- AllianceNiveau 9
Bonjour à tous,
J'aurais besoin de quelques précisions sur cet extrait d'Erasme :
j'ai axé notamment mon analyse sur l'idée de la folie bienfaisante (l'idée que si l'homme trouve le bonheur dans l'illusion pq pas...) mais une discussion avec une collègue me fait douter : peut-on dire que le texte est ironique ? Comment comprenez-vous l'intention de l'auteur derrière cet éloge paradoxal ? Y-a-t-il éloge de l'illusion ou finalement la dénonce-t-il ?
J'avoue que je n'y vois plus très clair, merci à ceux qui pourront m'éclairer !
Bonne journée à tous !
Voici le texte :
[…]
L’erreur est énorme de faire résider le bonheur dans les réalités : il dépend de l’opinion qu’on a d’elles. Il y a tant d’obscurité, tant de diversité dans les choses humaines, qu’il est impossible d’en rien élucider, comme l’ont justement dit mes Académiciens, « les moins orgueilleux des philosophes » ; ou bien, si quelqu’un arrive à la connaissance, c’est bien souvent aux dépens de son bonheur. L’esprit de l’homme est ainsi fait qu’on le prend beaucoup mieux par le mensonge que par la vérité. Faites-en l’expérience ; allez à l’église quand on y prêche. S’il est question de choses sérieuses, l’auditoire dort, bâille, s’embête. Que le crieur (pardon, je voulais dire l’orateur), comme cela est fréquent, entame un conte de bonne femme, tout le monde se réveille et se tient bouche bée. De même, s’il y a quelque saint un peu fabuleux et poétique, à la façon de saint Georges, de saint Christophe ou de sainte Barbe, vous verrez venir à lui beaucoup plus de dévots qu’à saint Pierre, à saint Paul ou même au Christ. Mais ces choses-là n’ont rien à faire ici. Qu’un tel bonheur coûte peu ! Les moindres connaissances, comme la grammaire, s’acquièrent à grand-peine, tandis que l’opinion se forme très aisément ; et elle contribue tout autant au bonheur et même bien davantage. Tel homme se nourrit de salaisons pourries, dont un autre ne pourrait supporter l’odeur ; puisqu’il y goûte une saveur d’ambroisie, qu’est-ce que cela fait à son plaisir ? Par contre, celui à qui l’esturgeon donne des nausées n’y peut trouver aucun agrément. Une femme est laide à faire peur, mais son mari l’égale à Vénus ; c’est tout comme si elle était parfaitement belle. Le possesseur d’un méchant tableau, barbouillé de cinabre et de safran, le contemple et l’admire, convaincu qu’il est d’Apelle ou de Zeuxis ; n’est-il pas plus heureux que celui qui aura payé très cher une peinture de ces artistes et la regardera peut-être avec moins de plaisir ? J’ai connu quelqu’un de mon nom qui fit présent à sa jeune femme de fausses pierreries et lui persuada, étant beau parleur, qu’elles étaient non seulement vraies et naturelles, mais rares et d’un prix inestimable. Voyons, qu’est-ce que cela faisait à la jeune dame ? Elle ne repaissait pas moins joyeusement ses yeux et son esprit de cette verroterie ; elle n’en serrait pas moins précieusement ces riens comme un trésor. Le mari cependant évitait la dépense et profitait de l’illusion de sa femme, aussi reconnaissante que si elle avait reçu un cadeau princier.
Trouvez-vous une différence entre ceux qui, dans la caverne de Platon, regardent les ombres et les images des objets, ne désirant rien de plus et s’y plaisant à merveille, et le sage qui est sorti de la caverne et qui voit les choses comme elles sont ? Si le Mycille de Lucien avait pu continuer à jamais le rêve doré où il était riche, il n’aurait pas eu d’autre félicité à souhaiter. Il n’y a donc pas de différence ou, s’il en est une, c’est la condition des fous qu’il faut préférer.
J'aurais besoin de quelques précisions sur cet extrait d'Erasme :
j'ai axé notamment mon analyse sur l'idée de la folie bienfaisante (l'idée que si l'homme trouve le bonheur dans l'illusion pq pas...) mais une discussion avec une collègue me fait douter : peut-on dire que le texte est ironique ? Comment comprenez-vous l'intention de l'auteur derrière cet éloge paradoxal ? Y-a-t-il éloge de l'illusion ou finalement la dénonce-t-il ?
J'avoue que je n'y vois plus très clair, merci à ceux qui pourront m'éclairer !
Bonne journée à tous !
