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Dimka
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Jankélévitch, L’imprescriptible Empty Jankélévitch, L’imprescriptible

par Dimka 15th Avril 2016, 01:09
Salut !
Y a-t-il des gens qui ont lu L’imprescriptible de Vladimir Jankélévitch (en fait, ça regroupe Pardonner ? et Dans l’honneur et la dignité), ici ?

Je l’ai lu, et je suis plutôt sceptique, je ne sais pas trop quoi en penser. Est-ce considéré comme faisant partie de son œuvre philosophique ou comme deux pamphlets à considérer en dehors du reste de son œuvre ? Je trouve que ça manque de rigueur, qu’il y a beaucoup d’affirmations balancées comme ça et que l’auteur ne cherche même pas à démontrer, des procès d’intention, et qu’il surjoue dans l’émotion, aux dépens de la rigueur argumentative (je ne vais pas tout détailler, mais par exemple, il considère comme acquis que antisionisme = antisémitisme… Mmmoui, ça mériterait quand même quelques développements, soit pour prouver dans l’absolu l’équivalence, soit pour prouver qu’à son époque, les antisionistes étaient des antisémites larvés). D’un autre côté, je me demande aussi si ce n’est pas un livre daté, et devenu incompréhensible.

Je ne connais pas très bien les détails des mentalités en France, notamment à propos de l’antisémitisme et de la Shoah, à l’époque de ce bouquin (moi, l’histoire après 1204, hein… Razz) : peut-être était-ce différent, et donc on pourrait supposer que le discours de Jankélévitch est une réponse à un contexte particulier qui est maintenant révolu ? Peut-être que Jankélévitch arrive pour imposer une nouvelle vision des choses à son époque, et que maintenant que ce point de vue est globalement dominant (ou admis), ça fait bizarre de le relire ?

J’ai eu du mal aussi parce qu’il y a énormément d’allusions (par exemple : « Mais nos distingués casuistes ont mieux à faire : il faut absolument escamoter l’atroce génocide et trouver dans l’histoire d’autres Auschwitz qui dilueront l’épouvante du vrai Auschwitz » (p. 39)), et comme je ne vois pas à qui il fait référence, je ne peux pas savoir s’il s’agit juste de procès d’intention gratuit (contre d’innocents historiens qui auraient fait des recherches sur les génocides), ou de références à des personnes qui à l’époque auraient réellement eu de mauvaises intentions avec un usage politique de l’histoire. Et le soucis, c’est que là, je donne un exemple, mais en fait, il y a des allusions comme ça partout ! Si ça se trouve, il fait allusion à des articles, des discours, des personnalités de son époque, et tout le monde comprenait, alors que moi, maintenant, ça ne me dit rien et je ne peux interpréter ce qu’il dit que dans l’absolu.

Par ailleurs, en lisant Jankélévitch, j’ai eu l’impression d’avoir en tête, en écho, le livre de Tzvetan Todorov, Les Abus de la mémoire. J’ai perdu mon exemplaire de ce livre que j’ai lu il y a longtemps, mais qui m’avait vivement marqué, donc je ne peux pas vérifier, mais j’ai presque l’impression que Todorov répond à Jankélévitch (par exemple, Jankélévitch dit que la Shoah est au-dessus de tout, incomparable, indicible… et il me semble justement que Todorov dit l’inverse). C’est absurde ou il y a vraiment deux conceptions philosophiques qui s’opposent (je n’ai rien trouvé allant dans ce sens, sur Internet… d’un autre côté, il y a un tel écart temporel entre les deux bouquins que c’est logique) ?

Et dernière question : est-ce que ça vaut le coup que je lise d’autres choses de Jankélévitch (j’ai le Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien sous la main), ou est-ce que je risque d’être déçu ?

