Page 2 sur 2 • 1, 2
- User17706Bon génie
Bon, nous sommes peut-être d'accord sur tout, en fait
- archebocEsprit éclairé
Même si je ne pense pas beaucoup de bien de Terra Nova, je trouve que la note critique qui est référencée ici présente plusieurs défauts.
* Elle accuse Terra Nova de renvoyer les élève en difficulté à une incapacité de nature. L'accusation repose sur des citations telles que celle de Dubet "nous avons fait entrer dans l’école des jeunes qui n’étaient pas faits pour elle" : lorsqu'on dit que les élèves ne sont pas faits pour notre école, on peut viser certes une incapacité biologique, mais il peut s'agir plus probablement de difficultés culturelles : nos élèves n'ont pas les outils culturels pour investir l'école. C'est un argument qui a des conséquences funeste, mais le fait est peut-être vrai : exciper de la devise républicaine pour décréter l'égalité de fait, c'est un dogmatisme pas moins gênant que le dogmatisme d'en face.
* Cette note passe trop rapidement sur le désastre de l'école primaire. Or si tout va si mal dans l'école française, le collège est loin d'être le principal responsable. Trop d'élèves entrent en CP sans avoir les compétences (motrices, langagières) nécessaires à l'apprentissage de l'écriture et de la lecture, et trop d'élèves arrivent en fin de CP sans savoir lire. Or cet effondrement de l'enseignement primaire est la cause principale des échecs ultérieurs. Comment suivre en 6e avec un niveau de CE2 ? Si les élèves de collèges ne sont pas faits pour faire des études, c'est d'abord parce que l'enseignement primaire et l'éducation pré-primaire ne remplissent pas leur mission.
* Or faire ce lien entre l'échec scolaire au collège et la faillite du lire-écrire-compter en primaire n'est pas seulement rendre compte du réel : c'est aussi, tactiquement, le meilleur coin qu'on puisse enfoncer au sein du front des sciencéduc. Pensez simplement au livre de Garcia et Oller sur l'apprentissage de la lecture.
* Je suis un fervent défenseur de l'approche par les compétences, je ne suis donc pas d'accord avec les positions anti-compétences de ce fil et plus largement de ce forum. Le gros problème de l'approche par les compétences, c'est que ce qui se pratique sous ce nom dans l'éducation nationale n'en est qu'une grotesque caricature. A ce titre, la critique d'Alain Beitone est plus fine : ce qu'il critique, c'est que les objectifs pédagogiques que recouvrent les compétences visées par les programmes sont inefficaces. Et sur ce point, comment ne pas le suivre ? Ce qui apparaît finalement, c'est que les compétences ne sont que des prétexte au main des idéologues de l'éducation pour maquiller la démolition des exigences. Une vraie analyse par compétence devrait au contraire aboutir à des objectifs beaucoup plus ambitieux.
* Elle accuse Terra Nova de renvoyer les élève en difficulté à une incapacité de nature. L'accusation repose sur des citations telles que celle de Dubet "nous avons fait entrer dans l’école des jeunes qui n’étaient pas faits pour elle" : lorsqu'on dit que les élèves ne sont pas faits pour notre école, on peut viser certes une incapacité biologique, mais il peut s'agir plus probablement de difficultés culturelles : nos élèves n'ont pas les outils culturels pour investir l'école. C'est un argument qui a des conséquences funeste, mais le fait est peut-être vrai : exciper de la devise républicaine pour décréter l'égalité de fait, c'est un dogmatisme pas moins gênant que le dogmatisme d'en face.
* Cette note passe trop rapidement sur le désastre de l'école primaire. Or si tout va si mal dans l'école française, le collège est loin d'être le principal responsable. Trop d'élèves entrent en CP sans avoir les compétences (motrices, langagières) nécessaires à l'apprentissage de l'écriture et de la lecture, et trop d'élèves arrivent en fin de CP sans savoir lire. Or cet effondrement de l'enseignement primaire est la cause principale des échecs ultérieurs. Comment suivre en 6e avec un niveau de CE2 ? Si les élèves de collèges ne sont pas faits pour faire des études, c'est d'abord parce que l'enseignement primaire et l'éducation pré-primaire ne remplissent pas leur mission.
* Or faire ce lien entre l'échec scolaire au collège et la faillite du lire-écrire-compter en primaire n'est pas seulement rendre compte du réel : c'est aussi, tactiquement, le meilleur coin qu'on puisse enfoncer au sein du front des sciencéduc. Pensez simplement au livre de Garcia et Oller sur l'apprentissage de la lecture.