Voici le texte :
[…]
L’erreur est énorme de faire résider le bonheur dans les réalités : il dépend de l’opinion qu’on a d’elles. Il y a tant d’obscurité, tant de diversité dans les choses humaines, qu’il est impossible d’en rien élucider, comme l’ont justement dit mes Académiciens, « les moins orgueilleux des philosophes » ; ou bien, si quelqu’un arrive à la connaissance, c’est bien souvent aux dépens de son bonheur. L’esprit de l’homme est ainsi fait qu’on le prend beaucoup mieux par le mensonge que par la vérité. Faites-en l’expérience ; allez à l’église quand on y prêche. S’il est question de choses sérieuses, l’auditoire dort, bâille, s’embête. Que le crieur (pardon, je voulais dire l’orateur), comme cela est fréquent, entame un conte de bonne femme, tout le monde se réveille et se tient bouche bée. De même, s’il y a quelque saint un peu fabuleux et poétique, à la façon de saint Georges, de saint Christophe ou de sainte Barbe, vous verrez venir à lui beaucoup plus de dévots qu’à saint Pierre, à saint Paul ou même au Christ. Mais ces choses-là n’ont rien à faire ici. Qu’un tel bonheur coûte peu ! Les moindres connaissances, comme la grammaire, s’acquièrent à grand-peine, tandis que l’opinion se forme très aisément ; et elle contribue tout autant au bonheur et même bien davantage. Tel homme se nourrit de salaisons pourries, dont un autre ne pourrait supporter l’odeur ; puisqu’il y goûte une saveur d’ambroisie, qu’est-ce que cela fait à son plaisir ? Par contre, celui à qui l’esturgeon donne des nausées n’y peut trouver aucun agrément. Une femme est laide à faire peur, mais son mari l’égale à Vénus ; c’est tout comme si elle était parfaitement belle. Le possesseur d’un méchant tableau, barbouillé de cinabre et de safran, le contemple et l’admire, convaincu qu’il est d’Apelle ou de Zeuxis ; n’est-il pas plus heureux que celui qui aura payé très cher une peinture de ces artistes et la regardera peut-être avec moins de plaisir ? J’ai connu quelqu’un de mon nom qui fit présent à sa jeune femme de fausses pierreries et lui persuada, étant beau parleur, qu’elles étaient non seulement vraies et naturelles, mais rares et d’un prix inestimable. Voyons, qu’est-ce que cela faisait à la jeune dame ? Elle ne repaissait pas moins joyeusement ses yeux et son esprit de cette verroterie ; elle n’en serrait pas moins précieusement ces riens comme un trésor. Le mari cependant évitait la dépense et profitait de l’illusion de sa femme, aussi reconnaissante que si elle avait reçu un cadeau princier.
Trouvez-vous une différence entre ceux qui, dans la caverne de Platon, regardent les ombres et les images des objets, ne désirant rien de plus et s’y plaisant à merveille, et le sage qui est sorti de la caverne et qui voit les choses comme elles sont ? Si le Mycille de Lucien avait pu continuer à jamais le rêve doré où il était riche, il n’aurait pas eu d’autre félicité à souhaiter. Il n’y a donc pas de différence ou, s’il en est une, c’est la condition des fous qu’il faut préférer.
- User17706Bon génie
Sérieusement ?
"Si l'homme trouve le bonheur dans l'illusion pourquoi pas ?"
Bon, je ne sais pas si ce genre d'idée est défendable de manière sensée (pour être honnête je pense que non, pas un instant), mais il y a, au minimum, un anachronisme dans le fait de croire qu'il pourrait être défendu là.
Que le texte soit de part en part ironique, cela se voit non seulement dans la forme répétitive de l'unique argument qui le parcourt, mais également dans la nature de cet argument: "si l'on prend les vessies pour des lanternes, on n'en est pas moins content de croire avoir des lanternes aussi longtemps qu'on est confit dans sa sottise". Si ça semble désirable à certains à la fin du XXe ou début du XXIe, ça dit sûrement quelque chose sur notre époque à nous, mais ça n'apprend strictement rien sur le texte d'Erasme.
"Si l'homme trouve le bonheur dans l'illusion pourquoi pas ?"
Bon, je ne sais pas si ce genre d'idée est défendable de manière sensée (pour être honnête je pense que non, pas un instant), mais il y a, au minimum, un anachronisme dans le fait de croire qu'il pourrait être défendu là.
Que le texte soit de part en part ironique, cela se voit non seulement dans la forme répétitive de l'unique argument qui le parcourt, mais également dans la nature de cet argument: "si l'on prend les vessies pour des lanternes, on n'en est pas moins content de croire avoir des lanternes aussi longtemps qu'on est confit dans sa sottise". Si ça semble désirable à certains à la fin du XXe ou début du XXIe, ça dit sûrement quelque chose sur notre époque à nous, mais ça n'apprend strictement rien sur le texte d'Erasme.