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par Levincent 15th Avril 2016, 10:23
Tu poses de bonnes questions. Je n'ai pas lu ce livre de Jankélévitch, mais ce que tu mets en avant est intéressant, car il pose le problème de l'horreur et de la monstruosité. Faut-il essayer d'expliquer les choses qui sont de ce domaine, comme l'extermination des Juifs, et prendre le risque d'en dévaluer le caractère horrible et monstrueux, ou alors considérer que celles-ci sont de l'ordre de l'ineffable, impossibles à expliquer, et par conséquent impossible à prescrire et à pardonner ? Car expliquer, ce n'est pas pardonner (n'en déplaise à certains hommes politiques), mais c'est quand même inscrire le fait au bout d'une chaîne causale, c'est le rationaliser, et donc le mettre au même rang que n'importe quel autre fait. On met en évidence que celui ou ceux qui ont accompli l'acte en question avaient des raisons de le faire, qu'ils avaient des motivations dont on peut rendre compte par l'analyse. Ce n'est pas leur donner raison, mais c'est considérer leur point de vue comme un point de vue possible, qu'un relativisme un peu trop large serait capable de considérer à égalité avec tous les autres.
Cependant, penser les choses ainsi, c'est d'une part s'empêcher de comprendre, ce qui est gênant de la part d'un philosophe, et d'autre part c'est laisser la possibilité qu'une telle chose se reproduise. Car si on s'interdit de penser une chose comme le résultat de causes déterminées, on s'interdit également d'avoir une prise sur elle pour empêcher qu'elle advienne. Je suis donc d'avis qu'il vaut mieux essayer de comprendre et de voir les choses, même les plus horribles, sous le prisme de l'analyse. Mais il faut aussi avoir conscience qu'il est facile de dire ça lorsqu'on n'est pas concerné. Jankélévitch a vécu à cette époque, il a ressenti ce qui se passait dans sa chair, il en a été marqué à tout jamais. Toute sa vie il s'est rendu au tribunal pour témoigner lors des procès d'anciens nazis, pour que la mémoire des événements reste intacte. Il a sans doute ressenti plus que nous ce caractère indicible de ce qu'il s'est passé. Est-ce pour cette raison qu'il a construit une partie de sa philosophie autour de l'inexprimable (le je-ne-sais-quoi) ? C'est probable. Il y a sûrement aussi l'influence du judaïsme qui joue chez lui, puisque pour les Juifs, la persécution qu'ils subissent est de l'ordre du surnaturel, c'est Dieu lui-même qui en a fait un peuple de témoins (c'est-à-dire de martyrs) et qui les a condamnés à la pérégrination jusqu'à la restauration du Temple. Même si Jankélévitch n'était pas religieux, je ne serais pas étonné que cette dimension symbolique et apocalyptique de la persécution des Juifs ait influencé sa perception. Le problème qu'on peut se poser est tout de même le suivant : fait-il oeuvre de philosophe en pensant ainsi ? On peut tout à fait composer une oeuvre de qualité en insistant sur le caractère inexprimable du sujet dont on traite, mais est-ce que c'est cela qu'on attend d'un philosophe ? N'ayant pas lu l'oeuvre, les éléments me manquent pour répondre, mais je répète que je pencherais davantage pour une tentative d'explication rationnelle de la Shoah. Je ne pense pas qu'on rabaisse le côté monstrueux de la chose en pensant ainsi. Au contraire, l'horreur de l'extermination consiste selon moi dans le caractère justement très rationnel, méthodique, technique de la mise en oeuvre et des motivations des nazis. C'est ce côté glacé, posé, réfléchi, de l'exécution qui provoque le sentiment d'effroi. L'holocauste des Juifs n'est pas le fait d'antisémites passionnés comme il en existait à l'époque, mais de gens qui avaient en toute conscience décidé que c'était la chose à faire, et qui avaient mis en oeuvre les moyens pour y arriver. Et le négationnisme est dans la même veine, car il s'agit de nier le caractère volontaire de l'extermination par des arguments purement techniques. C'est le refus de considérer le sens de ce qui s'est passé pour s'en tenir au point de vue mécanique.
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par Dimka 16th Avril 2016, 00:20
Merci pour la réponse ! Tu exprimes en bien mieux que moi ce que je pense, sur l’attitude philosophique. Smile

Et penses-tu que l’on trouve des aspects similaires, dans ses autres œuvres (celles qui sont considérées comme majeures dans son œuvre philosophique ?) ? Dans l’absolu, j’aime bien lire des textes avec lesquels je ne suis pas d’accord, mais en ce moment, je voudrais aussi lire de la philosophie pour avoir des beaux raisonnements bien carrés, bien rigoureux.