* Je suis un fervent défenseur de l'approche par les compétences, je ne suis donc pas d'accord avec les positions anti-compétences de ce fil et plus largement de ce forum. Le gros problème de l'approche par les compétences, c'est que ce qui se pratique sous ce nom dans l'éducation nationale n'en est qu'une grotesque caricature. A ce titre, la critique d'Alain Beitone est plus fine : ce qu'il critique, c'est que les objectifs pédagogiques que recouvrent les compétences visées par les programmes sont inefficaces. Et sur ce point, comment ne pas le suivre ? Ce qui apparaît finalement, c'est que les compétences ne sont que des prétexte au main des idéologues de l'éducation pour maquiller la démolition des exigences. Une vraie analyse par compétence devrait au contraire aboutir à des objectifs beaucoup plus ambitieux.
- V.MarchaisEmpereur
Il ne s'agit pas de déclarer tous les élèves également capables. Il s'agit de ne pas les juger incapables a priori (ce qu'on fait sans cesse en REP sous couvert d'adaptation au public) ni de juger les difficultés de certains (et de certains seulement, toujours les mêmes) insurmontables.
- User9242Niveau 5
archeboc a écrit:Même si je ne pense pas beaucoup de bien de Terra Nova, je trouve que la note critique qui est référencée ici présente plusieurs défauts.
* Elle accuse Terra Nova de renvoyer les élève en difficulté à une incapacité de nature. L'accusation repose sur des citations telles que celle de Dubet "nous avons fait entrer dans l’école des jeunes qui n’étaient pas faits pour elle" : lorsqu'on dit que les élèves ne sont pas faits pour notre école, on peut viser certes une incapacité biologique, mais il peut s'agir plus probablement de difficultés culturelles : nos élèves n'ont pas les outils culturels pour investir l'école. C'est un argument qui a des conséquences funeste, mais le fait est peut-être vrai : exciper de la devise républicaine pour décréter l'égalité de fait, c'est un dogmatisme pas moins gênant que le dogmatisme d'en face.
* Cette note passe trop rapidement sur le désastre de l'école primaire. Or si tout va si mal dans l'école française, le collège est loin d'être le principal responsable. Trop d'élèves entrent en CP sans avoir les compétences (motrices, langagières) nécessaires à l'apprentissage de l'écriture et de la lecture, et trop d'élèves arrivent en fin de CP sans savoir lire. Or cet effondrement de l'enseignement primaire est la cause principale des échecs ultérieurs. Comment suivre en 6e avec un niveau de CE2 ? Si les élèves de collèges ne sont pas faits pour faire des études, c'est d'abord parce que l'enseignement primaire et l'éducation pré-primaire ne remplissent pas leur mission.
* Or faire ce lien entre l'échec scolaire au collège et la faillite du lire-écrire-compter en primaire n'est pas seulement rendre compte du réel : c'est aussi, tactiquement, le meilleur coin qu'on puisse enfoncer au sein du front des sciencéduc. Pensez simplement au livre de Garcia et Oller sur l'apprentissage de la lecture.
* Je suis un fervent défenseur de l'approche par les compétences, je ne suis donc pas d'accord avec les positions anti-compétences de ce fil et plus largement de ce forum. Le gros problème de l'approche par les compétences, c'est que ce qui se pratique sous ce nom dans l'éducation nationale n'en est qu'une grotesque caricature. A ce titre, la critique d'Alain Beitone est plus fine : ce qu'il critique, c'est que les objectifs pédagogiques que recouvrent les compétences visées par les programmes sont inefficaces. Et sur ce point, comment ne pas le suivre ? Ce qui apparaît finalement, c'est que les compétences ne sont que des prétexte au main des idéologues de l'éducation pour maquiller la démolition des exigences. Une vraie analyse par compétence devrait au contraire aboutir à des objectifs beaucoup plus ambitieux.
Bonsoir.
Pour montrer que la logique de la compétence n'est rien d'autre qu'un modèle éducatif qui exhale, nolens volens, les effluves d'un parti pris idéologique qui va à l’encontre d’une conception de l’école comme siège de la diffusion du savoir et de la culture, et qu'il est surtout l'incarnation de la duplicité d’un discours entriste, en réalité relais-exécutant docile des injonctions de l'Union européenne, par le truchement d'une glorification d’une doxa, presque idolâtrée, dont les fondements scientifiques sont bancals, j'avais, naguère, écrit ce qui suit.
Que cache la pédagogie de la compétence ?
Il est souvent admis que la franchise est une qualité dans les relations humaines. Mais, l'on oublie parfois de se demander si ce mode de communication convient ou non quand on veut s'adresser, par exemple, à des êtres émotifs, à ceux dont on suppose la maturité mentale ou intellectuelle inaccomplie, au peuple… Les responsables de la chose publique sont parmi ceux qui ont le sens de la nuance : ils estiment en général, sans l’avouer, qu'une communication franche est plutôt une maladresse en matière de rhétorique politique.
