sciences naturelles ») et les participants du banquet apportent chacun des éléments selon leur orientation philosophique : stoïciens, que Plutarque n’aime pas, aristotéliciens, platoniciens etc… ; de temps en temps un cynique pointe son nez mais comme ces gens-là sont mal habillés et braillent fort en traitant les autres d’abrutis, on préfère les éviter car ils ne sont vraiment pas convenables dans une salle à manger où toute le monde appartient à la bonne société, où il y a souvent un sénateur romain de passage.
Evidemment, les Propos de table sont une réécriture et un type de texte qui permet de laisser le lecteur choisir. A la fin de la discussion, il n’y a pas de solution retenue. Tout demeure ouvert. Si tu veux repérer l’avis de Plutarque, tu regardes quand même ce que dit le Platonicien. Plutarque était un fervent de l’Académie, dans la version de son temps, donc très tournée vers la théologie.
Mais même réécrites, ces discussions reflètent un peu ce qui se passait et les banquets dont parle Plutarque ont bien eu lieu. Au début, il prend bien soin de dire qui était là, où cela se passait.
Par ailleurs, la science antique est sans doute assez différente de la nôtre : elle se reconnaît aux méthodes qu’elle emploie pour les Anciens. L’interprétation des rêves est considérée comme une science quand elle suit ces méthodes, et toute la divination en général. On oppose bien les scientifiques aux charlatans, mais pas sur la base de la discipline pratique (aujourd’hui, on dit : un astronome est un scientifique, un astrologue un charlatan), plutôt sur la méthode employés, où il faut mettre en œuvre le logos, éviter de tout fonder sur l’autorité.
Donc, notre collègue dans le blog qui semble dire que ces gens-là étaient des guignols juge avec nos critères de scientificité, qui permettent de ranger les savoirs scientifiques en catégories faux/vrai, de postuler qu’il y a un progrès et qu’évidemment nous sommes les meilleurs et que nous devons juger les autres en fonction de nous-mêmes.
Mais il me semble que c’est une façon anachronique de juger et qu’un historien devrait éviter."
- IphigénieProphète
Si on ne peut plus provoquer un peu! Plutarque et ses Propos de table je l’accorde volontiers ce n’est ni Ribbes ni d’ailleurs le Banquet de Platon, tout en étant fort interessant pour les spécialistes, mais bref;)
Ce que je veux dire c’est que ce court extrait assez horrifiant dans le cadre d’un GT sur le thème de la science antique est quand même faire porter un regard aléatoire et un poil déformant sur la science antique. D’autant que ce qui est débattu ici ne relève pas des » interrogations scientifiques » mais d’un constat empirique dont d’ailleurs je suis incapable de dire s’il est juste ou faux, et j’allais ajouter: heureusement. A dire vrai ce qui me heurte un tantinet et surtout, c’est sous cet intitulé officiel et pompeux du programme de terminale, vu le niveau réel où en sont réduits les élèves, le fait de réduire la chose à la naïveté et aux extravagances de ces pauvres Grecs ou Latins...
PS la suite du texte explique « la chose » par le fait que le corps des femmes a plus de graisse que le corps des hommes et donc brûle mieux : si vous avez un avis sur cela, pas moi; mais je ne demanderais pas celui des élèves sur un tel sujet. Quand même !!( Le reste de la discussion sur les raisons d'une éventuelle plus grande "chaleur" du corps des femmes selon les croyances populaires et non selon les scientifiques étant contredit aussitôt par l'interlocuteur et n'offrant que peu de prise à un regard véritablement scientifique. )
EDIT: je trouve que cela reflète exactement mes réserves sur les programmes trop vastes et par assez limitatifs: je sais bien que la mode pédagogique est aux trouvailles personnelles originales de préférences aux grands textes canoniques dont on est tellement las, mais je ne suis pas sûre que cette pratique ne déforme pas plus qu'elle ne forme l'esprit et les connaissances des élèves. Que les universitaires explorent les pistes jusque là laissées en marge, évidemment. Que l'on transpose cela dans les programmes de collège et lycée, et au détriment des textes "classiques" pour moi non, définitivement non!...voir l'enseignement de la grammaire.