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par Levincent 16th Avril 2016, 10:19
Je n'ai lu que La paradoxe de la morale, mais "carré" et "rigoureux" ne sont pas les mots qui me viennent à l'esprit en pensant à Jankélévitch. Je dirais plutôt que c'est revigorant. C'est une forme assez littéraire, avec des phrases très riches, beaucoup d'idées en peu de mots. Pour se faire une idée du style Jankélévitch, tu peux déjà écouter ses cours disponibles sur Youtube ("L'angoisse" ou "L'immédiat"), ou des émissions de radio qui parlent de lui ("Un amour de la morale" ou "La mort ou l'expérience de l'impensable").
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par Dimka 16th Avril 2016, 13:29
Ok, merci !

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par invite_d 16th Avril 2016, 21:21
Dimka a écrit:Est-ce considéré comme faisant partie de son œuvre philosophique ou comme deux pamphlets à considérer en dehors du reste de son œuvre ?
Ce sont des écrits au statut controversé dans l'œuvre de Jankélévitch. Il est même difficile d'accorder ce qu'on y trouve avec, par exemple, sa Philosophie première ou le Je-ne-sais-quoi. L'œuvre esthétique de Jankélévitch est plus proche du reste de sa philosophie que ses prises de positions face aux événements du XXe siècle. Mais il est aussi évident que ce n'est pas pour autant une forme d'écriture qui échappe à l'œuvre de son auteur. Ou plutôt, ça échappe à une œuvre dont le propos est peut-être justement d'échapper. Bref, le caractère intenable ici n'est probablement pas un accident.
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par Pierre C. 17th Avril 2016, 02:30
Dimka a écrit:je voudrais aussi lire de la philosophie pour avoir des beaux raisonnements bien carrés, bien rigoureux.
Ah, on pourrait s’entendre Very Happy

Bon, d’abord ce qui suit n’a rien à voir avec Jankélévitch, et ensuite c’est une affirmation controversée (pour ne pas dire affreusement polémique et qui me vaudrait de me faire étriller dans L’Obs si j’étais vaguement «célèbre»). À prendre avec des pincettes donc.

Si tu veux du beau raisonnement bien carré et bien rigoureux, fuis comme la peste la philosophie française (enfin pas toute la philosophie française mais une bonne partie quand même), et trouve refuge chez les analytiques. C’est essentiellement anglophone, mais certains livres sont traduits, et des collections comme les «Chemins philosophiques» ou les «Textes clés de philosophie» chez Vrin (loué soit son nom) permettent de se faire au style argumentatif analytique. (À titre personnel, j’ai beaucoup apprécié Qu’est-ce que la connaissance? de Julien Dutant.)

(Je risque de ne pas me faire que des amis parmi les philosophes de ces lieux Embarassed )
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par invite_d 17th Avril 2016, 14:48
Pierre C. a écrit:
Si tu veux du beau raisonnement bien carré et bien rigoureux, fuis comme la peste la philosophie française (enfin pas toute la philosophie française mais une bonne partie quand même), et trouve refuge chez les analytiques.

(Je risque de ne pas me faire que des amis parmi les philosophes de ces lieux Embarassed )

Si au contraire, non seulement des amis mais aussi des indifférents... Dire que la rigueur est du côté des "analytiques" et loin des "continentaux", c'est un cliché qui est si rebattu qu'il ne peut plus susciter d'hostilité. Au mieux une indifférence froide devant la profondeur insondable des affirmations invérifiables. Very Happy
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par Dimka 22nd Avril 2016, 20:08
Cool, merci pour le conseil. Smile Je ne peux ni approuver, ni polémiquer, mais ça me fait toujours des idées de lectures auxquelles je n'aurais pas pensé seul !

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par Dimka 11th Mai 2016, 14:57
Bonjour,
Pierre C. a écrit:C’est essentiellement anglophone, mais certains livres sont traduits, et des collections comme les «Chemins philosophiques» ou les «Textes clés de philosophie» chez Vrin (loué soit son nom) permettent de se faire au style argumentatif analytique.
Aurais-tu des exemples ? Je suis allé dans une librairie, mais finalement je n’ai pas su quoi prendre…

(et ils n’avaient pas Julien Dutant, mais je garde la référence sous le coude pour la prochaine fois)

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