Sans déroger à cette règle, le cénacle des décisions relatives au monde de l'éducation prétend que les nouveaux programmes scolaires, notamment ceux du primaire, procèdent d'une réforme juste, équilibrée et respectueuses des aspirations du peuple. Sauf que, ces réformateurs ont bien pris soin d’occulter l'entrisme pédagogiste au sein de cette réforme. Ils se sont bien gardés de reconnaître que les choix opérés découlent d’abord de préoccupations économiques et qu’ils sont plutôt favorables à une certaine vision de la chose scolaire, au détriment d’autres. L'art de la nuance rhétorique les a conduits à soutenir que la justesse de cette réforme repose sur un équilibre entre "la connaissance", matrice théorique du courant de la transmission des savoirs, et "la compétence", un des avatars du pédagogisme.
Dans cette perspective, tout en jurant, la main sur le cœur, respecter la liberté pédagogique des enseignants, les sectateurs de cette réforme ont omis de mentionner que celle-ci a d'abord permis au pédagogisme, par un tour de passe-passe propre à tromper le crédule, de placer au sein des nouveaux programmes un cheval de Troie : la notion de "compétence". Loin d'être un talisman autorisant l'espoir d'une protection contre une dérive idéologique, la réforme réalise, par ce biais, un objectif double : assurer la pérennité du pédagogisme tout en entretenant l'illusion d'une liberté pédagogique. Considérons à présent les choses de plus près.
De la compétence comme vecteur du pédagogisme
Qu'y a-t-il de mieux, pour illustrer l'entrisme pédagogiste dans les nouveaux programmes, que de relever les déclarations de ses propres thuriféraires ? C'est ainsi que Olivier Rey (responsable de l’unité "Veille & Analyses" de l’Institut Français de l’Éducation (IFÉ) – ENS de Lyon) déclare :
« La notion de compétence est une innovation officiellement introduite à la faveur du socle commun. Pour beaucoup d’acteurs éducatifs, elle a permis de faire bouger les pratiques dans un système sclérosé. Pour d’autres, la compétence est un repoussoir qui cristallise toutes leurs craintes : notion compliquée à mettre en œuvre et à évaluer, qui dilue les disciplines. […] Il apparaît pourtant aujourd’hui que l’abandon de cette notion, quel qu’en soit le prétexte, serait le signe d’une résignation à un modèle éducatif que la plupart des analyses considèrent à la fois inefficace et inéquitable. »
Le ton péremptoire et sentencieux de telles déclarations ne laisse point de doute sur le parti pris opéré par l’officine officielle, en matière de choix du modèle éducatif. Leur auteur a au moins le mérite de reconnaître, mezza voce, qu’il s’agit bel et bien d’un parti pris. Seulement, il se garde bien de nous dire en quoi les autres modèles éducatifs seraient inefficaces et inéquitables et sur quelles statistiques objectives repose ce terme « la plupart » qu’il brandit comme argument phare justifiant ce choix stratégique. Quand bien même ce modèle éducatif aurait remporté l’adhésion d’un grand nombre, faut-il lui rappeler que l’argument du nombre est pour le moins spécieux, pour ne pas dire inepte ? Galilée n’était-il pas seul à soutenir l’idée de la rotation de la Terre autour du Soleil ? S’il est aisé de deviner le courant de pensée qui sous-tend habituellement l’approche par compétences, le laudateur de cette vision des choses a également éludé la question des références intellectuelles ; ce qui l’aurait par ailleurs contraint de mentionner, par souci d’objectivité, que d’autre modèles éducatifs ont, eux aussi, leurs propres assises doctrinales, au lieu de faire accroire qu’en dehors de la compétence, point de salut.
Lorsque Olivier Rey affirme que « […] Le deuxième grand intérêt de la notion de compétences est de servir de vecteur d’évolution des pratiques pédagogiques. En soulignant l’enjeu stratégique de certaines compétences partagées entre les différentes disciplines (expression écrite et orale, travail en groupe, sélection et restitution de l’information...), elle montre l’intérêt de les travailler de façon spécifique » , nul doute que l’approche par compétences s’érige, dans cette perspective, en passerelle inévitable chargée de conduire l’enseignant, à son corps défendant, vers l’engrenage d’une pédagogie centrée sur l’élève. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à considérer cette autre assertion du même O. Rey qui assène sans ambages que « le maître est un “guide" et l'élève apprend en agissant », ou encore « Le noyau stable de l’identité de l’éducateur se trouve dans l’expertise des situations d’enseignement et d’apprentissage plus que dans la maitrise de savoirs disciplinaires en constante évolution. »
Je vous fais grâce de la question du galvaudage congénital du terme "compétence". Ça nous conduirait vers des méandres discursifs beaucoup plus tentaculaires.
Bien à vous.