Mais ce n’est qu’un avis bien sûr, parmi plein d’autres possibles.
Ce que je veux dire c’est que ce court extrait assez horrifiant dans le cadre d’un GT sur le thème de la science antique est quand même faire porter un regard aléatoire et un poil déformant sur la science antique. D’autant que ce qui est débattu ici ne relève pas des » interrogations scientifiques » mais d’un constat empirique dont d’ailleurs je suis incapable de dire s’il est juste ou faux, et j’allais ajouter: heureusement. A dire vrai ce qui me heurte un tantinet et surtout, c’est sous cet intitulé officiel et pompeux du programme de terminale, vu le niveau réel où en sont réduits les élèves, le fait de réduire la chose à la naïveté et aux extravagances de ces pauvres Grecs ou Latins...
PS la suite du texte explique « la chose » par le fait que le corps des femmes a plus de graisse que le corps des hommes et donc brûle mieux : si vous avez un avis sur cela, pas moi; mais je ne demanderais pas celui des élèves sur un tel sujet. Quand même !!( Le reste de la discussion sur les raisons d'une éventuelle plus grande "chaleur" du corps des femmes selon les croyances populaires et non selon les scientifiques étant contredit aussitôt par l'interlocuteur et n'offrant que peu de prise à un regard véritablement scientifique. )
EDIT: je trouve que cela reflète exactement mes réserves sur les programmes trop vastes et par assez limitatifs: je sais bien que la mode pédagogique est aux trouvailles personnelles originales de préférences aux grands textes canoniques dont on est tellement las, mais je ne suis pas sûre que cette pratique ne déforme pas plus qu'elle ne forme l'esprit et les connaissances des élèves. Que les universitaires explorent les pistes jusque là laissées en marge, évidemment. Que l'on transpose cela dans les programmes de collège et lycée, et au détriment des textes "classiques" pour moi non, définitivement non!...voir l'enseignement de la grammaire.
Mais ce n’est qu’un avis bien sûr, parmi plein d’autres possibles.
- Philippus magisterNiveau 7
Merci de vos réponses. Un petit mot à Iphigénie: pourquoi ne pas demander l'avis des élèves? L'idée que ce "gras" est une évocation des onguents ou parfums me semble une hypothèse intéressante. Dans la mesure où je propose moi aussi des hypothèses de lecture, j'aime bien que les élèves apportent de l'eau à mon moulin. Grand merci à Tschai pour cet éclairage.
PF
PF
- tschaiNiveau 7
Je transmettrai tes remerciements à celui qui les mérite! Dommage qu'il ne veuille ni s'inscrire ici, ni faire connaitre son nom...
- NLM76Grand Maître
Ben.. je dirais que, d'après ce que j'ai appris, oui les femmes ont tendance naturellement à être plus grasses que les hommes. Quand elles mangent elles font moins de muscles et plus de graisse que les hommes. Question de métabolisme hormonal.
_________________
Sites du grip :
- http://instruire.fr
- http://grip-editions.fr
Mon site : www.lettresclassiques.fr
«Boas ne renonça jamais à la question-clé : quelle est, du point de vue de l'information, la différence entre les procédés grammaticaux observés ? Il n'entendait pas accepter une théorie non sémantique de la structure grammaticale et toute allusion défaitiste à la prétendue obscurité de la notion de sens lui paraissait elle-même obscure et dépourvue de sens.» [Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, "La notion de signification grammaticale selon Boas" (1959)]
- IphigénieProphète
Attendons un EPI sur la question.
- géohistoireNiveau 10
C'est aussi ce que j'avais entendu mais j'avoue ne plus savoir où et quand. Ça s'expliquerait par la nécessité pour les femmes de conserver des réserves pour pouvoir nourrir le bébé lors d'une grossesse.NLM76 a écrit:Ben.. je dirais que, d'après ce que j'ai appris, oui les femmes ont tendance naturellement à être plus grasses que les hommes. Quand elles mangent elles font moins de muscles et plus de graisse que les hommes. Question de métabolisme hormonal.
Après dans le cas de la Grèce antique de nombreuses femmes étant plus ou moins cloitrées dans le gynécée et ne faisant que peu d'exercices physiques ça peut avoir joué sur le taux de graisse.
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