- DesolationRowEmpereur
Erasme a écrit:
[…]
Les moindres connaissances, comme la grammaire, s’acquièrent à grand-peine, tandis que l’opinion se forme très aisément ; et elle contribue tout autant au bonheur et même bien davantage.
Je connais des tas de gens très écoutés en haut lieu qui professent exactement ce genre de choses. Je ne sache pas qu'ils fassent preuve de la moindre ironie, ni même qu'ils connaissent le terme.
- User17706Bon génie
Preuve que la satire érasmienne garde pertinence, ou bien que dans un monde où la réalité le dispute à sa caricature, et n'en déplaise à Juvénal, difficile est saturam scribereDesolationRow a écrit:Je connais des tas de gens très écoutés en haut lieu qui professent exactement ce genre de choses. Je ne sache pas qu'ils fassent preuve de la moindre ironie, ni même qu'ils connaissent le terme.Erasme a écrit:
[…]
Les moindres connaissances, comme la grammaire, s’acquièrent à grand-peine, tandis que l’opinion se forme très aisément ; et elle contribue tout autant au bonheur et même bien davantage.
- IphigénieProphète
Tu veux dire qu'on est sur l'E.N.F(rançaise) des fous?PauvreYorick a écrit:Preuve que la satire érasmienne garde pertinence, ou bien que dans un monde où la réalité le dispute à sa caricature, et n'en déplaise à Juvénal, difficile est saturam scribereDesolationRow a écrit:Je connais des tas de gens très écoutés en haut lieu qui professent exactement ce genre de choses. Je ne sache pas qu'ils fassent preuve de la moindre ironie, ni même qu'ils connaissent le terme.Erasme a écrit:
[…]
Les moindres connaissances, comme la grammaire, s’acquièrent à grand-peine, tandis que l’opinion se forme très aisément ; et elle contribue tout autant au bonheur et même bien davantage.
- LeclochardEmpereur
PauvreYorick a écrit:Sérieusement ?
"Si l'homme trouve le bonheur dans l'illusion pourquoi pas ?"
Bon, je ne sais pas si ce genre d'idée est défendable de manière sensée (pour être honnête je pense que non, pas un instant), mais il y a, au minimum, un anachronisme dans le fait de croire qu'il pourrait être défendu là.
Que le texte soit de part en part ironique, cela se voit non seulement dans la forme répétitive de l'unique argument qui le parcourt, mais également dans la nature de cet argument: "si l'on prend les vessies pour des lanternes, on n'en est pas moins content de croire avoir des lanternes aussi longtemps qu'on est confit dans sa sottise". Si ça semble désirable à certains à la fin du XXe ou début du XXIe, ça dit sûrement quelque chose sur notre époque à nous, mais ça n'apprend strictement rien sur le texte d'Erasme.
Je n'arrive pas à croire qu'un bon lecteur puisse prendre ce texte au sérieux. Les exemples sont "loufoques".
_________________
Quelqu'un s'assoit à l'ombre aujourd'hui parce que quelqu'un d'autre a planté un arbre il y a longtemps. (W.B)
- DesolationRowEmpereur
Leclochard a écrit:PauvreYorick a écrit:Sérieusement ?
"Si l'homme trouve le bonheur dans l'illusion pourquoi pas ?"
Bon, je ne sais pas si ce genre d'idée est défendable de manière sensée (pour être honnête je pense que non, pas un instant), mais il y a, au minimum, un anachronisme dans le fait de croire qu'il pourrait être défendu là.
Que le texte soit de part en part ironique, cela se voit non seulement dans la forme répétitive de l'unique argument qui le parcourt, mais également dans la nature de cet argument: "si l'on prend les vessies pour des lanternes, on n'en est pas moins content de croire avoir des lanternes aussi longtemps qu'on est confit dans sa sottise". Si ça semble désirable à certains à la fin du XXe ou début du XXIe, ça dit sûrement quelque chose sur notre époque à nous, mais ça n'apprend strictement rien sur le texte d'Erasme.
Je n'arrive pas à croire qu'un bon lecteur puisse prendre ce texte au sérieux. Les exemples sont "loufoques".
Un "bon lecteur" demeure susceptible de commettre tous les contresens. Mais il est vrai que celui-ci est particulièrement beau.
- LeclochardEmpereur
Pour moi, Erasme en multipliant les exemples de toutes sortes, ne cache pas justement qu'il discrédite la position apparemment défendue. Sans connaître le contexte, le discours a un aspect outrancier qui ne laisse pas vraiment la place au doute.
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Quelqu'un s'assoit à l'ombre aujourd'hui parce que quelqu'un d'autre a planté un arbre il y a longtemps. (W.B)
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