- bernardoFidèle du forum
desnos a écrit:archeboc a écrit:Même si je ne pense pas beaucoup de bien de Terra Nova, je trouve que la note critique qui est référencée ici présente plusieurs défauts.
* Elle accuse Terra Nova de renvoyer les élève en difficulté à une incapacité de nature. L'accusation repose sur des citations telles que celle de Dubet "nous avons fait entrer dans l’école des jeunes qui n’étaient pas faits pour elle" : lorsqu'on dit que les élèves ne sont pas faits pour notre école, on peut viser certes une incapacité biologique, mais il peut s'agir plus probablement de difficultés culturelles : nos élèves n'ont pas les outils culturels pour investir l'école. C'est un argument qui a des conséquences funeste, mais le fait est peut-être vrai : exciper de la devise républicaine pour décréter l'égalité de fait, c'est un dogmatisme pas moins gênant que le dogmatisme d'en face.
* Cette note passe trop rapidement sur le désastre de l'école primaire. Or si tout va si mal dans l'école française, le collège est loin d'être le principal responsable. Trop d'élèves entrent en CP sans avoir les compétences (motrices, langagières) nécessaires à l'apprentissage de l'écriture et de la lecture, et trop d'élèves arrivent en fin de CP sans savoir lire. Or cet effondrement de l'enseignement primaire est la cause principale des échecs ultérieurs. Comment suivre en 6e avec un niveau de CE2 ? Si les élèves de collèges ne sont pas faits pour faire des études, c'est d'abord parce que l'enseignement primaire et l'éducation pré-primaire ne remplissent pas leur mission.
* Or faire ce lien entre l'échec scolaire au collège et la faillite du lire-écrire-compter en primaire n'est pas seulement rendre compte du réel : c'est aussi, tactiquement, le meilleur coin qu'on puisse enfoncer au sein du front des sciencéduc. Pensez simplement au livre de Garcia et Oller sur l'apprentissage de la lecture.
* Je suis un fervent défenseur de l'approche par les compétences, je ne suis donc pas d'accord avec les positions anti-compétences de ce fil et plus largement de ce forum. Le gros problème de l'approche par les compétences, c'est que ce qui se pratique sous ce nom dans l'éducation nationale n'en est qu'une grotesque caricature. A ce titre, la critique d'Alain Beitone est plus fine : ce qu'il critique, c'est que les objectifs pédagogiques que recouvrent les compétences visées par les programmes sont inefficaces. Et sur ce point, comment ne pas le suivre ? Ce qui apparaît finalement, c'est que les compétences ne sont que des prétexte au main des idéologues de l'éducation pour maquiller la démolition des exigences. Une vraie analyse par compétence devrait au contraire aboutir à des objectifs beaucoup plus ambitieux.
Bonsoir.
Pour montrer que la logique de la compétence n'est rien d'autre qu'un modèle éducatif qui exhale, nolens volens, les effluves d'un parti pris idéologique qui va à l’encontre d’une conception de l’école comme siège de la diffusion du savoir et de la culture, et qu'il est surtout l'incarnation de la duplicité d’un discours entriste, en réalité relais-exécutant docile des injonctions de l'Union européenne, par le truchement d'une glorification d’une doxa, presque idolâtrée, dont les fondements scientifiques sont bancals, j'avais, naguère, écrit ce qui suit.
Que cache la pédagogie de la compétence ?
Il est souvent admis que la franchise est une qualité dans les relations humaines. Mais, l'on oublie parfois de se demander si ce mode de communication convient ou non quand on veut s'adresser, par exemple, à des êtres émotifs, à ceux dont on suppose la maturité mentale ou intellectuelle inaccomplie, au peuple… Les responsables de la chose publique sont parmi ceux qui ont le sens de la nuance : ils estiment en général, sans l’avouer, qu'une communication franche est plutôt une maladresse en matière de rhétorique politique.
Sans déroger à cette règle, le cénacle des décisions relatives au monde de l'éducation prétend que les nouveaux programmes scolaires, notamment ceux du primaire, procèdent d'une réforme juste, équilibrée et respectueuses des aspirations du peuple. Sauf que, ces réformateurs ont bien pris soin d’occulter l'entrisme pédagogiste au sein de cette réforme. Ils se sont bien gardés de reconnaître que les choix opérés découlent d’abord de préoccupations économiques et qu’ils sont plutôt favorables à une certaine vision de la chose scolaire, au détriment d’autres. L'art de la nuance rhétorique les a conduits à soutenir que la justesse de cette réforme repose sur un équilibre entre "la connaissance", matrice théorique du courant de la transmission des savoirs, et "la compétence", un des avatars du pédagogisme.
Dans cette perspective, tout en jurant, la main sur le cœur, respecter la liberté pédagogique des enseignants, les sectateurs de cette réforme ont omis de mentionner que celle-ci a d'abord permis au pédagogisme, par un tour de passe-passe propre à tromper le crédule, de placer au sein des nouveaux programmes un cheval de Troie : la notion de "compétence". Loin d'être un talisman autorisant l'espoir d'une protection contre une dérive idéologique, la réforme réalise, par ce biais, un objectif double : assurer la pérennité du pédagogisme tout en entretenant l'illusion d'une liberté pédagogique. Considérons à présent les choses de plus près.
De la compétence comme vecteur du pédagogisme
Qu'y a-t-il de mieux, pour illustrer l'entrisme pédagogiste dans les nouveaux programmes, que de relever les déclarations de ses propres thuriféraires ? C'est ainsi que Olivier Rey (responsable de l’unité "Veille & Analyses" de l’Institut Français de l’Éducation (IFÉ) – ENS de Lyon) déclare :
« La notion de compétence est une innovation officiellement introduite à la faveur du socle commun. Pour beaucoup d’acteurs éducatifs, elle a permis de faire bouger les pratiques dans un système sclérosé. Pour d’autres, la compétence est un repoussoir qui cristallise toutes leurs craintes : notion compliquée à mettre en œuvre et à évaluer, qui dilue les disciplines. […] Il apparaît pourtant aujourd’hui que l’abandon de cette notion, quel qu’en soit le prétexte, serait le signe d’une résignation à un modèle éducatif que la plupart des analyses considèrent à la fois inefficace et inéquitable. »
Le ton péremptoire et sentencieux de telles déclarations ne laisse point de doute sur le parti pris opéré par l’officine officielle, en matière de choix du modèle éducatif. Leur auteur a au moins le mérite de reconnaître, mezza voce, qu’il s’agit bel et bien d’un parti pris. Seulement, il se garde bien de nous dire en quoi les autres modèles éducatifs seraient inefficaces et inéquitables et sur quelles statistiques objectives repose ce terme « la plupart » qu’il brandit comme argument phare justifiant ce choix stratégique. Quand bien même ce modèle éducatif aurait remporté l’adhésion d’un grand nombre, faut-il lui rappeler que l’argument du nombre est pour le moins spécieux, pour ne pas dire inepte ? Galilée n’était-il pas seul à soutenir l’idée de la rotation de la Terre autour du Soleil ? S’il est aisé de deviner le courant de pensée qui sous-tend habituellement l’approche par compétences, le laudateur de cette vision des choses a également éludé la question des références intellectuelles ; ce qui l’aurait par ailleurs contraint de mentionner, par souci d’objectivité, que d’autre modèles éducatifs ont, eux aussi, leurs propres assises doctrinales, au lieu de faire accroire qu’en dehors de la compétence, point de salut.
Lorsque Olivier Rey affirme que « […] Le deuxième grand intérêt de la notion de compétences est de servir de vecteur d’évolution des pratiques pédagogiques. En soulignant l’enjeu stratégique de certaines compétences partagées entre les différentes disciplines (expression écrite et orale, travail en groupe, sélection et restitution de l’information...), elle montre l’intérêt de les travailler de façon spécifique » , nul doute que l’approche par compétences s’érige, dans cette perspective, en passerelle inévitable chargée de conduire l’enseignant, à son corps défendant, vers l’engrenage d’une pédagogie centrée sur l’élève. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à considérer cette autre assertion du même O. Rey qui assène sans ambages que « le maître est un “guide" et l'élève apprend en agissant », ou encore « Le noyau stable de l’identité de l’éducateur se trouve dans l’expertise des situations d’enseignement et d’apprentissage plus que dans la maitrise de savoirs disciplinaires en constante évolution. »
Je vous fais grâce de la question du galvaudage congénital du terme "compétence". Ça nous conduirait vers des méandres discursifs beaucoup plus tentaculaires.
Bien à vous.
Je ne réagis qu'à une partie de ce texte (en gras) : je ne vois pas trop ce qui permet à ce monsieur O. Rey d'affirmer que les savoirs disciplinaires sont en "constante évolution". Je continue de penser, malgré tout ce qu'on essaye de nous inculquer en "formation", que le professeur n'est pas une "ressource" parmi d'autres mais un maître justement, qui maîtrise donc des savoirs et l'art de les transmettre. Renoncer à cette définition du professeur comme maître, c'est entériner cette idée que l'école ne serait plus un lieu où l'on transmet des savoirs mais serait devenue (du fait de l'entrée de "publics" plus "en difficulté") un lieu de "vie scolaire", la vie scolaire étant élargie aux cours considérés comme un moment de la journée parmi d'autres, où l'on s'emploie à procurer aux pauvres le bien-être, la confiance en eux-mêmes, le sentiment d'être des gens biens, toutes choses dont on suppose qu'ils en manquent, étant pauvres. Voilà comment on appauvrit "le pauvre", qui ne l'était pas plus qu'un autre, qui ne demandait qu'à apprendre, et non à être assigné à une pauvreté supposée. J'ai une CPE comme ça dans mon collège (et ce n'est pas la première que je croise) qui donne dans le misérabilisme : elle croit bien faire mais se sert au fond des élèves pour se donner le rôle de celle qui les sauve ; c'est assez triste.
- archebocEsprit éclairé
desnos a écrit:De la compétence comme vecteur du pédagogisme
Qu'y a-t-il de mieux, pour illustrer l'entrisme pédagogiste dans les nouveaux programmes, que de relever les déclarations de ses propres thuriféraires ? C'est ainsi que Olivier Rey (responsable de l’unité "Veille & Analyses" de l’Institut Français de l’Éducation (IFÉ) – ENS de Lyon) déclare :
« La notion de compétence est une innovation officiellement introduite à la faveur du socle commun. [...]
Lorsque Olivier Rey affirme que « […] Le deuxième grand intérêt de la notion de compétences est de servir de vecteur d’évolution des pratiques pédagogiques. En soulignant l’enjeu stratégique de certaines compétences partagées entre les différentes disciplines (expression écrite et orale, travail en groupe, sélection et restitution de l’information...), elle montre l’intérêt de les travailler de façon spécifique » , nul doute que l’approche par compétences s’érige, dans cette perspective, en passerelle inévitable chargée de conduire l’enseignant, à son corps défendant, vers l’engrenage d’une pédagogie centrée sur l’élève. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à considérer cette autre assertion du même O. Rey qui assène sans ambages que « le maître est un “guide" et l'élève apprend en agissant », ou encore « Le noyau stable de l’identité de l’éducateur se trouve dans l’expertise des situations d’enseignement et d’apprentissage plus que dans la maitrise de savoirs disciplinaires en constante évolution. »
Que les fossoyeurs de l'éducation se drapent dans les compétences pour camoufler leurs basses besognes, c'est une évidence. Que cette captation constitue une dénaturation de l'idée de compétence, c'est un peu moins évident, mais n'en est pas moins vrai. Olivier Rey a ses raisons d'essayer de faire croire que la compétence a été inventée pour la réforme pédagogique française. La vérité est qu'elle vient d'ailleurs.
La vraie question est : quelles sont les compétences que nous voulons et que nous devons enseigner à nos enfants ? La réponse est : le plus tôt possible, lire-écrire-compter, et déjà, on quitte l'horizon du pédagogisme, en tout cas dans sa version la plus bornée. Ensuite : la rigueur, la mémoire, la capacité de travail, l'agilité intellectuelle, la capacité à se faire comprendre, la capacité à apprendre, la manipulation des ordres de grandeurs du monde physique et social, le contrôle de ses gestes, (auxquelles il faudrait ajouter quelques savoir-être : l'honnêteté, la curiosité, le gout du défi, le contrôle de ses humeurs, la maîtrise des codes sociaux, mais c'est une autre histoire).
Pour acquérir ces compétences, il y a ensuite des disciplines. Il paraît que le latin, le français et les maths sont des disciplines particulièrement efficaces pour cela.
Mais les pédagologues, eux, mettent l'accent sur le travail en groupe, sur les nouvelles technologies, et quelques autres gadgets médiatiques : c'est sur le choix de ces compétences bling-bling que les politiques publiques sont dans les choux. Ces compétences ne sont pas pertinentes pour deux raisons :
- les unes ne constituent pas des compétences fondamentales, par exemple la recherche sur internet ne permet pas d'acquérir des compétences de plus haut niveau.
- les autres sont de haut niveau, elles réclament des compétences de plus bas niveau qui ne sont pas acquises, par exemple on ne peut apprendre le travail en groupe si on ne maîtrise pas la prise de note ;
Le constat que les compétences sont incrémentales, qu'elles s'enchaînent, les plus basses servant de fondation aux plus hautes, est totalement refusé par les pédagolâtres. Et c'est normal : car pour construire un cursus qui permettent d'enchaîner les compétences, il est plus efficace de s'appuyer sur des disciplines incrémentales. On retombe en particulier sur le latin et les maths. Sur un temps plus long sont incrémentales aussi la littérature et l'histoire.
Réfléchissez à ce qu'était l'épreuve du certificat d'étude : c'était à 100% une validation de compétences, et de compétences fondamentales. Surtout, c'était une validation exigeante, c'est-à-dire que le niveau exigé pour chacune des compétences validées étaient un niveau maximal, celui de l'automatisation de la tâche, l'acquisition au niveau réflexe, ce que les bourdieusiens appellent une incorporation. Les compétences à la sauce pédagologue, avec les niveaux "non acquis", "en cours d'acquisition", et "acquis", sont une trahison de ce que sont les compétences, gradués normalement selon le niveau d'incorportation de la compétence (une échelle possible serait : incapable - tâtonnant - autonome - réflexe, une autre : ignorant - néophyte - initié - habitué - expert) . De même, le mot d'ordre de l'institution interdisant de "dévalider" une compétence est absolument contraire à l'idée de "certification" qui accompagne l'idée de compétence.
- bernardoFidèle du forum
Quand on se focalise sur "l'évaluation" ce n'est pas bon signe. Quand on y ajoute le concept fumeux d'interdisciplinarité, alors là ça devient carrément dangereux.
Il y avait une école avec une mission définie (enseigner à lire-écrire-compter). Il y avait des notes qui correspondaient à des barèmes, indépendamment de l'idée de bienveillance, de découragement (hier en conseil de classe, un parent représentant : "mettre une note en dessous de 5/20 c'est dégradant pour l'enfant"), de "classes sociales défavorisées".
De plus, "évaluer" une "compétence" en lecture ou en écriture, étant donné la complexité de ce que cela met en jeu (lire ? quel texte ?), ça me semble vraiment un leurre, une perte de temps, une noyade de poisson.
Il y avait une école avec une mission définie (enseigner à lire-écrire-compter). Il y avait des notes qui correspondaient à des barèmes, indépendamment de l'idée de bienveillance, de découragement (hier en conseil de classe, un parent représentant : "mettre une note en dessous de 5/20 c'est dégradant pour l'enfant"), de "classes sociales défavorisées".
De plus, "évaluer" une "compétence" en lecture ou en écriture, étant donné la complexité de ce que cela met en jeu (lire ? quel texte ?), ça me semble vraiment un leurre, une perte de temps, une noyade de poisson.
- archebocEsprit éclairé
bernardo a écrit:De plus, "évaluer" une "compétence" en lecture ou en écriture, étant donné la complexité de ce que cela met en jeu (lire ? quel texte ?), ça me semble vraiment un leurre, une perte de temps, une noyade de poisson.
Désolé, mais la lecture est le pire exemple : il y a effectivement dans nos laboratoires des tests standardisés qui permettent d'évaluer les compétences de lecture. Alors qu'en écriture, c'est autre chose, évidemment. La force du système d'éducation dont nous avons hérité, c'est qu'il s'appuyait sur une culture commune très forte permettant l'évaluation fine des compétences des élèves, aussi fine en tout cas que cet artisanat le permettait. Les outils déployés pour cela -dictée, rédaction, dissertation, thèmes et version, récitation, etc.- était calibrés par une culture pédagogique commune que l'expansion de la pédagologie a effacé, sans pouvoir les remplacer. Sans le vouloir non plus, en fait : il me semble que le développement des tests pédagogiques standardisés est une préoccupation récente chez les pédagologues français.
- William FosterExpert
archeboc a écrit:bernardo a écrit:De plus, "évaluer" une "compétence" en lecture ou en écriture, étant donné la complexité de ce que cela met en jeu (lire ? quel texte ?), ça me semble vraiment un leurre, une perte de temps, une noyade de poisson.
Désolé, mais la lecture est le pire exemple : il y a effectivement dans nos laboratoires des tests standardisés qui permettent d'évaluer les compétences de lecture. Alors qu'en écriture, c'est autre chose, évidemment. La force du système d'éducation dont nous avons hérité, c'est qu'il s'appuyait sur une culture commune très forte permettant l'évaluation fine des compétences des élèves, aussi fine en tout cas que cet artisanat le permettait. Les outils déployés pour cela -dictée, rédaction, dissertation, thèmes et version, récitation, etc.- était calibrés par une culture pédagogique commune que l'expansion de la pédagologie a effacé, sans pouvoir les remplacer. Sans le vouloir non plus, en fait : il me semble que le développement des tests pédagogiques standardisés est une préoccupation récente chez les pédagologues français.
Je crois que je préfère ne pas passer ces tests.
Quand je vois le mal que j'ai à comprendre ce qui est écrit dans les programmes ou dans les courriers des IPR, je dois avoir un niveau bien faible
_________________
Tout le monde me dit que je ne peux pas faire l'unanimité.
"Opinions are like orgasms : mine matters most and I really don't care if you have one." Sylvia Plath
Vérificateur de miroir est un métier que je me verrais bien faire, un jour.
- V.MarchaisEmpereur
Les tests de lecture ne parviennent qu'à mesurer une toute petite partie de l'ensemble très complexe de mécanismes mis en jeu dans la lecture. La plupart se basent sur la vitesse de lecture (mots correctement lus par minute). On peut éventuellement, par un jeu de questions, évaluer le degré de compréhension, sans être pour autant capable de définir quelle compétence a, le cas échéant, fait obstacle : élaboration des macro-structures au fur et à mesure de la lecture, représentation mentale, lexique, syntaxe, chaîne référentielle, implicite, références culturelles nécessaires...
En ce sens, je suis d'accord avec Bernardo : l'évaluation par compétences en lecture est complètement fumeuse.
Pour parvenir à un semblant d'efficacité de ces tests, il faudrait des dispositifs expérimentaux extrêmement complexes, du type de ceux qui sont mis en place dans les UFR de psychologie cognitive consacrés à la lecture (comme à Paris XIII, où j'ai un peu travaillé).
En ce sens, je suis d'accord avec Bernardo : l'évaluation par compétences en lecture est complètement fumeuse.
Pour parvenir à un semblant d'efficacité de ces tests, il faudrait des dispositifs expérimentaux extrêmement complexes, du type de ceux qui sont mis en place dans les UFR de psychologie cognitive consacrés à la lecture (comme à Paris XIII, où j'ai un peu travaillé).
- archebocEsprit éclairé
V.Marchais a écrit:Les tests de lecture ne parviennent qu'à mesurer une toute petite partie de l'ensemble très complexe de mécanismes mis en jeu dans la lecture. La plupart se basent sur la vitesse de lecture (mots correctement lus par minute).
Et cette vitesse augmente avec la compréhension.
La vitesse de lecture n'est pas une mesure de toute la compétence de lecture, mais elle en offre une très bonne approximation : pour le dire autrement, les tests plus complexes que tu évoques sont toujours corrélés à plus de 80% avec la vitesse de lecture.
- Ramanujan974Érudit
bernardo a écrit:La machine à noyer le poisson est en train de devenir redoutablement efficace quand même. Je viens de préparer le conseil de classe de la 5e où je suis PP. Dans les faits, classe très hétérogène : 6 très forts + 4 forts / 9 moyens plus / 5 moyens moins + 5 "en difficulté".
Sur le papier (bulletin) … ils ont tous une moyenne générale supérieure à 10 (sauf un qui a 9,4/20).
Moyennes en arts plastiques : 17,07
en éducation musicale : 15,15
en EPS (le seul prof qui remplit sur le bulletin la partie "éléments du programme travaillés durant la période") : 15,97
en espagnol (LV2 1ère année, depuis la réforme) : 15,08
en HG/EMC : 15,09
en technologie : 15,19.
Allez ensuite dire aux 19 élèves moyens ou faibles qu'il faut qu'ils se bougent et se mettent au travail …
Mais on dira que c'est la faute aux profs qui manquent de bienveillance et découragent les élèves … en leur mettant de trop mauvaises notes :missT2:
Le PP de 2de que je suis ne peut qu'acquiescer à ces remarques.
En gros, dans ta classe, 10 élèves sont aptes à suivre au lycée.
Quelles sont les moyennes de classe en Maths et Français ?
Ca me fait penser à une anecdote d'il y a quelques temps.
Un élève de 2de (gentil, mais faible : 7 de moyenne générale) me dit tout fier qu'il a eu 10 en espagnol et que c'était la première fois qu'il avait autant.
Je lui demande la moyenne de la classe, il me dit 15.
"Donc, 10 c'est nul !" lui réponds-je.
"Oui, mais j'ai 10 quand même"
"Ca ne veut rien dire, puisque tous les autres ont 15"
"Oui, mais quand même..."
Dialogue de sourds et omniprésence de cette note de 10 comme Saint Graal...
- V.MarchaisEmpereur
archeboc a écrit:V.Marchais a écrit:Les tests de lecture ne parviennent qu'à mesurer une toute petite partie de l'ensemble très complexe de mécanismes mis en jeu dans la lecture. La plupart se basent sur la vitesse de lecture (mots correctement lus par minute).
Et cette vitesse augmente avec la compréhension.
La vitesse de lecture n'est pas une mesure de toute la compétence de lecture, mais elle en offre une très bonne approximation : pour le dire autrement, les tests plus complexes que tu évoques sont toujours corrélés à plus de 80% avec la vitesse de lecture.
J'aimerais bien savoir d'où tu sors ces chiffres, car ils ne reflètent pas le contenu des quelques ouvrages spécialisés que j'ai pu lire sur le sujet, ni mon expérience de ces élèves qui débitent un texte à toute vitesse (sans marquer la ponctuation) sans en comprendre grand chose.
Page 2 sur 2 • 1, 2
- Terra Nova sort un nouveau rapport pour "démocratiser l'école".
- IFRAP : Les solutions d'Agnès Verdier-Molinié pour l'éducation.
- Terra Nova remet sur la table "l'école commune" enterrée par Peillon.
- Terra Nova contre les disciplines scolaires
- Sgen/Unsa/Terra Nova/Obin : "Associer l’école primaire et le collège dans la même gestion locale" (Libé)
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum